jeudi 17 janvier 2013

Éloge des garces

Liaut © Payot 2013
Saviez-vous que jusqu’au 16ème siècle, garce était le féminin du mot gars. Les dictionnaires lui donnèrent par la suite un autre sens, faisant de la garce une méchante, une fille de mauvaise vie. L’auteur prévient d’emblée : si la garce aime défier les conventions sociales, ne voyez pas en elle une féministe ! Cette femme, le plus souvent  « magnifique effrontée », se caractérise en premier lieu par son appétit de vivre : « Elle n’est intolérante qu’à la frustration. »

Dans son éloge, Jean-Noël Liaut dresse une rapide classification des différents types de garces, en commençant par la courtisane, garce parmi les garces, voleuse de mari qui n’aime rien moins que presser ses richissimes protecteurs « jusqu’au moment où ils ne donnent plus de jus. » Ainsi « La Belle Otero », chanteuse et danseuse de cabaret de la belle époque. Fille de prostituée, violée à 11 ans, elle haïssait tant les hommes que les détruire devint son passe-temps favori. Rien ne lui faisait plus plaisir que de comptabiliser les suicides de ses amants délaissés. 

Parmi les nombreuses femmes de lettres que l’on peut qualifier de garces, l’auteur retient trois noms : Louise de Vilmorin, connue pour son égocentrisme qui « portait plus volontiers le deuil d’un vase que celui d’un être humain » et qui déclara : « Une personne est intéressante parce que je l’intéresse. » Anaïs Nin, fieffée menteuse qui ne cessait dans son journal de travestir la réalité à son profit. Et enfin Dorothy Parker, célèbre pour son incommensurable méchanceté et sa capacité à afficher au fil de son œuvre ses multiples dégoûts et sa cruelle lucidité. 

Une autre caractéristique de la garce est son coté glamour. L’icône absolue des GG (Garces Glamour, un acronyme imaginé par l'auteur) reste incontestablement la somptueuse Marlène Dietrich. On peut y ajouter Joan Crawford et Bette Davis, flamboyantes garces hollywoodiennes devenues les pires ennemies. Quand Davis balançait, apprenant que Crawford voulait jouer du Shakespeare : « Nous sommes tous tellement excités de savoir que Joan a appris à lire », l’autre rétorquait : « Miss Davis a couché avec toutes les stars masculines de la MGM, à l’exception de Lassie. »

Toujours dans le domaine des garces glamour, on pourrait citer les filles de la famille Gabor qui, à elle quatre (les trois sœurs et leur mère) comptabilisèrent vingt-trois maris. Des croqueuses de mâles assumant leurs actes avec une épatante répartie. Ainsi Zsa Zsa déclara-t-elle : « Je n’ai jamais assez détesté un homme pour lui rendre ses diamants. »

Pour Liaut, le mot « garce » est à l’évidence un titre de noblesse en voie de disparition. Parmi les figures féminines actuelles, il n’y a guère que les couguars et les belles-mères qui méritent selon lui ce qualificatif. Ce n’est pas Blanche Neige et Cendrillon qui diront le contraire. Et puis un dicton italien n’affirme-t-il pas : « La vipère qui a mordu ma belle-mère est morte empoisonnée. »

Cet éloge est donc un bel hommage (certes un peu rapide) empreint de nostalgie. Les suppôts du politiquement correct ont fini par faire des garces une espèce quasi éteinte : « aujourd’hui, l’inventaire des spécimens les plus célèbres de ces trois cents dernières années ressemble à une liste de braves tombés au combat. La garce fière de son état, qui s’affichait avec franchise, sans remords, est délaissée au profit d’une fadeur frileuse et soporifique. » Les garces auraient donc disparu. Personnellement ça ne me gêne pas mais à y regarder de plus près, je ne suis pas loin de partager ce constat. Je travaille depuis longtemps dans un milieu très féminin et je n’ai jamais eu l’impression de côtoyer la moindre garce. Pareil avec la blogosphère (du moins pour ce qui concerne les blogs consacrés à la lecture) : quasiment que des filles et, il me semble, pas l’ombre d’une garce. Suis-je naïf à ce point ?     

