vendredi 14 octobre 2011

Les schtroumpfs 11 : les schtroumpfs olympiques

Le schtroumpf costaud est le seul du village à pratiquer des activités sportives. Le fait de n’avoir aucun adversaire lui enlève toute motivation. Comme il l’avoue lui-même : « à schtroumpfer sans péril, on schtroumpfe sans gloire ». Le grand schtroumpf lui propose d’organiser des jeux pour créer une émulation au sein de la communauté. Cette perspective n’enchante pas grand monde. Il faut la promesse d’un baiser de la schtroumpfette au vainqueur pour que les candidatures se multiplient. Et c’est après un entraînement pas toujours très sérieux que les jeux sont enfin ouverts. Le schtroumpf chétif, de loin le moins sportif des participants, multiplie les succès. Faut-il y voir un lien avec l’étrange mixture confectionnée par le grand schtroumpf qu’il porte sur le nez ? (qui a dit dopage ?)

Pour beaucoup de fans des schtroumpfs, ce 11ème épisode marque un tournant. Avec cet album, la qualité baisse de plusieurs crans. Comme si la série basculait de façon définitive dans la médiocrité, son créateur étant plus attiré par les produits dérivés et les revenus publicitaires que par la création artistique. Je ne partage pas totalement cette analyse. Pour moi, c’est avec Le bébé schtroumpf (l’album suivant) que le niveau a franchement baissé. C’est un fait, Les schtroumpfs olympiques ne brille pas par la folle originalité de son scénario. Tout y est très gentillet et cousu de fil blanc. Et contrairement aux chefs-d’œuvre de la série (Le schtroupfissime, Schtroumpf vert et vert schtroumpf), le propos n’a aucune épaisseur et ne contient pas plusieurs niveaux de lecture. Mais tout de même, l’humour est toujours présent (les runing gags autour de l’arbitre schtroumpf à lunettes sont franchement drôles) et la narration d’une grande fluidité. Niveau dessin, Peyo fait du Peyo et c’est du haut niveau : mimiques des schtroumpfs, dynamisme des scènes où se déroulent les épreuves sportives, précision des décors… l’ensemble reste très fignolé.

Je garde un excellent souvenir de cet album. J’avais 8 ou 9 ans quand je l’ai lu la première fois et aujourd’hui encore je me rappelle par cœur de certains passages. Cela montre à quel point les schtroumpfs ont « imprégné » ma mémoire de jeune lecteur. Je veux bien que les adultes considèrent avec un certain mépris Les schtroumpfs olympiques, mais il ne faut pas oublier que cet album à remporté le prix Essentiel Jeunesse à Angoulême en 1984, un prix décerné par les enfants eux-mêmes. Une BD jeunesse récompensée par le public auquel elle s’adresse, n’est-ce pas là un solide gage de qualité ?


Les Schtroumpfs T11 : Les schtroumpfs olympiques, de Peyo, Dupuis, 1979. 48 pages. 10.45 euros.



Le Roaarrr challenge de Mo'
(Fauve) Alfred Enfant 1984


mercredi 12 octobre 2011

Hamelin

Tout commença au mois de mai 1284 dans la bonne ville d’Hamelin. C’est à cette époque que des rats envahirent les rues de la cité. Le bourgmestre engagea tous les dératiseurs de la région, mais rien n’y fit. Ce n’est que lorsqu’un pauvre bougre fut dévoré par les rongeurs que l’on se décida à faire appel à un spécialiste de grande renommée. Ce dernier arriva avec sur l’épaule un étrange furet. Il compta 400 000 rats et promis de les faire disparaître contre cent ducas en or. Les notables acceptèrent le marché du bout des lèvres et le dératiseur se mit au travail. Armé d’une simple flûte, il attira tous les nuisibles avec une mélodie quasi inaudible pour l’homme et les fit se précipiter dans le fleuve qui bordait la cité. Le lendemain, lorsqu’il réclama son dû, le bourgmestre ne lui donna que dix ducas et le chassa sans ménagement. Quelques temps plus tard, le musicien réapparut et, à l’aide de sa flûte, il envouta littéralement tous les enfants d’Hamelin. Il les emmena avec lui loin de la ville et personne, jamais, ne les revit.

