lundi 7 mars 2011

La gifle

Melbourne, aujourd’hui. Un barbecue comme on en fait tous les week-end. Il y a là quelques collègues, les cousins, les parents, les amis. Des enfants aussi, qui s’amusent et se chamaillent. Parmi eux, Hugo, quatre ans, est du genre capricieux. Lors d’une partie de cricket improvisée, le gamin ne supporte pas de se faire éliminer et il entre dans une colère noire. Il s’apprête à frapper un des joueurs avec sa batte lorsqu’Harry l’empoigne et lui colle une gifle magistrale. Problème, Harry n’est pas le père d’Hugo. Il est intervenu parce qu’il a senti son propre fils en danger face à un mioche incontrôlable. Son geste va provoquer une secousse sismique chez tous les participants du barbecue...

Les chapitres ont pour titre le prénom d’une personne ayant assisté à la scène. Le narrateur s’attarde sur ces caractères très différents les uns des autres et est totalement omniscient. Il révèle l’intimité, les fêlures, les points de vue, les petits secrets...

La gifle est un roman très cru, dérangeant. La personnalité des principaux acteurs de ce barbecue qui a mal tourné est grattée jusqu’à l’os. Et chacun, sous la surface lisse qu’il expose en société, cache en réalité une nature complexe et plus ou moins torturée. Les faux semblants tombent les uns après les autres et ce n’est pas beau à voir. Le lecteur, quelque part, devient voyeur. Il s’immisce avec horreur ou délectation (selon les goûts) dans ses existences régies par l’argent, l’ambition, la religion, l’alcool, le sexe, le racisme ordinaire... Entre malaise et fascination, impossible de décrocher, même si je comprends sans problème que l’on puisse ne pas aller au bout d’un tel texte.

L’écriture est simple et directe. Pas de chichi, pas d’envolées lyriques. C’est âpre, rugueux et sans langue de bois. Là encore, on aime ou pas mais difficile de rester indifférent.

Ceux qui passent ici régulièrement savent que j’apprécie ce genre de littérature qui vous saute à la gorge. Quelque part, je peux comparer La gifle au Démon ou à Last Exit to Brooklyn de Selby. Des textes qui, à leur époque, ont choqués ou emballés les lecteurs.

Trop facile de dire que La gifle est une claque alors je me contenterais de préciser que ce roman est mon premier gros coup de cœur de l’année. Pour autant, je ne le recommanderais à personne. Trouvez-le à la bibliothèque où faites-le vous prêter si vous n’êtes pas sûr que ça vous plaise parce que franchement, vous risquez d’être secoués, et pas forcément dans le bon sens du terme.

La gifle, de Christos Tsiolkas, Belfond, 2011. 468 pages. 22 euros.

L’info en plus : Relayé par un accueil critique très favorable dans de nombreux médias (voir ci-dessous), La gifle connaît un succès public plutôt inespéré (27ème meilleure vente de romans en France dans la semaine 21 au 27 février). Souhaitons lui de suivre le même chemin que Sukkwan Island (un roman de l’américain David Vann sorti en janvier 2010, devenu contre toute attente un best seller et récompensé par le Prix Médicis du roman étranger).

La presse dithyrambique !

jeudi 3 mars 2011

Ne ratez pas l'immanquable !

Le lancement d’un nouveau magazine de prépublications de BD est un événement. Depuis plusieurs années, le paysage de la presse BD est en effet dévasté : il reste Spirou pour les enfants, Lanfeust Mag pour les fans de Fantasy et Fluide Glacial pour l’humour. Problème, non seulement ces magazines sont très ciblés mais en plus ils appartiennent à des éditeurs (Dupuis pour le premier, soleil pour le second et Casterman pour le dernier). Avec L’Immanquable, Frédéric Bosser, le créateur de la revue DBD, tente un pari osé : proposer des prépublications d’albums en avant première et en intégralité sur trois ou quatre numéros. Surtout, L’Immanquable n’étant lié à aucun éditeur, les séries proposées seront puisés dans des catalogues différents, ce qui permettra de varier les genres et les thèmes. A priori ne seront publiés que des premiers tomes ou des séries dont les épisodes peuvent se lire indépendamment.

