lundi 8 février 2010

Jonah Hex T1 : Le colt de la vengeance

Jonah Hex a été vendu par son père à une tribu apache alors qu’il avait treize ans. Éduqué à la dure par les indiens, il rejoint les confédérés pendant la guerre de sécession. De retour dans le camp apache après-guerre, il est défiguré par le chef de la tribu après avoir tué le fils de ce dernier. Dès lors, Jonah Hex sillonne seul l’ouest américain et devient chasseur de primes pour gagner sa vie. Ses talents de tireur et sa « gueule » inimitable en font une sorte de légende dont la seule évocation du nom fait frémir les despérados les plus endurcis.

Tous les clichés du western sont ici présents : le cow-boy solitaire fine gâchette, les saloons enfumés, les filles faciles, les rues poussiéreuses des villes champignons et la justice rendue sommairement. Il y a aussi et surtout une violence permanente, l’absence totale d’états d’âme chez la très grande majorité des protagonistes et des hectolitres de sang versés au fil des pages. Le héros est lui-même un tueur méthodique qui ne laisse transparaître aucune once d’humanité. Il n’y a peut-être que dans la première histoire du recueil que l’on décèle chez lui un semblant d’émotion (en même temps, c’est normal puisqu’il doit euthanasier un enfant agonisant dont les souffrances sont devenues insupportables. On peut comprendre que cet acte le bouleverse profondément !).

La série originelle publiée par DC Comics date de 1972. Dans ce volume sont réunis les douze premiers épisodes d’une nouvelle série publiée depuis 2006 aux Etats-Unis. Pour chaque épisode, le schéma est immuable ; un épisode complet en 22 pages. Tout cela ressemble beaucoup à une série télé. Le problème, c’est que chaque épisode est illustré par un dessinateur différent. Or il n’y a pas vraiment d’homogénéité graphique et c’est un souci pour la cohérence du recueil. Le fait qu’il n’y ait aucune continuité scénaristique entre les histoires ne plaide pas non plus en faveur de l’ensemble. Résultat : les épisodes sont aussi vite lus qu’oubliés.

Les amateurs de violence (presque) gratuite et les fans de western spaghetti y trouveront surement leur compte. Pour ma part, je préfère me replonger dans la lecture de la série Durango d’Yves Swolfs. Décidément, même si je ne déteste pas m’égarer sur les chemins inconnus des comics ou des mangas, je reviens toujours à cette bonne vieille BD franco-belge qui me berce depuis l’enfance. Que voulez-vous, on ne se refait pas !

En conclusion, ce Jonah Hex m’aura laissé de marbre. Mais après tout, quoi de plus normal pour un personnage aussi froid.

PS : Je vais encore pousser un coup de gueule contre le prix exorbitant de cette publication. Les quelques lecteurs réguliers de ce blog (on peut les compter sur les doigts d’une main !) savent que je peste régulièrement contre le prix trop élevé de certains livres. Mais là franchement, 29 euros pour un recueil broché au dos collé carré, il ne faut pas se moquer du monde. Bien sûr, il y a près de 250 pages, bien sûr l’éditeur annonce fièrement sur son site que « ce titre inaugure une nouvelle ère pour la collection Big Book, celle d'un papier de qualité supérieure », il n’empêche. Aux Etats-Unis, les Trade Paper Backs (Réédition en intégrale des fascicules parus individuellement) de Jonah Ex réunissent seulement 6 épisodes pour moins de 15 dollars. Pourquoi n’avoir pas publié un recueil identique en France. Cela m’aurait suffi pour voir que cette série ne me convenait pas et j’aurais économisé 15 euros.

Jonah Hex T1 : Le colt de la vengeance, de Justin Gray et Jimmy Palmiotti, Éditions Panini Comics, 2010. 29 euros.

