mercredi 2 septembre 2020

West legends T2 : Billy the Kid - Christophe Bec, Lucio Leoni - Emanuela Negrin

Nouveau Mexique, été 1878. Dans la ville de Lincoln, une guerre larvée entre deux clans locaux se termine dans un bain de sang après trois jours d’échanges de tirs. Parmi les protagonistes, un gamin à peine sorti de l’adolescence surnommé par ses camarades Billy the kid s’impose malgré son jeune âge comme un leader charismatique.

Basée sur histoire vraie, cette mise en image d’un célèbre épisode de la conquête de l’Ouest baptisé « Guerre du comté de Lincoln » par les historiens se focalise sur la figure légendaire de William Henry Bonney, alias Billy The Kid. Alors âgé de 17 ans, Billy montre un sang-froid et un courage à toute épreuve. Celui qui n’est pas encore un des hors-la-loi les plus recherchés du pays se montre aussi sûr de lui que provocateur. Sa détermination guide ses acolytes, conscients d’avoir à leurs côtés un dur à cuir doublé d’un tireur émérite.  

Comme dans le premier tome de cette série dédiée aux légendes de l’Ouest, l’album ne se veut pas une biographie complète mais plutôt un focus sur un événement particulier. Trois jours donc dans la vie de Billy et de sa bande, avec quelques flashbacks expliquant pourquoi les choses en sont arrivées là. Le résultat est très factuel, l’action prime sur l’analyse psychologique et le portrait dressé entretient le mythe Billy the Kid, jusqu’à sa mort trois ans plus tard, toujours au Nouveau Mexique, sous les balles du shérif Patt Garett.

Deuxième personnage légendaire passé au crible de cette collection de récits complets qui comptera en tout six volumes et deuxième réussite. Le troisième, consacré à Sitting Bull, sort aujourd’hui. Je vais évidemment m’y plonger dès que possible.

West legends T2 : Billy the Kid : The Lincoln County War - Christophe Bec, Lucio Leoni et Emanuela Negrin. Soleil, 2020. 72 pages. 15,95 euros.





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lundi 31 août 2020

Nord-Est - Antoine Choplin

On ne sait pas où, on ne sait pas quand, on ne sait pas pourquoi, mais on sait qui. Garri, Emmett, Jamarr et Saul vivaient depuis des années emprisonnés dans un camp dont les portes se sont ouvertes récemment. Maintenant que plus rien ne les retient, ils ont décidé de partir à pied vers les plaines du Nord-Est. Là-bas, la vie sera forcément moins difficile : « Si tu as connu les plaines du Nord-Est comme elles l’étaient à l’époque, alors forcément, tu as envie d’y retourner […]. Et il n’y a pas un autre endroit où tu as plus envie d’aller que celui-là. D’ailleurs tu te poses même pas la question d’aller ailleurs que là. »

Dans le quatuor, Garri est le meneur. Jamarr, grand costaud un brin colérique rabroue souvent Emmett, le jeunot simple d’esprit tandis que Saul le poète muet suit la troupe en silence. En chemin, ils vont croiser la route de rares villageois isolés. Leurs pas vont les mener aux pieds d’imposantes montagnes dont l’ombre menaçante ne suffira pas à les décourager. Après nombre d’obstacles, de rencontres, de drames et de situations compliquées, les marcheurs parviendront à leurs fins. Et si la terre promise ne tiendra pas forcément ses promesses, les efforts communs produits pour mener à bien leur projet renforceront leurs liens et leur part d’humanité.

Un roman où il faut accepter de se laisser prendre par la main sans se poser de questions. Une fois encore, la sobriété de l'écriture d'Antoine Choplin fait mouche, tout en pudeur et en retenue. Une fois encore la tendresse et l'affection qu'il porte à ses personnages touchent en plein coeur. 

