mardi 4 octobre 2011

Le premier mardi, c'est permis (1) : Anthologie littéraire de la fellation

Le premier mardi, c’est permis. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Stephie. Le premier mardi de chaque mois, on peut parler d’une lecture inavouable, le genre de lecture dont on n’est pas fier et qu’on préfère garder pour soi. Pour ma première lecture inavouable, j’ai choisi l’anthologie littéraire de la fellation parue aux éditions Blanche au mois de mai. J’ai découvert ce titre grâce à Clara Dupont-Monod dans la matinale de Canal + (ça fait toujours bien de citer ses prescripteurs pour un bouquin pareil, question de respectabilité). Je l’ai évidemment commandé sur une libraire en ligne (pas question de passer devant la caisse de ma libraire préférée avec un opuscule au titre aussi sulfureux, toujours question de respectabilité). Heureusement, le recueil est tout petit (17 x 12 cm) et sa couverture d’une grande sobriété. Idéal pour le trimballer partout dans la poche de sa veste et le lire en toute discrétion au grand air.

Bon, pas la peine de vous faire un dessin, deux petites définitions de mon copain Robert suffiront. Anthologie : n.f. Recueil de morceaux choisis en prose ou en vers. Fellation : n.f. Acte sexuel consistant à exciter les parties génitales masculines par des caresses buccales. Mettez ces deux mots ensemble, intercalez entre eux l’adjectif littéraire et vous obtenez un recueil de 220 pages contenant 60 petits textes exclusivement dédiés à la fellation.

Sympa, mais plutôt répétitif. Pour éviter de s’ennuyer, il ne faut pas tout s’enfiler d’un coup (euh...). Disons que c’est typiquement le genre d’ouvrage dans lequel on vient picorer de temps en temps. Personnellement, il m’a fallu plusieurs semaines pour arriver au bout. Il faut dire que l’originalité n’est pas la qualité première de cette anthologie. Les « parties génitales masculines » comme le dit Robert sont souvent décrites avec les mêmes mots (en même temps, il n’y a que dans les dictionnaires d’argot que l’on trouve des dizaines de façons de parler d’une bistouquette). Et puis si le décor change, l’activité pratiquée est toujours la même.

Une constante en littérature lorsque l’on met en scène une fellation, c’est que tout le monde avale, comme si c’était la conclusion naturelle et obligatoire de l’acte. Autre constante, l’imagerie propre à l’éjaculation : explosion, flot de semence, giclée, inondation, jaillissement, petits jets, le lexique reste finalement très réduit. Certains sont toutefois plus poétiques : « J’avale soudain la houle, puis essuie de mes doigts d’étoile de mer l’écume de ton sperme mourant un peu sur mes lèvres. » (Astrid Schilling). C’est d’ailleurs bien là que peut se jouer la différence entre tous ces textes : sur la qualité de l’écriture. Malheureusement, il y a peu d’auteurs « classiques » dans cette anthologie. Apollinaire, Henry Miller, Alberto Moravia, Verlaine, Maupassant, Pierre Louÿs. 10% seulement. Le reste, c’est très moderne et pas toujours très bien écrit. Résultat, l’ensemble est bancal. Très homogène pas rapport au sujet traité (difficile de faire autrement) mais trop hétérogène qualitativement parlant. Une lecture agréable sans plus, à pratiquer avec parcimonie.


Anthologie littéraire de la fellation, éditions Blanche, 2011. 220 pages. 13,50 euros.

PS : un détail amusant tout de même, le recueil contient une chanson des Rita Mitsouko (La taille du bambou) que je ne connaissais pas du tout. Allez, je partage le texte pour les ignares dans mon genre qui ne connaitraient pas eux non plus. Et je partage le son à la fin de ce billet. Y a qu'à cliquer !

Ah, c'est beau, c'est chaud, c'est bon...
Cool... et agréable...
Cool... émouvant...
La taille du bambou
Pour faire une flûte
Et bien qu'elle jute
Toujours au goût du jour ?
Eh bien oui
C'est oui.


