dimanche 12 février 2017

Les lectures de Charlotte (32) : Les rhinos ne mangent pas de crêpes - Anna Kemp et Sara Ogilvie

Mathilde a un problème, ses parents ne l’écoutent jamais. « Mathilde pourrait bien leur dire que ses cheveux ont pris feu ou que le chien vient de manger le facteur, ils répondraient : "C’est bien ma chérie" ou "Tu devrais raconter ça à Mamie" ». Si bien que le jour où Mathilde a voulu leur annoncer quelque chose d’important, personne ne l’a écoutée.

Pourtant l’événement était de taille puisqu’un matin au petit déjeuner, Mathilde a vu un rhinocéros violet traverser la cuisine. « Aussi gros qu’un camion et violet comme une prune », l’animal a grignoté une crêpe avant de monter à l’étage. Mathilde s’est affolée, elle a couru vers sa mère pour la prévenir, elle a foncé vers son père pour crier sa stupéfaction mais l’un comme l’autre ne l’ont pas laissée finir sa phrase, la coupant d’emblée avec un « ce n’est pas le moment ! ». Alors Mathilde n’a plus rien dit et elle s’est rapprochée du rhinocéros, passant ses journées à ses côtés, faisant de lui un complice et un confident. Tout serait resté en l’état si le rhino n’avait pas été aussi gourmand…

Un album loufoque et décalé, dont l’intrigue à première vue aussi ÉNORME que risible exprime en filigrane le manque de communication vécu par une petite fille. C’est tendre et rigolo, le dessin joue une part essentielle dans la portée comique de chaque situation. Au final tout se termine bien et le message est passé : être attentif, écouter et considérer la parole de ses enfants est bien plus que le minimum syndical, c’est une question de respect et surtout ce devrait être une évidence pour tous les parents.

Les rhinos ne mangent pas de crêpes d’Anna Kemp et Sara Ogilvie. Little Urban, 2017. 32 pages. 10,50 euros. A partir de 4-5 ans.

vendredi 10 février 2017

L’hiver dernier, je me suis séparé de toi - Fuminori Nakamura

« Kiharazaka Yûdai. Trente-cinq ans. Accusé du meurtre de deux femmes, condamné à la peine capitale en première instance. » Photographe spécialisé dans les clichés artistiques, Kiharazaka  a immolé deux de ses modèles. Pourquoi l’a-t-il fait ? Un journaliste le rencontre en prison et essaie de comprendre les motivations qui l’ont poussé à agir. Ce faisant, il met le doigt dans un engrenage aussi toxique que sulfureux qui va l’amener aux frontières de la folie et de la mort.

Le malaise, présent dès le départ, ne fait que s’accentuer au fil des pages. Tout le monde est bizarre dans ce roman, tout le monde agit de façon étrange et fait froid dans le dos. Le photographe serial killer, sa sœur, le créateur de poupées géantes, l’avocat rancunier, le journaliste aux motivations pas très claires… pas un pour rattraper l’autre. Il y a quelque chose de machiavélique dans ce récit, un piège infernal dont on décortique chaque phase avec minutie pour nous prouver que rien n’a été laissé au hasard. Glaçant !

Après, soyons honnête (pour une fois), je n’ai pas tout compris. Et même (c’est encore pire), je n’ai pas eu envie de tout comprendre. Je m’explique. Le mécanisme narratif se déploie sur une partition sans fausse note. Il y a un basculement dans le dernier tiers du roman qui change totalement la vision que l’on se faisait de l’intrigue. Mais les explications données, certes précises, m’ont perdu en route. Je n’arrivais plus à attribuer à chaque personnage son rôle et son statut (frère, sœur, victime, amant, avocat, journaliste, etc.), je me suis égaré dans la succession de documents fournis pour expliquer le pourquoi du comment (lettres, tweets, notes, journal intime…), ayant même du mal à identifier clairement qui était en train de s’exprimer. En gros j’ai joué au lecteur paresseux alors que le texte demandait une attention de tous les instants. Et forcément je suis passé à côté.