Un roman aux accents parfois contemplatifs qui interroge sur l'exil. Un roman plein d'altruisme et de fraternité qui, comme dans le superbe "La nuit tombée", insiste sur l'importance de l'amitié et de l'entraide pour survivre au chaos. 

Nord-Est d’Antoine Choplin. La fosse aux ours, 2020. 200 pages. 18,00 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Noukette (y avait longtemps !)







vendredi 21 août 2020

Beyrouth entre parenthèses - Sabyl Ghoussoub (rentrée littéraire)

 

« Pas besoin d’avoir fait de grandes études pour comprendre que lorsqu’on est libanais, Israël, on n’y va pas. »

C’est pourtant le voyage improbable que souhaite entreprendre le narrateur, né en France de parents libanais. Un voyage pour découvrir le pays qu’on lui a appris à haïr depuis son enfance. Et s’il souhaite arpenter les terres ennemies de son peuple en simple touriste, il constate à regret durant le vol le rapprochant de Tel Aviv que, malgré ses bonnes intentions, dans son esprit, « Israël redevient Israël, ce pays illégitime. » 

A la descente de l’avion, son passeport français ne suffit pas à lever les doutes sur ses origines. Mis sur le grill par des agents de sécurité pendant des heures dans les locaux de l’aéroport, le jeune homme se voit poser sans cesse les mêmes questions et finit par s’interroger sur sa propre identité : « Pour venir jusqu’à vous, j’ai dû oublier qui j’étais, mon histoire, celle de ma famille. J’ai mis Beyrouth entre parenthèses. Je n’ai plus de prénom, ni de nom. Mon nom est personne. Je ne suis plus rien, je ne suis même plus moi ou peut-être que si justement, je ne l’ai jamais été autant. Je ne sais pas. »

Un court roman qui, sous le vernis d’une certaine désinvolture, aborde avec profondeur la difficulté de s’affranchir de l’héritage familial pour construire son propre récit personnel. Et si la volonté d’émancipation est bien présente, le narrateur va se rendre compte avec fatalisme qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, sans pour autant s’appesantir sur son sort. Le ton oscille entre légèreté et gravité, l’humour se mêle à la tendresse et si la colère affleure, elle ne déborde jamais plus que de raison.

Au final cette tragicomédie saupoudrée d’une bonne dose d’autodérision associe l’histoire très personnelle d’une quête identitaire à l’inextricable complexité du conflit israélo-palestinien. Le projet était aussi ambitieux que casse-gueule mais Sabyl Ghoussoub a su maîtriser son sujet avec brio pour signer un deuxième roman à la fois touchant et provocateur.

Beyrouth entre parenthèses de Sabyl Ghoussoub. L’Antilope, 2020. 130 pages. 16,00 euros. 








dimanche 16 août 2020

Sur l’alcool - Charles Bukowski

 

« La picole est un substitut à la compagnie des autres et un substitut au suicide. C’est un mode de vie complémentaire. Je n’aime pas les ivrognes, mais je suppose qu’il m’arrive d’en être un, moi aussi. Amen. »

Chic, un nouveau Bukowoski ! Sauf que pas vraiment en fait. L’homme a beaucoup écrit et tout ou presque a été publié. Du coup on compile, on recycle. On donne dans le recueil thématique, pour entretenir le mythe et offrir de la pseudo nouveauté. Alors oui, il y a des inédits dans ce recueil. Des lettres, quelques poèmes, des trucs parus dans d’obscures revues aujourd’hui introuvables. Des inédits de fond de tiroir associés à une compilation de textes déjà publiés ailleurs, ça sent le réchauffé à plein nez. Du moins pour ceux (comme moi) qui ont lu tout Bukowski en long, en large et en travers. 

Pour les autres ça peut être une entrée en matière intéressante. Si on accepte le côté fourre-tout du mélange des genres. Nouvelles, extraits de romans, correspondances, bouts d’interview, poèmes, ça part dans tous les sens. Avec quand même la beuverie pour point commun à l’ensemble, histoire de donner un minimum de cohérence (même si la beuverie est le fil directeur de toute son œuvre finalement).