Éloge des garces de Jean-Noël Liaut. Payot, 2013. 120 pages. 13,50 €

PS : je veux bien faire de cet ouvrage un livre voyageur. Si certaines d’entre vous veulent en savoir plus sur les garces célèbres, n’hésitez pas !

mercredi 16 janvier 2013

Voyage aux îles de la Désolation - Emmanuel Lepage

Lepage © Futuropolis 2011
Em-ba-llé ! J’ai été tellement emballé par la lecture d’un printemps à Tchernobyl la semaine dernière que j’ai voulu enchaîner de suite avec le précédent album d’Emmanuel Lepage, Voyage aux îles de la Désolation. Aussitôt dit, aussitôt fait et j’ai embarqué durant le week-end pour une croisière des plus dépaysante. 
      
En mars 2010, Emmanuel Lepage et son frère photographe passent un mois à bord du Marion Dufresne, un navire assurant le ravitaillement et la relève de personnel des TAFF (Terres australes et antarctiques françaises). De la Réunion aux Kerguelen en passant par St Paul et les îles Crozet, le dessinateur découvre la fureur des 40èmes rugissants et des 50èmes hurlants et vit une incroyable aventure humaine vers « le bout du bout du monde ». A bord du bateau, des scientifiques, des militaires et quelques touristes triés sur le volet. Lepage décrit l’expérience de manière linéaire et chronologique, réalisant des portraits, recueillant des témoignages et croquant sur le vif la faune et la flore propres à chaque île. Il s’autorise aussi quelques flash-backs historiques sur l’histoire de certains lieux emblématiques (notamment les Kerguelen) et s’attarde le plus souvent sur les menus détails qui régissent la vie à bord, focalisant son attention sur les liens qui se créent à l’intérieur de ces petites communautés isolées. La tension est souvent palpable dans cet univers clôt mais au final l’entraide et la fraternité demeurent les garants d’une certaine forme de stabilité.

Le dessin, tantôt au pastel, à l’aquarelle ou au fusain, est somptueux. Le rendu de la texture de l’eau, sa transparence, le jeu sur la lumière, tout est magnifique. Lepage a établi un code simple pour que le lecteur s’y retrouve entre ce qui a été dessiné sur place et le reste : la couleur pour les croquis d’après nature, le sépia pour les flashs-back et le lavis en noir et blanc pour le présent du récit.    

Hommage à la France du bout du monde et aux hommes qui y consacrent une bonne partie de leur vie, Voyage aux îles de la Désolation n’est pas qu’un simple carnet de voyage, loin de là. Si je devais le comparer avec Un printemps à Tchernobyl, il me semble que je préférerais quand même ce dernier. Sans doute pour son coté plus introspectif. L’expérience menée en Ukraine a quelque chose d’intime, c’est une réflexion très personnelle alors que ce récit maritime est davantage tourné vers autrui. En soi, ce n’est pas un défaut mais cela me touche moins. Ne vous méprenez pas pour autant, cet album reste une pépite et si vous êtes en manque d’embruns et de dépaysement, vous ne trouverez pas mieux pour respirer à pleins poumons l’air du grand large.  

Voyage aux îles de la Désolation d’Emmanuel Lepage. Futuropolis, 2011. 158 pages. 24,50 euros.