C'est une de ces choses
Que la vie propose
Et qui vaut le coup.
L'affaire est close
Une fois qu'on ose
On y prend goût.
Accélère, et stop
Accélère, accélère, accélère et stop !
Déccélère ! ... et ouf...


Et pourvu que ça dure très longtemps
On fait chanter l'instrument
Passe, repasse tout autour
Presse, caresse, refais le tour
Monte, et compte redescendre
Plonge, remonte par les méandres
De la longue et profonde et tendre glisse
Délice de se rendre à la base
Ecrase la phase dans un suspens
Resserre la chair dans une absence


Reprends doucement
Exagère dans la douceur
Mets d’la couleur
Agenouille et fouille un peu plus vite
Le flux monte au confluent des cuisses
Et ça glisse
Et c'est agréable, émouvant, hypnotisant...


Ce geste d'amour a-t-il toujours cours ?
Et bien oui ! C'est oui.






 
 
 





 

dimanche 2 octobre 2011

Le pigeon anglais - Stephen Kelman

Harrison Opoku a 11 ans. Élève de 6ème dans un collège de la banlieue sud de Londres, il a quitté depuis peu le Ghana avec sa mère et sa sœur pour s’installer dans un quartier où le multiculturalisme n’est pas un vain mot. Habitant un logement social dans une gigantesque tour, la famille Opoku évolue dans un environnement pas franchement joyeux, entourée de junkies, de dealers et de bandes d’ados n’hésitant pas à jouer du couteau à la moindre occasion. C’est d’ailleurs lorsqu’un jeune homme meurt poignardé à la sortie d’un fast food qu’Harrison et son copain Dean décident de mener l’enquête à la manière des meilleurs détectives. Malheureusement pour eux, le meurtrier n’aime pas les fouineurs…

Contrairement à ce que le résumé pourrait laisser croire, Le pigeon anglais n’est pas du tout un polar. Stephen Kelman donne plutôt dans le roman de mœurs en dressant le portrait d’une jeunesse en perdition dans les faubourgs de Londres. On n’est certes plus chez Dickens, mais il y a quand même quelques restes. Aujourd’hui, ce sont les enfants de l’immigration qui trinquent : africains, pakistanais, indiens… Bien sûr, les gosses de prolo tout ce qu’il y a de plus anglais sont toujours là, mais ils sont devenus minoritaires. Un melting-pot qui ressemble à une poudrière. Dans ce maelström, chacun tente de tracer son petit bout de chemin sans se faire d’illusion.

Tout le charme et la puissance du roman tient dans la gouaille de son narrateur. Rédigé à la façon d’un journal intime dans lequel Harrison s’adresse au pigeon qui vient lui rendre visite sur son balcon, le récit à la première personne est à la fois enlevé et grave. Faussement naïf, le gamin pose un regard d’une grande acuité sur le monde qui l’entoure. Surtout, l’auteur à su retranscrire l’argot des banlieues anglaises. La voix d’Harrison résonne et permet au lecteur d’explorer les codes et les mœurs d’une génération à la dérive. Oscillant entre lucidité, innocence et un brin d’insolence, le discours du petit ghanéen, plein de réparti, aborde sans avoir l’air d’y toucher des sujets graves : échec de l’intégration, abandon social, violence conjugal, trafic, acculturation…

Une jolie trouvaille des éditions Gallimard et un énorme coup de chapeau au traducteur Nicolas Richard qui a effectué un travail absolument fabuleux pour « franciser » le langage si particulier d’Harrison.