L’info en plus : En juin 2010 doit sortir aux Etats-Unis un film tiré du comics. C’est Josh Brolin qui tiendra le rôle de Hex. Le casting réunit également Mégan Fox et John Malkovic. Je ne pense pas que je courrais le voir…



dimanche 7 février 2010

Petit Pierrot T1 : décrocher la Lune

Petit Pierrot est un rêveur. Il ne vit pas de grandes aventures, n’affrontent pas des monstres poilus ou des ennemis sanguinaires. Son monde est celui d’une enfance pleine de poésie et d’interrogations à la fois simples et pertinentes. Fasciné par la Lune (quoi de plus normal quand on s’appelle Pierrot ?), il ne se lasse pas de la contempler et imagine avec elle les jeux les plus surprenants. Il dialogue avec son animal de compagnie, un escargot qui représente en quelque sorte le monde des adultes et tente parfois de le ramener à la réalité. Difficile d’en dire plus sans en dire trop. C’est un regard plein de tendresse sur l’enfance, ce moment de la vie qui fleure bon l’innocence et où tout semble possible.


Le couple humain/animal de compagnie n’est certes pas nouveau en bande dessinée : Snoopy et Charlie Brown, Boule et Bill, Calvin et Hobbes, Lucky Luke et Jolly Jumper… Mais l’escargot est à ma connaissance une première. C’est un peu le Jiminy Cricket de Petit Pierrot, tenant à la fois le rôle du confident et de la bonne conscience.

Cet album au format atypique (27x25 cm) est un recueil de petites scènes de deux pages maximum. On y trouve aussi de magnifiques illustrations pleine-page qui feraient à n’en pas douter de magnifiques ex-libris dignes des plus beaux travaux de Roba en la matière. Graphiquement, le personnage de Varanda me rappelle le Jojo de Geerts : un gamin en culotte courte avec une tête proéminente et un regard malicieux qui vous fait fondre. Les couleurs aux tons sépia accompagnent parfaitement le dessin. Bref, voila un bel objet-livre (papier épais, cahier cousu..) qui comblera aussi bien les parents que les enfants.

Deux petit bémols toutefois : il manque le dos toilé qui aurait vraiment donné un plus à l’ensemble (il faut dire que je suis un fan absolu des dos toilés !) et le prix est un peu excessif et constituera un frein pour beaucoup d’acheteurs potentiels. J’avais déjà fait cette remarque à propos des Comptines malfaisantes chez le même éditeur. Il faut croire que les éditions Soleil ont choisi de mettre en œuvre une politique commerciale sur ce type de collection pour la jeunesse qui pourrait se résumer par le slogan « c’est beau mais c’est cher ».

Quoi qu’il en soit, dans le cas du Petit Pierrot, l’investissement me paraît justifié. Rangé en évidence dans la bibliothèque familiale, ce bel album fera partie de ceux que l’on prend plaisir à relire régulièrement. Et en ce qui me concerne, il n’y en a pas tant que ça.

Petit Pierrot, d’Alberto Varanda, éditions Soleil, 2010. 17 euros.

L’info en plus : Petit Pierrot est né sur un blog (http://petitpierrot.vefblog.net/) en juin 2008. Une belle occasion pour ceux qui auront découvert ce petit bonhomme grâce au livre de continuer à profiter de son univers si attachant sur la toile.




jeudi 4 février 2010

Les enchantements d'Ambremer

Voila un roman difficile à résumer. Disons que l’action se passe dans le Paris de la Belle Époque : chapeaux melon, corsets et jupons, les premières voitures, les grands boulevards et la Tour Eiffel. Sauf que cette dernière est en bois blanc, que des sirènes se baignent dans la Seine et que l’on peut croiser au coin des rues des chats ailés, des arbres philosophes ou des magiciens tels que Louis Denizart Hippolyte Griffont, le personnage principal de cette drôle d’aventure. En s’intéressant de trop près à un trafic d’objets enchantés, Griffont va s’embarquer dans une enquête palpitante et pleine de danger où se côtoient un antiquaire malhonnête que l’on rend amnésique, un diplomate mondain assassiné, des russes massacrés, des gargouilles sanguinaires et surtout la très séduisante Isabelle de Saint-Gil, qui n’est autre que sa propre femme dont il était sans nouvelle depuis plusieurs années.