Les avis de Marilyne ; Yvan ; Choco ; Noukette ; Yaneck ; Mango



Lepage © Futuropolis 2011


mardi 15 janvier 2013

Crève saucisse - Pascal Rabaté et Simon Hureau

Hureau et Rabaté
© Futuropolis 2013
Pas une bonne idée de faire des cornes à un boucher. Surtout s’il est fan de BD et qu’il trouve dans un album de Gil Jourdan un plan machiavélique pour mettre au point une implacable vengeance. Didier découvre la liaison de sa femme Laurence avec son copain Eric. Le coup est rude à encaisser mais il se dit que ces deux-là ne perdent rien pour attendre. Les vacances en couples à Noirmoutier seront l’occasion de leur faire payer une addition des plus salées…   

Crève saucisse est une comédie de mœurs noire et grinçante. Simon Hureau explique que Rabaté lui a confié un scénario principalement composé de dialogues, comme une pièce de théâtre. D’où au final ce coté vaudeville, l’humour en moins et l’acidité en plus. Le boucher amoureux est touchant. Il encaisse, souffre, cogite et décide d’agir. Il sait que sa vengeance ne lui ramènera pas sa femme mais au moins elle lui met un peu de baume au cœur. Il comprend aussi que sa moitié ait des envies d’ailleurs, qu’elle ne se contente plus d’un « petit artisan bedonnant. » Elle, de son coté, est hyperémotive et un brin fleur bleue. Elle ne vit pas l’adultère comme une simple histoire de cul. Le salaud, c’est l’amant, arriviste et profiteur qui couche avec la femme de son pote sans se poser de questions. Rabaté évite l’équation simpliste qui mettrait d’un coté le pauvre cocu juste bon à plaindre et de l’autre la femme insensible et calculatrice juste bonne à être clouée au pilori. C’est cette finesse qui fait le sel du récit.

Niveau dessin, Hureau propose un trait plus épuré, moins chargé de détails que dans la plupart de ses autres productions. Simple et efficace, la lisibilité avant tout.

Une lecture agréable sur un sujet déjà abordé des milliers de fois et quasi impossible à renouveler. Je ne regrette absolument pas d’avoir jeté  mon dévolu sur cet album mais je me demande s’il m’en restera grand-chose dans quelques temps. En tout cas il m’a au moins permis de relire La voiture immergée ce week-end, pour voir quelle influence a eu le scénario de Tillieux sur le plan imaginé par le boucher. Et rien que pour ça, ça valait la peine !

Une lecture de plus que j’ai le plaisir de partager avec Mo’. Si je devais reprendre son célèbre système de notation, je gratifierais cet album d’un pouce levé, ni plus, ni moins.

Crève saucisse de Pascal Rabaté et Simon Hureau. Futuropolis, 2013. 80 pages. 17 euros.


Hureau et Rabaté © Futuropolis 2013

lundi 14 janvier 2013

La boucherie des amants de Gaetano Bolan

Bolan © Livre de poche 2011
Dans une petite ville chilienne, sous Pinochet, une boucherie de quartier tenue par Juan est le théâtre de nombreuses rencontres. Le boucher veuf, son fils aveugle Tom et l’institutrice Dolores forment le noyau central de l’histoire. S’y ajoutent le coiffeur Chico et quelques membres d’un bureau révolutionnaire se réunissant dans une pièce située à l’arrière de la boucherie. Des gens de peu qui rêvent d'un avenir meilleur... 

Je ne voulais pas garder une mauvaise impression de Gaetano Bolan. Son second roman m’a fortement déplu, c’est le moins que l’on puisse dire. Et comme je n’ai eu que de bons échos sur cette boucherie des amants, je ne me suis pas fait prier. Pour le coup je ne regrette pas. Ce texte propose une petite musique tout en simplicité qui sonne juste. Les personnages sont bien campés et il se dégage de ce court roman beaucoup d’amour et d’espoir, même si la fin tragique rappelle à quel point le Chili de cette sombre époque fut le tombeau de nombre d’opposants au régime. J’aime cette écriture minuscule qui cherche l’épure plutôt que le lyrisme. Phrases courtes, chapitres de trois ou quatre pages maximum, succession de scènes s’enchaînant avec dynamisme pour former un récit où une certaine forme de poésie côtoie une bonne dose de réalisme. Une belle réussite en somme.       
  