Extraits :

« J’adore me soulager quand manman vient de mettre du produit dans les toilettes. Le produit fait des sacrées bulles, c’est comme si tu te soulageais sur un nuage. Je garde exprès un grand pipi spécial. Personne a le droit de faire partir le nuage en tirant la chasse tant que j’ai pas fait mon spécial grand pipi dessus. Je me dis que je suis Dieu qui se soulage sur son nuage préféré. »

« Y a un million de chiens par ici. Jtejure, y a presque autant de chiens que de gens. La plupart c’est des Pitbulls parce que c’est ceux qui font le plus trouiller, tu peux t’en servir comme arme si tu as plus de balle dans ton flingue. »

« Si un chien t’attaque, le mieux pour l’arrêter c’est d’enfoncer ton doigt dans son trou de balle. Y a une manette secrète dans le trou de balle du chien, quand tu la touches, leur gueule s’ouvre automatiquement et ils lâchent ce qu’ils étaient en train de mordre. »


Le pigeon anglais, de Stephen Kelman, Gallimard, 2011. 328 pages. 17 euros.

vendredi 30 septembre 2011

Tout sur l’automne

Ça y est, c’est l’automne. Une drôle de saison, coincée entre les grandes vacances et Noël. Pour les enfants et les enseignants, c’est synonyme de retour à l’école. Pour beaucoup d’autres, c’est le temps des champignons, des vendanges, des labours et des balades en forêt. Pour les barbares, c’est l’heure de la chasse. Pour les animaux, il faut préparer l’hiver : réserve de nourriture, aménagement de la maison en vue de l’hibernation où départ vers des contrées plus chaudes.

Charline Picard et Clémentine Sourdais proposent aux enfants de découvrir tout sur l’automne dans un album d’une grande richesse. Grâce à l’expert Loupiote, on apprend pourquoi les feuilles tombent, comment les graines se dispersent ou encore comment les animaux font leurs réserves. Organisé en trois grandes parties, ce documentaire balaie l’ensemble des thématiques propres à cette saison si particulière : l’automne dans la nature (feuilles, fleurs, champignons, fruits et légumes) ; l’automne des animaux ; l’automne au quotidien (la rentrée scolaire, les vêtements, les recettes de cuisine, les fêtes).

Loin des documentaires classiques organisés de façon très hiérarchisée et très redondante, les auteurs ont choisi de dérouler leur propos en toute liberté et sous toutes les formes. L’album contient des illustrations pleine page, des planches naturalistes, de la bande dessinée, de la poésie, des haïkus, des photos, des informations scientifiques ou encore des activités manuelles dans un joyeux fourre-tout où chacun ira picorer selon ses envies. Une véritable bouffée de fraîcheur qui renouvelle le genre et ravira à coup sûr petits et grands.

Tout sur l’automne de Charline Picard et Clémentine Sourdais, Seuil, 2011. 64 pages. 18 euros. A partir de 6 ans.


mercredi 28 septembre 2011

Les compagnons du crépuscule : l'intégrale

Ils sont trois. Un chevalier sans visage, un valet pleutre et sournois et une jeune fille rousse au tempérament de feu. Ces compagnons d’infortune errent sans véritable but en pleine guerre de 100 ans. En chemin, ils croiseront de dangereux lutins, de terribles Dhuards et devront déjouer un complot machiavélique. Ensemble, ils vivront une épopée pleine de bruit et de fureur dont certains ne sortiront pas indemnes...

Le premier album est très bon et constitue une belle entrée en matière. Les personnages sont déjà clairement définis. L’intrusion du fantastique semble naturelle et ne pose pas de problème de compréhension. Bref, c’est un tome d’introduction de grande qualité. On ne peut malheureusement pas en dire autant du second. Le propos est confus, verbeux en diable, alambiqué. Le fantastique est présent à chaque page et l’aspect onirique prend le pas sur tous les autres. Un album que j’ai eu beaucoup de mal à finir. Heureusement, le niveau remonte sacrément avec le troisième opus, de loin le plus abouti. 140 pages, une profondeur et une densité dignes d’un roman. Beaucoup de personnages mais une construction imparable qui laisse l’ensemble d’une grande lisibilité. Naviguant entre le récit historique, le policier médiéval et le conte, ce volume où les histoires s’entrelacent sans jamais perdre le lecteur (pour peu qu’il reste attentif) est maîtrisé avec brio. Et puis l’action se passe en ville et au cœur d’un château, c’est qui rend l’intrigue beaucoup plus réaliste. Une sorte de plongée en immersion dans la réalité urbaine de l’époque assez fascinante.

