Maus, c’est l’histoire de Vladek Spiegelman, soldat juif polonais fait prisonnier de guerre par les allemands en 39, qui réussit par miracle à retourner dans sa ville de Sosnowiec et y retrouve sa femme avant de connaître avec elle un long calvaire : traque, confinement dans le ghetto, rafles et déportations auxquelles ils parviennent à échapper sur le fil. Pensant trouver une porte de sortie en Hongrie, ils sont arrêtés dans le train suite à une dénonciation et transférés à Auschwitz, où, comme l’annonce le titre du tome deux, « c’est là que les ennuis ont commencé ».
Art Spiegelman a recueilli le témoignage de son père. Il dit l’horreur, la perte absolue de liberté et d’espoir, les coups, les privations, la faim, la certitude de ne pas ressortir vivant des camps. Il dit l’amour qui aide à tenir, la malice, l’opportunisme et surtout la chance et le hasard qui ont permis la survie du couple. Ce premier niveau du récit aurait suffi à faire de Maus une œuvre poignante, mais l’auteur va plus loin, et c’est ce qui fait toute la différence. Le fils relate les moments passés avec son père lorsqu’il enregistre son histoire. Il dresse le portrait « au présent » et sans complaisance d’un vieil homme malade, tyrannique, raciste, empêtré dans des querelles sans fin avec sa seconde épouse et d’une avarice sordide le faisant ressembler à la caricature du juif que se plaisent à entretenir les antisémites.
Cette description à première vue ambiguë met mal à l’aise le dessinateur lui-même, mais elle donne une dimension supplémentaire et une profondeur incroyable au propos. Maus restitue à la fois la parole du père et le travail du fils. A un moment, la compagne d’Art déclare : « D’une certaine manière, il n’a pas survécu. » Et c’est exactement ça je crois, tant l’évocation de la Shoah permet de découvrir les racines tragiques de la personnalité difficile du père et témoigne de l’impact psychologique de l’holocauste sur les survivants et leur descendance. Art précise d’emblée qu’il s’entend mal avec son géniteur, il se montre rongé par la mauvaise conscience d’être né après guerre, après la disparition en 1943 de Richieu, son « frère-fantôme ». Son père et lui souffrent de stigmates ayant marqué à jamais leur famille (stigmates encore plus profonds depuis le suicide de la mère en 1968).
Graphiquement, sobriété et économie de moyens dominent. La métaphore animale délivre d’un réalisme pesant et renforce l’expressivité dans la mesure où victimes (souris) et bourreaux (chats) sont immédiatement identifiables.
Maus est un chef d’œuvre qui dépasse largement les frontières de la BD. Ni dénonciation explicite, ni réflexion sur l’Histoire (même si l’horreur du génocide occupe une place centrale), c’est surtout et avant tout la retranscription fidèle d’une expérience et d’une mémoire individuelle. Mais c’est également une façon aussi unique qu’exceptionnelle de dessiner l’indicible.
Maus T1 et T2 d’Art Spiegelman. Flammarion, 1987 et 2001. 160 et 135 pages. 15 euros chaque volume.
L'avis de Moka
Et parce que Mo’ est la générosité incarnée, elle m’a aussi offert MetaMaus, une somme publiée vingt-cinq ans après Maus et dans laquelle Spiegelman revient sur son travail et explore les questions cruciales qu’il soulève : Pourquoi des souris, pourquoi la BD, pourquoi ses relations conflictuelles avec son père ? Il parle également de son propre voyage à Auschwitz, du complexe d’infériorité qui l’a miné toute sa vie. Surtout, il décrit avec minutie son processus créatif, illustré d’un incomparable matériel iconographique (carnets personnels, photos, croquis, etc). En bonus, un DVD, les enregistrements de son père et de nombreux documents historiques sur lesquels il s’est appuyé tout au long de la réalisation des albums. Riche et passionnant, cet ouvrage a été pour moi un complément indispensable à la lecture de Maus.
« Ma vie professionnelle a consisté pour l’essentiel à trouver la chose la plus dure que j’étais capable de faire […]. Quand j’ai eu trente ans, j’ai cherché un défi qui soit à la hauteur, et Maus répondait à ce critère. Il m’était difficile de devoir penser à mon passé, et il m’était difficile de devoir être en présence de mon père, métaphoriquement mais aussi concrètement. Donc tous ces éléments m’ont conduit à m’attaquer à une histoire trop importante pour que je la comprenne. »
Mon frère m'a donné ça à Noël... il y a 10 ans je pense... Je ne l'ai pas lu. Shame on me, hein. Mais ce sera pour cet été. Les deux niveaux dont tu parles m'interpellent.
RépondreSupprimerCe n'est pas moi qui vais te faire la morale pour que tu t'y mettes au plus vite ;)
SupprimerPfou! Bon, maintenant on n'a plus à te tanner avec Maus.^_^
RépondreSupprimerDommage, hein, tu aimais bien me le rappeler sans cesse :p
SupprimerC'est une lecture incontournable !