Comment rendre crédible un univers aussi décalé et improbable ? La réponse est simple, il suffit de s’appeler Pierre Pevel et d’être un des maîtres de l’uchronie à la française. Franchement, le pari semblait au départ difficile. Et Pourtant… Parce qu’il connaît sur le bout des doigts la mécanique des romans d’aventure, parce que ses descriptions sont si réalistes que même une conversation entre un homme et un arbre dans un parc parisien semble naturelle et surtout parce que son ambition première est d’embarquer le lecteur dans un pur divertissement, Pierre Pevel réussit à rendre ses personnages et son intrigue plausibles. Surtout, il a ce talent rare qui permet d’amener les différents événements avec fluidité en alternant les séquences « calmes » (dialogues et descriptions), les scènes d’action et les coups de théâtre.

Bien sûr, tout n’est pas parfait. Il y a quelques ellipses malvenues et la fin n’est pas convaincante. Mais peu importe. La copie rendue mérite largement une belle mention. Hommage à Gaston Leroux, à Dumas ou encore aux grands feuilletonistes (Eugène Sue, Ponson du Térail ou Paul Féval), Les enchantements d’Ambremer signe le renouveau d’un genre que le regretté Frédéric H. Fajardie fut l’un des premiers à relancer avec succès en 2001 avec Les foulards rouges.

Je ne peux que conseiller à ceux qui ont découvert et apprécié Pierre Pevel avec ce roman de se jeter sur la trilogie Wieldstadt qui, à mes yeux, constitue à ce jour son travail le plus abouti.

Les enchantements d’Ambremer, de Pierre Pevel, Éditions Le pré aux Clercs, 2003. 350 pages. 15,90 euros.

L’info en plus : Les enchantements d’Ambremer ont connu une suite en 2004 intitulée L’Élixir d’oubli. Une belle occasion de retrouver Griffont et Isabelle de Saint-Gil dans le Paris des merveilles. Malheureusement, cet ouvrage n’est pas encore paru en poche et il est épuisé chez son éditeur d’origine (Le pré aux Clercs). Il doit cependant encore être possible de se le procurer chez un bouquiniste, sur une brocante ou un site internet spécialisé. Personnellement, un exemplaire est bien au chaud dans ma PAL !

mercredi 3 février 2010

Moi et Rien


C’est l’hiver. Lila est une petite fille que les autres enfants trouvent bizarre. Sa maman est partie dans le ciel et son Papa a des soucis. De toute façon, il n’est presque jamais là. C’est Madame Nellis qui s’occupe d’elle. Pour Lila, rien n’est important si Rien reste avec elle. Rien est un personnage imaginaire qu’elle s’est inventée pour tromper l’ennui et surmonter sa tristesse. Quand le printemps arrive, Lila plante les fleurs préférées de sa maman dans le jardin. Grâce à ces pavots bleus de l’Himalaya, la petite fille va renouer les liens avec son père et vivre une très belle saison.


Moi et Rien est un album d’une grande sensibilité. La mort de la mère ne fait aucun doute, mais elle est plus suggérée qu’affirmée clairement : « Pourquoi ne suis-je pas partie avec Maman dans le ciel ? Elle doit être sur l’Himalaya maintenant ». C’est une réflexion sur le travail de deuil, sur la façon de surmonter une épreuve aussi lourde pour un enfant. A cet égard, le rôle du printemps est fondamental : c’est le symbole du renouveau, le début d’une possible reconstruction.

La mise en page est « éclatée », avec une relation texte/image très variable d’une page à l’autre : deux illustrations et deux blocs-texte ; une illustration et un bloc-texte ; une illustration et deux blocs-texte ; une illustration pleine page. La seule illustration pleine page de l’album représente le moment le plus important, celui des retrouvailles entre le père et sa fille. Les illustrations sont enfantines, comme-ci Lila avait voulu dessiner elle-même les passages de son récit à la première personne. La petite fille est toujours représentée de la tête aux pieds, il n’y a que des plans larges et des plans d’ensemble, ce qui renforce le coté enfantin. Les couleurs sont quand à elles très froides, ternes.

Au final, cet album propose de traiter le deuil avec douceur et beaucoup d’intelligence. Un ouvrage à connaître et à recommander à ceux qui ne savent pas comment aborder avec leurs enfants le thème si particulier de la mort d’un proche.

