vendredi 6 mars 2020

Le livre des départs - Velibor Colic

Quel plaisir de retrouver ce cher Velibor Colic ! Après son excellent Manuel d’exil en trente-cinq leçons, il remet le couvert pour nous narrer ses pérégrinations de réfugié politique bosniaque débarqué en France en 1992.

Une fois encore, le personnage détonne. Du haut de son mètre quatre-vingt-quinze et de ses 110 kilos, Velibor cherche à trouver sa place. De l’Alsace à la Bretagne en passant par Marseille, le Brésil, la Suède et un rapide retour au pays natal, d’un CDD à la médiathèque de Strasbourg à un job de déménageur en Allemagne en passant par une résidence d’auteurs de quelques mois et des ateliers d’écriture en maison d’arrêt, Velibor enchaîne les aventures. Professionnelles, personnelles et littéraires. Amoureux des mots, il publie son premier roman en français (le fabuleux Archanges) en 2008. Amoureux des femmes, il collectionne les aventures et les désillusions. Amoureux de la dive bouteille, il traîne ses savates dans les bars pour écouter du jazz et se frotter aux piliers de bistrots de chaque ville où il pose ses valises.

Inutile de vous dire que je suis fan d’un tel personnage. Ses saillies verbales sont un régal, comme son autodérision, son regard sans concession sur l’administration, son ironie mordante, sa façon bien à lui de ne jamais oublier son statut d’exilé et sa définition de ce qu’est un écrivain, à savoir « une sorte d’ivrogne illuminé, un vagabond anarchiste sans foi ni loi. »  Et quand une amie lui demande s’il pense que tous les écrivains sont forcément des ivrognes, il lui répond du tac au tac : « Non, seulement les meilleurs. »

De courts chapitres, beaucoup de digressions, quelques aphorismes bien sentis, un humour mêlé de désespoir, une réelle souffrance sous le vernis du burlesque, il n’en faut pas plus pour me faire succomber.

Comment ne pas aimer un auteur ayant pour références absolues Fante, Bukowski, Hemingway, Henry Miller et Emily Dickinson ?

Comment ne pas aimer un homme qui, à propos de son statut de migrant, déclare sans amertume mais avec lucidité : « L’exil est bipolaire. L’exil est une balance aussi. Mesurer le poids métaphysique de nos gains et de nos pertes. Comparer sans cesse. Inventer en même temps son passé et son avenir. Échanger la citoyenneté pour un statut. » Et sur ses difficultés à maîtriser le français à son arrivée de Bosnie : « Je suis étranger juste par mon incapacité à parler la belle langue française. Réduit, anéanti, retourné dans l’illettrisme. Et c’était effroyable. Un homme qui ne dit jamais rien, qui ne sait rien, et qui est pauvre de surcroît, passe forcément pour un idiot. Une ombre. »

Une ombre lumineuse dont chaque livre m’a enchanté. Et celui-ci ne déroge clairement pas à la règle.

Le livre des départs de Velibor Colic. Gallimard, 2020. 180 pages. 19,00 euros.








30 commentaires:

  1. Ah oui, difficile de résister à cet homme, ses réflexions, sa manière de raconter ses expériences et son écriture...

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  2. Ses références me plaisent bien... mais bon, je ne sais pas si j'ai envie de biographies en ce moment.

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  3. Bel extrait. La plume de l'auteur est rejouissante. Je garde un excellent souvenir de ma lecture de Sarajevo Omnibus.

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  4. J'aime beaucoup les extraits et ce que tu en dis : c'est dans la même veine que Manuel d'exil que j'ai beaucoup aimé. Et que dire de l'auteur, écouté à Saint-Malo, si ce n'est qu'il est comme ses livres ! (il dialoguait avec Dany Laferrière, tu imagines : deux larrons en foire, mais avec des fêlures...)

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    1. Un échange entre lui et Dany Laferrière, j'aurais adoré voir ça

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  5. Evidemment, je vais le lire, tu penses bien, avec Vélibor, c'est une si longue histoire .... je vais attendre cependant de le rencontrer à Saint Malo en juin, je pense qu'il devrait être présent au festival cette année.

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    1. Tu le verras malheureusement pas cette année mais j'espère que tu le liras quand même au plus vite.

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  6. J'aime beaucoup le titre (je sais que c'est un détail mais cela compte beaucoup... pour moi !) et son nombre de pages est comment dire... hautement satisfaisant ! (Tu peux remarquer que certains de mes critères de choix ne concernent absolument pas le contenu d'une l’œuvre : c'est pas bien ! Je confirme et j'insiste!). Le héros a l'air barré (comme j'aime... enfin je ne parle pas de régime, là !), les courts chapitres (c'est parfait pour ma petite tête du moment)...
    Seul petit frein pour moi : les nombreuses digressions (s'il y en a trop, je me perds dans l'intrigue et ce n'est pas positif du tout).
    Mais quand même ! Ce titre et le nombre de pages me séduisent beaucoup ! (et ce que tu en dis aussi, bien évidemment !). Bises

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    1. Il n'y a pas d'intrigue à proprement parler, les digressions font partie intégrante du récit, elles ne perdent pas le lecteur en route, rassure-toi.

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  7. Encore un auteur à noter pour ma part, je ne connais pas, j'ai oublié ce que j'ai déjà lu sur les blogs, et je me dis qu'il ne faut pas que je passe à côté.

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  8. J'avais noté l'auteur, mais pas encore découvert, je mets mes note à jour !!

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  9. Oui, un nouveau Colic, c'est toujours une bonne nouvelle ! Et il ne faut pas grand-chose pour me convaincre..

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  10. Coucou,
    un auteur fait pour toi et je me souviens très bien de ce nom aux consonances bosniaques.
    Le livre semble court 190 pages mais sans doute un très bon condensé de son art.
    Bisous

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    1. C'est une bonne entrée en matière si on souhaite le découvrir.

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  11. Comme je ne suis pas surprise en effet que tu succombes ! Et ayant moi-même apprécié son "Manuel", je pourrais bien retomber à mon tour dans ses filets...

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  12. En tout cas, c'est Gallimard qui finit par donner la "colic" avec le prix de leurs livres... :)

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    1. Je reconnais qu'au vu de la pagination, c'est un peu cher.

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  13. J'aime beaucoup les citations. Noté.

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  14. Toujours se raccrocher aux valeurs sûres... il est fait pour toi ce type là :-)

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