jeudi 30 janvier 2014

La fille surexposée - Valentine Goby

 « La fille est nue. De profil, côté droit. Les seins pèsent. Le bras droit replié masque les tétons. Les doigts tiennent une cigarette à peine allumée dont la fumée gris clair se dissout dans le gris foncé de l’arrière plan. Le ventre bombé répond courbe pour courbe à la cambrure, noir des reins creusés, blanc tranchant de l’abdomen. Le cadre coupe le corps au ras du pubis. Le visage incliné est bordé d’ombre, la peau est mate, c’est la vraie peau de la fille. Bouche charnue, nez épaté, yeux baissés. Visage statuaire, sans regard, qui fixe le sol. »

Une photo. Une carte postale coloniale représentant une femme-objet costumée selon les standards aguicheurs du début du 20ème siècle.  La photo date de 1924. En 2011, Isabelle découvre cette carte postale dans les affaires de son grand-père. Il l’a envoyée à son ami Alexandre en 1954. En 2011 toujours, l’artiste Miloudi Nouiga balafre cette même photo de peinture, dans un geste venu non du bras mais de l’estomac, chaque projection de couleur trempant « dans la bile du dedans. » Un geste provoquant, plein de révolte. On suit le parcours de cette carte à travers ceux qui, à moment ou l’autre, vont l’avoir en main. Miloudi, Isabelle, son grand-père Maurice, soldat français fréquentant dans les années 50 le Bousbir, ce quartier clos de Casablanca entièrement réservé à la prostitution mais aussi celui qui a pris le cliché en 1924 ou encore la prostitué qui a eu Maurice pour client. Une carte postale comme un symbole, tant du colonialisme d’hier et de son érotisme exotique que du changement profond connu par le Maroc depuis son indépendance.

Soyons franc, je n’ai pas été autant secoué par ce texte que par Kinderzimmer, mais en même temps, comment aurait-il pu en être autrement ? J’ai par contre retrouvé avec le même plaisir la « patte » de Valentine Goby. Une écriture sensuelle, précise, ultra descriptive, où le corps occupe une place fondamentale. Après tout je n’y peux rien si la petite musique de cette auteure me parle et me touche autant.

Dans une mini postface, elle explique sa réflexion autour des « multiples mensonges de l’image. » La photo saccagée par le peintre que l’on voit en couverture du livre, elle l’a croisée dans une galerie de Rabat. « Qu’est-ce qu’on voit vraiment ? De quoi, de qui est-ce qu’on parle ? Je dessine, restitue, invente le hors-champ, le hors-temps de l’image, du moment : cela fait des romans. » Position de l’écrivain par rapport à l’artiste dont elle cherche à comprendre la démarche. « Je suis la fille qui se trompe, […] voit dans le tableau un geste de censure où il a y en fait un appel, une terreur de l’oubli. Je suis la fille qui rencontre le peintre, comprend qu’elle s’est trompée d’interprétation, et cherche à rendre compte de son erreur, du véritable geste du peintre, des multiples mensonges de l’image depuis sa construction il y a presque cent ans, et des vérités qu’elle révèle, rappelle, fixe définitivement. »

Au final cela fait un roman. Un excellent roman.

La fille surexposée de Valentine Goby. Alma, 2014. 128 pages. 17 euros.


Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Leiloona et Noukette.



Un billet qui signe ma seconde participation au challenge de Valérie



48 commentaires:

  1. Le sujet de Kinderzimmer est difficilement égalable ! Je note celui-ci, d'autant plus que l'auteur va venir en parler au printemps dans mon coin, et je compte bien y aller.

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    1. Je me réjouis de découvrir ton avis d'ici peu alors.

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  2. Valentine Goby me tente beaucoup et malgré ton engouement je suis réticente quand au sujet.

    Goby ne passera pas par celui là... pour le moment ;)

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    1. J'espère qu'elle passera quand même par un autre titre, il faut absolument que tu la découvres.

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  3. Après Kinderzimmer je pense qu'il est difficile d'avoir les mêmes émotions..

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    1. Ce n'étais pas le but de toute façon. Mais ça reste un très beau texte.

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  4. Difficile après Kinderzimmer de ressentir la même chose et en même temps, elle a quand même réussi à t'émouvoir ! Elle fait fort Valentine Goby !

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    1. Elle ne m'a pas déçu pour l'instant et j'imagine que ça n'arrivera jamais !