Au programme donc un Bukowski égal à lui-même : alcoolique, misanthrope, joueur, bagarreur, queutard et grande gueule. Le décor est classique lui aussi, entre bars louches, cellules de dégrisement, hôtels miteux et hôpitaux pour indigents. Tout est gris, crasseux, déprimant, avec la misère, l’alcool, l’écriture et les femmes pour seul horizon. J’ai aimé retrouver la fluidité et la simplicité de son style très oral, sans filtre ni langue de bois, et bien sûr une sacrée dose d’autodérision couplée à une absence totale d’amour propre qui restent à mes yeux ses deux plus grandes qualités. 

Du réchauffé donc, mais du réchauffé qui peut permettre aux néophytes de découvrir les fondamentaux du mythe Bukowski et la diversité sans limite de sa production. A vous de voir...

Sur l’alcool de Charles Bukowski (traduit de l’anglais par Romain Monnery). Au Diable Vauvert, 2020. 360 pages. 20,00 euros. 









mercredi 12 août 2020

Étés anglais - Elizabeth Jane Howard

Été 1937. La famille Cazalet s’apprête à quitter Londres pour passer deux mois dans sa résidence du Sussex. Les parents sont déjà sur place ainsi que leur quadra de fille célibataire et les trois fils vont bientôt débarquer avec femmes, enfants et domestiques. L’entreprise familiale prospère grâce au commerce du bois exotique mais, tandis que la situation internationale se tend à cause d’un fou furieux moustachu venu d’Allemagne, les Cazalet vont tenter d’anticiper les effets de l’inéluctable guerre à venir.

Cette saga familiale avec pour décor la campagne anglaise sous le soleil d’été était clairement une lecture de vacances parfaite. Des intrigues qui s’entrecroisent, de la légèreté, pas mal de futilité avec un arrière-plan historique plus dramatique, et évidemment quelques secrets de famille dont on imagine les répercussions futures (ce n’est que le premier tome d’une pentalogie), les ingrédients étaient alléchants. 

Il n’y a pas de chapitres à proprement parler mais plutôt une succession de paragraphes se focalisant chacun leur tour sur un personnage. Des personnages tellement nombreux qu’il faut rester sacrément attentif pour ne pas s’y perdre. À ce titre, l’arbre généalogique en début d’ouvrage est d’une grande utilité. Cela étant, la lecture n’a rien d’exigeant (on n’est pas dans Confiteor non plus), la simplicité reste de mise et une fois tout le monde bien identifié la mécanique narrative se déploie sans le moindre accroc. L’époque est parfaitement rendue et ce portrait de la bourgeoisie anglaise de l’entre-deux guerres relève presque de l’anthropologie. 

L’intérêt majeur de ce pavé réside sans conteste dans la variété des personnages. Hommes, femmes, enfants, chacun possède son propre caractère, chacun se voit accorder l’attention qu’il mérite et les interactions entre tous fonctionnent à merveille. La famille dans l’ensemble s’entend bien, il n’y a pas de grosses tensions entre les différents membres, pas de jalousie ni de méchanceté, même si évidemment certains ne sont pas exempts de défauts ni de comportements « coupables ». 

Franchement je me suis régalé. Ce n’est pas de la grande littérature mais quel plaisir d’avoir passé quelques heures de lecture aux côtés d’un clan familial aussi soudé et aussi magistralement mis en scène. La suite sort en octobre, j’ai hâte d’y être.

Étés anglais d’Elizabeth Jane Howard (traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff). La Table Ronde, 2020. 560 pages. 24,00 euros.



dimanche 19 juillet 2020

Deux en un

Un petit billet deux en un pour parler rapidement de mes deux dernières lectures. Une française et une américaine, histoire de varier les plaisirs.