Question forme, L’immanquable va au plus simple : un dossier thématique, une courte interview d’auteur avant chaque titre publié et pour le reste, rien que des planches de BD. En gros, un tiers de rédactionnel pour deux tiers de prépublications.

L’air de rien, si on fait les comptes, l’amateur de BD un peu curieux a la possibilité de découvrir des nouveautés toutes très différentes à moindre frais. Chaque numéro coute 6,50 € et sept albums auront été prépubliés entièrement dès le 3ème numéro. 19,50 € pour lire autant de BD, difficile de faire mieux !

Personnellement, les deux premiers numéros sont dans ma PAL. Dès le 20 mars, je pourrais me lancer dans la lecture de sept nouveaux titres à paraître ou à peine parus en libraire. Peut-être de nouvelles découvertes à partager dans la BD du mercredi de Mango ?

Allez, pour conclure, un petit tour d’horizon des prépublications présentes dans le premier numéro :



Philip et Francis T2, par Veys et Barral (Dargaud)
Pavillon noir T1, par Corbeyran et Bingono (Soleil)
Les boucliers de Mars T1, par Chillet et Gine (Glénat)
Magasin sexuel T1, par Turf (Delcourt)
Un sac de billes T1, par Kris et Bailly (Futuropolis)
La légende d'Horacio d'Alba T1, par Le Gris et Siner (12Bis)
Les innocents coupables T1, par Galandon et Anlor (Bamboo / Grand Angle)

L’immanquable. Publication mensuelle. 144 pages. 6,50 euros.

mercredi 2 mars 2011

Légendes de la Garde T2 : Hiver 1152

Hiver 1152. Les souris qui vivent dans les territoires forment une communauté répartie entre différents villages construits en des lieux sûrs et cachés de la vue des prédateurs. Pour faciliter les échanges de marchandises et pour se protéger, les petits rongeurs ont créé en des temps immémoriaux un corps d’élite, la Garde. Ses membres forment des escortes, servent d’éclaireurs et de guetteurs. Ils protègent les frontières et sont surtout de farouches combattants. Après avoir déjoué la tentative de prise de pouvoir du félon Minuit (dans le tome 1), les souris affrontent un terrible hiver. Constatant le manque de vivres et de médicaments, Gwendoline, la matriarche de la Garde, envoi onze aventuriers affronter les dangers d’un environnement hostile pour assurer au plus vite le ravitaillement…

David Petersen est parti d’une idée toute simple : les souris, trop petites pour aller avec les autres animaux, ont formé une communauté capable de vivre en totale autarcie. Mais comment peuvent-elles survivre dans un monde où les prédateurs potentiels pullulent ? Réponse : en s’appuyant sur un corps d’élite prêt à tout pour protéger les siens. Sur ce canevas plutôt sommaire, il a su tisser une organisation politique et sociale cohérente tout en créant des personnages attachant aux caractères bien marqués. Surtout, il n’est pas tombé dans le piège disneyien consistant à faire de son récit une bluette sans saveur. Sa série s’adresse aux enfants mais il n’hésite pas à mettre en scène de terribles combats qui ne laissent pas les protagonistes indemnes. Ses souris souffrent, elles meurent. Leur environnement n’est pas doux et chaleureux, il est d’une grande rudesse. C’est aussi le décalage entre le dessin animalier très orienté « jeunesse » et le contenu parfois difficile qui donne un cachet vraiment particulier à ces Légendes de la garde.

Le dessin justement, parlons-en ! L’auteur propose un format de planche atypique, proche du carré. Il n’hésite pas à réaliser des cases énormes où les détails fourmillent et surtout ou aucune place n’est laissée à la moindre erreur de perspective ou de proportion sous peine de sauter aux yeux du lecteur. Résultat, c’est sublime, tout simplement. Le mouvement de la caméra est incroyablement fluide. Les plans se succèdent, plus emballant les uns que les autres. Tout y passe : très gros plan, plongée, contre plongée, illustration pleine page… Une vraie leçon de dessin au service de la narration qui évite l’écueil de la pure démonstration technique. Le travail sur les couleurs est lui aussi impressionnant. Les pages se déroulant à l’extérieur sous la neige font froid dans le dos et celles dans un obscur souterrain sont angoissantes à souhait. La restitution des ambiances en fonction des décors est proche de la perfection.