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  5. J'aime le point de départ de roman, il faudra que je le lise.
    Encore un !...

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  6. je vais arrêter de lire tes billets, ma LAL explose !;-)

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  7. Je trouve l'idée de cette collection très belle, il faudra que je regarde un peu les autres titres publiés... Comme toi, j'aime énormément la plume de Valentine Goby. Difficile de ressusciter ce quartier oublié, elle y parvient avec brio. J'ai fait quelques recherches sur le Bousbir du coup, c'est effarant...

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    1. J'ai moi aussi cherché quelques infos sur Bousbir. Effarant comme tu dis !

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  8. Bon... Je crois qu'il va falloir que je découvre cette auteure...

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  9. Au final, tu as aimé, c'est déjà ça.

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  10. Je suis toujours en attente de Kinderzimmer

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  11. Non seulement je note le titre de ce roman, merci mais je vais aller de ce "clavier" lire ton article sur Kinderzimmer que j'avais déjà noté sur ma liste après une émission de radio.

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    1. Tu peux lire les deux de toute façon, tu ne devrais pas être déçue.

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  12. Participation enregistrée. Je le sens moins pour moi que Kinderzimmer celui-ci.

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  13. Je n'ai pas encore lu Kindzimmer mais je vais le réserver à la BM soon.
    Moi aussi j’aime l'univers que crée V. Goby, son écriture et son angle de vue surprenant qui en font des livres uniques.

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    1. Tu as raison, elle parvient toujours à créer quelque chose d'assez unique, c'est bluffant.

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  14. J'ai le Kinderzimmer sur ma table. Je lis un autre bouquin, puis je le commence enfin. Cela fait pas mal de temps que je souhaite le lire, depuis sa sortie en fait ...

    Une très belle lecture commune encore une fois. :)

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    1. Ravi de savoir que tu vas lire Kinderzimmer ! Et sinon tu as raison, c'est une fois encore une bien belle lecture commune.

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  15. Bon bon bon je vois qu'on fait du forcing de PAL avec cette auteure. OKOKOK je vais voir ça.

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  16. c'est vraiment un nom d'auteure à suivra alors!
    Bonne journée!

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  17. Un sujet qui ne me tente pas mais j'ai déjà noté l'auteur avec "Kinderzimmer".

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  18. Moi aussi, après "Kinderzimmer", je continue l'aventure Goby tant cette écriture m'a touchée. Même si il est très différent, le thème de ce roman m'interrese beaucoup, comme pour "La claire fontaine" ( que je suis en train de lire), les liens entre l'écriture et le "plastique" sont passionnants. Tu connais "La chambre noire" de Barthes ? Sur la photo, le souvenir, le rapport au souvenir, c'est juste magistral ! et les extraits de Goby que tu cites me font vraiment penser à cet essai, déjà ancien, mais ce n'est pas une raison ...

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    1. Je suis ravi que tu lises "La claire fontaine". Sinon je ne connais pas "La chambre noire" mais ça pourrait m'intéresser. Et concernant ce roman, j'espère bien que tu le découvriras un jour ou l'autre !

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  19. Je suis capable d'aimer tout ce qu'elle écrit tant elle imprime des sentiments forts à chaque fois que je la lis. Voilà, je suis mordue, c'est tout ! bisous

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    1. Moi pareil. Mordu, c'est le mot je crois ! (et c'est fort agréable je dois dire^^)

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  20. le principe de la photo n'est pas original mais la façon de la traiter me semble intéressante. Effectivement tu avais parlé de cette auteur. Je note donc

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    1. C'est vrai que le point de départ n'est pas forcément original mais l'écriture de Valentine Goby fait clairement la différence ici.

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  21. Je serais bien tentée de découvrir l'auteure avec ce titre.

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  22. Il faut que je la découvre. Je n'ai encore rien lu de cette romancière!

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  23. Tiens je vais bientôt lire Le cahier de Leïla écrit par Valentine Goby...

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    1. C'est dans la collection jeunesse d'Autrement, c'est ça ? Je ne connais pas cette collection mais je ne doute pas un instant de sa qualité.

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  24. Je viens de lire le billet de Noukette, et moi il me tente terriblement (probablement parce que le sujet m'effraie moins que Kinderzimmer) mais aussi parce que je trouve l'idée belle de suivre le voyage d'une carte postale et de ce qu'elle représente...

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