« De l’enfance, Vanda garde un tas de souvenirs qu’elle ne raconte à personne. Elle est de ces gens dont on pense qu’ils sont nés adultes, ici et maintenant, même immatures. Les failles sont palpables, la fragilité évidente, mais elle livre si peu. On sait qu’elle est arrivée ici il y a plus d’une dizaine d’années, et certains l’ont connue à l’époque. Avant ça, rien. »

Un roman social doublé d’un beau portrait de femme et de mère, tout en noirceur et plein d’aspérités qui vous écorchent le cœur, je ne pouvais qu’aimer un texte aussi sombre et un poil désespéré dont la fin ne m’a pas surpris le moins du monde. Une tragédie moderne ne laissant pas de place aux bons sentiments, portée par une langue vive et sans chichi, à la fois sensible et abrasive. Je ne suis pas près d’oublier Vanda et je remercie chaleureusement la blogueuse qui a eu la gentillesse de m’offrir ce superbe roman.

Vanda de Marion Brunet. Albin Michel, 2020. 235 pages. 18,00 euros.



« Michael se sentait plein d’optimisme. Il allait commencer un nouveau boulot. Sa vie serait différente, cette fois-ci, parce qu’il en avait décidé ainsi. Il devait se rappeler qu’aller travailler tous les jours, garder la tête basse, c’était comme ça que la plupart des gens s’en sortaient. Petit à petit. Inutile de désirer des choses qu’il ne pouvait pas se permettre d’avoir. Il n’y avait pas de moyen honnête de les acquérir. »

Un taulard qui sort de prison bien décidé à se racheter une conduite. Un privé adepte du racket qui lui met la pression et finit par le tremper dans ses combines, ça ne pouvait que mal se terminer. A peine libéré est un polar urbain qui parle de rédemption sur fond d’amour de la littérature, avec Washington comme décor. Le cocktail est typique de Pelecanos, un auteur dont j’ai lu les vingt romans publiés en français et dont je ne me lasse toujours pas, même s’il ne cesse d’utiliser les mêmes ingrédients : la capitale américaine, sa transformation au fil des décennies, sa violence, sa population à la marge, ses petits restos et ses rues pas toujours fréquentables. La recette est immuable, le résultat jamais décevant, aucune raison de s’en priver.

A peine libéré de George Pelecanos (traduit de l’anglais par Mireille Vignol). Calmann Levy, 2020. 265 pages. 19,90 euros.









mercredi 24 juin 2020

Sea Shepherd T1 : Milagro - Guillaume Mazurage

Mars 2018, mer de Cortés, Basse Californie. Guillaume Mazurage embarque sur le John Paul DeJoria, un navire appartenant à Sea Shepherd, « l’ONG de défense des océans la plus combative au monde ». Le dessinateur découvre à bord le quotidien de ces éco-pirates prêts à tout pour protéger la faune marine des braconniers à la solde des cartels mexicains. Le but de ces braconniers est de pêcher le Totoaba, un poisson tellement prisé en Asie qu’il est surnommé « la cocaïne des mers ».

Sea Shepherd lutte surtout contre les filets dérivants illégaux qui prennent au piège de nombreuses espèces, notamment le vaquita marina (ou panda des mers), un mammifère marin considéré comme le plus menacé au monde dont il ne resterait que 30 spécimens dans le golfe de Californie. La chasse aux filets est une activité dangereuse qui tourne parfois à l’affrontement armé mais les militants ne reculent devant aucun obstacle pour défendre leur cause.

Surpris de découvrir  « un marsouin coincé au milieu d’une guerre entre écolos et cartels », Guillaume Mazurage s’attarde à la fois sur les actions concrètes menées en mer et sur la vie quotidienne à bord. Il prend également le temps de remettre en contexte la situation, cette pêche dévastatrice constituant pour une partie de la population locale « de l’argent facile dans une région pauvre. » Surtout, il se montre admiratif devant les motivations sans faille et l’abnégation d’un équipage où chacun est prêt à dévouer sa vie à la cause qu’il défend. 

