vendredi 13 octobre 2017

Jusqu’à la bête - Timothée Demeillers

Les murs, l’usine, le bruit. Le travail à la chaîne dans l’abattoir. L’odeur du sang, son épaisseur collante sous les semelles, les éclaboussures sur la blouse et les bottes. La chaleur des viscères débordant des carcasses éventrées. Le froid des frigos où on entasse les kilos de barbaque. Le goût de la mort, partout. Que l’on ramène à la maison, qui s’incruste dans les vêtements. Sur la peau. Pour Erwan, l’usine, c’était son quotiduen. Jour après jour, année après année. Toujours la même rengaine triste, grise, monotone. Jusqu’à « l’événement », il y a deux ans. Depuis, Erwan dort en prison. De sa cellule, il raconte. Sa jeunesse pas folichonne, son histoire d’amour avec Laetitia, saisonnière à l’abattoir le temps d’un été. Sa vie d’ouvrier sans avenir ni horizon. Et cet enchaînement de coups durs qui l’on conduit à commettre l’irréparable.

Un roman résonne la voix des pas grand-chose. Ceux qui se tuent à la tâche, subissent les cadences infernales imposées par la hiérarchie, n’ont pas d’autre vie que celle les rattachant à l’usine. Ceux que l’on méprise dans les hautes sphères, ceux à qui on reproche de ne pas se bouger le cul pour retrouver un boulot quand la grande lessiveuse libérale les laisse sur le bord de la route après un plan social dont ils sortent forcément perdants.

J’ai adoré ce texte plein de rage et de désespoir. J’ai connu l’usine, j’ai côtoyé « ces gens-là » qui ne sont pas ceux que chantait Brel. J’ai vu ces visages et ces corps fatigués, abîmés par le travail harassant et répétitif qui fait « qu’à vingt ans on en paraît quarante et qu’à la retraite on est bon pour la morgue ». Timothée Demeillers maîtrise son sujet. Il signe ici un second roman éminemment social, évidemment très engagé. Sa prose est mouvementée comme les pensées d’Erwan, alternant  les phrases courtes et les envolées au lyrisme contenu. C'est tendu, prenant, touchant, simple et direct. Un texte qui vient du cœur et des tripes. Forcément je suis sous le charme.

Jusqu’à la bête de Timothée Demeillers. Asphalte, 2017. 150 pages. 16,00 euros.






mercredi 11 octobre 2017

La dame de fer - Michel Constant

« La salope a cané, bordel ! »

8 avril 2013, Margaret Thatcher passe l’arme à gauche et une grande partie de l’Angleterre se réjouit de cette excellente nouvelle. Quelques jours plus tard Donald, Abby et Owen se retrouvent après des décennies de séparation. Les deux derniers ont quitté leur bourgade d’enfance du Kent pour rallier Londres tandis que Donald est resté sur place pour succéder à son père aux commandes du seul pub du village. Avec le retour de ses amis d’enfance, il revit sa jeunesse tumultueuse, à l’époque où les mesures économiques de Miss Maggy la Dame de fer en faisaient baver à la classe ouvrière de tout le pays.

Une bière à la main, un bomber noir sur le dos, des Doc Martens aux pieds et les Clash en fond sonore dans un troquet enfumé alors que la pluie tambourine aux fenêtres, Michel Constant fait revivre l’Angleterre de 1985 avec un joli soupçon de nostalgie. C’est une belle histoire d’amitié, bon enfant et positive. Le dessin très « ligne claire », typique des BD franco-belge des années 80, est parfait pour restituer les décors de l’époque thatchérienne.

Pas forcément l’album de l’année mais un sympathique moment de lecture teinté d’optimisme mettant en scène des personnages touchants en diable. Simple et efficace à défaut d’être inoubliable, je connais quelques quinqas qui avaient 20 ans sous le premier septennat de Mitterand à qui cet album rappellera de bons souvenirs.