Que retenir de cette imposante trilogie ? D’abord le plaisir de parcourir les contrées moyenâgeuses avec ces attachants compagnons. Le preux chevalier sans visage, courageux et toujours prompt à lutter contre le mal. Anicet, son valet mignon mais apparemment lâche. Et la belle Mariotte, femme libre, sauvageonne et finalement si moderne. Ensuite, les dialogues d’antan dont on ne saisit pas toujours le sens mais qui possèdent une musicalité envoutante. Enfin, l’éblouissement devant le talent graphique de Bourgeon, son découpage au cordeau, son trait réaliste et si expressif, l’atmosphère particulière qu’il parvient avec créer avec un choix de couleurs d’une grande pertinence et des décors somptueux. Là encore, pour le dessin, ma préférence va, et de loin, au troisième tome qui est clairement le plus abouti.

Une série du début des années 80 devenue aujourd’hui un classique. Certes l’ensemble n’est pas facile d’accès et demande plusieurs relectures pour que l’on en saisisse les enjeux et la finesse, mais au final, difficile d’oublier cet univers mâtiné de mystère, de violence et d’érotisme ou l’aspect fantastique des légendes vient côtoyer la dure réalité d’une époque où la guerre dura 100 ans.

Une lecture commune que je partage aujourd'hui avec Mo' dont le billet est ici.


Les compagnons de crépuscule : l'intégrale de François Bourgeon, Éditions 12 bis, 2010. 245 pages. 45 euros.




Le Roaarrr challenge de Mo'




La BD du mercredi, c'est chez Mango




dimanche 25 septembre 2011

Discours d’une grande gueule coiffée d’une casquette de prolo - Edward Limonov

Emmanuel Carrère va sans doute remporter le Goncourt 2011 avec Limonov, récit de la vie d’un écrivain russe, coqueluche des branchés parisiens dans les années 80, devenu leader du parti national-bolchévique et aujourd’hui idole d’une jeunesse moscovite désabusée. Un personnage odieux, fasciste pur et dur engagé aux cotés des serbes pendant la guerre de Yougoslavie. Mais avant de devenir une figure politique nauséabonde, Edward Limonov a écrit de la poésie et des romans.

Le Dilettante profite opportunément de la sortie de l’ouvrage de Carrère pour rééditer trois des quatre titres de l’auteur russe inscrits à son catalogue dans un seul et même recueil. Le premier texte, Salade niçoise, narre le séjour de Limonov sur la Côte d’Azur à l’occasion d’un salon littéraire en 1986. Pour l’écrivain punk de la nouvelle littérature soviétique, tous les romanciers français sont des vieillards. Dans son hôtel, Limonov vide le minibar de sa chambre et s’amuse avec la machine à cirer les chaussures. Il ne connaît personne, s’emmerde ferme. Finalement, c’est en draguant sur la plage que son séjour niçois va prendre une tournure plus agréable. Le second texte met en scène un Limonov fauché dans les rues de New York. Des déambulations qui l’amènent chez Diane Kluge, une amie toujours partante pour une partie de jambes en l’air. Le dernier texte, qui donne son titre au recueil, se déroule quant à lui à Paris. Alors que sa carte de séjour est sur le point d’expirer, Edward découvre les turpitudes et les méandres de l’administration à la française : « les français n’avaient pas envie d’avoir chez eux un type sans papiers. Pour les étrangers, les temps sont devenus plus durs en 1984, même si t’étais blanc et que tu demandais pas d’argent. Je voulais juste une carte de séjour. »

Limonov porte beau et parle haut. Le personnage aime naviguer entre cynisme et insolence. Le style est nerveux, la langue crue mais souvent plus cash que trash. 25 ans après leur parution, ces trois textes n’ont pas pris une ride. Une belle occasion de découvrir un écrivain dont on va beaucoup parler cet automne (sa photo a fait la une de Télérama début septembre) mais que finalement bien peu de monde a lu.


