jeudi 11 juillet 2019

Toute une vie et un soir - Anne Griffin

« Aujourd’hui, les gens adorent parler. Dire ce qu’ils ont sur le cœur. Comme si c’était facile. Les hommes, en particulier, se font beaucoup reprocher de pas faire leur part dans ce domaine. Pour ce qui est des Irlandais… Crois-moi sur parole, ça s’arrange pas avec l’âge. C’est comme si on s’enfouissait toujours plus loin dans notre solitude. Pour régler nos problèmes nous-mêmes. »

Voila, c’est fini. Maurice Hannigan, 84 ans, vient de fermer pour la dernière fois la porte de sa ferme. Il s’installe seul au bar du Rainsford House Hotel et commande son premier verre de la soirée. Une soirée au cours de laquelle il va porter cinq toasts aux cinq personnes qui ont le plus compté pour lui. Son grand frère adoré Tony, son modèle, emporté par la tuberculose. Sa fille Molly, morte in-utero. Sa belle-sœur Noreen, l’excentrique, la « dérangée ». Son fils Kevin devenu journaliste et exilé sur la côte Est des États-Unis. Et enfin sa femme Sadie, disparue deux ans plus tôt et sans laquelle la vie n’a plus aucun sens. Cinq verres pour résumer une existence, pour se rappeler les joies et les douleurs, les bons et les mauvais moments. Une soirée pour se retourner sur le passé et solder les comptes avant de partir. Définitivement.

Ah, Maurice et ses souvenirs ! Pas toujours glorieux, loin s’en faut. Son sale caractère, son manque de tact, sa cupidité, son désir de vengeance. Son discours ne vire pas pour autant au mea culpa larmoyant, le gaillard connaît et assume ses faiblesses, sans remords ni regrets, tandis que sa lucidité se teinte de pudeur, l’irlandais n’étant pas du genre à s’épancher.

Ce premier roman ambitieux dresse le portrait intime d’un homme seul, fatigué, fragile, qui n’a jamais pu surmonter le décès de sa femme. Un homme conscient qu’il n’a rien d’exemplaire, prêt à s’effacer sans coup d’éclat après avoir levé une ultime fois son verre aux souvenirs des êtres chers. La narration est limpide, l’ensemble solidement charpenté et la simplicité de façade cache sous le vernis du propos parfois léger une réflexion profonde sur le sens de la vie et les ravages du temps qui passe. Malgré une fin un poil trop mélo à mon goût j’ai été touché en plein cœur par ce vieux bonhomme en bout de course et sa nostalgie d’une insondable tristesse : « Je suis ici pour me souvenir - de ce que j'ai été et de ce que je ne serai plus. »

Toute une vie et un soir d’Anne Griffin (traduit de l’anglais par Claire Desserrey). Delcourt, 2019. 270 pages. 20,50 euros.






16 commentaires:

  1. Ah, il semblerait que tu aies retrouvé le chemin de la lecture... Bonne nouvelle !

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  2. Je plussoie aux mots de Delphine!
    Par ailleurs, on dit un grand bien de ce roman sur les blogues que je suis assidument. Et toi qui en rajoute...

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  3. Il a l'air bien ce livre, je le retiens :)

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  4. Ah ! un retour en littérature adulte... je note ce titre.

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  5. Si ton petit cœur tout mou a succombé à cette histoire, je sais par avance que ça va me plaire. Allez, sur ma liste !

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  6. De retour avec un livre intéressant, il me semble!

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  7. Ma libraire me l'avait proposée, mais il m'a paru un peu désespérant.

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  8. Hmmm je ne sais pas, un vieil homme qui rumine ses souvenirs, même s'ils valent le détour ainsi que le personnage, et puis le coup du mélo à la fin, je ne le sens pas trop pour moi. Mais je me trompe peut-être.^^

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  9. Ce titre fait partie de la sélection de l'été par Télérama !

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  10. Delcourt est une valeur sûre au niveau des maisons d'édition. Tu confirmes.

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  11. ça fait plaisir de te voir de retour avec un billet de lecture, et qui plus est, sur un livre qui me tentait déjà bien avant de te lire ! :)

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  12. j'aime ce que tu dis de ce roman et même tes réserves me font penser que j’aimerais le lire.

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  13. Lu !! et beaucoup, beaucoup aimé...

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  14. pas vu passer, mais j'étais dans l'avion pour le Québec ! je vais de ce pas voir s'il est dispo à la BM !

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