La dame de fer de Michel Constant. Futuropolis, 2017. 72 pages. 15,00 euros. 










mardi 10 octobre 2017

T’arracher - Claudine Desmarteau

Elle a le cœur en lambeaux, Lou. Découpé au hachoir, en fines tranches. Depuis que l’histoire avec Toi s’est achevée, elle a plongé. Des nuits sans sommeil, des notes en chute libre. Plus le goût à rien, plus envie de rien. L’année du bac en plus, au moment où l’orientation devient la préoccupation principale des parents. Et devrait aussi être la sienne.

Lou va mal. La fatigue devient insupportable, les yeux se creusent, le corps lâche prise. Et ses coups de poignard dans la poitrine qui viennent la terrasser à n’importe quel moment de la journée. Lou s’enfonce depuis que Tu es parti, c’est bien plus qu’un chagrin d’amour, c’est une blessure, une douleur, une cicatrice impossible à refermer.

Un roman qui claque. J’avais découvert la plume de Claudine Desmarteau il y a des années avec son personnage de Gus, un sale gosse très drôle à la langue bien pendue. Je la retrouve ici dans un registre différent, sombre, torturé, dérangeant. Lou se confie. Elle écrit comme elle parle. Et elle ne cache rien de ses états d’âme. C’est cash, ça agace souvent, ça touche énormément. On a envie de la secouer, Lou, de lui dire d’aller de l’avant, de penser à demain plutôt qu’à hier. On la sent trop borderline, on se dit qu’elle va trop loin, qu’elle a besoin d’apaisement. Et d’un avenir où le champ des possibles, même réduit à son strict minimum, lui offrirait quelques signes d’espoir.

Un roman jeunesse qui gratte là où ça fait mal, qui montre une souffrance d’ado sans filtre ni pincette. Un roman jeunesse difficile à encaisser dont on sort rincé et essoré, mais que l’on n’oubliera pas de sitôt.

T’arracher de Claudine Desmarteau. Édition Thierry Magnier, 2017. 160 pages. 13,80 euros. A partir de 15 ans.


Et une nouvelle pépite que j'ai le plaisir de partager comme chaque mardi avec Noukette.



samedi 7 octobre 2017

Nanar Wars : Quand les grands succès d’Hollywood se font plagier - Vincenot et Prelle

Tarzan, Zorro, King Kong, les super-héros, Rocky, Rambo, Harry Potter, Robocop, Jurassic Park, les dents de la mer, E.T, Star Wars et Indiana Jones. Qu’ont en commun ces grandes licences du cinéma hollywoodien ? Elles ont toutes été plagiées, détournées, contrefaites. Elles ont toutes donné naissance à des nanar improbables, œuvres de faussaires à l’imagination débordante.

Ce Nanar Wars dresse un inventaire (forcément non-exhaustif) de ces contrefaçons aussi kitchissimes que cultissimes. Au menu, une version turque de la guerre des étoiles tournées dans les faubourgs d’Izmir, une vision bollywoodienne de Zorro, un King Kong du Bangladesh, Tijuana Jones l’Indiana Jones mexicain, un Rambo indonésien ou encore les dents de la mer revisitées par les brésiliens ou le requin est remplacé par une morue géante (si, si, je vous jure !).

Le Zorro indien
Amateurs d’ovni cinématographiques, cette anthologie désopilante est faite pour vous. Les auteurs présentent chaque film par le menu, comparant l’original et sa copie avec un ton léger, drôle et en offrant un maximum d’informations. La réflexion est amusée mais jamais gratuitement moqueuse, Vincenot et Prelle préférant souligner l’inventivité et le côté iconoclaste parfaitement assumés par les réalisateurs. Difficile de faire la part des choses entre l’hommage appuyé à l’original, l’opportunisme à visée financière (certains de ces nanars ont attiré dans leurs pays des centaines de milliers de spectateurs) et une volonté réelle d’être dans le pastiche totalement décalé (clairement, ces remake illégaux ne sont pas tous drôles malgré eux).

Betmen, le batman turc
Qu’en conclure en refermant cette mine d’informations aussi instructive que divertissante ? Que le plagiat « exotique » des blockbusters hollywoodiens, sous-genre cinématographique à part entière et symbole de la mondialisation culturelle, se révèle depuis les années 50 d’une richesse et d’une diversité sans limite.