Je plaide donc coupable, mais je me dis aussi que si j’ai lu ce roman par-dessus la jambe, c’est parce qu’il n’a pas su me mettre le grappin dessus. C’est du 50-50 en gros. Je n’ai pas fait l’effort mais il n’a rien mis en œuvre pour me motiver et me pousser à faire cet effort. C’est dommage parce que Fuminori Nakamura m’avait séduit avec son texte précédent (Revolver) et je me faisais une joie de le retrouver. Pas grave, ce n’est qu’un rendez-vous manqué. Et promis, je serai encore là pour le prochain roman (en espérant être plus actif et concerné qu’avec celui-ci).

L’hiver dernier, je me suis séparé de toi de Fuminori Nakamura. Éditions Philippe Picquier, 2017. 180 pages. 17,50 euros.












mercredi 8 février 2017

La jeunesse de Staline T1 - Delalande, Prolongeau et Liberge

Comme tout le monde, Staline a eu une jeunesse. Comme (presque) tout le monde, c’est à cette période qu’il a construit le socle de sa future vie d’adulte. Naissance en 1878 à Gori, en Géorgie. Mère couturière, père cordonnier. Ce dernier, violent et rongé par l’alcool, précipite sa famille vers là ruine. Pour protéger son fils, la maman place le petit « Sosso » à l’école paroissiale. Frappé par la vérole, renversé par un fiacre (il en gardera des séquelles à un bras), le gamin enchaîne les coups durs. La lecture d’Hugo, de Marx et du Germinal de Zola façonnent ses prises de position politiques en faveur du peuple contre le tsar, les élites et les financiers. Après cinq ans au séminaire de Tiflis, cet athée fauteur de trouble « ingérable et d’une insolence rare » est renvoyé sans ménagement. Il entre alors dans la clandestinité, s’engageant de façon radicale et violente auprès du futur parti bolchévique dont il prendra bientôt les rênes aux cotés de Lénine et Trotsky.

Je ne connais quasiment rien de Staline. Je le vois juste comme un abominable dictateur. Cette biographie a le mérite de m’en apprendre plus sur le personnage, sur le parcours qui l’a amené à devenir un monstre sanguinaire à tendance psychopathe. Une vie de famille difficile, les galères qui s’enchaînent, une enfance où l’on en bave et une envie de s’en sortir en écrasant les autres, en faisant fi de l’humain, en se gardant de toute empathie qui pourrait perturber la marche en avant d’un destin glorieux. Finalement, avant d'être un idéologue, Staline se comporte comme un caïd, un mafieux géorgien en guerre contre l’impérialisme russe.

Les auteurs ont l’intelligence de placer leur récit en 1931, au cœur du Kremlin, alors que Staline dispose des pleins pouvoirs depuis trois ans après avoir éliminé tous ses opposants. Le petit père des peuples va se confesser à un secrétaire du parti et raconter sa jeunesse. Cette astuce narrative permet d’emblée au lecteur de ne pas oublier que si le portrait des jeunes années offre l’image un peu romantique d’un voyou lettré fascinant ses camarades et capable de discours électrisant la foule, il n’en reste pas moins l’un des plus impitoyables tyrans de l’Histoire. Pas d’apologie donc. Ni d’excuses à avancer pour justifier l’injustifiable. Les événements s’enchaînent et illustrent avec limpidité la naissance du monstre, en dehors de tout jugement.

Le dessin réaliste donne dans l’efficacité et rappelle par moments le trait de l’excellent Jean-Yves Delitte, période Donnington. Un premier tome de qualité, percutant et documenté, loin de toute hagiographie, qui dresse le portrait d’un futur tueur de masse dans toute sa complexité.

La jeunesse de Staline T1 : Sosso de Delalande, Prolongeau et Liberge. Les Arènes BD, 2017. 72 pages. 17,00 euros.















mardi 7 février 2017

Sous les étoiles - Laura Scarpa

Des nouvelles coquines en BD, l’idée me plaisait bien. Avec une femme aux pinceaux, italienne de surcroît, ça sentait vraiment bon avant le coup, surtout quand on connaît la grande tradition d’auteurs érotiques talentueux venus de la péninsule. Rien à dire pour ce qui est de la sensibilité toute féminine émanant de chaque histoire. Entre suggestion et scènes on ne peut plus explicites, on ne tombe jamais dans le porno gratuitement vulgaire ni dans l’eau de rose mollassonne. Il y aussi une grande diversité de thématiques, de décors et de situations. Le réalisme est de mise et chacun pourra se retrouver à un moment où l’autre dans une histoire.