Moi et Rien, de Kitty Crowther, L’école des loisirs, 2003. 5,50 euros. A partir de 8 ans.

L’info en plus : Le talent de Kitty Crowther a une fois de plus été reconnu à sa juste valeur puisque son dernier livre, Annie du lac, vient de remporter le prix Baobab de l’album au salon de Montreuil 2009. Plus d’informations ici : http://www.salon-livre-presse-jeunesse.net/I_05_01_bao.php



Chronique réalisée dans le cadre du challenge Lectures d'écoles et du challenge Les mercredis de l'album.



lundi 1 février 2010

L’ombre de ce que nous avons été


Santiago du Chili. Un tourne-disque jeté par la fenêtre au cours d’une dispute conjugale fracasse le crâne d’un passant quelques mètres plus bas. Ce passant n’est pas n’importe qui. Il s’appelle Pedro Nolasco Gonzalez. A 70 ans, cet anarchiste est une légende vivante, plus connu sous le sobriquet du Spécialiste.


Dans un hangar, trois sexagénaires se retrouvent, de retour d’exil 35 ans après le coup d’état de Pinochet. Ces anciens militants d’extrême gauche attendent le Spécialiste. Il doit leur proposer de participer à une action révolutionnaire. Evidemment, le Spécialiste ne viendra jamais. Celui qui se présente à sa place n’est pas un inconnu, mais c’est loin d’être une flèche…

Roman de l’exil, du déracinement et du temps qui passe (le titre résume merveilleusement l’ensemble !), ce texte se distingue par sa truculence et ses fulgurances littéraires. Ces papys tiennent plus des Pieds Nickelés que des grands héros révolutionnaires. Il ne leur reste que des souvenirs, et c’est déjà beaucoup. Sepulveda porte un regard plein de tendresse sur ces compatriotes qui lui ressemblent tant (proche des jeunesses communistes, il fit deux ans de prison sous Pinochet avant de s’exiler en Allemagne puis en Espagne).

Il dresse une galerie de personnages secondaires plus touchant les uns que les autres : un vieil inspecteur humaniste au grand cœur, sa jeune collègue pleine de bonne volonté ou encore cette femme qui regrette amèrement son exil berlinois et ne vit que grâce aux doux souvenirs laissés en Europe. Et puis il y a la ville. Santiago est un personnage à part entière Noyée sous les trombes d’eau pendant tout le roman, elle vit, elle aussi, avec la mémoire de sa grandeur passée. Aujourd’hui terne, sale, s’étant développée en dehors de tout contrôle, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Sepulveda aurait pu faire de son texte une mélopée d’une insondable tristesse. Il a choisi au contraire de traiter son sujet avec humour et de dérouler cette prose jubilatoire qu’il maîtrise si bien. A consommer sans modération.

L’ombre de ce que nous avons été, de Luis Sepulveda, Métailié, 2010. 150 pages. 17 euros.

L’info en plus : les éditions Points profitent de la sortie de ce nouveau roman pour publier en poche deux titres du grand auteur chilien. Le monde du bout du monde est paru pour la première fois en France en 1993. Réédité en poche dès 1995, il n’était plus disponible dans ce format depuis quelques années. La lampe d'Aladino et autres histoires pour vaincre l'oubli est l’avant dernier roman de Luis Sepulveda. Il paraitra pour la première fois en poche au mois de mars. Une belle occasion de compléter la bibliographie de ce magnifique romancier à moindre coût.

mardi 26 janvier 2010

Un bol plein de bonheur

Osaka, dans les années soixante. Ne supportant plus un mari alcoolique et joueur invétéré, Kazuo quitte le domicile familial avec Iroshi, son fils d’à peine 10 ans. Commence alors pour cette mère célibataire une existence rude faite d’efforts et de sacrifices pour donner à son enfant la meilleure éducation possible. « Je ne cède devant rien ni personne ». C’est avec cette maxime chevillée au corps qu’Iroshi et sa mère vont redoubler d’efforts et affronter avec une volonté de fer un quotidien parfois difficile. Le manga couvre en un volume plusieurs décennies de vie commune et se termine alors qu’Iroshi, devenu adulte et père de famille, enterre cette mère admirable qui lui aura tout donné sans jamais se plaindre.


