Igor ne pardonnera jamais à son père son manque d’attention au volant. Les yeux rivés sur son smartphone, il n’a pu éviter l’accident. Depuis son fils est défiguré et ne veut plus de contact avec l’extérieur. Rhéa, elle, ne comprendra jamais pourquoi son petit ami s’est jeté sous un train. Quelques semaines après la tragédie elle survit, submergée par un chagrin sans fin. Je vous le concède, le pitch résumé de la sorte est terriblement plombant. Pourtant ce roman jeunesse écrit à quatre mains est un bijou à découvrir d’urgence.
Une gueule cassée et un cœur brisé, des ados comme deux planètes en perdition dont les trajectoires vont se croiser, se rapprocher et s’aligner. Non sans encombre, cela va de soi. Et c’est toute la réussite de Marie Colot et de Nancy Guilbert d’avoir pris le temps de disséquer le cheminement de l’un et de l’autre. Bien sûr on s’attarde sur les moments difficiles, ceux où l’on sombre, ceux où la colère et la rancœur prennent le pas sur le reste. Mais peu à peu une porte s’entrouvre timidement et laisse passer un fin rayon de lumière. Et peu à peu Igor et Rhéa vont refaire surface, aidés par la musique de Schubert et par un prof de piano vraiment pas comme les autres.
Les ados s’expriment à tour de rôle, confiant leurs douleurs, leur mal-être, leurs doutes et leurs maigres espoirs. On suit également les balbutiements de leurs rapprochements, les jours avec et les jours sans, l’amitié fragile dont les racines finiront par s’ancrer profondément. Un texte porteur d’espoir, qui montre que l’on peut se relever et reprendre goût à la vie après un drame, aussi terrible soit-il. Un texte superbe, d’une infinie justesse, d’un réalisme qui serre les tripes. Assurément un de mes plus grands coups de cœur de ces derniers mois en littérature jeunesse.
Deux secondes en moins de Marie Colot et Nancy Guilbert. Magnard, 2018. 304 pages. 14,90 euros. A partir de 15 ans.