Trop longtemps que je n’avais pas lu de littérature créole. Depuis ma découverte des grands noms de la négritude à la fac, j’ai gardé une sensibilité particulière pour les auteurs venus des îles. Roland Brival, Emile Ollivier, Gisèle Pineau, Raphaël Confiant, Patrick Chamoiseau, Louis-Philippe Dalembert, Lionel Trouillot et bien sûr Dany Laferrière. Alors quand ce dernier annonce, à propos de ce roman, que «
chaque fois, quelque part dans le monde, que l’on me demande un seul roman haïtien à lire, je réponds toujours Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain », je me lance les yeux fermés.
L’histoire est simple : après quinze ans passés à Cuba, Manuel revient sur ses terres natales. Son village de Fonds-Rouge subit une sécheresse impitoyable et est gangrené par un conflit entre habitants suite à un différend ayant fait couler le sang. Désireux de sauver les siens, Manuel part en quête d’une source qui pourra à nouveau alimenter les jardins et écarter la famine. Tombant amoureux de la belle et sauvage Annaïse, il rêve d’un avenir radieux où chacun vivrait ensemble et heureux. Un rêve qui va malheureusement se confronter à une dure réalité.
Un magnifique texte des années 40, à la fois naïf et engagé, donnant la parole aux paysans haïtiens en lutte contre la misère et créant avec Manuel un héros symbolique prêt à dire non à l'humiliation et à la résignation. Chant d’amour pour un pays où se confondent le soleil, l’eau et la terre,
Gouverneurs de la rosée dit la douleur et les espoirs d’un peuple en souffrance. Ce faisant, il révèle une vie paysanne portée par des traditions séculaires et en butte aux rivalités et aux désirs de vengeance. Manuel est celui qui rassemble et fédère. Il offre à chacun une leçon de courage et d’engagement, incarnant une idée du sacrifice qui marquera à jamais les esprits.
J’ai retrouvé avec plaisir ce que j’apprécie le plus dans la littérature créole, à savoir cette écriture chatoyante jouant sur différents niveaux de langue, la langue du récit (soutenue, voire précieuse) et la langue du dialogue si vivante avec son rythme particulier et son vocabulaire spécifique. Les évocations de la nature et des paysages sont splendides tandis que le discours de Manuel, aux accents politiques assumés (et proche du marxisme) rappelle à quel point Jacques Roumain a été engagé auprès du parti communiste (ce qui lui a d’ailleurs valu de nombreux passages en prison).
Un roman d’amour, un roman d’espoir, un drame, un hommage à une terre et à ses habitants les plus démunis, une démonstration de fraternité et de dignité humaine qui jamais n’occulte les souffrances et la douleur, ce texte est tout cela à la fois. Jacques Roumain déborde de tendresse et touche le lecteur en plein cœur. J’ai adoré !
Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain. Mémoire d’encrier éditions, 2015.
272 pages. 19,00 euros.
Un grand merci à
Nadine pour ce magnifique cadeau. Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec
A Girl From Earth. Mon petit doigt me dit qu’elle a autant apprécié ce voyage à Haïti que moi.