L’entreprise de départ est noble. Montrer l’abnégation d’une mère célibataire prête à tout pour transmettre à son fils les valeurs morales nécessaires à faire de lui un homme bon, respectueux de soi et des autres est une idée remarquable et relativement originale. Cependant, la mise en scène de ce louable combat maternel sombre vite dans un pathos excessif. C’est essentiellement au niveau du dessin que le bât blesse. Les traits manquent de finesse, surtout pour les visages. Il y a énormément de gros plans où les expressions semblent forcées, très peu naturelles. On voit aussi couler beaucoup de larmes, des torrents entiers qui s’écoulent le long des joues et sous le nez. Là encore, la représentation des pleurs se veut grandiloquente, sans doute pour renforcer le caractère dramatique de la scène. Malheureusement, cela confine parfois au ridicule.

Vous l’aurez compris, le reproche majeur que je fais à ce manga est son manque de finesse. Le mélo atteint un paroxysme qui, en devenant outrancier, ne me touche plus.

Tsuru Moriyama a voulu réaliser un hymne aux mères courage qui n’hésitent pas à assumer seule l’éducation de leurs enfants. C’est une magnifique intention, mais je n’ai personnellement pas été embarqué dans ce drame trop larmoyant à mon goût.

PS : j’aimerais beaucoup avoir l’avis d’autres personnes sur ce manga car je pense que mon manque de sensibilité congénital (je n’ai jamais pleuré devant Bambi !) m’empêche sans doute de saisir toute l’intensité de ce drame. Ne vous fiez donc pas trop à mon opinion tranchée, il se pourrait bien qu’elle ne soit pas représentative de l’avis général.

Un bol plein de bonheur, de Tsuru Moriyama, Éditions Delcourt, 2010. 7,50 euros.

L’info en plus : La collection Gingko-Akata dans laquelle est publié ce manga est une collection qui s’adresse aux jeunes adultes en proposant des mangas de qualité très éloignés des blockbusters que l’on trouvent chez les grands éditeurs français de manga. C’est une collection qui est devenue prestigieuse grâce à son catalogue éclectique et souvent exigeant. On y trouve beaucoup de One Shot (Je ne suis pas mort, Le dernier été de mon enfance, Un bol plein de bonheur…), ce qui comble les lecteurs occasionnels de manga qui, comme moi, ne veulent pas s’embarquer dans des séries interminables. Bref, une collection qui vaut vraiment le coup d’œil.



dimanche 24 janvier 2010

Demain les fleurs

Le narrateur est un jeune garçon qui vit avec son grand-père. Ils passent leur premier hiver ensemble. Le temps est glacial. Chaque jour, le grand-père touche le pommier du jardin et lui murmure ces quelques mots : « demain les fleurs ». Malgré le froid et la neige, malgré le ciel gris et bas, le vieil homme reste serein car il sait que le printemps va finir par arriver. Pourtant, le 21 mars, rien n’a changé. Aucun bourgeon, aucune fleur. L’enfant et son grand-père partent voir les maisons voisines et constatent que toutes sont vides. Ne supportant plus la situation, le grand-père décide de créer ses propres fleurs pour appeler le printemps…

Un constat s’impose lorsque l’on referme ce court album : ce texte relève pour l’essentiel de l’onirisme et du rêve. Il y flotte une atmosphère éthérée, pleine de poésie. Les illustrations d’Anne Brouillard (ça ne s’invente pas !) donnent une impression de flou artistique qui renforce le caractère onirique de l’ensemble. Les enfants habitués à lire des textes réalistes auront peut-être quelques soucis de compréhension et pourront passer à coté des aspects poétiques et fantastiques. D’où l’importance de les accompagner dans leur lecture pour qu’ils puissent également saisir les thèmes sous-jacents abordés par cet album : la perte d’un être cher, la vieillesse ou encore les problèmes environnementaux (et si les saisons disparaissaient, si la Terre faisait payer aux hommes leur comportement irresponsable).

