Je suis un lecteur curieux c’est bien connu. Un touche-à-tout adepte du grand écart. Alors forcément, le lancement d’une nouvelle collection combinant BD et sociologie ne pouvait me laisser insensible. J’aurais pu découvrir les coulisses des métiers du bâtiment, de la grande distribution ou des compagnies aériennes (sujets abordés dans les autres titres de cette collection) mais j’ai dû me contenter de la pornographie puisqu’il n’y avait que ce titre de dispo sur les rayonnages de ma librairie. Un heureux hasard sans doute.
Ici, c’est évidemment moins le sujet que son traitement qui m'a intéressé (vraiment, je vous jure !). Se basant sur l’enquête sociologique publiée en 2013 par Mathieu Trachman («
Le travail pornographique »), Lisa Mandel a imaginé une fiction parfaitement ancrée dans la réalité du terrain. Nous suivons donc le parcours d’Howard, vigile de centre commercial et amateur de porno en ligne, qui se fait engager sur un tournage amateur et commence une balbutiante carrière d’acteur, découvrant que l’autre côté du miroir n’est pas aussi reluisant qu’il l’imaginait.
Howard comprend vite que le porno, chez les amateurs du moins, fonctionne beaucoup sur des demandes ponctuelles auxquelles il faut se plier pour vendre : «
femmes matures et épilées », «
petite jeune et poilue », «
tatouée ou avec des piercings », etc. Des effets de mode fluctuants difficiles à anticiper. Howard comprend aussi que sa couleur de peau le handicape dans la mesure où nombre d’actrices refusent de tourner avec des hommes noirs. Il doit donc se contenter du créneau
Il lui faudra profiter d'une opportunité en Espagne pour pouvoir enfin se plonger dans un tournage professionnel digne de ce nom où le réalisateur offre d’emblée une leçon de cinéma X
Un réalisateur qui ne se voile pas la face, bien conscient de ne pas être Spielberg et parfaitement au clair par rapport à ses intentions
J’ai appris beaucoup d’autres choses sur cet univers si particulier, notamment que l’acteur refusant de prendre du viagra ne peut se permettre la moindre panne sous peine d’être cloué au pilori, que les stars dont la photo sur une jaquette assure le succès d’un film jouent de leur notoriété pour faire grimper les cachets (comme dans le cinéma traditionnel d’ailleurs), qu'il n'y a que très peu de place pour le plaisir tant chaque position se doit d'être acrobatique afin de fournir les meilleurs angles de vue à la caméra ou encore que les acteurs du porno, souvent payés au noir et n’étant de toute façon pas considérés comme des intermittents, n’ont pas droit au chômage. Lisa Mandel a trouvé l’équilibre parfait entre sérieux et légèreté, elle aborde toutes les thématiques (hygiène, sexisme ambiant, difficulté de retrouver une existence "normale" après le terme de sa carrière...), sans complaisance ni jugement.
Certains passages sont aussi très drôles, comme cet échange entre actrices après une virée shopping où la première, débutante, s'étonne agréablement d'avoir à porter des choses plus sexy que vulgaires tandis que l'autre, expérimentée, s'empresse de lui préciser l'image qu'elles sont censées renvoyer. Parfois, la nuance est ténue mais d'importance...
C'est parfois cru (j'ai beaucoup aimé la leçon de "gorge profonde"), jamais gratuit, sans le moindre faux semblant et loin de tout voyeurisme ou de toute apologie. Un ouvrage pertinent qui décortique une industrie, certes particulière, mais répondant finalement à une logique capitaliste des plus classiques. Pour moi qui ne connaissais absolument rien au porno (on arrête de rire au fond !), la lecture s'est révélée fort instructive. Je vais peut-être enchaîner avec la grande distribution ou les métiers du bâtiment du coup, ne serait-ce que pour prouver aux mauvaises langues que le choix de ce titre en particulier relève bien du pur hasard et que mon insatiable curiosité me pousse à découvrir d'autres enquêtes sociologiques de terrain dans des domaines fort différents. Non mais !
La fabrique pornographique de Lisa Mandel (d'après une enquête de Mathieu Trachman). Casterman, 2016. 164 pages. 12,00 euros.
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Premier mardi de septembre et retour de l'incontournable
rendez-vous de Stephie, avec un nouveau logo absolument splendide. |