Un docu-BD instructif et prenant au dessin précis sans être trop réaliste qui mêle aventure et information avec un bel équilibre. Le danger et la tension sont présents mais on ne bascule jamais dans la violence. Un album parfait pour un jeune public de plus en plus sensible à la cause écologique qui ne pourra qu'adhérer au combat mené par l’association Sea Shepherd pour protéger les océans.

Sea Shepherd T1 : Milagro de Guillaume Mazurage. Robinson, 2020. 56 pages. 11,95 euros. A partir de 10 ans.





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mardi 23 juin 2020

La vieille Herbe Folle - Jo Witek et Léo Poisson

On la surnomme la vieille Herbe Folle. Avec son immense chapeau de paille vissé sur le crâne en toute saison, elle déambule à travers les champs et les forêts. Elle s’est installée dans les bois, enlaçant les troncs d’arbres, dansant sous les cerisiers en fleurs. On l’a traitée de sorcière, on l’a accusée de tous les maux quand les légumes ont refusé de pousser malgré les traitements chimiques.

Mais la vieille Herbe Folle n’était pas responsable du désastre. C’est au contraire parce que les hommes n’ont pas suivi son exemple, parce qu’ils n’ont pas pris le temps d’écouter et de préserver la nature qu’ils ont précipité leur perte. Heureusement, avant de disparaître la vieille Herbe Folle a ouvert son cœur à l’enfant et a planté en lui les graines d’une sagesse à même de sauver la Terre.

Un conte écologique et poétique dénonçant l’usage intensif des insecticides, herbicides, fongicides et autres produits en « cide » qui empoisonnent les sols. La vieille Herbe Folle est la voix de la raison, celle qui enseigne à la jeunesse le respect de la nature dans toute sa diversité. Jo Witek signe un texte engagé porté par une prose délicate. C’est sans colère que la vieille Herbe Folle transmet ses conseils  à une nouvelle génération prête à sacrifier la surproductivité pour offrir toute la tendresse et l’attention nécessaire à la préservation de « notre sœur, la Terre ». Le message, plein de bon sens, passe en douceur et son impact est d’autant plus fort. Encore une jolie publication des éditions du Pourquoi pas !

La vieille Herbe Folle de Jo Witek (ill. de Léo Poisson).Éditions du Pourquoi pas ?, 2019. 28 pages. 12,00 euros. A partir de 7-8 ans.



Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette




dimanche 21 juin 2020

La femme qui rit - Brigitte Pilote

On ne sait pas précisément où on est dans ce roman, si ce n’est dans un coin de cambrousse bien paumé. On ne sait pas non plus à quelle époque les événements se déroulent, même si on parle du 20ème siècle, à un moment où la mécanisation se développe dans les campagnes. L’entre-deux guerres peut-être. Ce que l’on sait en revanche, c’est que les protagonistes sont un père et son fils vivant dans une ferme isolée. La mère est morte depuis longtemps, le père règne en maître sur le domaine et le fils, frappé par la polio dans sa jeunesse, traîne la patte dans une chaussure orthopédique.

L’histoire s’ouvre sur l’arrivée d’une jeune femme à la ferme. Le père l’a engagée comme domestique mais il a une autre idée en tête. Obsédé par la transmission de l’exploitation familiale, il imagine qu’elle serait parfaite pour devenir l’épouse de son fils et lui donner une descendance. Au fil du temps, les relations entre le trio, d’abord extrêmement froides, vont évoluer et la nouvelle venue va finir par apprivoiser ces hommes et cette terre âpre. Discrète, mystérieuse, elle évoque au père sa femme disparue et le trouble bien plus qu’il n’aurait pu l’imaginer alors que le fils ne semble prêter aucune attention à cette étrangère « presque muette. »

Peu à peu les secrets se révèlent et pour les deux hommes, la présence féminine finit par « crever leur solitude comme un abcès ». Brigitte Pilote met en scène un huis-clos à ciel ouvert où la dureté des saisons et des tâches à accomplir imprègne le caractère des hommes. Beaucoup de silences et de non-dit chez ces taiseux adeptes de l’introspection. Chacun garde secrètement ses ambitions. Le père de voir naître une nouvelle génération capable d’entretenir son héritage, le fils de développer l’exploitation vers davantage de modernité et la jeune femme de faire partie intégrante de la famille. Mais lorsque l’enfant tant attendu paraît, personne ne se doute que le destin de chacun va bientôt basculer.

