vendredi 23 janvier 2015

Bleu éperdument - Kate Braverman

On ouvre ce recueil de nouvelles avec une femme qui se souvient de la petite fille qu’elle était et de sa mère, poétesse l’ayant éduqué de « façon excentrique selon une méthode de son cru ». On poursuit avec Erica et sa fille Flora, l’année de Tchernobyl, s’ennuyant à mourir au cours d’un hiver pluvieux. Puis on croise le chemin d’une écrivaine cocaïnomane harcelée par un type dont la toxicité s’avérera bien supérieure à celle de la drogue. Il y a aussi dans ce recueil Joan Moore, fêtant son quarantième anniversaire à Hawaï et bien décidée, enfin, à quitter son mari, Laurel Sloan, qui repense aux années d’université où elle écoutait Dylan à plein volume, Suzanne Cooper, fraîchement divorcée et en pleine reconstruction ou encore Jessica, aussi riche que désœuvrée…

Des portraits de californiennes au bord du précipice. Des femmes seules, désespérées, neurasthéniques, fréquentant les Alcooliques Anonymes. La mélancolie suinte à chaque page, les illusions perdues ne faisant qu’attiser les regrets. L’héritage des années hippies a laissé chez beaucoup de douloureuses cicatrices qu’elles traînent comme un boulet alors que le 21ème siècle approche à grands pas.

Ça pourrait (ça devrait même) être totalement plombant si la langue de Kate Braverman n’était pas aussi belle. « Sensuelle et luxuriante », précise la 4ème de couverture, j’avoue que ce n’est pas faux, même si c’est finalement beaucoup plus que ça : « La vallée est une gigantesque plaine qui s’étire indéfiniment jusqu’au pied des montagnes infécondes et hallucinatoires. Cette vallée abrite les tombeaux ouverts de femmes à l’aube du millénaire. C’est un vrai quadrillage de pavillons agglomérés en lotissements, où vivent des femmes soit seules, soit avec leurs enfants. Des femmes empêtrées dans une dépression nerveuse mais plus à même de payer leur traitement. Des enfants qui laissent derrière eux leurs maisons de poupée et leurs leçons de violon pour s’installer dans des immeubles où les voisins ne parlent pas la même langue qu’eux. »

Ou encore : « Elle a trente-sept ans, elle est divorcée, l’ex-femme de Jake, la mère de Stéphanie et Mark. Elle est membre des Alcooliques Anonymes. Elle est sobre. Elle ne boit plus, plus jamais. Cette année, ses enfants passeront le réveillon et le jour de Noël avec elle. Plus jamais elle ne s’endormira en laissant une cigarette allumée dans le cendrier, plus jamais elle ne s’évanouira dans le jardin en chemise de nuit. Elle ne fume plus et elle n’a plus de jardin. On peut compter sur elle maintenant. […] Elle est en passe de devenir le genre de femme qui met de la monnaie dans les parcmètres et poste ses cartes de vœux en temps et en heure. Elle est en train de devenir le genre de femme qu’on peut contraindre à s’exiler dans un appartement à Santa Monica en sachant qu’elle s’y pliera dans la plus grande discrétion, en toute dignité. Elle est le genre de femme qu’on peut bannir à moindre frais. »

Un magnifique recueil et, pour l’amateur de nouvelles que je suis, la découverte d’une voix envoûtante.

Bleu éperdument de Kate Braverman. Quidam, 2015. 245 pages. 20,00 euros.








26 commentaires:

  1. Je note ! Je n'arrête pas de me dire que je dois lire des nouvelles !

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  2. Repéré et demandé à Masse critique hier, mais parmi d'autres, on verra lequel je reçois... si j'en reçois un. Je vois en tout cas que j'avais bien fait de le repérer !

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  3. ouh que ton billet est beau et com il donne envie ... je note ! merci merci ...

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  4. Ca fait vachement envie ! Et j'adore les nouvelles :-)

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  5. Pffffff....... Et je les lis quand toutes ces belles choses que tu déniches moi ? Je veux des journées de 48h !

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    1. Toi, c'est des journées de 72 heures qu'il te faudrait !

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  6. Tu es infernal, repéré aussi à MC mais j'ai choisi autre chose ! Tsss ! Un style qui me plaît beaucoup même si ce doit être un peu plombant !^^

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  7. Hmmm... non mais cette fois je résiste. La couverture aurait pu me faire vaciller en plus de ton billet mais je sors le joker "recueil de nouvelles" qui me permet de me raisonner.^^

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  8. Déjà, j'adore le titre. Ensuite, je suis conquise par ton billet. Je note.

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  9. J'aime les nouvelles, j'aime les portraits de femmes, j'aime le titre et j'aime les extraits présentés. Comment pourrai-je passer à côté ?

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  10. Tu me tentes beaucoup! Je retiens le nom de cette auteure!

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    1. Elle a déjà publié un titre précédemment chez le même éditeur.

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  11. Fan de nouvelles aussi, je note pourtant les thèmes ne sont pas faciles

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    1. Non, les thèmes sont durs, je ne vais pas le nier, mais l'écriture vaut vraiment le coup d’œil.

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  12. Très très tentant, je note ! :)

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  13. Ah mais ce titre (et ce que tu en dis) me fait diablement envie.
    J'étais passée à côté de ce billet...

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    1. Je me disais en le lisant qu'il avait tout pour te plaire.

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