Tout le monde connait l’histoire du joueur de flûte de Hamelin. Un conte cruel, à la morale douteuse, où l’inconséquence des adultes précipite la chute des pauvres enfants innocents. Ce texte aux innombrables versions a connu de multiples interprétations. La première, fait du joueur de flûte un pervers pédophile qui charme les enfants pour mieux les abuser. Dans la seconde, c’est le manque de considération pour l’artiste, le mépris affiché face à un art mineur (la musique) et à un mode de vie trop anticonformiste (la bohème) qui pousse les notables à traiter le joueur de flûte comme un moins que rien, ce qui entraîne son terrible courroux. Une troisième interprétation associe les rats à la figure du diable. Pour vaincre le malin, il faut un magicien lui-même un peu diabolique. Mais le non respect de la parole donnée et la rupture du contrat « moral » passé entre les édiles et le joueur de flûte entraîne une malédiction qui frappera en premier lieu les enfants. Il y a sans doute des tas d’autres sens à donner à ce conte. L’intérêt de cette adaptation en bande dessinée tient au fait que l’auteur à en quelque sorte synthétiser ces différentes approches.

André Houot a eu l’intelligence « d’épaissir » le propos. Dans son récit, les deux enfants qui échappent à la rafle du musicien ne sont pas un boiteux et un aveugle mais un boiteux et une jolie pucelle. Cette différence à priori anecdotique  donne en fait une force nouvelle à l’intrigue. Et puis pour ce qui est du dessin, j’aime autant vous dire que ça ne rigole pas. On est dans le haut de gamme. Évidemment, on pense à Bourgeon et ses Compagnons du crépuscule. Mais en introduction, l’auteur cite également comme influence Albrecht Dürer, le célèbre peintre et graveur allemand. Résultat, l’ensemble fourmille de détails, les plans larges montrant des scènes de foule sont impressionnants, sans parler des décors urbains où l’architecture Moyenâgeuse est somptueusement représentée. Les couleurs de Jocelyne Charrance sont au diapason et plongent littéralement le lecteur au cœur de l’époque.

Un conte revisité de la plus belle des façons, avec talent et application. André Houot se qualifie d’artisan de la BD. Un artisan à l’ancienne qui pourrait en remontrer à nombre de tâcherons se contentant du trait le plus succinct possible et faisant tenir l’ensemble de leur scénario sur un post-it. Tout ça pour dire que j’ai beaucoup aimé et que cet album constitue une belle occasion de redécouvrir un texte traditionnel sous un jour nouveau.


Hamelin d’André Houot, Éditions Glénat, 2011. 48 pages. 13.50 euros.


PS : si vous souhaitez découvrir une autre variation autour de ce conte, je vous conseille la lecture du roman Peter et Max de Bill Willingham qui n’est autre que le scénariste du comics Fables.






dimanche 9 octobre 2011

Rentrée littéraire 2011 (épisode 7) : La petite de Michèle Halberstadt

« A quoi bon vivre quand on craint à ce point d’être soi-même ? » C’est parce qu’elle n’a pas su répondre à cette question qu’une gamine de 12 décide d’en finir et avale tous les médicaments de la pharmacie familiale. Nous sommes en 1968. Pour la petite collégienne vivant en plein cœur de Paris, l’existence est devenue trop difficile depuis la mort soudaine et inattendue de son grand père adoré. Élève médiocre au physique peu avenant, en conflit avec sa mère et souffrant de la comparaison avec une grande sœur brillante, l’ado en souffrance ne peut trouver aucun réconfort auprès de qui que ce soit. Seule solution, aussi abrupte que définitive : en finir une bonne fois pour toute. Mais si, finalement, cette tentative de suicide était le premier pas vers une rédemption aussi inattendue que salutaire ?