Sexe par téléphone, sexe en plein air ou dans des lieux incongrus, femmes infidèles, coup d’un soir, voyeurisme, premières fois, vie de couple perturbée par l’arrivée de bébé… Laura Scarpa sait varier les plaisirs. Mais dix-sept nouvelles en 80 pages, c’est trop. Ou trop peu. Trop de nouvelles et trop peu de développement dans chaque. Formatées à la base pour être publiées dans une revue, ces coquineries souffrent à l’évidence d’un manque d’ampleur. La pagination réduite donne l’impression que chaque récit est ramassé sur lui-même, qu’ellipses et raccourcis nuisent à la fois à la profondeur du propos mais aussi à sa fluidité, voire parfois à sa compréhension. Dommage, vraiment dommage.

Niveau graphisme, la différence est criante entre les dessins de 1998 et ceux de 2006. Au moins on constate que l’auteure a sacrément progressé mais ses productions les plus anciennes ont du mal à soutenir la comparaison. Après il faut aimer ce trait tout sauf classique, assez undergound, assez typique de la BD indépendante. Personnellement, j’y ai trouvé mon compte sur la forme mais pour ce qui est du fond, on est trop dans le saupoudrage pour me satisfaire pleinement. Sympa sans plus quoi.

Sous les étoiles de Laura Scarpa. Delcourt, 2017. 80 pages. 18,95 euros.




lundi 6 février 2017

Gouverneurs de la rosée - Jacques Roumain

Trop longtemps que je n’avais pas lu de littérature créole. Depuis ma découverte des grands noms de la négritude à la fac, j’ai gardé une sensibilité particulière pour les auteurs venus des îles. Roland Brival, Emile Ollivier, Gisèle Pineau, Raphaël Confiant, Patrick Chamoiseau, Louis-Philippe Dalembert, Lionel Trouillot et bien sûr Dany Laferrière. Alors quand ce dernier annonce, à propos de ce roman, que « chaque fois, quelque part dans le monde, que l’on me demande un seul roman haïtien à lire, je réponds toujours Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain »,  je me lance les yeux fermés.

L’histoire est simple : après quinze ans passés à Cuba, Manuel revient sur ses terres natales. Son village de Fonds-Rouge subit une sécheresse impitoyable et est gangrené par un conflit entre habitants suite à un différend ayant fait couler le sang. Désireux de sauver les siens, Manuel part en quête d’une source qui pourra à nouveau alimenter les jardins et écarter la famine. Tombant amoureux de la belle et sauvage Annaïse, il rêve d’un avenir radieux où chacun vivrait ensemble et heureux. Un rêve qui va malheureusement se confronter à une dure réalité.

Un magnifique texte des années 40, à la fois naïf et engagé, donnant la parole aux paysans haïtiens en lutte contre la misère et créant avec Manuel un héros symbolique prêt à dire non à l'humiliation et à la résignation. Chant d’amour pour un pays où se confondent le soleil, l’eau et la terre, Gouverneurs de la rosée dit la douleur et les espoirs d’un peuple en souffrance. Ce faisant, il révèle une vie paysanne portée par des traditions séculaires et en butte aux rivalités et aux désirs de vengeance. Manuel est celui qui rassemble et fédère. Il offre à chacun une leçon de courage et d’engagement, incarnant une idée du sacrifice qui marquera à jamais les esprits.

J’ai retrouvé avec plaisir ce que j’apprécie le plus dans la littérature créole, à savoir cette écriture chatoyante jouant sur différents niveaux de langue, la langue du récit (soutenue, voire précieuse) et la langue du dialogue si vivante avec son rythme particulier et son vocabulaire spécifique. Les évocations de la nature et des paysages sont splendides tandis que le discours de Manuel, aux accents politiques assumés (et proche du marxisme) rappelle à quel point Jacques Roumain a été engagé auprès du parti communiste (ce qui lui a d’ailleurs valu de nombreux passages en prison).