Finalement, on ouvre ce livre comme on entre dans un rêve : la réalité s’estompe peu à peu et tout peut arriver. Thierry Lenain a l’intelligence de ne pas tomber dans la facilité en ne terminant pas son récit avec la mort du grand-père. Au contraire, sa fin optimiste, qui semble refermer une parenthèse, offre au jeune lecteur un nouvel espoir : tous les hivers se terminent un jour, et le printemps si doux et si régénérant reviendra toujours apaiser les blessures.

Demain les fleurs, de Thierry Lenain et Anne Brouillard, Nathan, 2008. 6,50 euros. Dès 8 ans.

L’info en plus : La première édition de Demain les fleurs est parue en 2000 dans un grand format cartonné au prix de 12 euros. Suite à la sélection de ce titre dans la liste officielle du Ministère de L’Éducation Nationale en 2007, Nathan a choisi de le rééditer dans un format souple plus petit et surtout deux fois moins cher (6,50 euros). Une décision intelligente pour permettre aux écoles souhaitant le faire lire à leurs élèves de l’acquérir à moindre prix.

Un lien vers l'exploitation pédagogique de l'album proposée par l'éditeur : http://thierrylenain.hautetfort.com/media/00/00/2020597478.pdf



jeudi 21 janvier 2010

Les Pozzis T1 : Abel

Qui sont les pozzis ?


Les pozzis mesurent vingt centimètres. Ils ont une corne au milieu du front. Ils portent tous des robes dont ils peuvent changer la couleur et les motifs selon leur volonté. Ils vivent dans des grottes et se nourrissent uniquement de potage. Le chef des pozzis a une robe noire qui ne peut pas changer de couleur. Un pozzi vit en général plus de 200 ans. Leur pays est formé d’un immense tapis de mousse verte sur lequel se trouvent des lacs. A la lisière du pays des pozzis, il y a le Lailleurs où ne nul ne s’aventure parce que le Lailleurs fait trop peur.

Voila pour les présentations.

Abel est un pozzi différent des autres. Il ne sait pas changer de couleur de robe quand bon lui semble et il n’est pas doué pour construire des ponts, l’activité principale de ses congénères. Abel est un peu la risée de tous. Pourtant, un soir, son comportement étrange va attirer l’attention du chef. Et si Abel avait le Don ? S’il était un extralucideur, celui qui voit au-delà de Lailleurs et peut prévoir l’avenir ?

Ce petit monde ne vous rappelle rien ? On ne peut s’empêcher, à la lecture de ce premier tome, de faire un parallèle avec les schtroumpfs :

1) ce sont de petits êtres identiques qui vivent en communauté.
2) leur société est très hiérarchisée et chacun rempli un rôle précis : il y a les fabricateurs et assembleurs de briques, les réparateurs de ponts, les préparateurs de poudre à potage, les tisseurs de tapis, les constructeurs d’outils, de meubles ou d’instruments de musique…
3) ils ont un chef à l’habillement particulier qui représente une figure tutélaire que chacun respecte et écoute.

Ces points communs entre schtroumpfs et pozzis ne desservent pas le texte de Brigitte Smadja. Il n’y a ici aucun plagiat. L’univers reste original et inventif. Et force est de reconnaître que « ce livre pour les enfants qui aiment déjà lire tout seul », comme le précise l’éditeur, est adapté au lecteur : personnages attachants et rigolos, vocabulaire simple, déroulement linéaire de l’action qui s’étale sur deux jours sans rupture temporelle… Un souci toutefois avec l’absence de chapitres qui ne permet pas à l’enfant de « découper » sa lecture de manière cohérente (car il est évident qu’un enfant de 7 ou 8 ans ne lira pas cet ouvrage de 80 pages en une seule fois).

Livre traitant de la différence et du manque de confiance en soi, ce texte positif est également une belle invitation à découvrir le monde si particulier de ces drôles de créatures que sont les pozzis.

Les Pozzis T1, de Brigitte Smadja, L'école des loisirs, 2010. 8,50 euros. A partir de 7 ans.