Bon, comment dire cela gentiment ? Ce roman cucul la praline au possible enfonce des portes déjà ouvertes des centaines de fois. Tous les clichés s’empilent avec une confondante naïveté : la petite est moche, mal dans sa peau, confrontée au décès d’un proche, en conflit ouvert avec sa mère, sans aucun ami et incomprise par ses enseignants. Rajoutez un oncle juif cupide et sans cœur et le tableau sera complet. Et encore, je ne vous parle pas de la conclusion, par trop idyllique. Un point positif tout de même, l’écriture est fluide et plutôt agréable, même si les mots de l’enfant ressemble trop souvent à des mots d’auteur.

Bref, tout ça pour dire que je n’ai pas trouvé grand-chose à sauver de cette guimauve bien fade. A peine 150 pages, aussi vite lues qu’oubliées. Candidat suivant !

La petite de Michèle Halberstadt, Albin Michel, 2011. 148 pages. 12,90 euros.


vendredi 7 octobre 2011

Les tuniques bleues 55 : indien, mon frère

Rien ne va plus chez les nordistes. Harassés par les charges incessantes de leurs cavaliers, les chevaux sont au bord de l’épuisement et le renouvellement des troupes est plus que nécessaire. Problèmes, les montures sont devenues une denrée rare. Seuls les indiens du sud du Texas en possèdent encore en nombre suffisant. Blutch et Chesterfield sont donc chargés d’aller en territoire comanche pour récupérer un important troupeau. Mais pour cela, ils doivent traverser une région aux mains des confédérés. Déguisés en colons, ils se lancent une fois de plus dans une périlleuse mission.

Pour leur 55ème album, rien ne change chez les tuniques bleues. Le duo composé de Blutch, le tire au flanc antimilitariste, et du teigneux sergent Chesterfield n’arrête jamais de s’astiquoter. Les sudistes sont toujours d’affreux crétins violents et bornés tandis qu’à Fort Bow, la fragile Miss Appletown apporte une dose de charme dans ce monde de brutes. A nouveau, un personnage ayant réellement existé est inséré dans l’histoire. Après le docteur Mary Edward Walker dans l’épisode précédent, c’est le terrible colonel sudiste James Bourland, surnommé le « bourreau du Texas » qui est cette fois-ci sous le feu des projecteurs. Cette propension à mélanger des faits historiques avérés avec de la pure fiction est aussi une des caractéristiques redondantes de la série (comme dans Lucky Luke d’ailleurs).

Difficile de renouveler une formule qui marche, surtout quand le sujet, déjà décliné une cinquantaine de fois, commence à s’épuiser sérieusement. Au scénario, Cauvin en fait trop. Fort Bow, les confédérés, les indiens, la découverte d’un frère jumeau pour Blutch… les événements s’enchaînent trop vite et l’ensemble souffre d’un manque d’épaisseur. Prisonniers du carcan des 44 planches typiques de la BD franco-belge à papa, les auteurs doivent parer au plus pressé pour pouvoir caser les nombreuses péripéties en si peu de pages. Résultat, tout cela se lit trop vite et laisse en bouche un arrière goût d’inachevé. Heureusement, aux pinceaux, Lambil fait toujours merveille. Son trait semi réaliste se reconnaît au premier coup d’œil. Le découpage est fluide et même quand le nombre de personnages est important les différentes scènes restent très lisibles.

Depuis sans doute trop longtemps, les tuniques bleues ronronnent. Le cercle de fans fidèles restent très important et permet à la série de demeurer au firmament du catalogue Dupuis, mais difficile d’imaginer que de nouveaux lecteurs pourront être séduits par ce 55ème albums si peu original.