Nanar Wars : Quand les grands succès d’Hollywood se font plagier de Vincenot et Prelle. Wombat, 2017. 160 pages. 19,90 euros.


PS : pour ceux souhaitant savoir où dénicher ces perles, les auteurs donnent des pistes très concrètes en fin d’ouvrage (sans forcément être obligé de se fader une version de seconde main « sur une copie DVD tirée d’une vieille VHS provenant d’une unique diffusion TV, qu’un ami, d’ami, d’ami vous fait parvenir de l’autre bout du monde »).







jeudi 5 octobre 2017

Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières - Barney Norris

« Les histoires s’entremêlent. Les vies s’entrelacent. Et quand on dessine ces motifs dans l’air, on apprend à connaître un peu mieux l’espace où elles évoluent.
Il y a environ un an, alors que je m’étais arrêté au McDonald’s avant d’aller travailler, j’ai été témoin d’un accident. De la fenêtre, j’ai vu une voiture conduite par un vieil homme percuter une femme à mobylette. J’ai vu un adolescent et une autre femme qui regardaient, chacun d’un côté de la route. La scène avait quelque chose d’irréel, comme une pièce de théâtre. »

Rita était au guidon de la mobylette. Fleuriste et dealeuse occasionnelle au passé difficile, cette quinqua jeune grand-mère peine à joindre les deux bouts. George est celui qui conduisait la voiture. Le jour de l’accident, il venait de perdre sa femme et n’était pas dans son état normal. Sam, un lycéen dont le père est en phase terminal d’un cancer, se trouvait sur un coté du trottoir. De l’autre côté il y avait Alison, une femme de soldat. Son mari absent depuis des mois, elle rumine une existence sans joie avec un fils qui s’éloigne d’elle depuis qu’il est entré à la fac.

Tour à tour ces cinq personnages prennent la parole et racontent leur quotidien. Des vies minuscules unies par un drame aussi soudain qu’inattendu. Tous au mauvais endroit, au mauvais moment…

Finalement je n’ai pas grand-chose à dire sur ce premier roman dont j’attendais énormément. Ce n’est pas qu’il ne m’a pas plu, loin de là, mais je n’ai pas été emporté comme je le pensais. C’était pourtant magnifiquement parti. La voix de Rita est merveilleuse de douleur, de spontanéité, de colère et de résignation. Celle de Sam, tout en fragilité, m’a essoré le cœur. Au bout de 150 pages et de deux narrateurs différents, j’étais plus qu’emballé. Avec George, le soufflé a commencé à retomber. Je suis resté à distance de son chagrin, je l’ai regardé de loin, sans la moindre émotion. Quant à Alison, elle m’a achevé. Pleurnicheuse et geignarde, son journal intime s’est étiré en longueur et ce fut un vrai soulagement d’en venir à bout.

C’est souvent le problème avec un récit choral, il y a à boire et à manger. Ici les histoires de chacun suintent de tristesse, le canevas se tisse pour relier chaque existence et l’ensemble tient solidement debout mais je ne peux m’empêcher de constater que l’ennui m’a accompagné tout au long de la seconde partie. Heureusement, la parole de Liam en conclusion synthétise joliment les trajectoires et offre une touche finale permettant de rester sur une note positive. Pas le coup de cœur attendu donc, mais un premier roman des plus prometteurs et un auteur que je vais suivre de près, c'est une certitude.

Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières de Barney Norris (traduit de l’anglais par Karine Lalechère). Seuil, 2017. 300 pages. 20,00 euros.










mercredi 4 octobre 2017

Paroles d’honneur - Leïla Slimani et Laetitia Coryn

« Toute ma vie j’ai vécu un combat intérieur entre la volonté de me libérer de la tyrannie du groupe et la crainte que cela n’entraîne l’effondrement des structures traditionnelles à partir desquelles je m’étais construite. »

La « hchouma ». Cette injonction très utilisée dans la société marocaine renvoie à un code moral tacite. Son sens oscille entre la honte et la pudeur : « être bien élevé, être un bon citoyen, c’est aussi avoir honte ». Les femmes marocaines rencontrées par Leïla Slimani font souvent référence à la hchouma quand elles parlent de leur vie intime. Etre vierge ou épouse, il n’y a pas d’autres choix. La soumission plutôt que la transgression, il n’y a pas d’autre choix. En apparence du moins. Car peu à peu les lignes bougent. Certes doucement, mais le frémissement est là, indiscutable.

Ces femmes, Leïla Slimani les a rencontrées au cours d’une tournée promotionnelle effectuée au Maroc après la publication de son premier roman « Dans le jardin de l’ogre », où elle abordait sans tabou la question de l’addiction sexuelle. Face à l’écrivaine, la parole se libère. Les faits rapportés sont édifiants : IVG clandestine, reconstruction de l’hymen, adultère et homosexualité punis par la loi, impossibilité de rester célibataire sans être durement jugée, violeur pouvant échapper à la prison en épousant sa victime (ce tristement célèbre article 475 du code pénal a finalement été abrogé par les députés en 2014 après le suicide d’une adolescente de 15 ans ayant dû se marier avec celui qui l’avait agressée), etc.

A travers les propos de ces femmes se dresse le portrait d’un pays oscillant entre hypocrisie et schizophrénie. Un pays qui élève la pudeur en vertu absolue mais est « le cinquième consommateur mondial de pornographie sur internet ». Une société patriarcale où suinte chez les hommes autant de frustration que de peur de voir éclore des femmes fortes qui assument leur sexualité et s’assument en dehors du groupe. Un pays d’où se dégage un terrible manque d’éducation sexuelle et où la religion est brandie comme un étendard pour mettre un terme à toute tentative de discussion : « Dès qu’on veut vous dominer on vous assène cette phrase : c’est le coran qui le dit ». C’est instructif et sans langue de bois mais ce n'est pas non plus provocateur ou rentre dedans. Le jugement est à charge mais la volonté d’explication apporte une lumière bienvenue sur « les racines du mal ».

Un album courageux, militant et engagé qui décrit une situation effarante avec beaucoup de calme et d’intelligence, avec une réflexion et une sincérité qui honore chaque femme ayant osé se livrer sans retenue. Surtout l’espoir demeure de voir les choses changer et la société évoluer peu à peu. Croisons les doigts pour qu’un retour en arrière obscurantiste ne vienne pas mettre à mal les rares signaux d’émancipation émergeant à l’heure actuelle.

Je laisse le dernier mot à Leïla Slimani, il me semble que tout est dit dans sa conclusion :

« Tous ces témoignages confirment le rôle central que joue la place de la femme dans ces problématiques. Malgré les avancées législatives, malgré l’évolution de la société, le corps de la femme reste contraint par le groupe. Avant d’être un individu, une femme est une mère, une sœur, une épouse, une fille, garante de l’honneur familial, et, pire encore, de l’identité nationale. Sa vertu est un enjeu public.
Il reste à inventer la femme qui ne serait à personne, qui n’aurait à répondre de ses actes qu’en tant que citoyen lambda et pas en fonction de son sexe. La femme qui pourrait s’affranchir de la qa’ida, c’est-à-dire de la norme, de la coutume admise par tous. »

Paroles d’honneur de Leïla Slimani et Laetitia Coryn. Les Arènes, 2017. 105 pages. 20,00 euros.












mardi 3 octobre 2017

Pablo de la Courneuve - Cécile Roumiguière

Pas facile la vie à la Courneuve quand on vient de Colombie. Pas facile d’accepter la ville triste, la grisaille ambiante, les HLM sans âme. Pas facile non plus le statut de sans-papiers. Ne pas faire de bruit, ne pas faire de vagues, ne pas attirer l’attention. Affronter les regards en biais et les petites humiliations sans broncher, ne pas répondre aux provocations, à ceux qui vous font comprendre que vous n’êtes pas le bienvenu. Pablo, 12 ans, se résigne difficilement au déracinement. Dans sa tête, il ne cesse de retourner à Santa Maria del Cauca. Là-bas il faisait beau et chaud tout le temps. Là-bas les papillons et les oiseaux multicolores illuminaient le ciel. Là-bas il avait des amis et se sentait chez lui. Depuis que ses parents ont fui sa terre natale avec sa sœur et sa grand-mère, il se sent seul et perdu.