Comment expliquer une telle différence entre ce premier roman et le second ? Difficile à dire. Si je devais tenter une explication toute personnelle, je dirais que le second relève peut-être de l’exercice de style, d’une tentative (malheureuse) de se faire plaisir dans un registre particulier. Nul doute en tout cas que je serais au rendez-vous si Gaetano Bolan publie un nouveau texte. Ne serait-ce que pour voir quelle direction va prendre cet auteur insaisissable.    

La boucherie des amants de Gaetano Bolan. Le livre de poche, 2011. 92 pages. 4,50 €.

samedi 12 janvier 2013

Wilderness de Lance Weller (Gallmeister)

Weller © Gallmeister 2013
Le prologue se déroule en 1965. Dans la petite chambre de sa maison de retraite, Jane Dao-ming Poole est submergée par les souvenirs. La vieille femme, aveugle depuis que ses yeux ont gelé au cours d’un hiver fort lointain alors qu’elle n’était qu’une petite fille, repense à ses trois pères. De son premier, il ne lui reste rien. Elle sait juste qu’il a été tué en même temps que sa mère, dans les montagnes, alors qu’elle avait cinq ans. C’est son second père, Abel Truman, qui l’a secourue et l’a sauvée d’une mort certaine. Le troisième a pris le relais peu après. Glenn Makers l’a adoptée et éduquée au mieux. Lui, l’homme noir marié avec une femme blanche, qui sera retrouvé pendu à une branche de peuplier.

C’est Abel Truman qui est au cœur du roman. Les chapitres alternent entre deux époques. On suit d’une part son parcours en mai 1864, au moment de la terrible bataille de la Wilderness, une des plus sanglantes de la guerre de sécession. Soldat confédéré (sudiste), Abel vit l’horreur absolue pendant plusieurs jours avant d’être recueilli et soigné par une esclave en fuite. Fait prisonnier, il décide à la fin du conflit de rejoindre la côte pacifique, au nord-ouest. On l’y retrouve en 1899, vivant en ermite dans une cabane au bord de la plage avec son chien pour seul compagnon. Malade et fatigué, il décide d’effectuer un dernier voyage au cœur de la forêt. C’est là, après de douloureuses péripéties, que sa route croisera celle de la petite Jane.   

Encore un premier roman américain impressionnant. Quel souffle, quelle maîtrise de la narration ! L’écriture de Lance Weller est très visuelle, riche de bruits et d’odeurs. La longue partie consacrée à la bataille de la Wilderness est d’un réalisme sidérant qui m’a laissé groggy. Du très grand art ! Weller est un peintre subtil de la nature. Il procède par petites touches, entre lumière et crépuscule, s’attardant sur les moindres détails. Il serait toutefois injuste de limiter Wilderness à un simple exercice de Nature Writing. Il y est aussi question de souvenirs déchirants, de convictions ébranlées et de rédemption.    
            
Aussi solidement charpentée qu’ambitieuse, cette épopée à travers l’Amérique sauvage de la seconde moitié du 19ème siècle est une nouvelle pépite dénichée par les éditions Gallmeister. Pour mon premier roman de l’année 2013, je ne pouvais pas rêver mieux !           
  
Wilderness de Lance Weller. Gallmesiter, 2013. 335 pages. 23,60 euros. 

Les avis de Dominique et de Clara


vendredi 11 janvier 2013

Ronde de nuit - Simon Hureau

Hureau © Didier jeunesse 2013
La nuit, tous les chats sont gris. Certes, mais il se passe bien d’autres choses la nuit venue. Une fête dans un immeuble, un train qui passe, des hommes et des femmes sortant du restaurant, un renard qui bondit dans la lumière des phares...