L’info en plus : Le deuxième volume des Pozzis, intitulé Capone (le nom du chef) est sorti en même temps que le premier. Une belle occasion de faire coup double en achetant les deux à la fois pour que le lecteur (petit ou grand) qui a apprécié la première histoire puisse se lancer sans attendre dans la seconde. C’est une initiative intelligente de la part de l’éditeur et c’est assez rare pour être signalé.

dimanche 17 janvier 2010

Trop top Linotte ! T1

Linotte est une petite fille espiègle, positive et qui cherche toujours à avoir le dernier mot. Elle a son propre poney, le grassouillet Pimpon qui est son meilleur ami et qui apparaît dans chaque gag de l’album. Il y aussi les copines Anne-Sophie et Chloé, sans oublier Kevin, le garçon qui fait chavirer le cœur de toutes les filles de la classe. Un univers moderne et plein de tendresse pour une série s’adressant essentiellement aux petites filles qui savent déjà lire et aiment les poneys (ça fait beaucoup de lectrices potentielles !). A noter que les aventures de Linotte sont publiées chaque mois dans la revue Les P’tites sorcières


Que dire de cette petite Linotte ? Commençons par les points négatifs. J’avoue que j’ai beaucoup de mal avec le dessin. A mon époque (début des années 80), on découvrait la BD avec Roba, Morris, Peyo ou Franquin. Pour le coup, les séries d’aujourd’hui destinées aux plus jeunes ne peuvent pas soutenir la comparaison au niveau du dessin : Ludo, Karma, Oscar ou encore Sac à puces ne sont pas des réussites au niveau graphique. Seuls Geerts avec Jojo ou Laudec avec Cédric proposent un dessin classique proche des grands anciens. Dans le cas de Linotte, je trouve le dessin très moyen. Le lettrage aussi d’ailleurs. Pour des enfants qui lisent depuis peu, ce lettrage assez irrégulier et manquant de rondeur peut poser de gros problèmes de déchiffrage.

Deux autres choses m’ont moyennement plu. D’une part, je n’ai pas trouvé les gags très drôles. Mais après tout, rien de plus normal : ils ne sont pas destinés à un vieux schnock de 35 ans mais à des enfants de 8 ans. C’est une différence majeure à ne pas oublier. D’autre part, dans les dialogues, il y a parfois des expressions qui veulent « faire jeune » mais qui semblent un peu artificielles. Quelques exemples de ces tics de langage que je trouve assez désagréables : "trop nul", "trop cool", "trop bien", "trop top"  "hyper stylé"…

Heureusement, tout n’est pas négatif, loin de là. Première constatation positive : le format (26x20 cm), plus petit qu’une BD normale sans être un format poche, convient bien aux mains des enfants. De plus, le système consistant à proposer une histoire complète par double page est intelligemment pensé. Un enfant de 8 ans ne lira pas les 46 pages d’un seul coup, mais il pourra très facilement découper sa lecture en sachant que l’histoire se termine toujours au bas de la page de droite. Autre satisfaction, les parents vont enfin trouver une BD dont l’héroïne est une petite fille qui ne partage pas la vedette avec un garçon. Ca change de Sylvain et Sylvette ou Tom Tom et Nana !

Encore un point positif : l’environnement dans lequel évolue Linotte est moderne, bien ancré dans l’air du temps et tout à fait réaliste. La vie à la maison, à l’école, les relations avec les copines et les garçons… Les enfants peuvent facilement s’identifier à Linotte et ses camarades. Et puis il faut reconnaître que Linotte ne peut que faire rêver les petites filles. Vous vous rendez compte : avoir un poney qui vous emmène à l’école et que vous pouvez monter quand vous le souhaitez, c’est le bonheur total !

Un dernier conseil. Quand votre fille sera devenue trop grande pour apprécier l’univers très enfantin de Linotte, vous pourrez lui faire découvrir Lou, qui est à mon avis la meilleure série jeunesse actuelle pour les 10-13 ans, rien que ça !