Heureusement il y a Nina et la Goule. Heureusement il y a Georges et une maîtresse compréhensive. Heureusement, quelques rencontres peuvent adoucir le quotidien.

Réédition d’un texte publié il y a près de dix ans, Pablo de la Courneuve reste malheureusement d’une brûlante actualité. Un texte qui dit à hauteur d’enfant la vie comme elle est, avec ses coups durs, ses coups bas, ses coups de blues et ses coups de chance qui éclaircissent un horizon plein de nuages. L’exil devient supportable quand l’autre vous ouvre les bras, quand l’écoute, l’échange, le dialogue et l’altruisme prennent le pas sur la haine et le ressentiment. C’est simple, c’est plein de tendresse et d’espoir, c’est sans angélisme, ça déborde d’humanité et ça réchauffe le cœur. Un roman jeunesse tout en douceur à lire, à faire lire et à partager sans modération.


Pablo de la Courneuve de Cécile Roumiguière. Seuil, 2017. 95 pages. 10,00 euros. A partir de 9-10 ans.


Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.










mercredi 27 septembre 2017

Strangers in Paradise : intégrale 1 - Terry Moore

Si on m’avait dit un jour que je lirais un soap opera de 600 pages en noir blanc… Et encore, ces 600 pages ne représentent qu’un tiers de la série puisque deux autres intégrales aussi volumineuses sont prévues. Le pire, c’est que j’ai vraiment apprécié ce comics fleuve auto-édité par Terry Moore entre 1993 et 2007 qui a remporté un Eisner Award en 96.

L’histoire est celle de Katchoo et Francine, deux colocs qui se connaissent depuis le lycée. Katchoo est très amoureuse de Francine, qui vient de plaquer son mec après l’avoir découvert en pleine partie de jambes en l’air avec sa secrétaire. Le jour où Katchoo rencontre David, un jeune homme sorti de nulle part prêt à tout pour la séduire, les relations entre les deux amies se compliquent grandement.

J’avoue, au départ, j’ai eu peur d’une ambiance digne des feux de l’amour. Au bout de quelques pages j’ai davantage misé sur la comédie romantique avec triangle amoureux et guimauve trop sucrée. Mais très vite l’atmosphère se charge de mystère et d’électricité. Katchoo n’est pas celle que l’on croit. Le FBI possède un dossier top secret la concernant plus épais qu’un annuaire, David connaît trop de choses sur elle pour être honnête et Francine se retrouve ligotée sur une chaise, un flingue collé contre la joue. La romance bascule dans le polar bien noir et je commence à m’accrocher aux rideaux, ce qui est franchement bon signe.

Terry Moore est un maître pour mélanger les genres. Il excelle dans les scènes intimistes et les dialogues au cordeau mais est aussi très à l’aise pour développer des séquences extrêmement drôles et d’autres aussi sombres que violentes. Ses personnages n’ont rien de caricatures, ils sont d’une touchante fragilité et il est impossible de ne pas s’attacher au duo Katchoo/Francine. Après, mon intérêt pour leurs tribulations n’a pas été d’une même intensité d’un épisode à l’autre, ce qui est logique dans la mesure où une telle narration au long cours n’est pas simple à maîtriser sur la durée.

Je ne crierais donc pas au coup de cœur mais je suis certain de poursuivre l’aventure aux côtés de ces deux femmes aux caractères bien trempés parce que j’ai très envie de savoir ce que l’avenir leur réserve.

