Harrison Opoku a 11 ans. Élève de 6ème dans un collège de la banlieue sud de Londres, il a quitté depuis peu le Ghana avec sa mère et sa sœur pour s’installer dans un quartier où le multiculturalisme n’est pas un vain mot. Habitant un logement social dans une gigantesque tour, la famille Opoku évolue dans un environnement pas franchement joyeux, entourée de junkies, de dealers et de bandes d’ados n’hésitant pas à jouer du couteau à la moindre occasion. C’est d’ailleurs lorsqu’un jeune homme meurt poignardé à la sortie d’un fast food qu’Harrison et son copain Dean décident de mener l’enquête à la manière des meilleurs détectives. Malheureusement pour eux, le meurtrier n’aime pas les fouineurs…
Contrairement à ce que le résumé pourrait laisser croire, Le pigeon anglais n’est pas du tout un polar. Stephen Kelman donne plutôt dans le roman de mœurs en dressant le portrait d’une jeunesse en perdition dans les faubourgs de Londres. On n’est certes plus chez Dickens, mais il y a quand même quelques restes. Aujourd’hui, ce sont les enfants de l’immigration qui trinquent : africains, pakistanais, indiens… Bien sûr, les gosses de prolo tout ce qu’il y a de plus anglais sont toujours là, mais ils sont devenus minoritaires. Un melting-pot qui ressemble à une poudrière. Dans ce maelström, chacun tente de tracer son petit bout de chemin sans se faire d’illusion.
Tout le charme et la puissance du roman tient dans la gouaille de son narrateur. Rédigé à la façon d’un journal intime dans lequel Harrison s’adresse au pigeon qui vient lui rendre visite sur son balcon, le récit à la première personne est à la fois enlevé et grave. Faussement naïf, le gamin pose un regard d’une grande acuité sur le monde qui l’entoure. Surtout, l’auteur à su retranscrire l’argot des banlieues anglaises. La voix d’Harrison résonne et permet au lecteur d’explorer les codes et les mœurs d’une génération à la dérive. Oscillant entre lucidité, innocence et un brin d’insolence, le discours du petit ghanéen, plein de réparti, aborde sans avoir l’air d’y toucher des sujets graves : échec de l’intégration, abandon social, violence conjugal, trafic, acculturation…
Une jolie trouvaille des éditions Gallimard et un énorme coup de chapeau au traducteur Nicolas Richard qui a effectué un travail absolument fabuleux pour « franciser » le langage si particulier d’Harrison.
Extraits :
« J’adore me soulager quand manman vient de mettre du produit dans les toilettes. Le produit fait des sacrées bulles, c’est comme si tu te soulageais sur un nuage. Je garde exprès un grand pipi spécial. Personne a le droit de faire partir le nuage en tirant la chasse tant que j’ai pas fait mon spécial grand pipi dessus. Je me dis que je suis Dieu qui se soulage sur son nuage préféré. »
« Y a un million de chiens par ici. Jtejure, y a presque autant de chiens que de gens. La plupart c’est des Pitbulls parce que c’est ceux qui font le plus trouiller, tu peux t’en servir comme arme si tu as plus de balle dans ton flingue. »
« Si un chien t’attaque, le mieux pour l’arrêter c’est d’enfoncer ton doigt dans son trou de balle. Y a une manette secrète dans le trou de balle du chien, quand tu la touches, leur gueule s’ouvre automatiquement et ils lâchent ce qu’ils étaient en train de mordre. »
Le pigeon anglais, de Stephen Kelman, Gallimard, 2011. 328 pages. 17 euros.