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Tesson © Gallimard 2011 |
Sylvain Tesson s’est fait un serment : avant ses 40 ans, il vivra plusieurs mois dans une cabane. Direction donc le fin fond de la Russie, sur les bords du lac Baïkal. De février à juillet 2010, l’écrivain voyageur investit une Isba, une cabane sibérienne isolée à cinq heures de marche de toute présence humaine. Dans les forêts de Sibérie est son journal d’ermitage. Il y consigne chaque jour ses réflexions et les menus événements qui rythment son quotidien : « La cabane, royaume de simplification. Sous le couvert des pins, la vie se réduit à des gestes vitaux. Le temps arraché aux corvées quotidiennes est occupé au repos, à la contemplation et aux menus jouissances. L’éventail des choses à accomplir est réduit. Lire, tirer de l’eau, couper le bois, écrire et verser le thé deviennent des liturgies. En ville, chaque acte se déroule au détriment de mille autres. La forêt resserre ce que la ville disperse. »
La lecture, l’écriture, la pêche, les longues promenades, le patinage sur le lac gelé et les excursions en canoë après le dégel... L’existence se réduit à une quinzaine d’activités. Quelques visites impromptues viennent troubler la solitude du reclus. L’occasion de partager des litres de vodka et de refaire le monde.
Il y a du Rousseau et du Walden dans ce journal. Tesson se fait le chantre de l’autosuffisance : « L’homme des bois est une machine de recyclage énergétique. Le recours aux forêts est recours à soi-même. Privé de voiture, l’ermite marche. Privé de supermarché, il pêche. Privé de chaudière, son bras fend le bois. Le principe de non-délégation concerne aussi l’esprit : privé de télé, il ouvre un livre. »
Épris de silence et de solitude, l’ermite Tesson s’enchante à chaque tressaillement de la nature. L’activité des mésanges, la noblesse de l’ours, la force du vent, la noirceur du lac, le vrombissement des milliards d’insectes l’été venu, tout est prétexte à la contemplation et à l’éblouissement. Par rapport à nombre de récits du même genre, Dans les forêts de Sibérie se distingue par sa qualité littéraire. La plume est ici d’une rare élégance, la profondeur de la réflexion impressionne et les aphorismes sont d’une concision remarquable. Petit exemple en passant : « La vie en cabane est un papier de verre. Elle décape l’âme, met l’être à nu, ensauvage l’esprit et embroussaille le corps, mais elle déploie au fond du cœur des papilles aussi sensibles que les spores. L’ermite gagne en douceur ce qu’il perd en civilité. » Magnifique, non ?
En quête de liberté intérieure, Sylvain Tesson aura appris pendant ces quelques mois de réclusion volontaire à vivre non plus contre lui-même mais avec lui-même. Un texte somptueux.
Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson, Gallimard, 2011.
268 pages. 17,90 euros.