Les Tuniques bleues T55 : indien, mon frère de Lambil et Cauvin, Éditions Dupuis, 2011. 48 pages. 10.45 euros.

mercredi 5 octobre 2011

America

Cane Ridge, Kentucky, 1801. Un couple de pionniers du Far West participe à un rassemblement religieux réunissant des dizaines de milliers de personnes. Persuadés que la puissance divine va se manifester, ils sont emportés par la folie mystique qui envahit les lieux.

En 1886, dans l’Idaho, une communauté de mineurs ayant créé la ville de Solomon’s Gulch se déchire et bascule dans la folie par pure avidité.

Au début des années 1920, une équipe de baseball juive sillonne les Etats-Unis et doit faire face à l’antisémitisme ordinaire. En mal de liquidités, les Stars of David créent de toutes pièces un Golem pour attirer la foule à leurs matchs.

Les trois récits regroupés dans ce recueil plongent leurs racines au cœur du folklore américain. Religion, argent et Baseball : James Sturm revisite la sainte trinité du pays de l’oncle Sam. L’amertume est le sentiment qui traverse ces trois "nouvelles graphiques". Peuplée d’illuminés cupides, violents et racistes, cette Amérique là n’est pas belle à voir. Mais au-delà des faits avérés qui ont servi de trame à chaque histoire, l’auteur expose une vision très contemporaine de son pays. Car après tout, rien n’a vraiment changé. Et en utilisant le passé pour mieux éclairer le présent, James Sturm démontre que ces maux américains font en quelque sorte partie de l’ADN de son pays. Le propos est donc assez désespéré. Difficile de voir d’où pourrait provenir la lumière. Une œuvre atypique que certains pourront qualifier de lucide. Pas sûr pour autant que cette vision du pays soit partagée par beaucoup d’américains.

Ces trois histoires ont été réalisées à trois périodes différentes (1996, 1998 et 2001) et le fait de les réunir en seul volume permet de voir l’incroyable évolution graphique de James Sturm. Dans The Revival, la plus ancienne, le trait frôle l’amateurisme. Le noir et blanc est brouillon, les personnages semblent raides comme des poteaux, bref, c’est franchement moyen. Dans la seconde, le trait charbonneux s’affine et l’utilisation des ombres est beaucoup plus pertinente. Dans la dernière, l’évolution est encore plus palpable. Même si le trait reste épais, il se rapproche de la ligne claire et est beaucoup plus lumineux. Sans compter que l’utilisation des teintes grises donne davantage de caractère à l’ensemble. Au niveau du découpage, on est dès le départ dans une narration très maîtrisée. Je ne sais pas si James Sturm s’est beaucoup inspiré de Will Eisner, mais force est de reconnaître qu’il sait raconter une histoire en bande dessinée.

Pour finir, un mot sur le travail de l’éditeur. Un grand merci aux éditions Delcourt qui permettent aux lecteurs français de découvrir une œuvre plus proche de l’underground que des productions grand public. Une certitude, ce recueil ne fera jamais partie des meilleures ventes. Mais pour ceux qui aiment les BD singulières de grande qualité, vous pouvez foncer les yeux fermés.

PS : le swing du Golem a été récompensé du titre de roman graphique de l’année 2001 par le Time.

America, de James Sturm. Delcourt, 2011. 192 pages. 19 euros.

The revival (1996)


Cent pieds sous la lumière du jour (1998)

Le swing du Golem (2001)





mardi 4 octobre 2011

Le premier mardi, c'est permis (1) : Anthologie littéraire de la fellation

Le premier mardi, c’est permis. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Stephie. Le premier mardi de chaque mois, on peut parler d’une lecture inavouable, le genre de lecture dont on n’est pas fier et qu’on préfère garder pour soi. Pour ma première lecture inavouable, j’ai choisi l’anthologie littéraire de la fellation parue aux éditions Blanche au mois de mai. J’ai découvert ce titre grâce à Clara Dupont-Monod dans la matinale de Canal + (ça fait toujours bien de citer ses prescripteurs pour un bouquin pareil, question de respectabilité). Je l’ai évidemment commandé sur une libraire en ligne (pas question de passer devant la caisse de ma libraire préférée avec un opuscule au titre aussi sulfureux, toujours question de respectabilité). Heureusement, le recueil est tout petit (17 x 12 cm) et sa couverture d’une grande sobriété. Idéal pour le trimballer partout dans la poche de sa veste et le lire en toute discrétion au grand air.