Discours d’une grande gueule coiffée d’une casquette de prolo, d’Edward Limonov, éditions Le Dilettante, 2011. 190 pages. 17 euros.

vendredi 23 septembre 2011

Dessine !

Trois enfants arrivent au parc. Deux filles et un garçon. Il pleut. Sur une structure à ressort en forme de dinosaure, ils trouvent un sac. Dans le sac, des craies. Une des fillettes prend une craie jaune et dessine sur le sol un soleil. Comme par magie, le soleil apparaît alors, trouant les nuages. La seconde jeune fille prend une craie orange et dessine des papillons. Comme par magie, des papillons multicolores sortent du sol. Le garçon s’empare quant à lui d’une craie verte et trace les contours d’un dinosaure. C’est là que les ennuis commencent…

Un album bluffant. Entièrement sans texte, dans un format à l’italienne où chaque nouvelle action est déclinée sur une double page. Les illustrations sont incroyables. Hyperréalistes, elles permettent de distinguer le grain de la peau, la texture des vêtements, les éclaboussures créées par les gouttes d’eau, bref une infinité de détails sur lesquels le regard peut s’attarder de longues minutes. S’il y avait un message à retenir, il pourrait être résumé dans le titre, comme une invitation : vas-y, dessine ! Le dessin possède des pouvoirs magiques et autorise tous les rêves.

Lorsqu’un auteur se lance dans la réalisation d’un album sans texte, il prend de gros risques. Quand la lecture de l’image est le seul mode de narration, il faut redoubler d’effort pour proposer, à travers les illustrations, une parfaite lisibilité. Bill Thomson relève le défi avec brio. Tout est fluide, immédiatement compréhensible. Ma fille qui vient d’avoir six ans n’a pas lâché cet album du week-end. Fascinée par le dessin mais aussi par la façon dont les événements s'enchaînent.

Un beau cadeau pour les petits bouts, même non lecteurs. Quel plaisir pour eux de découvrir un livre et d’en comprendre le sens sans avoir besoin de demander à un tiers de lui faire lecture !


Dessine ! de Bill Thompson, L’école des loisirs, 2011. 40 pages. 13,50 euros. A partir de 4 ans.


mercredi 21 septembre 2011

La saga d'Atlas et Axis 1

C’est la cata à Kanina ! Les vikiens ont débarqué de leur drakkar et ont saccagé le village, tuant les mâles et enlevant les femelles. Atlas et Axis n’étaient pas présents au moment de l’attaque. Pour retrouver leurs chères et tendres, ils n’ont qu’une piste : un énorme étron apparemment laissé par les pillards sur les lieux du drame. Après avoir consciencieusement uriné sur la crotte afin de marquer leur territoire, les deux amis se lancent à l’aventure…

Petite précision utile pour éclaircir ce résumé un brin étrange, Atlas et Axis sont des chiens. Le premier est un lévrier afghan et le second un petit terrier. Ils évoluent dans un monde animalier principalement habité par la gent canine. Dans cet univers médiéval fantastique pour le moins farfelu, les deux compères ne brillent pas par leur intelligence. Courageux, altruistes, plein de bonne volonté, ils se laissent parfois rattraper par leur instinct, en oubliant par exemple leur quête dès qu’une odeur de viande grillée vient leur titiller les narines. La bave aux lèvres, ils perdent alors tout sens commun et redeviennent de simples chiens.

Quand deux toutous qui n’ont pas inventé la poudre se lancent dans une quête au souffle épique, le résultat s’avère aussi drôle que convaincant. En alternant les scènes cocasses à l’humour potache et les moments plus dramatiques, Pau semble avoir trouvé la bonne formule. Sachant que son intrigue est tout sauf originale, il a préféré bousculer les codes pour que le lecteur n’ait pas d’emblée une impression de déjà-vu. Résultat, des péripéties rocambolesques, des situations incongrues et des héros un peu niais mais foutrement attachants.