Un superbe album où les illustrations invitent à la contemplation. La nuit est ici présentée comme un moment paisible et agréable. Une période au cours de laquelle l'activité ne s'arrête pas, bien au contraire. Simon Hureau aborde le sujet loin des thématiques angoissantes que l’on retrouve souvent. Point de danger ou de mystère, juste une déambulation sereine. Les illustrations, indépendantes les unes des autres, défilent en même temps que les heures que l’on peut lire sur chaque double page, coté gauche. Une succession de petits tableaux magnifiques où le noir et les différents tons de bleu sont d’une surprenante douceur. Le texte, plutôt poétique, nous emmène dans une délicieuse balade du crépuscule à l’aurore. Pendant que l’adulte lit, l’enfant observe, cherche les détails entre ombre et lumière. Autant d’arrêts sur image dont on se délecte avec la plus grande attention.     
 
Le livre en lui-même, avec sont format à l’italienne et sont épais papier mat, est un fort bel objet. Une lecture apaisante à partager avec un petit bout qui voit arriver la nuit avec appréhension. J’ai beaucoup aimé et ma pépette n°2 aussi. D’ailleurs elle a monté l’album dans sa chambre, sur sa table de chevet. Un signe qui ne trompe pas, il va falloir le relire souvent. Tous n’ont pas cette chance, loin s’en faut !

Ronde de nuit de Simon Hureau. Didier jeunesse, 2012. 36 pages. 13,10 euros. A partir de 4-5 ans.



Hureau © Didier jeunesse 2013

jeudi 10 janvier 2013

Treize alligators - Gaetano Bolan

Bolan © Livre de poche 2012
En voulant faire une blague idiote à son ancien patron, Manuel déclenche une catastrophe. Obligé de quitter en catimini la petite ville d’Arica avec sa famille, il part pour Valparaiso. Sur place, une mauvaise rencontre va plonger ce grand couillon dans un engrenage dévastateur dont il ne sortira pas indemne…

Bon, avouons-le sans détour, je n’ai pas passé un bon moment avec ce roman. Rien ne tient debout. L’histoire est totalement improbable (un mafieux croisé dans les chiottes d’un bar vous confie une mission mettant en jeu des sommes énormissimes alors qu’il vous connait depuis 24 heures. Bien sûr, bien sûr…). Impossible d’y croire une seconde. Quitte à se lancer dans le foutraque et le décousu, autant jouer sur la dérision et l’humour comme le fait Hiassen (je vous en parle bientôt, promis Hélène). Ou alors il faut tomber dans l’hyper réalisme noir et désespéré version Benjamin Whitmer, Eric Miles Williamson ou encore Richard Price. En tout cas on ne peut pas rester dans l’eau tiède. Ici l’écriture est plate, scolaire, sans aucune personnalité. Les dialogues sonnent faux et même le décor ne dégage aucun charme. Heureusement que l’on sait au départ que ça se passe au Chili parce que sinon on aurait du mal à le deviner.  Après je ne veux pas non plus être trop méchant (trop tard me direz-vous^^). Le personnage de Manuel est plutôt bien campé, comme sa nympho de petite amie. Il y a quelques passages assez drôles et les très courts chapitres donnent du rythme. Pour le reste, je ne préfère pas en dire plus…

Désolé Clara, je sais que tu as beaucoup aimé mais je ne te suivrais pas sur ce coup là. Après tout, on peut bien ne pas être d’accord de temps en temps. On m’a soufflé que le premier roman de l’auteur était beaucoup plus réussi. Comme je ne veux pas rester sur une mauvaise impression, je vais m’y mettre de ce pas.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette, même si pour une première on aurait pu mieux tomber. Pas grave, on essaiera de se rattraper la prochaine fois.