Bon, pas la peine de vous faire un dessin, deux petites définitions de mon copain Robert suffiront. Anthologie : n.f. Recueil de morceaux choisis en prose ou en vers. Fellation : n.f. Acte sexuel consistant à exciter les parties génitales masculines par des caresses buccales. Mettez ces deux mots ensemble, intercalez entre eux l’adjectif littéraire et vous obtenez un recueil de 220 pages contenant 60 petits textes exclusivement dédiés à la fellation.

Sympa, mais plutôt répétitif. Pour éviter de s’ennuyer, il ne faut pas tout s’enfiler d’un coup (euh...). Disons que c’est typiquement le genre d’ouvrage dans lequel on vient picorer de temps en temps. Personnellement, il m’a fallu plusieurs semaines pour arriver au bout. Il faut dire que l’originalité n’est pas la qualité première de cette anthologie. Les « parties génitales masculines » comme le dit Robert sont souvent décrites avec les mêmes mots (en même temps, il n’y a que dans les dictionnaires d’argot que l’on trouve des dizaines de façons de parler d’une bistouquette). Et puis si le décor change, l’activité pratiquée est toujours la même.

Une constante en littérature lorsque l’on met en scène une fellation, c’est que tout le monde avale, comme si c’était la conclusion naturelle et obligatoire de l’acte. Autre constante, l’imagerie propre à l’éjaculation : explosion, flot de semence, giclée, inondation, jaillissement, petits jets, le lexique reste finalement très réduit. Certains sont toutefois plus poétiques : « J’avale soudain la houle, puis essuie de mes doigts d’étoile de mer l’écume de ton sperme mourant un peu sur mes lèvres. » (Astrid Schilling). C’est d’ailleurs bien là que peut se jouer la différence entre tous ces textes : sur la qualité de l’écriture. Malheureusement, il y a peu d’auteurs « classiques » dans cette anthologie. Apollinaire, Henry Miller, Alberto Moravia, Verlaine, Maupassant, Pierre Louÿs. 10% seulement. Le reste, c’est très moderne et pas toujours très bien écrit. Résultat, l’ensemble est bancal. Très homogène pas rapport au sujet traité (difficile de faire autrement) mais trop hétérogène qualitativement parlant. Une lecture agréable sans plus, à pratiquer avec parcimonie.


Anthologie littéraire de la fellation, éditions Blanche, 2011. 220 pages. 13,50 euros.

PS : un détail amusant tout de même, le recueil contient une chanson des Rita Mitsouko (La taille du bambou) que je ne connaissais pas du tout. Allez, je partage le texte pour les ignares dans mon genre qui ne connaitraient pas eux non plus. Et je partage le son à la fin de ce billet. Y a qu'à cliquer !

Ah, c'est beau, c'est chaud, c'est bon...
Cool... et agréable...
Cool... émouvant...
La taille du bambou
Pour faire une flûte
Et bien qu'elle jute
Toujours au goût du jour ?
Eh bien oui
C'est oui.


C'est une de ces choses
Que la vie propose
Et qui vaut le coup.
L'affaire est close
Une fois qu'on ose
On y prend goût.
Accélère, et stop
Accélère, accélère, accélère et stop !
Déccélère ! ... et ouf...


