Lepage © Futuropolis 2011 |
En mars 2010, Emmanuel Lepage et
son frère photographe passent un mois à bord du Marion Dufresne, un navire assurant
le ravitaillement et la relève de personnel des TAFF (Terres australes et
antarctiques françaises). De la Réunion aux Kerguelen en passant par St Paul et les îles Crozet, le dessinateur découvre la fureur des 40èmes
rugissants et des 50èmes hurlants et vit une incroyable aventure
humaine vers « le bout du bout du monde ». A bord du bateau, des
scientifiques, des militaires et quelques touristes triés sur le volet. Lepage
décrit l’expérience de manière linéaire et chronologique, réalisant des portraits,
recueillant des témoignages et croquant sur le vif la faune et la flore propres
à chaque île. Il s’autorise aussi quelques flash-backs historiques sur l’histoire
de certains lieux emblématiques (notamment les Kerguelen) et s’attarde le plus
souvent sur les menus détails qui régissent la vie à bord, focalisant son
attention sur les liens qui se créent à l’intérieur de ces petites communautés
isolées. La tension est souvent palpable dans cet univers clôt mais au final l’entraide
et la fraternité demeurent les garants d’une certaine forme de stabilité.
Le dessin, tantôt au pastel, à l’aquarelle
ou au fusain, est somptueux. Le rendu de la texture de l’eau, sa transparence,
le jeu sur la lumière, tout est magnifique. Lepage a établi un code simple pour
que le lecteur s’y retrouve entre ce qui a été dessiné sur place et le reste :
la couleur pour les croquis d’après nature, le sépia pour les flashs-back et le
lavis en noir et blanc pour le présent du récit.
Hommage à la France du bout du
monde et aux hommes qui y consacrent une bonne partie de leur vie, Voyage aux
îles de la Désolation n’est pas qu’un simple carnet de voyage, loin de là. Si je devais le comparer avec Un
printemps à Tchernobyl, il me semble que je préférerais quand même ce dernier.
Sans doute pour son coté plus introspectif. L’expérience menée en Ukraine a
quelque chose d’intime, c’est une réflexion très personnelle alors que ce récit
maritime est davantage tourné vers autrui. En soi, ce n’est pas un défaut mais
cela me touche moins. Ne vous méprenez pas pour autant, cet album reste une
pépite et si vous êtes en manque d’embruns et de dépaysement, vous ne trouverez
pas mieux pour respirer à pleins poumons l’air du grand large.