Un roman d’amour, un roman d’espoir, un drame, un hommage à une terre et à ses habitants les plus démunis, une démonstration de fraternité et de dignité humaine qui jamais n’occulte les souffrances et la douleur, ce texte est tout cela à la fois. Jacques Roumain déborde de tendresse et touche le lecteur en plein cœur. J’ai adoré !

Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain. Mémoire d’encrier éditions, 2015. 272 pages. 19,00 euros.

Un grand merci à Nadine pour ce magnifique cadeau. Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec A Girl From Earth. Mon petit doigt me dit qu’elle a autant apprécié ce voyage à Haïti que moi.









dimanche 5 février 2017

Les lectures de Charlotte (31) : La piscine magique - Carl Norac et Clothilde Delacroix

Si le lion est le roi des animaux, c’est parce qu’il a une piscine magique. Du moins c’est ce qu’il dit. Personne ne l’a vue pour de vrai cette piscine alors le doute persiste. D’après un oiseau moqueur, « elle serait si petite qu’il suffirait de pleurer deux fois pour la remplir ». Et selon le guépard, ce n’est rien d’autre qu’une marre de boue. Pour couper court aux rumeurs, le lion annonce qu’il va autoriser quelques uns de ses sujets à venir y faire trempette. Seule condition pour y piquer une tête, être chic !

Le lendemain, c’est le défilé dans les couloirs du palais. Les heureux élus sont l’ours, la girafe, le crapaud, le singe, le cochon et le phoque. Une fois devant le bassin, les invités s’interrogent : « Mais en quoi cette piscine est-elle magique ? ». En fait, il suffit de faire un vœu et de crier fort un mot avant de sauter dans l’eau. L’ours par exemple, lâche le mot « miel » et se retrouve immergé dans sa gourmandise préférée. Chacun va réaliser son vœu jusqu’à ce que la reine, pleine de morgue et de suffisance, décide de mettre tout le monde dehors pour profiter seule de la piscine magique. Et bien vous savez quoi ? Elle aurait mieux fait de s’abstenir !



Un régal d’album, drôle et rythmé, porté par les illustrations colorées de Clothilde Delacroix et le texte plein d’humour d’un Carl Norac dont les dialogues savoureux font mouche. La chute n’aura jamais si bien porté son nom, c’est rien de le dire ! Jubilatoire et irrévérencieux, indispensable quoi.

La piscine magique de Carl Norac et Clothilde Delacroix. Didier, 2017. 36 pages. 12,50 euros. A partir de 4-5 ans.


PS : je profite de ce billet pour souhaiter un bon anniversaire à ma pétillante Charlotte qui fête ses quatre ans aujourd’hui    








vendredi 3 février 2017

L’été des charognes - Simon Johannin

Le roman s’ouvre sur une scène de lapidation d’un chien par des enfants. Histoire de donner le ton. De prévenir que ça va secouer sévère. Ici, on a la torgnole facile. Ici, les gosses collectionnent les os trouvés au cimetière et ramènent leurs parents en voiture les soirs de beuverie (« C’est souvent comme ça qu’on fait. Quand les parents sont bien trop bourrés, ils démarrent juste les autos en première et les enfants conduisent, comme ça c’est moins dangereux et nous ça va on aime bien conduire comme les distances sont pas très grandes »). Ici, on tue le cochon tous ensemble et on fait la fête jusqu’à plus soif. Ici, on vit au fond de la vallée « tout au bout, là où le temps est le même qu’à l’intérieur d’un pot de chambre qu’on aurait  bien rempli et refermé délicatement pour un mois au soleil ». Un hameau, trois familles, des poules, des moutons, des agneaux et des brebis, la forêt et la brume. Pas de télé, d’internet ni de 4G. Bienvenue chez les gueux, chez les damnés de la terre. Le narrateur est un de ces marmots cradingues qui trainent leurs savates dans la boue et font les quatre cents coups en plein air. Il décrit son quotidien avec ses mots à lui, entre outrance et poésie.

