Un roman résonne la voix des pas grand-chose. Ceux qui se tuent à la tâche, subissent les cadences infernales imposées par la hiérarchie, n’ont pas d’autre vie que celle les rattachant à l’usine. Ceux que l’on méprise dans les hautes sphères, ceux à qui on reproche de ne pas se bouger le cul pour retrouver un boulot quand la grande lessiveuse libérale les laisse sur le bord de la route après un plan social dont ils sortent forcément perdants.
J’ai adoré ce texte plein de rage et de désespoir. J’ai connu l’usine, j’ai côtoyé « ces gens-là » qui ne sont pas ceux que chantait Brel. J’ai vu ces visages et ces corps fatigués, abîmés par le travail harassant et répétitif qui fait « qu’à vingt ans on en paraît quarante et qu’à la retraite on est bon pour la morgue ». Timothée Demeillers maîtrise son sujet. Il signe ici un second roman éminemment social, évidemment très engagé. Sa prose est mouvementée comme les pensées d’Erwan, alternant les phrases courtes et les envolées au lyrisme contenu. C'est tendu, prenant, touchant, simple et direct. Un texte qui vient du cœur et des tripes. Forcément je suis sous le charme.
Jusqu’à la bête de Timothée Demeillers. Asphalte, 2017. 150 pages. 16,00 euros.