Strangers in Paradise : intégrale 1 de Terry Moore. Delcourt, 2017. 600 pages. 39,95 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo.











mardi 26 septembre 2017

Une fille de… - Jo Witek

« Moi je ne suis pas une enfant de l’amour, je suis une fille de passe. Ça calme. Ça tue d’entrée de jeu les rêves romantiques en rose et bleu. »

Une fille de passe, une fille de p… Hanna a compris très jeune ce que faisait sa mère pour payer le loyer, et le reste. Même si au départ ça restait un peu flou dans sa tête, au bout de quelques années tout était devenu très clair. Un « métier » à part, un statut impossible à assumer quand on est une fille de… Le regard des autres, ces phrases qui fusent, définitives, pour juger, condamner, exclure. Pas d’autre solution que le repli sur soi pour la jeune fille, pas question de lier des amitiés durables ou de ramener les copains et les copines à la maison.

Avec le temps surgissent les questions. Et si c’était héréditaire ? Et comment on fera quand maman ne sera plus en état de continuer, quand il va falloir la prendre en charge de A à Z ? Et comment imaginer que l’amour existe quand on voit sa mère suivre les hommes avec toujours la même froideur, quand on voit comment eux se comportent en consommateurs égoïstes et sans la moindre douceur ? Comment se construire et s’imaginer un avenir sentimental quand on est la fille d’un client parmi des milliers d’autres, quand on devient pour tous ceux qui connaissent la situation une pestiférée ou une proie forcément facile, puisque les chiens ne font pas des chats.

Une magistrale plongée dans la tête d’une ado pas vraiment comme les autres. Le monologue intérieur permet de focaliser le point de vue sur les pensées intimes d’Hanna, de montrer le cheminement qui va lui permettre d’accepter la situation, de garder intact son affection pour cette mère au parcours si difficile, de ne plus baisser la tête et d’affronter le regard des autres, de chasser cette honte qui n’a pas lieu d’être et d’accepter, devant l’évidence, que l’amour existe.

C’est beau, c’est fort, ça sonne juste, ça remue. Hanna court, elle trace le sillon d’une vie en dehors des sentiers battus. Et elle marque au fer rouge un lecteur qui jamais n’oubliera son histoire et sa voix.

Une fille de… de Jo Witek. Actes Sud Junior, 2017. 95 pages. Neuf euros. A partir de 13-14 ans.


Une pépite jeunesse que je partage comme chaque mardi avec Noukette.




dimanche 24 septembre 2017

A la vie à la mort T1 : Pierrot le fou

Février à novembre 1946. Le gang des tractions terrorise la France et réalise le casse du siècle en braquant la Poste de Nice. Menée par Pierrot le fou qui devient le premier malfaiteur de l’histoire à porter le titre « d’ennemi public n°1 », la bande écume Paris et la province semant la mort et la désolation sur son passage.

Rodolphe adapte ici plus ou moins fidèlement son récit publié en 2015 « La légende de Pierrot le fou ». La chronologie est davantage bousculée, c’est plus rythmé, plus visuel (forcément !) mais les nombreuses ellipses risquent de perdre en route plus d’un lecteur peu au fait de l’histoire du fameux « gang des tractions » ayant terrorisé pendant quelques mois une France à peine libérée de l’occupant allemand.

L’album s’ouvre sur la mort de Pierrot, fait un crochet par sa rencontre avec Joe Attia en Tunisie pendant son service militaire, s’attarde sur la formation du gang, revient sur le passé de résistant et de collabo de son chef. Se dresse au fil des pages le portrait d’un opportuniste prêt à tout pour s’enrichir, d’un homme à femmes séducteur, d’une tête brûlée préparant méticuleusement chacun de ses coups mais capable de coups de sang ravageurs.

C’est bien mené, prenant, la narration est fluide, le dessin parfaitement au service du récit. Beaucoup de choses restent en suspens à la fin de ce premier tome, même si on sait depuis le début comment tout cela va se terminer puisque l'album s'ouvre sur la mort de Pierrot. Quoi qu'il en soit, vivement la suite.

A la vie à la mort T1 : Pierrot le fou de Rodolphe, Séjourné et Verney. Soleil, 2017. 60 pages. 15,50 euros.