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Roth © Gallimard 2012 |
Newark, New Jersey, 1944. L’Amérique
est en guerre mais Bucky Cantor, 23 ans, ne peut prendre part au conflit. A
cause de sa vue défaillante, il a été réformé. Jeune homme fort et athlétique, il
est responsable d’un terrain de jeu du quartier juif de la ville. Sous sa
responsabilité, des gamins suent toute la journée sous un soleil de plomb grâce
aux différentes activités physiques qu’il leur propose. Au cours de ce mois de
juillet suffocant, une calamité s’abat sur la ville. Une épidémie de polio se
déclare. Deux jeunes garçons du terrain de jeu meurent subitement. Le virus se
propage et la panique gagne les familles. Bucky veut résister au mal, il tente d’abord
de répondre de façon rationnelle aux questions des parents mais il constate
rapidement son impuissance devant le fléau qui ne cesse de s’étendre. Lorsque
sa fiancée l’invite à le rejoindre dans un camp de vacances en forêt, Bucky
hésite, conscient que sa place est à Newark, aux cotés de ceux qui souffrent.
Se laissant finalement convaincre de quitter les miasmes de la ville, il se
rend dans le cadre idyllique du camp où, malheureusement, la polio semble le
poursuivre…
Mon premier Roth qui sera aussi son dernier
puisque le romancier âgé de 79 ans a annoncé qu’il n’écrirait plus. Pour le
coup, on peut dire qu’il termine sa carrière en beauté.
Némésis est la déesse de la vengeance
qui veille à ce que les mortels ne tentent pas d’égaler les divinités. L’histoire
de Bucky relève incontestablement de la tragédie. Parce qu’il a tout pour être
heureux (la santé, une fiancée magnifique, un avenir radieux…) il subit un
châtiment infligé à ceux qui transgressent, fût-ce sans le savoir, les limites
humaines. En cela, son destin est en quelque sorte comparable à celui d’Œdipe. Autre
référence évidente à la lecture de ce roman,
La Peste de Camus. Même si l’auteur
de
L’étranger mettait en scène un combat et une résistance au fléau et que Roth
décrit plutôt la stupeur et l’abattement des victimes, les parallèles restent
nombreux.
La fatalité est au cœur du récit. L’écrivain
déroule une mécanique impitoyable ou le pessimisme et le désenchantement jouent
un rôle central. Bucky s’élève contre ce Dieu qui laisse périr ses enfants. En
brisant un jeune homme exemplaire, Roth fait voler en éclat les valeurs
supposées structurer nos sociétés : le devoir, le courage, la
responsabilité, le sacrifice. Ce faisant, il met en lumière un élément
fondamental qui nous concerne tous, la vulnérabilité. Le narrateur l’affirme :
«
il n’y a rien plus difficile qu’un garçon honnête démoli […] et privé
de tout ce qu’il avait passionnément voulu avoir ». Ce narrateur est un
des garçons du terrain jeu qui a survécu à la polio. Pour lui, «
la polio
a cessé d’être le drame de ma vie […] J’ai compris que j’avais vécu un été de
tragédie collective qui ne devait pas forcément devenir toute une vie de
tragédie personnelle ». Exactement l’inverse de la façon dont Bucky a
considéré les choses. Pour lui, au final, il ne reste que la culpabilité.
Un très grand roman américain, tout
en sobriété, qui raconte à la fois un paradis perdu et une idylle disparue.
Magistral !
Némésis de Philip Roth. Gallimard, 2012.
226 pages.
18,90 euros.