Treize alligators de Gaetano Bolan. Le livre de poche, 2012. 135 pages. 5,10 €.

mercredi 9 janvier 2013

Un printemps à Tchernobyl - Emmanuel Lepage

Lepage © Futuropolis 2012
Avril 2008. Emmanuel Lepage arrive en Ukraine, près de Tchernobyl. Accompagné de l’illustrateur Gildas Chasseboeuf, il se rend sur place pour réaliser un reportage sur la vie des survivants et de leurs enfants à l’ombre de la centrale. D’abord terrorisé par les risques de contamination, le dessinateur va finir par appréhender les lieux avec davantage de sérénité et découvrir que, malgré l’horreur de la situation, les habitants résistent et s’organisent.
     
Si le début de l’album est particulièrement anxiogène, les choses basculent peu à peu par la suite. Bien sûr les autochtones vivent dans une misère totale, « abandonnés à leur sort avec l’alcool et la foi comme seuls horizons » mais leur accueil est chaleureux, la joie de vivre reste présente malgré tout et l’entraide n’est pas un vain mot. Lepage va aussi s’apercevoir qu'il n'y a pas à Tchernobyl d’animaux à cinq pattes, que le muguet continue de fleurir et que les champignons (certes radioactifs) poussent toujours aux pieds des arbres. Venu pour dessiner l’horreur, il constate « l’éclatante beauté des lieux. » Dans ce monde dangereux qui « se cache, triche, ment », il veut « trouver des signes tangibles qui disent la tragédie. »  La difficulté pour lui est de retranscrire l’invisible, l’impensable. Dans la zone interdite près de la centrale, il découvre « une terre sans les hommes… et qui s’en passe. […] Une terre d’où les hommes sont exclus, se sont exclus, se sont chassés eux-mêmes. » Venu défier la mort dans un décor de fin du monde il se surprend à constater que la vie, coute que coute, n’a jamais baissé les bras.
 
Le dessin est sublime, envoutant. Le gris délavé des premiers temps laisse peu à peu la place à la lumière et à la couleur. Quelques grandes cases panoramiques, un découpage plus resserré, intimiste, lorsque les scènes se déroulent à l’intérieur des maisons. C’est simple, beau et efficace, rien à dire.
 
La sincérité de la démarche de Lepage est remarquable. Il a su retranscrire l’évolution de ses sentiments au fil de son séjour. Impossible pour lui de nier la beauté de cette nature et de cette humanité toujours debout malgré le désastre. Persuadé dans un premier temps qu’il aura matière à réaliser un implacable témoignage à charge contre le nucléaire, il se retrouve au final à proposer un récit qui, sans nier la réalité et le danger permanent de contamination, fait d’abord et surtout la part belle à l’amitié, à l’espoir et à la solidarité. Chapeau bas pour ce tour de force !
 
Un album qui m’a fait du bien. Par son indéfectible optimisme mais aussi parce que nos petits soucis nous paraissent bien légers à coté de ce qui se passe là-bas. Une évidence qu’il est parfois bon de se rappeler. Merci Mo’ pour ce beau cadeau, tu ne pouvais pas trouver mieux !

Un printemps à Tchernobyl d’Emmanuel Lepage. Futuropolis, 2012. 164 pages. 24,50 euros.  


Lepage © Futuropolis 2012











mardi 8 janvier 2013

Gabriel et Gabriel - Pauline Alphen

Alphen ©
 Le livre de poche jeunesse 2011
A onze ans, Gabriel prend l’avion pour la première fois. Seul. Il part pour le Brésil, pays natal de sa mère, passer les vacances dans une famille qu’il ne connaît pas. Sur place, c’est sa marraine qui l’accueille. Gabriel découvre un drôle de pays. Tellement de chaleur, d’humidité… Le soleil semble plus grand, plus blanc et quand il pleut, « les grosses gouttes chaudes s’écrasent sur la peau avec un bruit de balle qui claque. Le ciel gronde et fume, les arbres gémissent et ploient comme s’ils allaient tomber. Et puis, brusquement, la pluie repart comme elle est venue, les arbres s’ébrouent et se redressent, le ciel redevient bleu comme dans une peinture, la terre sent bon, le soleil se dépêche de tout sécher, la vie entière est lavée. » Au Brésil, Gabriel va rencontrer un autre Gabriel, du même âge que lui. Alors que tout semble les opposer, les deux garçons vont devenir amis, jusqu’au jour où la magie va s’en mêler…