Linotte est au fond une série très agréable qui peut tout à fait satisfaire le public auquel elle est destinée. Je vais d’ailleurs de ce pas l’offrir à ma fille de 8 ans, je suis sûr de faire une heureuse et d’obtenir en retour un avis beaucoup plus pertinent et objectif que le mien.


Linotte T1 : Trop top Linotte, de Catel, Claire Bouilhac et Judith Peignen, édition Dupuis, 2010. 48 pages. 9,50 euros. A partir de 7 ans.

L’info en plus : Catel n’est pas seulement une dessinatrice pour la jeunesse. Elle vient de publier, toujours aux éditions Dupuis mais pour les adultes, un ouvrage intitulé Rose Valland : capitaine beaux arts, qui retrace la vie de cette attachée de conservation au Jeu de Paume qui a recensé dans le plus grand secret les oeuvres volées aux Juifs par les nazis et qui, en 1945, avant même la signature de l'armistice, est partie à leur recherche pour les restituer à leur propriétaires.




vendredi 15 janvier 2010

Canardo : intégrale, cycle 1

Canardo est un palmipède alcoolique au regard triste créé par Benoît Sokal en 1979. La clope au bec et portant en toutes circonstances un imper cradingue façon Columbo, il a le chic pour s’embarquer dans des histoires glauques qui ne font qu’accentuer sa perpétuelle mélancolie.


Cette intégrale regroupe ses trois premières « aventures ». Dans Le chien debout, Canardo ne tient pas le rôle principal. C’est Fernand, un chien exilé depuis plusieurs années qui rentre au bercail pour retrouver un amour de jeunesse. Une sombre histoire de savant fou et de vivisection viendra ruiner ses espoirs. La marque de Raspoutine se déroule en Sibérie. Canardo accepte d’accompagner la belle Alexandra dans les plaines de Russie pour qu’elle retrouve son père, le cruel Raspoutine, un chat obèse à la tête d’une troupe sanguinaire. Enfin, dans La mort douce, le brave canard apprendra que la musique n’adoucit pas les mœurs, loin de là.

Bien avant le Blacksad de Canales et Guarnido, Sokal a créé un détective privé ayant les traits d’un animal et qui évolue parmi ses congénères anthropomorphes. Vous l’aurez compris, Canardo n’est pas Donald Duck. Et son monde n’est pas celui de Walt Disney, loin de là. Tous les personnages présents dans cette intégrale traînent un insondable vague à l’âme. Les décors non plus n’inspirent pas la joie : les cieux sont bas, gris, pluvieux. Le troquet « Chez Fredo », qui apparaît dans les trois tomes, est sale et enfumé.

Les protagonistes masculins sont des ordures ou des losers. Dans chaque histoire, c’est une figure féminine qui provoque le drame. Mais la femme est finalement la seule à garder un semblant d’humanité. Le regard que porte Sokal sur ses semblables à travers ces animaux doués de raison (si l’on peut dire !) peut sembler désespérant. J’ai l’impression qu’il est surtout très pessimiste. On nage en pleine tragédie. Le destin de chacun est tout tracé et la chute impossible à éviter. Canardo est juste un spectateur désabusé et mélancolique qui s’accroche à la bouteille comme on s’accroche à un dernier espoir.

Ces trois premiers tomes sont parmi les meilleurs de la série qui va énormément perdre en qualité par la suite (le 19ème volume doit sortir au mois d’avril). A dévorer d’urgence.

Canardo : intégrale premier cycle, de Benoit Sokal, éditions Castermane, 2010. 16 euros.

L’info en plus : Les éditions Casterman publient dans leur collection Haute densité l’intégrale d’une autre série de Benoit Sokal. Il s’agit de Paradise, dont voici un résumé succinct : « En Mauranie, le roi Rodon attend le retour de sa fille. Mais l'avion de cette dernière est abattu par des rebelles. Rescapée mais amnésique, elle est recueillie dans le palais du prince de la ville de Madargane... ». Cette série contient en tout 4 albums qui sont regroupés dans cette intégrale. A noter que Sokal n’œuvre pas au dessin (c’est Brice Bingono qui s’y colle), il scénarise cette histoire dépaysante et torturée comme il les aime.