Tim Ginger vit seul dans une caravane à la lisière du désert du Nouveau-Mexique depuis le décès de sa femme Suzan. Ancien pilote d’essai aéronautique pour le gouvernement américain, il a écrit un ouvrage qui passionne les milieux conspirationnistes. Son existence solitaire et contemplative est bousculée le jour où, sur un salon du livre, il retrouve Anna, qu’il avait connu sur une base militaire en Angleterre vingt ans plus tôt. Elle aussi est célibataire depuis son divorce et elle a réalisé une BD regroupant les témoignages de couples ne souhaitant pas avoir d’enfants par choix. Des témoignages qui résonnent fortement pour Tim puisque Suzan et lui n’avaient jamais ressenti le besoin ni l’envie d’avoir une progéniture et avaient dû passer leur temps à se justifier auprès de leurs proches…
Un roman graphique abordant un sujet de société sensible avec une finesse déroutante. Julian Hanshaw dresse le portrait de personnages à la marge, de ceux que l’on regarde avec pitié l’air de dire « Pauvre untel, sans enfants… comme s’il lui manquait un bras ». De l’égoïsme assumé (« pas question qu’un enfant s’immisce entre nous ») à ceux qui balaient la question en brandissant comme un bouclier une prétendue stérilité en passant par les tenants d’excuses bien plus légères (« je refuse d’installer un trampoline dans mon jardin »), l’auteur multiplie les points de vue et place ce choix de vie radical (aux yeux des autres du moins) au cœur des discussions entre Tim et Anna.
Pour autant, il avance dans son récit avec lenteur et sans lourdeur, recentrant en permanence sa caméra sur le visage de Tim, sur son statut d’homme seul, de veuf incapable de faire le deuil d’une épouse décédée depuis des années, de sexagénaire constatant que l’avenir lui semble bien limité. C’est triste et mélancolique comme une nouvelle de Carver, comme un tableau de Hopper. Le dessin parfois un peu naïf et les traits anguleux pourront rebuter certains mais il serait dommage de passer à coté de cet album pour une simple question de forme tant le fond est d'une grande profondeur et d'une touchante justesse.
Tim Ginger de Julian Hanshaw. Presque Lune éditions, 2016. 152 pages. 21,00 euros.
PS : beaucoup de jolie phrases dans ce texte, de réflexions pleines de lucidité :
« Bientôt, nous n’existerons plus, et il n’y aura ni petits enfants en deuil, ni photos de nous sur les cheminées de nos filles et fils éperdus de douleur ».
« Quand les jeux seront faits, je crois que je quitterai ce monde sans faire plus de bruit qu'à mon arrivée. Sans histoire ». (celle-là me convient tellement !)
Un livre offert par Moka et dédicacé par l’auteur à Angoulême le week-end dernier. Comme une modeste façon de prolonger des moments en tout point inoubliables…