Pas grand-chose à ajouter. C’est beau, très beau. Pas original sur le fond, certes. Mais parfaitement mené et limpide dans sa construction. Je ne sais pas à quoi ressemblent les volumes en VO mais pour l’édition française, Gallimard a sorti le grand jeu : format carré, cartonnage épais, carte des territoires en page de garde, papier de très grande qualité, épilogue et bonus en fin d’ouvrage, bref, un objet livre magnifique.

Entre Tolkien et Béatrix Potter, un comics jeunesse d’une qualité exceptionnelle.

PS : la série a reçu en 2008 deux Eisner Awards, les plus prestigieux prix américains de la bande dessinée (prix de la meilleure publication jeunesse, prix du meilleur graphisme).

Légendes de la garde T2 : Hiver 1152 de David Petersen, Gallimard, 2011. 162 pages. 20.00 euros.

L’info en plus : Pour les amateurs d’originaux, sachez que David Petersen vend sur son site certaines de ses planches. Il faut compter plus de 300 dollars (hors frais de port). Certains fans français en ont déjà acquis et ne le regrettent pas tellement son travail en noir et blanc est éblouissant. Pour découvrir les travaux encore disponibles, rendez-vous sur la page officielle de Mouse Guard.








lundi 28 février 2011

Les murs, l'usine

Derrière les murs, il y a l’usine. Le bruit assourdissant, la cadence infernale. La fatigue. La machine à café et son jus dégueulasse. Quelques copains aussi. Et de temps en temps la satisfaction d’en voir un partir en retraite, même s’il est dans un sale état. Il y a aussi les cadres, les chefs, les sous-chefs, ces trous du cul qui font semblant de vous porter une quelconque attention mais qui s’intéresse uniquement au fait que vous produisiez le nombre de pièces prévues dans la journée. A l’usine, les satisfactions sont rares. Quand la bécane tombe en rade par exemple. Mieux, si on graisse la patte du régleur avec quelques confiseries pour qu’il fasse durer les réparations, on peut gagner deux heures. Finalement, l’usine, l’idéal, ce serait de la quitter. Mais comment faire quand on a rien entre les mains, pas un diplôme ?

Un homme porte un regard désabusé sur sa condition d’ouvrier. Pas forcément en colère ni revendicatif, il constate, tout simplement. Il passe en revue quelques moments forts qui viennent bousculer le train-train comme la grève ou les journées portes ouvertes. Il s’attarde aussi sur sa vie en dehors de l’usine : une femme, qu’il n’a sans doute jamais aimée. Une maîtresse qui le comble sexuellement. Et puis l’image du père, disparu depuis peu.

Le texte de Robert Piccamiglio me parle. J’ai eu la chance de passer quelques mois à l’usine pour payer mes études. Je dis la chance car rien ne m’a donné plus envie de réussir les concours qui font aujourd’hui de moi un petit fonctionnaire satisfait du métier qu’il exerce. Je me rappelle ces réveils au milieu de la nuit pour se retrouver, à l’aube, les yeux collés, debout devant une machine qui ne vous attend pas en vous demandant comment vous aller faire pour tenir le coup pendant huit heures. Et ces ouvriers, taiseux ou expansifs, coléreux ou un brin neurasthéniques, la plupart attachants.

Loin des clichés véhiculés par les journalistes, des discours formatés des politiques et des syndicalistes, Robert Piccamiglio, qui a passé plus de trente ans à l’usine, fait découvrir au lecteur la solitude et l’angoisse de l’ouvrier. De la littérature prolétarienne comme on n’en fait plus, dans la lignée des grands anciens, Navel et Poulaille et tête.

Les murs, l’usine de Robert Piccamiglio, Éditions Alphée, 2010. 220 pages. 19,90 euros.

