samedi 2 août 2014

Épisodes de la vie des mantes religieuses - Louis Calaferte-

Calaferte est un génie. De ceux qu'un lecteur croise rarement dans une vie. Il a écrit "Septentrion", un chef d'oeuvre dont je serais bien incapable de parler un jour tant il est trop grand pour moi. Parmi les autres titres de son immense bibliographie, je vous recommande aussi "La mécanique des femmes", "Rosa Candida" ou encore le fabuleux "Requiem des innocents", mais il y en a bien d'autres.

Dans les "Épisodes de la vie des mantes religieuses", il parle une fois de plus des nombreuses femmes de sa vie. Une géographie amoureuse complexe, particulièrement sexuelle, souvent dérangeante. Il y décrit notamment sa relation avec D., celle qu'il aime et qui chaque soir se transforme en mante religieuse : "Végétale, armée de tiges carnivores surmontées d'une infinité de petits dards aux aiguilles rétractiles, chaque nuit elle dort auprès de moi, me dévore doucement pendant mon sommeil."

Mais il y a aussi toutes les autres, femmes d'un soir ou putains aux seins flasques : "Je les voudrais prostituées à moi. Dans des rues étroites, puantes. Dans des escaliers d'hôtels borgnes. Pour des accouplements qui seraient des sacrifices. Les jeter ensuite dans les cuvettes des bidets. Je m'assiérais au bord pour les regarder se débattre, déchets animés, dans le tourbillon de l'eau siphonnée. Femmes froissées, femmes-miettes. La peau de leur sexe flottant à la surface."

Chez Calaferte, la chair est triste. "Images lubriques. Fange du sexe. [...] Forcer l'impossible. Être Dieu. S'anéantir dans la débauche, jusqu'au crime. Exacerbation du sexe. Désir d'échapper à la ruine intérieure." Il y a bien quelques moments d'apaisement ("T'envelopper dans mes bras, t'étreindre, te blottir contre moi, couvrir de baisers ton visage, tes cheveux, t'étouffer de tendresse") mais le désespoir lucide reprend vite la main : "Je me hisse sur sa froideur cadavérique. Ses lèvres pâles grimaçent. En vain nous nous essoufflons, l'un à l'autre impénétrables. Une nuit nous sépare."

Ce texte n'est pas un roman. C'est une succession d'aphorismes, de souvenirs épars, de bribes de poèmes en prose. C'est doux et violent, insignifiant et profond. Le rythme de chaque phrase oscille entre calme et fureur avec une force incomparable. Dans la préface, Marcela Iacub qualifie ces épisodes de hold-up, de coup de poing, de viol, de massacre. C'est un livre qui "nous secoue, nous torture, nous humilie. Nous pénètre, nous envahit, nous contamine, nous vampirise, nous corrompt." Et je dois dire qu'elle n'a pas tout à fait tort...

Calaferte est mon écrivain français préféré. Un génie. Un monstre. Son écriture me foudroie, il a par moments des fulgurances qui me laisse abasourdi :

"Nuit.
Retraite.
Elle ouvre et referme sans bruit la porte.
Certitude d'une présence. Son pas volontairement léger. Elle traverse la grande pièce.
Je fais semblant de dormir.
Elle entre dans la chambre, pose son sac à main sur le fauteuil. Je sais qu'elle me regarde. Son parfum.
Bruit de la laine, de la fermeture éclair du pantalon. Mouvement autour de moi.
Déclic de l'agrafe du soutien-gorge. Les couvertures, les draps soulevés.
Poids dans le lit.
Cette fraîcheur, cette souplesse prenante qui s'ajuste à moi.
La langue passe sur mes lèvres. Caresse de la main. Je frissonne malgré moi.
Elle chuchote quelque chose que je ne comprends pas.
La langue entre dans ma bouche, y reste droite. Immobile. La main me prend, fourreau coulissant.
Je me retourne.
Elle me recouvre de son corps."


Épisodes de la vie des mantes religieuses de Louis Calaferte. Denoël, 2014.186 pages. 11,90 euros.




29 commentaires:

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    1. Pas sûr qu'il l'ait de toute façon, il vient de sortir.

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  2. Je n'avais pas aimé du tout "Septentrion", à l'époque. Je n'en ai jamais lu d'autre de cet auteur depuis.

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    1. "Septentrion" restera une des lectures les plus marquantes de ma vie de lecteur.

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  3. Je ne le connaissais pas du tout, merci pour la découverte.

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  4. pas sûre du tout que je retienne ce titre, le côté noir me trouble et souvent je m'y épuise.
    Luocine

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    1. C'est très particulier, je conçois que ne plaise pas à tout le monde.

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  5. Hum, pas sûr que ce soit mon créneau (mais j'avais bien vu la couverture en librairie)

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    1. Je ne suis pas certain non plus que ça te convienne.

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  6. Après avoir lu "Monsieur" d'Emma Becker, où il est mentionné à plusieurs reprises, j'ai eu très envie de le lire. (Toujours pas fait.) Ton article me foudroie et me donne évidemment envie de découvrir cet écrivain si important à tes yeux. Un tel enthousiasme est nécessairement communicatif.

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    1. C'est un écrivain qui me touche et m'électrise à chaque fois. Il y en a tellement peu qui me font cet effet.

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  7. Comme Moka... Je ne connaissais pas, je ne l'ai qu'entraperçu en lisant Mr.... et il va falloir que je remédie très vite à ça...

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  8. A mon avis trop glauque et poisseux pour moi.

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    1. A toi de voir. C'est un peu glauque mais surement pas poisseux.

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  9. De lui je n'ai lu que "La mécanique des femmes", assez particulier et bon, on sent bien que ça a été écrit par un homme :)
    Celui-ci m'a l'air du même acabit. Pourquoi pas mais je vais encore attendre un peu :)

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    1. C'est un peu dans le même esprit que "La mécanique des femmes", oui. Pour ça que j'ai autant aimé ;)

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  10. Oui, alors bon, je ne suis pas certaine qu'il soit pour moi ton auteur préféré. J'aime beaucoup le dernier extrait, mais les autres me laissent plus dubitatives. Il y a un côté à la fois sale et désespéré non ?
    Je crois que je fais ma chochotte là tu vois ;-)

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    1. Désespéré, on peut dire ça. Mais sale, pas du tout.Chez Calaferte de toute façon c'est davantage l'écriture que le propos qui me touche.

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  11. Je ne connais pas du tout et, vu ton enthousiasme, je note de suite

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    1. Je suis content de remettre cet auteur en lumière (même très modestement). Il le mérite.

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  12. Mmmh ça m'évoque vaguement Buko en te lisant.^^

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  13. Ton avis me ferait presque regretter de ne pas l'avoir choisi mais ... je ne sais pas ... ça ne m'attire pas plus que ça. Enfin, surtout à cause du thème mais j'aurais bien aimé découvrir l'écriture. Alors peut-être avec un autre titre.

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    1. Tu peux essayer "Le requiem des innocents", c'est son premier roman et il est incroyable (sur un tout autre sujet).

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  14. De lui, je ne connais que la poésie, que j'aime infiniment.

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    1. Moi je suis beaucoup au fait de ses talents de poète.

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