Et pourvu que ça dure très longtemps
On fait chanter l'instrument
Passe, repasse tout autour
Presse, caresse, refais le tour
Monte, et compte redescendre
Plonge, remonte par les méandres
De la longue et profonde et tendre glisse
Délice de se rendre à la base
Ecrase la phase dans un suspens
Resserre la chair dans une absence


Reprends doucement
Exagère dans la douceur
Mets d’la couleur
Agenouille et fouille un peu plus vite
Le flux monte au confluent des cuisses
Et ça glisse
Et c'est agréable, émouvant, hypnotisant...


Ce geste d'amour a-t-il toujours cours ?
Et bien oui ! C'est oui.






 
 
 





 

dimanche 2 octobre 2011

Le pigeon anglais - Stephen Kelman

Harrison Opoku a 11 ans. Élève de 6ème dans un collège de la banlieue sud de Londres, il a quitté depuis peu le Ghana avec sa mère et sa sœur pour s’installer dans un quartier où le multiculturalisme n’est pas un vain mot. Habitant un logement social dans une gigantesque tour, la famille Opoku évolue dans un environnement pas franchement joyeux, entourée de junkies, de dealers et de bandes d’ados n’hésitant pas à jouer du couteau à la moindre occasion. C’est d’ailleurs lorsqu’un jeune homme meurt poignardé à la sortie d’un fast food qu’Harrison et son copain Dean décident de mener l’enquête à la manière des meilleurs détectives. Malheureusement pour eux, le meurtrier n’aime pas les fouineurs…

Contrairement à ce que le résumé pourrait laisser croire, Le pigeon anglais n’est pas du tout un polar. Stephen Kelman donne plutôt dans le roman de mœurs en dressant le portrait d’une jeunesse en perdition dans les faubourgs de Londres. On n’est certes plus chez Dickens, mais il y a quand même quelques restes. Aujourd’hui, ce sont les enfants de l’immigration qui trinquent : africains, pakistanais, indiens… Bien sûr, les gosses de prolo tout ce qu’il y a de plus anglais sont toujours là, mais ils sont devenus minoritaires. Un melting-pot qui ressemble à une poudrière. Dans ce maelström, chacun tente de tracer son petit bout de chemin sans se faire d’illusion.

Tout le charme et la puissance du roman tient dans la gouaille de son narrateur. Rédigé à la façon d’un journal intime dans lequel Harrison s’adresse au pigeon qui vient lui rendre visite sur son balcon, le récit à la première personne est à la fois enlevé et grave. Faussement naïf, le gamin pose un regard d’une grande acuité sur le monde qui l’entoure. Surtout, l’auteur à su retranscrire l’argot des banlieues anglaises. La voix d’Harrison résonne et permet au lecteur d’explorer les codes et les mœurs d’une génération à la dérive. Oscillant entre lucidité, innocence et un brin d’insolence, le discours du petit ghanéen, plein de réparti, aborde sans avoir l’air d’y toucher des sujets graves : échec de l’intégration, abandon social, violence conjugal, trafic, acculturation…

Une jolie trouvaille des éditions Gallimard et un énorme coup de chapeau au traducteur Nicolas Richard qui a effectué un travail absolument fabuleux pour « franciser » le langage si particulier d’Harrison.

Extraits :

« J’adore me soulager quand manman vient de mettre du produit dans les toilettes. Le produit fait des sacrées bulles, c’est comme si tu te soulageais sur un nuage. Je garde exprès un grand pipi spécial. Personne a le droit de faire partir le nuage en tirant la chasse tant que j’ai pas fait mon spécial grand pipi dessus. Je me dis que je suis Dieu qui se soulage sur son nuage préféré. »

« Y a un million de chiens par ici. Jtejure, y a presque autant de chiens que de gens. La plupart c’est des Pitbulls parce que c’est ceux qui font le plus trouiller, tu peux t’en servir comme arme si tu as plus de balle dans ton flingue. »

« Si un chien t’attaque, le mieux pour l’arrêter c’est d’enfoncer ton doigt dans son trou de balle. Y a une manette secrète dans le trou de balle du chien, quand tu la touches, leur gueule s’ouvre automatiquement et ils lâchent ce qu’ils étaient en train de mordre. »