L’info en plus : R. Piccamiglio avait publié un premier texte intitulé Chroniques des années d’usine aux éditions Albin Michel en 2002. La quatrième de couverture se passe de tout commentaire : La pluie et le froid du petit matin, l'odeur entêtante de la machine à café, la lenteur du jour ouvrable, l'attente du week-end et des congés, les photos de filles à poil que l'on regarde pour penser à autre chose... L'usine dont nous parle Robert Piccamiglio n'est pas celle des journalistes, des sociologues ou des patrons, ni même celle des "travailleurs", comme disent les leaders syndicaux. C'est un espace immense et hostile qui dévore le tiers de la vie d'un homme, une zone de bruit, d'angoisse et d'ennui, où il va falloir chaque jour se battre, attendre, rêver peut-être... Ces pages de solitude, de révolte, de secrète affection aussi, évoquent un monde totalement inconnu de la plupart d'entre nous. Parce qu'il n'arrive presque jamais, à cause du bourdonnement des machines et de la fatigue, qu'un ouvrier devienne écrivain.

vendredi 25 février 2011

Messire Dimitri

Yvette et Jules les poulets partent pour la première fois en vacances au bord de la mer. Une fois arrivés sur la plage, les consignes de la petite fermière sont claires : « Je ne veux voir personne s’éloigner de la plage, on ne va pas dans les rochers et, quand on n’a plus pied dans l’eau, on fait demi-tour et on revient… ». Mais Yvette et Jules vont désobéir et franchir les rochers pour trouver des coquillages. Quand la marée remonte, les petits poulets se retrouvent coincés par les flots. Ils devront leur salut à un albatros et à une baleine chanteuse…

A travers une histoire toute simple, Isabelle Bonameau embarque ses lecteurs dans une balade au long cours qui devrait les ravir. Ces poulets désobéissants sont accueillis avec une rare bienveillance par Dimitri, la baleine au grand cœur. Cette dernière symbolise le ventre maternel douillet et protecteur dans lequel rien ne peut arriver. Solidarité, entraide et gentillesse, voila en filigrane les thématiques abordées par ce petit texte.

Un titre idéal pour les enfants qui commencent à lire tout seul. La différence entre les dialogues et la narration est bien marquée tandis que l’interligne et la taille des caractères sont parfaitement adaptés. Un bémol toutefois, les nombreuses césures de mots en fin de ligne peuvent constituer un handicap pour ceux qui éprouvent encore quelques difficultés de déchiffrage.

Quoi qu’il en soit, les aventures maritimes d’Yvette et Jules devraient à n’en pas douter combler les amateurs de grand large.

Messire Dimitri d’Isabelle Bonameau, L’école des loisirs, 2011. 46 pages. 7,50 euros. A partir de 6 ans si on aime lire tout seul.



L’info en plus : Messire Dimitri est la troisième aventure des jumeaux Yvette et Jules. Les deux précédents, intitulés Le loup qui mangeait des bêtises et La soupe aux fraises sont parus respectivement en 2000 et 2007.

mercredi 23 février 2011

Tous à Matha T1 et T2

1967. Antoine a 16 ans, va au lycée et vit en région parisienne. Guitariste dans un groupe de copains, il voudrait aller camper avec eux sur l’île d’Oléron. Sachant pertinemment que ses parents ne le laisseront jamais partir seul, il les convainc de passer quelques semaines sur l’île dans une cabane appartenant à son oncle. Mais à peine arrivé sur place, Antoine les abandonne et file au camping. Il va y passer le plus bel été de sa vie avec Christelle, son premier amour.

Jean-Claude Denis revient avec un soupçon de nostalgie sur un moment clé de sa jeunesse. Un récit initiatique ou l’ado se construit, entre rejet de la figure parentale, désir de liberté et questionnement sur son avenir. Et puis, bien sûr, il y a les premiers émois, encore bien chastes et fort éloignés de la révolution sexuelle des années 70.

L’auteur revendique le coté anodin, banal, de ces souvenirs. Il dévoile son histoire par petites touches successives, un peu à la manière des impressionnistes. Chanter autour d’un feu, partager quelques moments d’intimité avec sa bienaimée, affronter les jeunes autochtones qui veulent se payer les parigots… Les scénettes se succèdent et tracent au final un tableau tout en simplicité.

Graphiquement, Jean-Claude Denis propose une ligne claire assez classique. Son travail sur les ombres et la lumière est par contre impressionnant. Époque oblige, un gros effort est fait sur les tenues vestimentaires : chemisette, tee-shirt manches longues ou gilet noir pour les garçons, petit top, maillot de bain une pièce ou pull marine pour les filles.