RépondreSupprimerEt je l'ai contournée trop longtemps !
SupprimerMaus, c'est incontournable. Je l'ai lu il y a quelques années car il est au CDI. Je l'ai fait lire à mes élèves aussi.
RépondreSupprimerJe me ferai sans doute le cadeau des deux tomes et du DVD pendant l'année, tiens ;)
Ce sera un beau cadeau ;)
SupprimerOh oui quel chez d'oeuvre !!
RépondreSupprimerOn est d'accord !
SupprimerDeux ans, peut-être (certainement ^^) plus (il me semble que c'était à la sortie de "MetaMaus), que j'attendais ce billet. Parce que je n'avais pas l'ombre d'un doute quand à la manière dont tu pourrais investir ce récit.
RépondreSupprimerUn des rares récits que j'ai lu et relu et rerelu... Tiens, il doit être temps de que je reprenne d'ailleurs, tu m'as donné envie.
Merci pour ce partage ! ;)
Ravie d'avoir pu te faire découvrir quelque chose (
C'est donc trois ans en fait...
SupprimerEt pour le coup tu ne m'as pas fait découvrir quelque chose d'anecdotique, c'est le moins que l'on puisse dire. Dorénavant dans mon esprit Maus sera toujours associé à toi, merci encore !
Ah ! ENFIN.
RépondreSupprimerEt pour le coup, tu me dépasses car je n'ai pas encore lu MetaMaus.
Cette oeuvre est magistrale. Spiegelman est un GRAND.
Mon billet: https://aumilieudeslivres.wordpress.com/2013/07/10/maus-spiegleman/
Je rajoute ton lien ;)
SupprimerSublime billet (si, si !) sur une BD dont j'aurai grand peine à parler tellement elle m'a chamboulée .... Lu par petits bouts ... Un chef d'oeuvre cet ouvrage !
RépondreSupprimerJe t'avouerais que ce n'est pas un billet que j'ai écrit aussi facilement que les autres.
SupprimerJe n'ai pas encore lu MétaMaus mais il faudrait que je le fasse.
RépondreSupprimerTous les ans, je parle et reparle de cet incontournables aux 3èmes.
MetaMaus est un complet parfait pour encore mieux cerner les albums.
SupprimerEt bien, on aura attendu, mais pour un billet très complet et où, personnellement, je retrouve complètement mes impressions de lecture. Et fait attention, cette BD se relit (j'ai dû le faire quatre ou cinq fois). Par contre, je ne connaissais pas "Metamauss", qui a l'air passionnant.
RépondreSupprimerJe suis absolument certain de la relire, pas possible autrement.
Supprimertellement contente de lire ENFIN ton billet ! et tellement contente également que cette oeuvre t'ait autant plu et secoué que moi...je n'ai pas eu l'occasion de lire MetaMaus mais j'avais vu l'expo correspondante, il y a quelques années...
RépondreSupprimerJe ne savais pas qu'il y avait eu une expo.
SupprimerUn incontournable, une claque... Ta chronique m'a donné envie de les relire et de me plonger ENFIN dans "Metamauss" !
RépondreSupprimerMetaMaus c'est autre chose, mais tout aussi passionnant.
SupprimerJe l'ai lu, je l'ai aimé et j'ai été incapable d'en parler. Elle m'a trop chamboulé, trop personnellement touché. Parfois j'avais les larmes aux yeux, non pas dans les moment les plus dur mais lorsque l'auteur décrit son père, ces tics, ces manies, j'vais tellement le sentiment de voir mon arrière grand-mère que je pouvais pas retenir mes larmes. Mais au même temps ça me faisais rire. Il y a dans la façon dont Art Spiegelman parle de son père une forme de tendresse très touchante.
RépondreSupprimerC'est justement la double niveau de lecture dont tu parle qui rends cette oeuvre si touchante, dépassant le simple témoignage d'histoire.
Très belle chronique. ça me donne envie de m'y replonger (mais j'attends encore un peu, j'ai pas tout àa fait digéré la première lecture)
Ce double niveau est l'idée de génie qui emmène ce récit de vie dans une autre dimension et en fait un chef d'oeuvre.
SupprimerVoilà, il est là, enfin , ton billet raconte très bien toutes les émotions qui nous submergent à la lecture et relecture de l’œuvre de Spiegelman. C'est rare qu'un livre dont on a tant entendu parler fonctionne aussi bien avec tout le monde, c'est je le crois la marque du grand art.
RépondreSupprimerLes émotions qui submergent, j'ai vraiment eu cette sensation en cours de lecture.
Supprimerje suis comme toi avant, je n'ai toujours pas lu ce chef d'oeuvre sans vraiment savoir en expliquer la raison... Et ce n'est pas cet été que je vais m'y mettre!
