A la mort de son père, Hubert hérite de l’exploitation familiale avec son frère Bertrand. Le partage est simple : à Hubert la maison et à Bertrand les terres. Un arrangement amiable est trouvé. Le frère et sa femme sont logés gratuitement et en contrepartie Hubert est nourri et blanchi par sa belle sœur. Mais cette dernière est une vraie peau de vache et pour gagner un peu d’autonomie financière et améliorer l’ordinaire, Hubert rend quelques services à droite à gauche, essentiellement surveillance et espionnage. Finalement, rien de bien excitant dans ces affaires purement rurales : des oies pendues à un arbre par un voisin indélicat, un tracteur saboté par un concurrent jaloux, un coin à truffe qui attire les braconniers... Par la suite, les intrigues vont singulièrement se compliquer : entre un trafic de gnole qui tourne mal et des tentatives de meurtres dans les milieux mycologiques, Hubert va devoir faire preuve d’un sens approfondi de la déduction et d’une volonté de fer pour éclaircir ces drôles de faits divers.
Pas facile d’être un privé dans un village de 800 âmes. Comment opérer avec discrétion quand tout le monde vous connaît ? Sans compter que les commérages vont tellement vite qu’il vaut mieux ne pas s’afficher avec le Maigret du coin. Pour couronner le tout, l’autochtone peut être tour à tour taciturne, moqueur, vindicatif, alcoolique et facilement violent. Pas évident, dans ces conditions, de lui tirer les vers du nez.
Bruno Heitz propose une plongée au cœur de la France profonde des années 50. Une époque où l’épicier ambulant et sa camionnette faisait office de lien social fondamental, où les repas du soir était parfois bien pauvres et où les heures passées au bistrot étaient plus importantes qu’une éventuelle vie de famille. Les portraits de femmes sont féroces : la belle sœur vacharde qui se tire après avoir mis la main sur un magot, la commerçante pingre qui ne fait pas souvent crédit, la fille adoptive qui veut venger son père à coup de chevrotine… Pour autant, l’auteur n’y va pas avec de gros sabots. Il y a une vraie finesse dans son analyse quasi sociologique de la société rurale de l'après-guerre.
Graphiquement, d’aucuns qualifieront le dessin au mieux de minimaliste, au pire de franchement mal maîtrisé. Personnellement, je lui trouve beaucoup de charme. Un noir et blanc simple, efficace, au service de l’intrigue, qui rend bien les atmosphères grises et tristounettes de Beaulieu sur Morne et de ses environs. On peut toujours se dire que les aventures d’Hubert auraient eu plus de gueule sous le trait hyper réaliste de Gibrat ou celui plus torturé de Lax, mais je persiste à croire que le travail de Heitz mérite un large crédit et est adapté au propos.
Conjuguer humour et drames paysans avec un dessin limite enfantin tenait de la gageure quasi insurmontable. Pourtant, le challenge est relevé haut la main et l’on suit avec délectation les aventures d’Hubert, ce privé de la cambrousse atypique et franchement attachant.
Cette intégrale reprend les trois premiers tomes de la série qui en compte neuf en tout. Publiés initialement aux éditions du Seuil, les titres encore disponibles végétaient au fond des tiroirs. Suite à un accord tripartite entre le Seuil, l’auteur et Gallimard, la publication de ces intégrales a pu enfin aboutir et constitue une sorte de « collector » qui donne à cette série trop longtemps ignorée l’écrin qu’elle mérite.
Un privé à la cambrousse, intégrale T1 de Bruno Heitz, Éditions Gallimard, 2011.
336 pages. 21.00 euros.
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