Un dytique plein de nostalgie qui rappellera sans doute bien des souvenirs aux jeunes retraités actuels. Une période charnière de la France du 20ème siècle, entre insouciance des trente glorieuses et bouleversements sociaux à venir.

Tous à Matha T1 de Jean-Claude Denis, Éditions Futuropolis, 2010. 64 pages. 16.00 euros.
Tous à Matha T2 de Jean-Claude Denis, Éditions Futuropolis, 2011. 64 pages. 16.00 euros.


L’info en plus : Fin mars 2011 paraîtra chez Drugstore L’ombre aux tableaux et autres histoires, recueil de 3 albums parus à l'aube des années 90 dans lesquels JC Denis porte un regard lucide et tendre sur le monde qui l’entoure.





lundi 21 février 2011

Danses de guerre

Un homme surprend un cambrioleur et la situation vire au drame. Un autre, persuadé d’être gravement malade, repense aux derniers jours de son père. Le fils d’un sénateur participe à une agression homophobe un soir de beuverie. Un apprenti journaliste doit rédiger sa première nécrologie… Six nouvelles en tout, entrecoupées de poèmes et d’aphorismes. Autant de variations sur des relations humaines compliquées où l’affrontement n’est jamais très loin.

Cela me fait mal au ventre de le reconnaître mais ce recueil de l’immense Sherman Alexie m’a déçu. Pour la toute première fois je ne referme pas un ouvrage de cet auteur en me disant qu’il a une fois de plus fait preuve d’un exceptionnel talent. Il y a eu Indian Blues et Indian Killer, ses chefs-d’œuvre. Il y a eu Phoenix Arizona, La vie aux trousses et Dix petits indiens, des recueils de nouvelles éblouissants. Et puis il y a eu Le premier qui pleure a perdu, le plus fabuleux roman de littérature jeunesse que j’ai lu ces dix dernières années. Mais là, avec ces Danses de guerre, la magie n’opère pas. Un manque de liant entre chaque texte. Certains apparaissent anecdotiques (La ballade de Paul Néanmoins, Effrayante symétrie), d’autres caricaturaux (Le fils du sénateur). Et l’insertion des poèmes entre les nouvelles n’apporte aucune valeur ajoutée.

Heureusement, tout n’est pas à jeter. Il reste quelques pépites où l’on retrouve le Sherman Alexie que l’on aime. Entre humour et colère, autodérision et fulgurances littéraires. La nouvelle qui donne son titre au recueil est sans aucun doute une des meilleures que l’auteur ait écrites. Un indien y revient sur la mort de son père, à priori tout sauf un modèle pour lui. Le texte se conclut par ces phrases sublimes : « Il me manque ce salaud d’alcoolo. C’est toujours de l’homme qui m’a le plus déçu que je me sentirai le plus proche

Danses de Guerre reste quand même dans l’ensemble ma première déception concernant Sherman Alexie. Mais finalement peu importe. Il y aura toujours une place dans ma bibliothèque pour les futurs ouvrages de cet auteur considéré à juste titre comme l’un des plus talentueux de sa génération.

Danses de guerre, de Sherman Alexie, Albin Michel, 2011. 195 pages. 19,00 euros.

L’info en plus : Danses de guerre a remporté le prix Pen-Faulkner 2010, décerné par la fondation du même nom à l'auteur américain de la meilleure fiction de l’année. Au palmarès depuis 1981, quelques grands noms devenus des incontournables : Philip Roth (3 fois), TC Boyle, James Salter, Don DeLillo, Richard Ford, Michael Cunningham ou encore John Updike.

vendredi 18 février 2011

Le potager de Lili

La souricette Lili et son ami Henri cultivent des légumes toute l’année. Janvier est le mois des choux-fleurs, février celui des poireaux, mars celui des salades… Les deux souris bêchent, protègent, désherbent, arrosent ou cueillent. Enfin surtout Lili parce que Henri est plutôt un jardinier maladroit et pas très courageux. Au final, les tout-petits découvrent, dans l’ordre, tous les mois de l’année et douze des légumes les plus courants.