Le pigeon anglais, de Stephen Kelman, Gallimard, 2011. 328 pages. 17 euros.

vendredi 30 septembre 2011

Tout sur l’automne

Ça y est, c’est l’automne. Une drôle de saison, coincée entre les grandes vacances et Noël. Pour les enfants et les enseignants, c’est synonyme de retour à l’école. Pour beaucoup d’autres, c’est le temps des champignons, des vendanges, des labours et des balades en forêt. Pour les barbares, c’est l’heure de la chasse. Pour les animaux, il faut préparer l’hiver : réserve de nourriture, aménagement de la maison en vue de l’hibernation où départ vers des contrées plus chaudes.

Charline Picard et Clémentine Sourdais proposent aux enfants de découvrir tout sur l’automne dans un album d’une grande richesse. Grâce à l’expert Loupiote, on apprend pourquoi les feuilles tombent, comment les graines se dispersent ou encore comment les animaux font leurs réserves. Organisé en trois grandes parties, ce documentaire balaie l’ensemble des thématiques propres à cette saison si particulière : l’automne dans la nature (feuilles, fleurs, champignons, fruits et légumes) ; l’automne des animaux ; l’automne au quotidien (la rentrée scolaire, les vêtements, les recettes de cuisine, les fêtes).

Loin des documentaires classiques organisés de façon très hiérarchisée et très redondante, les auteurs ont choisi de dérouler leur propos en toute liberté et sous toutes les formes. L’album contient des illustrations pleine page, des planches naturalistes, de la bande dessinée, de la poésie, des haïkus, des photos, des informations scientifiques ou encore des activités manuelles dans un joyeux fourre-tout où chacun ira picorer selon ses envies. Une véritable bouffée de fraîcheur qui renouvelle le genre et ravira à coup sûr petits et grands.

Tout sur l’automne de Charline Picard et Clémentine Sourdais, Seuil, 2011. 64 pages. 18 euros. A partir de 6 ans.


mercredi 28 septembre 2011

Les compagnons du crépuscule : l'intégrale

Ils sont trois. Un chevalier sans visage, un valet pleutre et sournois et une jeune fille rousse au tempérament de feu. Ces compagnons d’infortune errent sans véritable but en pleine guerre de 100 ans. En chemin, ils croiseront de dangereux lutins, de terribles Dhuards et devront déjouer un complot machiavélique. Ensemble, ils vivront une épopée pleine de bruit et de fureur dont certains ne sortiront pas indemnes...

Le premier album est très bon et constitue une belle entrée en matière. Les personnages sont déjà clairement définis. L’intrusion du fantastique semble naturelle et ne pose pas de problème de compréhension. Bref, c’est un tome d’introduction de grande qualité. On ne peut malheureusement pas en dire autant du second. Le propos est confus, verbeux en diable, alambiqué. Le fantastique est présent à chaque page et l’aspect onirique prend le pas sur tous les autres. Un album que j’ai eu beaucoup de mal à finir. Heureusement, le niveau remonte sacrément avec le troisième opus, de loin le plus abouti. 140 pages, une profondeur et une densité dignes d’un roman. Beaucoup de personnages mais une construction imparable qui laisse l’ensemble d’une grande lisibilité. Naviguant entre le récit historique, le policier médiéval et le conte, ce volume où les histoires s’entrelacent sans jamais perdre le lecteur (pour peu qu’il reste attentif) est maîtrisé avec brio. Et puis l’action se passe en ville et au cœur d’un château, c’est qui rend l’intrigue beaucoup plus réaliste. Une sorte de plongée en immersion dans la réalité urbaine de l’époque assez fascinante.