Un court roman qui dresse le portrait du monde paysan dans toute sa rudesse. Il y a à la fois du Steinbeck et du Franck Bouysse (la violence en moins) chez Brigitte Pilote, québécoise à la prose très travaillée ne cédant jamais à la facilité. Seul bémol, la fin bien trop rapide et radicale qui contraste avec la jolie lenteur installée depuis la première page. Pourquoi donc tant de précipitation ? J’avoue que ça a quelque peu gâché mon plaisir alors que jusque-là on frôlait le sans faute. Pour autant je suis ravi d’avoir découvert une autrice dont l’écriture m’a vraiment charmé. Et étant donné mes dernières lectures décevantes, c’est déjà une belle satisfaction.

La femme qui rit de Brigitte Pilote. Seuil, 2020. 160 pages. 16,00 euros.     






mercredi 17 juin 2020

Stop Work - Jacky Schwartzmann et Morgan Navarro

Jacky Schwartzmann qui signe son premier scénario de BD, je ne pouvais pas rater ça ! En plus le sujet qu’il traite ici est dans la même veine que Mauvais coûts, qui reste pour moi son meilleur roman.

Nous voilà donc plongés dans le monde de l’entreprise avec Fabrice, quadra en charge des achats pour la société Rondelles SA. Un cadre à l’ancienne, sûr de lui et de son expérience, qui règle les contrats au resto un verre à la main et qui joue aux grandes gueules tout en cirant les pompes de la direction afin d’obtenir une promotion. Problème pour Fabrice, le monde du travail évolue plus vite que lui, les formes de management et de communication changent et surtout le volet « Hygiène et sécurité » prend de plus en plus d’importance, avec des normes et des pratiques qui frisent parfois le ridicule. Résultat, Fabrice a du mal à suivre. Et la nomination au poste qu’il convoitait d’une jeunette psychorigide plus froide que les glaçons qu’il glisse dans son whisky risque de l’achever et de le pousser sans ménagement vers la sortie…   

Un portrait grinçant des grandes entreprises qui, sous couvert de mieux protéger leurs salariés, les infantilisent et les contrôlent davantage chaque jour. Échauffement collectif avec un ostéopathe, formation pour descendre un escalier en toute sécurité, piles de l’horloge impossibles à changer si on n’a pas de certification pour monter sur un escabeau, obligation de se garer en marche arrière en arrivant le matin pour éviter un accident en sortant de sa place de parking le soir, les règles s’empilent et Fabrice s’emporte de ne voir personne s’indigner devant tant d’absurdités.

Un album qui donne dans la satire sociale en dénonçant la mainmise d’équipes managériales  déshumanisant de plus en plus la vie de l’entreprise. C’est plutôt bien vu et beaucoup de situations sentent le vécu. On rit (jaune) souvent mais ce n’est pas non plus férocement drôle comme peut l’être Schwratzmann dans ses romans. Disons que ça manque un poil de densité, d’épaisseur, de longueur. Graphiquement, si la bichromie de jaune et de bleu pâle n’a rien de chatoyant, le dessin va à l’essentiel et donne dans l’efficacité avant tout. Au final une lecture plaisante qui reste néanmoins loin du coup de cœur. J’en attendais sans doute trop.

Stop Work de Jacky Schwartzmann et Morgan Navarro. Dargaud, 2020. 140 pages. 18,00 euros.





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