C’est un petit livre de rien du tout, format poche, à peine 150 pages. Un premier roman qui claque, âpre, rude, abrasif. Simon Johannin use de punchlines qui vous sonnent comme un aller-retour en pleine poire. Pas de gants pour décrire la violence des rapports humains, pas de dentelle pour raconter la vie de ces gens-là, de ces rednecks made in France. Pour autant, le texte n’est pas autobiographique et ne donne pas dans la sociologie, on n’est pas chez Edouard Louis, on n’est pas en Picardie mais dans le Tarn, et le gamin qui cause avec sa gouaille de cul-terreux ne charge pas la mule parentale, ne met pas en cause son milieu, ne fait pas de la bêtise et de la misère un mur infranchissable bloquant toute ascension vers une adolescence épanouie. On le retrouve d’ailleurs à la fin, devenu adulte. Pas reluisant bien sûr, pas des plus fringants. Mais sans haine ni rancœur pour ses jeunes années.

Finalement, L’été des charognes n’est rien d’autre que la chronique d’une enfance rurale. Une chronique certes brutale, écrite avec les tripes, sans fioritures ni scories inutiles mais avec des envolées stylistiques dignes d’une Virginie Despentes au meilleur de sa forme. Un écrivain est né. Il s’appelle Simon Johannin, n’a que 23 ans et m’a laissé sur le cul. Merci m’sieur !  

L’été des charognes de Simon Johannin. Allia, 2017. 145 pages. 10,00 euros.












mercredi 1 février 2017

Tim Ginger - Julian Hanshaw

« Après moi, plus de Ginger. L’arbre généalogique ressemblera à une souche. »

Tim Ginger vit seul dans une caravane à la lisière du désert du Nouveau-Mexique depuis le décès de sa femme Suzan. Ancien pilote d’essai aéronautique pour le gouvernement américain, il a écrit un ouvrage qui passionne les milieux conspirationnistes. Son existence solitaire et contemplative est bousculée le jour où, sur un salon du livre, il retrouve Anna, qu’il avait connu sur une base militaire en Angleterre vingt ans plus tôt. Elle aussi est célibataire depuis son divorce et elle a réalisé une BD regroupant les témoignages de couples ne souhaitant pas avoir d’enfants par choix. Des témoignages qui résonnent fortement pour Tim puisque Suzan et lui n’avaient jamais ressenti le besoin ni l’envie d’avoir une progéniture et avaient dû passer leur temps à se justifier auprès de leurs proches…

Un roman graphique abordant un sujet de société sensible avec une finesse déroutante. Julian Hanshaw dresse le portrait de personnages à la marge, de ceux que l’on regarde avec pitié l’air de dire « Pauvre untel, sans enfants… comme s’il lui manquait un bras ». De l’égoïsme assumé (« pas question qu’un enfant s’immisce entre nous ») à ceux qui balaient la question en brandissant comme un bouclier une prétendue stérilité en passant par les tenants d’excuses bien plus légères (« je refuse d’installer un trampoline dans mon jardin »), l’auteur multiplie les points de vue et place ce choix de vie radical (aux yeux des autres du moins) au cœur des discussions entre Tim et Anna.

Pour autant, il avance dans son récit avec lenteur et sans lourdeur, recentrant en permanence sa caméra sur le visage de Tim, sur son statut d’homme seul, de veuf incapable de faire le deuil d’une épouse décédée depuis des années, de sexagénaire constatant que l’avenir lui semble bien limité. C’est triste et mélancolique comme une nouvelle de Carver, comme un tableau de Hopper. Le dessin parfois un peu naïf et les traits anguleux pourront rebuter certains mais il serait dommage de passer à coté de cet album pour une simple question de forme tant le fond est d'une grande profondeur et d'une touchante justesse.

Tim Ginger de Julian Hanshaw. Presque Lune éditions, 2016. 152 pages. 21,00 euros.

PS : beaucoup de jolie phrases dans ce texte, de réflexions pleines de lucidité :

« Bientôt, nous n’existerons plus, et il n’y aura ni petits enfants en deuil, ni photos de nous sur les cheminées de nos filles et fils éperdus de douleur ».

« Quand les jeux seront faits, je crois que je quitterai ce monde sans faire plus de bruit qu'à mon arrivée. Sans histoire ». (celle-là me convient tellement !)