Dessinateur espagnol, Pau a créé Atlas et Axis en 1995. En 1999, n’ayant toujours pas trouvé d’éditeur, il se résout à travailler dans un hôtel des Baléares pour pouvoir payer ses factures. N’abandonnant pas pour autant son projet, il peaufine son album pendant une dizaine d’années avant de convaincre les éditions Ankama de le publier. Graphiquement parlant, on est proche de Jeff Smith (Bone) ou de son compatriote José Luis Munuera. Ses cabots ont aussi des attitudes dignes des loups de Tex Avery grâce à un trait « cartoonesque » fluide et dynamique. Petit bémol, si les mouvements et les scènes d’action profitent d’un découpage au cordeau, les décors sont souvent trop pauvres, certaines grandes cases donnant l’impression d’être bien vides.

Sans révolutionner la BD animalière, Atlas et Axis offrent au lecteur un périple rafraîchissant à prendre pour ce qu’il est, à savoir un bon divertissement qui, sans se prendre au sérieux, fait passer un excellent moment de lecture.


La saga d’Atlas et Axis T1 de Pau, Éditions Ankama, 2011. 76 pages. 14.90 euros.





Le challenge Palsèche de Mo'


dimanche 18 septembre 2011

Une anglaise à bicyclette

1890. A la veille de Noël, un massacre est perpétré par l’armée américaine à Wounded Knee, dans les grandes plaines du Dakota du Sud. Parmi les rares survivants se trouve Ehawee, une fillette sioux Lakota de 3 ou 4 ans. Après la bataille, Jason Flannery, photographe anglais engagé par les officiers du 7ème de cavalerie, immortalise le tipi du chef Big Foot haché par la mitraille. Jason est veuf, sans enfant et il vit dans le Yorkshire où il a l’habitude de photographier des vieilles actrices ou des jeunes mariées. Jason et Ehawee se rencontrent dans une église servant d’hôpital. La petite est confiée aux bons soins du photographe. Celui-ci pense la déposer dans un orphelinat de New York, ville d’où il doit embarquer pour rentrer en Angleterre. Mais il se ravise et décide de la ramener dans son manoir de Chippingham. Pour les habitants du village, elle sera Emily, une orpheline irlandaise adoptée par le veuf. Bien des années plus tard, elle deviendra son épouse et passera des journées entières à parcourir le Yorkshire à bicyclette…

Didier Decoin possède un vrai talent de conteur doublé d’une belle érudition. Son écriture très académique évoque avec bonheur le charme de la campagne anglaise au début du 20ème siècle. Dans ce roman, il convoque aussi la figure mythique de Conan Doyle. Le père de Sherlock Holmes y apparaît en ardent défenseur de l’existence des fées.

Un texte dense et généreux qui a à l’évidence demandé un énorme travail de documentation. Pour le lecteur, les images se bousculent. Et à travers la prose extrêmement travaillée on décèle l’engouement de l’auteur pour la Grande Bretagne, ses paysages et ses jardins. La fin m’a déçue mais il n’en reste pas moins que cette Anglaise à bicyclette possède suffisamment de souffle pour que je lui pardonne ce petit écueil.


Une anglaise à bicyclette de Didier Decoin, Éditions Stock, 2011. 375 pages. 20,50 euros.

vendredi 16 septembre 2011

Skoda - Olivier Sillig

Stjepan reprend conscience. Dragan, Milivoj, Ivan et Ljubo sont à ses cotés. Couchés. Immobiles. Morts. Stjepan ne se souvient de rien. Un peu plus loin, il voit une voiture. La portière arrière est ouverte. Des jambes en dépassent. La jeune femme à qui elles appartiennent est morte elle aussi. Le chauffeur de la voiture n’a plus de tête. Seul survivant dans ce chaos absolu, un bébé. Il dort. Stjepan décide de s’en aller. Après quelques pas, il s’arrête, revient en arrière. La voiture est une Skoda. Stjepan prend le bébé et s’en va. Il le baptise Skoda…

Olivier Sillig vous prend par la main. Sa voix vous raconte une histoire simple, belle et tragique. L’absurdité de la guerre. Sa brutalité. Stjepan et Skoda sur les routes d’un pays en plein conflit. Des rencontres, bonnes ou mauvaises. Des moments de tendresse, mais aussi la violence et la mort qui surgissent sans crier gare.