Pauline Alphen aura mis 19 ans à rédiger une version définitive de ce texte. Née d’un père français et d’une mère brésilienne (comme son héros), elle a à l’évidence mis beaucoup d’elle-même dans ce court roman fort bien écrit. Jouant avec sensibilité sur le registre de l’amitié et de la différence, elle campe deux enfants attachants en diable.    

L’écriture assez elliptique, les nombreux dialogues et le changement de narrateur (lorsque Gabriel écrit dans son journal à la première personne) pourront rendre le texte difficilement accessible aux faibles lecteurs. De même les mots brésiliens, très fréquents et non traduits, renvoyant au lexique en fin d’ouvrage, cassent parfois le rythme de la lecture et la fluidité de l’ensemble. Mais ces quelques bémols n’empêcheront pas une très grande majorité d’apprécier à sa juste valeur ce récit intimiste et touchant faisant la part belle aux sentiments sans aucune mièvrerie. 

Gabriel et Gabriel de Pauline Alphen. Le livre de poche jeunesse, 2011. 122 pages. 4,90 euros. A partir de 9 ans.

dimanche 6 janvier 2013

Mon premier atlas de la terre

© Tourbillon 2012
Encore une belle découverte des éditions Tourbillon avec ce Premier atlas de la Terre qui fait suite à La maison aux trésors.  Ce n’est pas seulement un atlas mais un ensemble composé de trois parties : d’abord un planisphère géant dépliable, ensuite un livre d’accompagnement présentant 80 animaux, lieux de vie, instruments de musique et moyen de transport continent par continent, enfin une planche d’autocollants à positionner au bon endroit sur le planisphère en fonction des informations trouvées dans le livre d’accompagnement. Une vraie gymnastique interactive et ludique qui oblige à jongler entre les trois supports. Remplir la carte avec application demande un minimum d’attention (pour ne pas mettre la tour Eiffel en Chine ou les pyramides en Russie). Surtout, le petit lecteur apprend plein de choses grâce au livre, puisque dans ce dernier chaque autocollant est illustré par un texte de quelques lignes. Par exemple, ce drôle d’oiseau que l’on colle sur l’Islande est un macareux et quand il pêche, il peut coincer jusqu’à 30 poissons dans son bec ou alors ces habitations de cinq à sept étages au Yemen qui ont plus de mille ans et sont toujours habitées s’appellent des maisons-tours. Pas forcément des infos indispensables mais le fait de ne pas se concentrer sur des éléments économico-démographiques rend les choses abordables pour les petits bouts.
Bref, l’enfant apprend et s’amuse. Avec cet atlas, la Cathédrale Saint-Basile de Moscou, la mosquée d’Ispahan, le Taj Mahal ou encore la statue de la liberté n’auront plus de secrets pour lui. Ma pépette n°2 a passé une bonne heure à placer tous les autocollants et depuis elle y revient régulièrement pour picorer selon ses envies des informations sur tel ou tel continent. L’autre jour j’ai eu droit à « Papa, je savais pas que le Japon c’était en Asie ! » J'ai pensé : ok, le programme de géographie en CE1 n’est pas au point mais au moins cet atlas aura servi à quelque chose.
  
Un beau cadeau pour découvrir le monde en douceur. Testé, approuvé et adoré par le public cible, je ne peux pas vous dire mieux !

Mon premier atlas de la terre de Cécile Jugla, Sandra Laboucarie et Julie Mercier. Tourbillon, 2012. 48 pages. 16,95 euros. A partir de 5 ans.

L'avis de Sophie

extrait du livre d'accompagnement

Un "bout" du planisphère
(avec les autocollants)