Un livre offert par Moka et dédicacé par l’auteur à Angoulême le week-end dernier. Comme une modeste façon de prolonger des moments en tout point inoubliables…

















mardi 31 janvier 2017

A la dure - Rachel Corenblit

Il a tout préparé : cinq bassines, des grandes serviettes de plage, des draps de rechange, des bouteilles d’eau, des chaussettes en laine, du riz, des médocs. Le chien est au fond du jardin, les parents absents pour plusieurs jours. Arthur est opérationnel, il va pouvoir accueillir sa grande sœur So à la maison. Quand elle sera là les choses sérieuses pourront commencer. Une épreuve terrible à surmonter, usante, aussi difficile à vivre physiquement que nerveusement. Mais puisque So semble enfin décidée à franchir le pas, il se doit de l’accompagner, de la soutenir, de l’aider. Comme il peut.

Arthur et So. Le Ying et le Yang. Quatre ans d’écart. Lui le premier de la classe, programmé pour avoir son bac avec mention « très bien » à la fin de l’année. Elle la sauvageonne, la rebelle, l’incontrôlable, la menteuse, la voleuse. Elle que son père a foutu à la porte parce que ce n’était tout simplement plus possible.

Une histoire de fratrie sombre et bouleversante. Une histoire d’entraide et de soutien indéfectible, désespéré. Une histoire de retrouvailles. Une histoire qui laisse planer le doute sur sa conclusion, parce que dans certains cas rien n’est jamais définitivement gagné.

Comme toujours dans cette  collection un texte d’une seule voix (celle d’Arthur) à lire comme une longue lettre adressée à cette insaisissable sœur dont il ne cherche pas à comprendre ou excuser le comportement, mais qu’il ne juge pas non plus. Comme toujours dans cette collection les mots sonnent juste, l’intime n’est jamais voyeur et la dureté du sujet n’est pas une aubaine pour verser dans le tire-larmes. Comme toujours dans cette collection je referme le livre soufflé et admiratif.

A la dure de Rachel Corenblit. Actes sud junior, 2017. 64 pages. 9,00 euros. A partir de 13-14 ans.


Une pépite jeunesse que je partage évidemment  (et comme toujours) avec Noukette.









samedi 28 janvier 2017

Maggy Garrisson T1 : Fais un sourire, Maggy - Lewis Trondheim et Stéphane Oiry

Elle est touchante, Maggy. Pas la plus jolie fille de Londres. Ni la plus riche. Deux ans qu’elle ne bossait plus. Jusqu’à ce que sa voisine lui dégote un job de secrétaire auprès de son neveu. Le gars est détective privé. Du genre qui picole beaucoup et enchaîne les affaires minables. Du genre à se faire tabasser le jour où sa nouvelle assistante débarque à l’agence. Trois semaines à l’hosto et une Maggy au chômage technique. Heureusement, la jeune femme a de la ressource et est débrouillarde. Quitte à flirter avec la malhonnêteté pour gagner quelques livres et payer les factures. Mais quand son nouveau boss l’appelle de son lit d’hôpital et lui demande de planquer son portefeuille dans un endroit sûr, elle se dit que quelque chose cloche. Sans savoir à quel point elle met va mettre les mains dans une sale affaire…

Joli portrait d’une trentenaire célibataire et sans le sou à la morale loin d’être exemplaire. Si elle sort des clous, Maggy le fait avant tout par nécessité, pas par plaisir. La faune qui gravite autour d’elle n’a d’ailleurs pas davantage d’état d’âme, chacun cherchant à tirer profit de la situation pour son propre compte. Pas de héros au cœur pur dans cette histoire maline et rondement menée où le scénario retors de Lewis Trondheim est parfaitement mis en image par le trait et le découpage un brin austère d’un Stéphane Oiry visiblement très à l’aise pour retranscrire l’atmosphère humide du Londres des ruelles sombres et des pubs crasseux.

Le troisième tome vient de sortir et clôt un premier cycle sans la moindre fausse note. Une série à découvrir d’urgence.

Maggy Garrisson T1 : Fais un sourire, Maggy de Lewis Trondheim et Stéphane Oiry. Dupuis, 2014. 48 pages. 14,50 euros.