J’ai avalé mon verre cul sec et j’ai aussitôt compris que ce n’était rien de tout ça, mais vraiment rien du tout. J’ai plutôt eu l’impression qu’on venait de me chier dans la bouche en m’arrosant d’essence. »
Rien de mieux que ce petit extrait pour saisir la substantifique moelle de ce roman. On y boit beaucoup, pour ne pas dire en permanence. Tout le monde lève le coude, tout le monde s’y assomme à coup de tord-boyaux. Dans le troquet de Mado on pose ses fesses sur des tabourets poussiéreux, on trempe ses lèvres dans des verres crasseux que l’on repose sur un comptoir graisseux. On y croise une faune de soiffards venus dépenser le maigre salaire péniblement gagné en se cassant le dos à l’usine. L’alcool éteint ou excite, c’est selon. Il délie les langues, désinhibe les plus timides. Quand l’ambiance s’échauffe, on finit par se foutre sur la gueule. On casse le mobilier, on crie, on jure, on s’insulte. Jusqu’à l’arrivée des gendarmes, qui sont souvent aussi bourrés que les ouvriers qu’ils viennent tabasser à coups de matraque pour ramener le calme.
Ce roman ne dresse pas le portrait de la France d’en bas, il creuse jusqu’à la France d’en-dessous. Celle des paumés, des camés, des solitaires, des clochards célestes. Une France ou un pseudo médecin tient cabinet dans les chiottes d’un supermarché, une France où les loups rodent, où des fantômes de vaches éviscérées trainent au fond des bois, où des femmes bâties comme des armoires à glace croquent les verres à pleine dent après les avoir vidés et où les bergers peuvent se marier avec leurs chèvres. Une France de la cambrousse la plus profonde, pleine de mobile homes défraichis, « de magasins abandonnés ornés de pancartes à vendre, et de jardins remplis de ferraille rouillées et de vélos cassés. »
Bien sûr il y a une intrigue. Fine comme du papier à cigarette, qui nous raconte les mésaventures de Freddie revenant dans son village d’enfance avec son copain Didier pour se faire embaucher par une maman désespérée, persuadée que son gamin a été enlevé par des hippies.
Mais l’intrigue, on s’en fiche. Ce qui compte, c’est l’excès. Partout, tout le temps. Excès d’alcool, de personnages incroyables, de scènes improbables, de dialogues lunaires, de mélancolie, d’humour noir, de violence pure et d’odeurs immondes. Ce qui compte, c’est de se régaler d’un western rural délirant et sans temps mort. Ce qui compte, c’est d’être dans le brut de décoffrage, plus cinglant qu’un coup de trique sur les fesses blanches et crémeuses d’une fille de joie, plus abrasif qu’une ponceuse industrielle décapant le vernis d’un parquet en chêne. Ce qui compte, c’est d’avoir l’impression d’assister à un plan à trois entre Bukowski, Harry Crews et Jim Thompson. Ce qui compte, c’est d’avoir trouvé tout ce que j’aime en somme.
Un dernier ballon pour la route de Benjamin Dierstein. Les Arènes, 2021. 408 pages. 20,00 euros.
PS : âmes sensibles et vertueuses s’abstenir. Plutôt deux fois qu’une.
Je l'avais vu passer dans une "Masse Critique", et ce que tu en dis est alléchant... Je note! Merci pour le partage et bon dimanche à toi.
RépondreSupprimerC'est toujours un plaisir de partager de telles lectures.
SupprimerBeau billet pour un roman que je ne lirai pas mais que tu décris très bien.
RépondreSupprimerJe me doute que ce n'est pas du tout ton genre ;)
SupprimerJe suis contente que tu y trouves ton compte, mais clairement, ce n'est pas pour moi. (vertueuse ? plutôt sensible)
RépondreSupprimerLes sensibles peuvent passer également leur chemin, je te le confirme :)
SupprimerTa conclusion, en mariant les trois auteurs, vaut un prix d'excellence
RépondreSupprimerMerci du compliment !
Supprimerje savais qu'il allait te plaire ! pour moi non, car même s'il y a bien des paumés, je n'accroche pas à cette vision encore plus pessimiste où tout est à l'excès, mon naturel optimiste ne le supporte pas mais par contre j'adore te lire et voir ton enthousiasme !
RépondreSupprimerC'est vrai que me concernant l'optimisme ne fait depuis longtemps plus partie de mon quotidien.
SupprimerTu n'as pas fini saoul une fois la lecture terminée ?
RépondreSupprimerNon, je suis resté sobre de bout en bout
Supprimerça pourrait me plaire ... merci
RépondreSupprimerJ'en suis rvai.
SupprimerBonsoir,
RépondreSupprimeroui mais au fond n'est-ce pas trop ?....
Et n'a(ton pas au fond la gueule de bois comme tout ce qui se consomme à l'excès ?
Moyennement inspirée j'aime ... la subtilité
Par contre j'aime lire ton avis hihihihi
Bisous
Pour la subtilité il faut clairement aller voir ailleurs :)
SupprimerJe ne sais pas pourquoi, dès les premières lignes, j'ai pensé à Bukowski.^^ Et les deux autres que tu cites semblent tomber sous le sens aussi. Bref, c'était pour toi.:)
RépondreSupprimerVoila, c'était à 100% un roman pour moi !
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