Tout cela tient en 100 pages. Une leçon d’écriture concise et limpide. Pas un poil de gras. Le texte est parfaitement épuré, débarrassé des scories inutiles qui alourdissent ou affadissent le propos. Un vrai beau et grand travail d’écrivain qui, au-delà de l’exercice de style, touche en plein cœur. N’hésitez pas. L’heure que vous passerez avec ce magnifique roman risque de vous marquer durablement. Dans le bon sens du terme.

Skoda, d’Olivier Sillig, éditions Buchet Chastel, 2011. 102 pages. 11 euros.


mercredi 14 septembre 2011

Boule et Bill 33 : A l'abordage !

Pas la peine de vous les présenter, je suppose que vous les connaissez déjà : Bill le chien, Boule le petit garçon, Papa, Maman, Caroline la tortue, Pouf le meilleur copain... ça fait maintenant 52 ans qu’ils existent et ils n’ont pas pris une ride. Leur environnement et leurs gags n’ont pour ainsi dire pas bougé d’un iota depuis la première planche. La 2CV rouge, Boule et Pouf qui jouent dans le jardin, Bill terrorisé à l’idée de prendre un bain et obsédé par les os et les bouchers charcutiers... Quelque part, c’est bien là le problème. Cette série qui voit aujourd’hui paraître son 33ème volume continue de mettre en scène les péripéties de la vie quotidienne d’une famille heureuse, rien de plus. Après tout, la recette fonctionne à merveille, alors pourquoi en changer. Et puis pour être honnête, il y a bien quelques petites choses qui se sont modifiées. Boule s’intéresse aux filles, Caroline est beaucoup plus présente et, comble de la modernité, on aperçoit parfois un ordinateur au détour d’une case. Malgré tout, ça ne suffit pas. Il y a aujourd’hui des séries jeunesse tellement plus modernes et tellement plus intéressantes. C’est un fait, Boule et Bill ont pris un sérieux coup de vieux depuis quelques années.

Par contre, s’il y a une chose qu’on ne peut pas reprocher à cette BD, c’est la qualité du dessin. Verron a endossé avec brio le costume du regretté Roba et il propose des planches qui respectent à la lettre l’esprit du maître. Vraiment très impressionnant !

Je dois l’avouer, Boule et Bill, c’est toute mon enfance. C’est la première BD que j’ai lue, mes parents m’achetaient un tome tous les mois et c’était à chaque fois un enchantement de revenir de la librairie avec mon exemplaire sous le bras pour m’installer sur le canapé en ouvrant religieusement la première page. Des souvenirs de lecture dont je me souviens encore parfaitement des dizaines d’années plus tard. Aujourd’hui, quand je reviens avec un nouvel album sous le bras, je dis à ma femme que je l’ai acheté pour notre grande fille qui vient d’avoir neuf ans. Evidemment, je le lis d’abord et je lui offre après. Évidemment, je sais que Boule et Bill ne l’intéressent pas du tout (en ce moment, elle ne voit que par L’élève Ducobu et le manga Chi) et évidemment la BD traîne au pied de son lit pendant des semaines avant qu’elle se décide à la ranger dans sa bibliothèque sans même l’avoir ouverte.

Je sais bien que depuis la mort de Roba, Boule et Bill, ce n’est plus vraiment ça. Mais je sais aussi que si un 34ème album paraît, je me précipiterais pour l’acheter. Que voulez vous. Même si certaines madeleines de Prout laissent en bouche comme un goût de poussière, on a toujours l'impression de les apprécier comme au premier jour.


L'avis de Lystig

Boule et Bill T33 : A l’abordage, de Verron, d’après Roba, Éditions Dupuis, 2011. 46 pages. 10,45
euros.




Le challenge Palsèche de Mo'