samedi 30 août 2014

Debout-payé - Gauz

« Les noirs sont costauds, les noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur. Impossible de ne pas penser à ce ramassis de clichés du bon sauvage qui sommeillent de façon atavique à la fois dans chacun des blancs chargés du recrutement et dans chacun des noirs venus exploiter ces clichés en sa faveur. » La longue file d'hommes noirs qui montent les escaliers ce matin-là est venue chercher un job. Ils seront tous vigiles. Formation minimaliste, aucune expérience exigée, regard volontairement bienveillant sur les situations administratives, devenir vigile est le moyen le plus simple de décrocher un CDI pour les africains de Paris. « Ceux qui déjà ont une expérience du métier savent ce qui les attend les prochains jours : rester debout toute la journée dans un magasin, répéter cet ennuyeux exploit de l'ennui, tous les jours, jusqu'à être payé à la fin du mois. Debout-payé. »

Gauz raconte dans ce premier roman très autobiographique l'itinéraire d'Ossiri, étudiant ivoirien sans papiers devenu vigile dans le Paris des années 90. Il retrace aussi à travers lui l'histoire d'une communauté et l'évolution de ce métier particulier depuis la Françafrique jusqu'à l'après 11 septembre. On trouve entre chaque chapitre des interludes, sortes d'instantanées croqués sur le vif par Gauz lui-même lorsqu'il travaillait comme vigile dans un magasin de fringues de Bastille puis dans la plus grande parfumerie des Champs-Élysées. Autant de réflexions sur la société de consommation ou sur son travail, de portraits de clients et d'aphorismes particulièrement bien troussés. Exemples :

« Les jeunes de banlieue à qui l'on donne le titre abusif et arbitraire de racailles viennent se parfumer systématiquement au rayon Hugo Boss, ou avec One Million de Paco Rabanne, une bouteille forme de lingot d'or. Il y a du rêve dans la symbolique et de la symbolique dans le rêve. »

« Ennui, sentiment d'inutilité et de gâchis, impossible créativité, agressivité surjouée, manque d'imagination, infantilisation, etc., sont les corollaires du métier de vigile. Or, militaire est une forme très exagérée de vigile. »

« Une théorie lie l'altitude relative du coccyx par rapport à l'assise d'un siège et la qualité de la paie. Elle peut être énoncée comme suit : Dans un travail, plus le coccyx est éloignée de l'assise d'une chaise, moins le salaire est important.
Autrement dit, le salaire est inversement proportionnel au temps de station debout. Les fiches de salaire du vigile illustrent cette théorie.
 »

C'est très bien écrit, c'est drôle, empreint d'une ironie mordante qui fait mouche. Le regard porté par Gauz sur sa communauté est aussi tendre que lucide. Cette lucidité permanente, cette fausse légèreté, cette causticité exempte de toute méchanceté donnent au récit une atmosphère douce-amère pleine de sensibilité. Une excellente surprise parmi les nombreux premiers romans de la rentrée et un auteur à la plume singulière qui mérite vraiment que l'on s'attarde sur son cas.


Debout-payé de Gauz. Le nouvel Attila, 2014. 172 pages. 17,00 euros.



Un billet qui signe mon entrée dans
 le challenge tous risques d'Aaliz



Et une troisième participation au
challenge 1% de la rentrée littéraire








  

32 commentaires:

  1. Une première participation au challenge très intéressante, merci Jérôme !
    Je note ce titre, le sujet m'interpelle et, comme tu le dis, cela semble être très bien écrit. En tous cas, les extraits que tu as mis sont très prometteurs.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En tout cas pour moi ce fut une découverte aussi agréable qu’inattendue.

      Supprimer
  2. Après cathulu, fallait-il vraiment plus me tenter?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je pense qu'il était important d'enfoncer le clou ;)

      Supprimer
  3. Pas mal, au moins je les regarderai différemment, en fait maintenant je vais les voir. Parce que lorsqu'on n'a pas l'intention de piquer un truc les vigiles on les remarque même pas. J'aime beaucoup les extraits.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pareil, je ne les regarderai plus de la même façon maintenant.

      Supprimer
  4. Je l'ai reçu aussi, je suis ravie !!

    RépondreSupprimer
  5. Je le feuilletterai à l'occasion si je tombe dessus car ce que tu en dis m'intrigue.

    RépondreSupprimer
  6. Chaque fois que je passe à côté d'un de ses vigiles, je me dis que j'espère n'avoir jamais à faire ce genre de job...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Personnellement, je n'ai pas la carrure pour devenir vigile mais je comprends ton point de vue.

      Supprimer
  7. Tiens, c'est étonnant que tu aies eu envie de lire une autobio !

    J'avoue que le thème ne m'intéresse pas des masses, des masses ... à voir pour l'ironie peut-être, ou la critique de cette société consumériste ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce n'est pas vraiment une autobio, c'est bien plus que cela !

      Supprimer
  8. Quand je vois ces malabars qui font mine de ne pas te regarder tout en te surveillant, je me demande souvent à quoi ils peuvent penser. Ils en voient des personnages !!!
    Je ne pense pas le lire.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui et il leur faut beaucoup d'imagination pour tromper l'ennui !

      Supprimer
  9. Je crois que tu es un peu en avance pour le challenge ;).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'avais même pas fait attention. En même temps, c'est juste de quelques heures ;)

      Supprimer
  10. Ohlala pour moi pour moi pour moi ça ! Et que vois-je ? Un challenge tous risques ??? Comme c'est pervers de me tenter doublement sur un billet !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et tu sais bien que je suis doublement ravi de te tenter ainsi ;)

      Supprimer
  11. J'aimais pas la couv', alors je m'y étais pas attardée (oui, des fois, ça tient à pas grand chose!) et pis hier j'ai vu l'auteur à la soirée Librest et il a titillé ma curiosité (du même coup, je lis ton billet que j'avais laissé passé!)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et il a eu droit à un très bel article dans le supplément livres du Monde aujourd'hui. C'est une vraie belle surprise pour moi.

      Supprimer
  12. Un libraire que je découvrais hier, mais qui semble avoir des goûts qui me plairaient, me l'a recommandé ! ;-)

    RépondreSupprimer
  13. Tu dépotes sur le Rentrée littéraire ...

    RépondreSupprimer
  14. J'aime beaucoup les extraits cités ! Pourtant je n'aurais pas parié une cacahuète sur mon envie de lire ce roman !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et bien moi non plus figure-toi. C'est vraiment une très, très belle surprise !

      Supprimer
  15. Une découverte magnifique qui m'a faite oublier cette pénible rentrée littéraire... Et l'auteur est aussi ahgréable à lire qu'à écouter en interview ou à voire. Merci pour vos conseils .

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai que ce roman donne la banane, contrairement à beaucoup d'autres de cette rentrée. Et je suis ravi de l'avoir (modestement) fait découvrir à quelques personnes.

      Supprimer
  16. Je n'ai pas été aussi enthousiaste que toi !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah, dommage, je les vais aller voir ce que tu en as pensé.

      Supprimer

Je modère les commentaires pour vous éviter les captcha pénibles de Google. Je ne filtre rien pour autant, tous les commentaires sans exception seront validés au plus vite, promis !