La malice, la joie et la bonne humeur traverse l’album. La construction est simple et répétitive : une double page par mois, quasiment aucun décor et des illustrations minimalistes mais très parlantes où chaque légume se reconnaît au premier coup d’œil. Mais ce qui rend cet ouvrage vraiment unique pour les enfants c’est que l’auteur révèle ses secrets de fabrication et notamment la technique qu’elle utilise pour représenter les légumes. Les pages de garde finales expliquent très clairement la démarche à suivre (que je ne vous révèlerais pas !) et tout le monde peut la reproduire sans problème.

Le printemps va bientôt pointer le bout de son nez. Le potager de Lili est l’album idéal pour aider les tout-petits à identifier avec plaisir les différents légumes que l’on trouve au jardin au fil des saisons.


Le potager de Lili, de Lucie Albon, édition L’élan vert, 2011. 40 pages. 10,00 euros. A partir de 2-3 ans.



L’info en plus : Le Potager de Lili est le second ouvrage mettant en scène Lili et Henri. Le premier album de ses attachantes petites souris est paru l’année dernière et il s’intitule Souris Lili.

mercredi 16 février 2011

Doggy Bags T1

Une jeune femme est pourchassée à la fin d’un concert par des loups-garous bikers. Une tueuse à gage se bat contre des yakusas avec un bébé attaché dans le dos. Dans le désert d’Arizona, un flic traque un braqueur de station service. Trois histoires totalement différentes d’une trentaine de pages chacune où le scénario se résume à une attitude où à l’expression d’un sentiment : la peur, la fuite, la vengeance, le sens du devoir…

Après Ernest et Rebecca et les Souvenirs de Mamette, l’envie m’est venue de faire le grand écart (au niveau lecture de BD pas en vrai parce que sinon je ne vous raconte pas les dégâts, mais c’est une autre histoire). Place donc à un recueil plein de sueur et de testostérone, un recueil pour les mecs, les vrais, les tatoués (pas du tout pour moi en gros).

Doggy Bags est inspiré des Double Feature, ces séances de cinéma typiques des années 70 où l’on pouvait voir deux films de série B pour le prix d’un. Les références plus récentes sont apparemment à chercher du coté de Tarantino ou de Robert Rodriguez (Kill Bill ou Machete). Je dis apparemment parce que je suis une vraie buse au niveau cinématographique et je n’ai vu aucun des films précités. Pour moi, ce recueil se rapproche plutôt des comics comme les Contes de la crypte. Quoi qu’il en soit, comme tout recueil collectif qui se respecte, Doggy Bags souffre d’une certaine inégalité qualitative. La première histoire est très faiblarde niveau scénario et est aussi vite lu qu’oubliée. La seconde propose une héroïne d’une plus grande épaisseur psychologique mais le tout est un peu trop bavard à mon goût. A noter tout de même pour les fans de Freak’s Squeele que Florent Maudoux y met en scène la mère de Petit-Panda, l’un des personnages phares de sa série fétiche. Finalement, c’est le duel dans le désert d’Arizona imaginé par Run qui justifierait presque à lui seul l’achat du fascicule. L’ambiance est sombre, crépusculaire, la violence omniprésente et la pirouette finale fort bien trouvée. Un régal !

Graphiquement, si les traits des trois auteurs sont différents, la mise en page est à chaque fois ultra dynamique avec cadrages ébouriffants et découpage sans aucun temps mort. Je ne peux m’empêcher de citer une phrase tirée de la chronique parue le mois dernier dans le mensuel Casemate qui résume l’album mieux que tout grand discours : « Oubliez les tisanes nuit-calme, Doggy Bags se lit une bière à la main ». Et surement aussi avec la bande son adéquate, à savoir un rock’n’roll crasseux et dégoulinant hurlé par Lemmy, le chanteur de Motörhead.

Vous l’aurez compris, Doggy Bags ne fait pas dans la dentelle. La maquette est particulièrement soignée avec la superbe couverture vintage, les petites publicités décalées qui ouvrent chaque récit et le poster détachable en fin d’ouvrage. L’objet est beau et agréable à prendre en main. Après, pour ce qui est du contenu, disons qu’il s’adresse à des lecteurs avertis. Un projet éditorial original en tout cas qui mérite que l’on s’y attarde pour peu que l’on aime la BD dans toute sa diversité.

Doggy Bags T1 de Run, Maudoux et Singelin, Éditions Ankama, 2011. 112 pages. 13.90 euros.