RépondreSupprimerDu moment que tu finis par le lire un jour ;)
SupprimerÇa valait le coup d'attendre, il est drôlement bien ton billet...! Maus fait partie de ces rares BD dont je n'ai jamais parlé sur le blog. Un jour peut-être, après une énième relecture... ;-)
RépondreSupprimerJ'aimerais bien te lire à propos de ce chef d'oeuvre, je ne doute pas que tu ferais un billet magnifique !
SupprimerLes deux tomes sont dans ma LAL depuis un petit moment, j 'ai bien l'impression que ce sont des incontournables en BD (un monde dans lequel j'aime m'engouffrer de plus en plus...) Je mets ton billet dans vos plus tentateurs, histoire de me rappeler que je dois le lire absolument !!
RépondreSupprimerMaintenant que je l'ai lu, je peux te dire que c'est plus qu'un incontournable !
SupprimerJe sais que c'est très bon... Ma bibio les a, même si c'est le genre d'albums qu'on aime avoir. Mais pour l'instant ça me fait un peu frémir...
RépondreSupprimerça te fera aussi frémir à la lecture mais il ne faut pas s'arrêter à ce détail ;)
SupprimerUne lecture marquante pour moi aussi.
RépondreSupprimerUne BD à lire absolument !
Je peux le dire, maintenant que je l'ai lue ;)
SupprimerOh, il faut vraiment que je les lise, depuis le temps !
RépondreSupprimerJe me suis dit la même chose en l'ouvrant.
SupprimerMetaMauss m'a moins plu. Mais la BD, quelle claque !
RépondreSupprimerPersonnellement, j'ai trouvé MetaMaus d'une richesse incroyable !
SupprimerJ'ai repéré cette BD depuis très longtemps et je dois absolument la lire :)
RépondreSupprimerJe te confirme qu'il faut absolument la lire.
SupprimerUn incontournable on dirait...
RépondreSupprimerTotalement incontournable.
SupprimerOui, un chef d’œuvre qui dépasse les frontières de la BD. À mettre en toutes les mains.
RépondreSupprimerDifficile de ne pas en recommander la lecture, impossible même !
SupprimerC'est affreux mais je crois que je n'ai lu que le tome 1. Je devais revenir au 2 très vite mais c'était un emprunt bib, le temps de mettre la main dessus... Ben je suis passée à plein d'autres lectures. Et comme tout ça remonte, je pense qu'il faudrait que je relise le tome 1... Mais très d'accord, lecture incontournable, je garde encore un souvenir fort du tome 1!
RépondreSupprimerClairement il faut lire les deux à la suite, tu devras donc reprendre le premier impérativement (je ne précise pas en quelle année, pas fou non plus !).
SupprimerJe n'avais jamais entendu parler de cette BD. le thème général et très fort. L'intrigue en elle même me tente mais j'ai toujours du mal avec le noir et blanc...
RépondreSupprimerC'est tellement plus qu'une BD. Et ne t'arrête pas le noir et blanc, ce serait dommage de ne pas t'y plonger à cause de cela.
SupprimerTu as entièrement raison pour les deux niveaux. C'est ce qui en fait un chef-d'oeuvre vraiment abouti. Un coup de coeur inévitablement !
RépondreSupprimerC'est l'oeuvre d'une vie, ça ne fait aucun doute.
SupprimerMagnifique billet ! J'ai lu Maus il y a des années et j'aurais bien été incapable d'écrire quoi que ce soit dessus. Je viens de terminer Metamaus et là encore je reste coite devant la richesse du document, et à cause de l'émotion qui en émane.
RépondreSupprimerJ'ai prix beaucoup plus de temps que d'habitude pour faire ce billet mais j'y tenais ;)
SupprimerAh l'humour noir de ce " et c'est là que les ennuis ont commencé " récurrent !... Une bd incontournable , une œuvre incroyable vraiment ( la sincérité de parler ainsi d' une profonde mésentente père-fils ) , ce choix des souris qui fonctionne TB graphiquement ( c'est ce qui m'a longtemps tenue à distance du livre pourtant) ...Metamaus, acheté après , 'm'attend sur mon étagère ...
RépondreSupprimerMetaMaus t'éclairera davantage e,core sur le travail de Spiegelman, c'est un complément indispensable je trouve.
SupprimerJ'ai beau.lire des tas de manga, qd il est question de bd Le noir et blanc ça me rend retissant. Sauf qd c ds graphic novel com ça y ressemble fort dans la cas de mauss. Cela dit ce dernier j'aurais plutot tendance à attendre de pouvoir l'emprunter plutot que de me précipiter pour l'acheter. So far, rien lu de lui. À priori, au regard des pages que tu partages, en dehors des personnages animaux, le dessin semble ok et le sujet sombre
RépondreSupprimerPour tout fan de BD qui se respecte, c'est une lecture incontournable (je peux dire ça maintenant que je l'ai lu ;) ).
SupprimerAh Maus!!! Ça c'est de la grande lecture! J'ai adooooooré!
RépondreSupprimerDans le temps des fêtes je me suis achetée l'intégrale.
À lire et relire!
Bonne journée
C'est un chef d'oeuvre, je ne vois pas d'autres mots !
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