Que retenir de cette imposante trilogie ? D’abord le plaisir de parcourir les contrées moyenâgeuses avec ces attachants compagnons. Le preux chevalier sans visage, courageux et toujours prompt à lutter contre le mal. Anicet, son valet mignon mais apparemment lâche. Et la belle Mariotte, femme libre, sauvageonne et finalement si moderne. Ensuite, les dialogues d’antan dont on ne saisit pas toujours le sens mais qui possèdent une musicalité envoutante. Enfin, l’éblouissement devant le talent graphique de Bourgeon, son découpage au cordeau, son trait réaliste et si expressif, l’atmosphère particulière qu’il parvient avec créer avec un choix de couleurs d’une grande pertinence et des décors somptueux. Là encore, pour le dessin, ma préférence va, et de loin, au troisième tome qui est clairement le plus abouti.

Une série du début des années 80 devenue aujourd’hui un classique. Certes l’ensemble n’est pas facile d’accès et demande plusieurs relectures pour que l’on en saisisse les enjeux et la finesse, mais au final, difficile d’oublier cet univers mâtiné de mystère, de violence et d’érotisme ou l’aspect fantastique des légendes vient côtoyer la dure réalité d’une époque où la guerre dura 100 ans.

Une lecture commune que je partage aujourd'hui avec Mo' dont le billet est ici.


Les compagnons de crépuscule : l'intégrale de François Bourgeon, Éditions 12 bis, 2010. 245 pages. 45 euros.




Le Roaarrr challenge de Mo'




La BD du mercredi, c'est chez Mango




dimanche 25 septembre 2011

Discours d’une grande gueule coiffée d’une casquette de prolo - Edward Limonov

Emmanuel Carrère va sans doute remporter le Goncourt 2011 avec Limonov, récit de la vie d’un écrivain russe, coqueluche des branchés parisiens dans les années 80, devenu leader du parti national-bolchévique et aujourd’hui idole d’une jeunesse moscovite désabusée. Un personnage odieux, fasciste pur et dur engagé aux cotés des serbes pendant la guerre de Yougoslavie. Mais avant de devenir une figure politique nauséabonde, Edward Limonov a écrit de la poésie et des romans.

Le Dilettante profite opportunément de la sortie de l’ouvrage de Carrère pour rééditer trois des quatre titres de l’auteur russe inscrits à son catalogue dans un seul et même recueil. Le premier texte, Salade niçoise, narre le séjour de Limonov sur la Côte d’Azur à l’occasion d’un salon littéraire en 1986. Pour l’écrivain punk de la nouvelle littérature soviétique, tous les romanciers français sont des vieillards. Dans son hôtel, Limonov vide le minibar de sa chambre et s’amuse avec la machine à cirer les chaussures. Il ne connaît personne, s’emmerde ferme. Finalement, c’est en draguant sur la plage que son séjour niçois va prendre une tournure plus agréable. Le second texte met en scène un Limonov fauché dans les rues de New York. Des déambulations qui l’amènent chez Diane Kluge, une amie toujours partante pour une partie de jambes en l’air. Le dernier texte, qui donne son titre au recueil, se déroule quant à lui à Paris. Alors que sa carte de séjour est sur le point d’expirer, Edward découvre les turpitudes et les méandres de l’administration à la française : « les français n’avaient pas envie d’avoir chez eux un type sans papiers. Pour les étrangers, les temps sont devenus plus durs en 1984, même si t’étais blanc et que tu demandais pas d’argent. Je voulais juste une carte de séjour. »

Limonov porte beau et parle haut. Le personnage aime naviguer entre cynisme et insolence. Le style est nerveux, la langue crue mais souvent plus cash que trash. 25 ans après leur parution, ces trois textes n’ont pas pris une ride. Une belle occasion de découvrir un écrivain dont on va beaucoup parler cet automne (sa photo a fait la une de Télérama début septembre) mais que finalement bien peu de monde a lu.


Discours d’une grande gueule coiffée d’une casquette de prolo, d’Edward Limonov, éditions Le Dilettante, 2011. 190 pages. 17 euros.