Guillaume Singelin

Florent Maudoux

Mort ou vif, de Run

L’info en plus : Un second volume de Doggy Bags devrait paraître en septembre. Une parution semestrielle qui devrait être pérennisée si le succès est au rendez-vous. Affaire à suivre donc…




lundi 14 février 2011

La ballade de Gueule-tranchée


« Un nouveau-né apparu en ville, c’est le diable qui parle, maman doit le noyer. »

Ainsi commença la vie d’Early Taggart, dans un coin paumé de la Virginie Occidentale, en 1903. Une mère illuminée qui pense avoir enfanté un démon et décide de le baptiser en plein hiver dans les eaux d’une rivière gelée. Le nourrisson s’en sort miraculeusement mais il gardera à jamais les stigmates de cet acte de maltraitance. En effet, suite à ce terrible plongeon, le bébé développe une infection majeure au niveau de la bouche et des gencives qui lui vaudra le surnom de Gueule-Tranchée. Quand sa mère est arrêtée puis internée, l’enfant est recueilli par une bouilleuse de cru et grandit dans une maison nichée au pied des montagnes. Très vite, il développe des dons particuliers pour l’escalade et le maniement de la fronde. Devenu adolescent, il s’engage auprès des syndicats de cette région minière dans le conflit qui oppose ouvriers et patrons. Ses talents de tireur d’élite feront de lui un assassin qui, pour échapper aux poursuites, va se cacher pendant 25 ans dans la montagne.

Entre 1946 et 1961, revenu à la civilisation, Gueule-Tranchée devient successivement bluesman puis journaliste, couvrant notamment la campagne électorale de Kennedy dans sa région natale. Puis ce fut un retour à la vie sauvage pendant près de 30 ans, jusqu’au début des années 90…

Par où commencer pour vous présenter La ballade de Gueule-Tranchée ? Peut-être par le petit bout de la lorgnette avec le nom du traducteur. Il s’agit de Brice Mathieussent, ce qui, pour moi, est déjà un gage de qualité. Le monsieur est en effet, entre autres, le traducteur de John Fante, ce qui n’est vraiment pas rien. Mais bon, heureusement, le roman ne se limite pas à l’excellence de sa traduction. La vie d’Early Taggart, c’est de la littérature américaine pur sucre, pleine de souffle et d’énergie. L’écriture est fluide, les dialogues ciselés, les descriptions précises, la galerie de personnages inoubliable, bref tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce texte un petit bijou.

Bien sûr, l’auteur en fait trop avec ce centenaire capable de vivre totalement isolé dans une cabane à flanc de montagne. Mais on se laisse berner avec délice par le coté plus qu’improbable des situations parce que ça fait du bien de lire en 2011 un récit picaresque mettant en scène un héros digne des plus grandes figures de la littérature made in USA. On pense à l’Ignatius Reilly de JK Toole, au Bandini de J. Fante ou encore à l’Edgar Mint de Brady Udall.

Rendez-vous compte, La ballade de Gueule-tranchée est un premier roman ! Loin, tellement loin de l’autofiction à la française où les auteurs passent leur temps à se regarder le trou balle, qu’il est bon de découvrir un auteur capable de lâcher la bride pour révéler de formidables talents de conteur. J’espère vraiment que Glenn Taylor rencontrera le succès qu’il mérite.

La ballade de Gueule-tranchée, de Glenn Taylor, grasset, 2011. 348 pages. 20 euros.

L’info en plus : Je profite de ce billet pour annoncer officiellement ma participation au challenge Nature Writing de Folfaerie. Pour moi, une grande partie du roman relève du Nature Writing, notamment les périodes où gueule-tranchée vit seul dans les montagnes pendant plusieurs décennies. Et puis le récit, qui traverse le 20ème siècle, aborde la question de l’exploitation des ressources minières de la Virginie Occidentale qui a conduit à l’arasement des montagnes pour permettre la création de mines à ciel ouvert, ce qui a défiguré le paysage et entraîné la disparition d’une grande partie de la faune et de la flore. Bref, la Ballade de Gueule-tranchée peut tout à fait s’inscrire dans la tradition du Nature Writing même s’il ne se résume pas qu’à cela. Il représentera en tout cas ma première participation au challenge de Folfaerie.