mercredi 8 avril 2015

Emmett Till : Derniers jours d’une courte vie - Arnaud Floc’h

20 août 1955. Emmett Till, 14 ans, descend du train en gare de Money, dans le fin fond du Mississippi. Ce gamin noir de Chicago vient passer ses vacances chez son oncle. Faisant fi des mises en garde, Emmett le fanfaron décide d’entrer dans une épicerie interdite aux nègres. On ne saura jamais ce qu’il s’est réellement passé à l’intérieur mais la femme blanche derrière la caisse accusera Emmett de lui avoir « manqué de respect ». Un affront suffisamment grave pour que son mari et le demi-frère de ce dernier décident de faire payer à l’impudent son comportement inadmissible. Le 31 août, le corps d’Emmett est sorti de la rivière, atrocement mutilé. Arrêtés, les deux hommes reconnaissent l’enlèvement du garçon mais nient le meurtre. Au bout de trois jours de procès et 67 minutes de délibération, les jurés, tous blancs, prononcent leur acquittement malgré de nombreux témoignages à charge. Ils ressortent de la salle d’audience sous les vivas de la foule, posant pour les photographes aux bras de leurs épouses, cigares et larges sourires aux lèvres.

Un album plein de rage et d’indignation. Les faits se suffisent à eux-mêmes, il n’est pas nécessaire d’en rajouter, Arnaud Floc’h l’a bien compris. La sobriété renforce l’aspect tragique de cette innommable barbarie. Le scénario est habilement construit, multipliant les allers-retours entre 1955 et 2015. On sent la chaleur du mois d’août dans le sud profond, l’humidité poisseuse du bayou, mais aussi la résignation d’une population afro-américaine sous le joug d’une ségrégation séculaire semblant impossible à remettre en cause. On sent la cruauté des bourreaux, la peur panique d’Emmett, sa souffrance, son martyre. Un enfant d’à peine 14 ans… L’émotion monte au fil des pages, la gorge se serre et la colère ne cesse de gronder. On referme l’ouvrage groggy, secoué par tant d’horreur et d’injustice. Le dossier pédagogique final, avec remise dans le contexte historique, témoignages et photos d’époque, apporte un éclairage encore plus édifiant à ce fait divers abject.

Une BD d’utilité publique, surtout par les temps qui courent, pour rappeler à ceux qui en douteraient encore que l’inhumanité et la bêtise n’ont aucune limite. La mort d’Emmett aurait inspiré Rosa Parks lorsqu’elle refusa de céder sa place à un blanc dans un bus, en décembre de la même année. Le calvaire vécu par ce pauvre garçon et l’acquittement de ses assassins constituent pour certains historiens la pierre angulaire de la lutte pour les droits civiques des noirs aux États-Unis. Un élément déclencheur qui aura eu le mérite de dresser l'ensemble d'une communauté face à l'arbitraire, même si cette revanche posthume n’effacera jamais les supplices endurés.

Emmett Till : Derniers jours d’une courte vie d’Arnaud Floc’h. Sarbacane, 2015. 80 pages. 19,50 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka et Noukette.



La BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie







52 commentaires:

  1. Comme je suis heureuse que tu aies mis ce livre entre mes mains. A diffuser, à prêter, à lire, à mettre dans les CDI. Il faut qu'Emmett Till devienne un nom familier, qu'on sache. Cela m'a donné l'idée d'une séquence de travail avec mes 3e et je vais parler de ce titre avec mes collègues.

    Je te laisse le lien vers l'article que j'avais uniquement donné à Noukette. https://aumilieudeslivres.wordpress.com/2015/04/08/emmett-till-derniers-jours-dune-courte-vie-arnaud-floch/

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    1. J'ai rajouté ton lien. Et je tenais absolument à le lire avec vous deux, il me fallait être bien accompagné pour donner à ce titre le coup de projecteur qu'il mérite.

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  2. Il semblerait qu'il soit nécessaire d'avoir le cœur bien accroché pour faire cette lecture. Je pense que c'est dans mes cordes ;) Merci pour vos avis !

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    1. Il faut surtout être prêt à sortir de cet album indigné et en colère.

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  3. C'est dingue!!! 1955 ce n'est pas vieux . A lire c'est sûr .

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    1. Oui, ça fait tout juste 60 ans. Seulement 60 ans.

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  4. Je viens de la mettre dans mon "panier"

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  5. c"est une histoire dont j'ai déjà entendu parler, je me souviens que l'un des policiers du sud avait déclaré, quelque chose comme ça "les noirs de Chicago ils se croient tout permis , nous dans le Sud on va leur apprendre à vivre" , quand j'écris ce commentaire un noir s'est fait tirer dans le dos par un policier blanc , la police américaine a encore bien des progrès à faire avant que TOUS les habitants de ce grand pays puissent lui faire confiance.

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    1. Là, les assassins ne sont pas des policiers, mais l'état d'esprit reste le même pour de nombreux blancs, surtout dans les états du sud.

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  6. sublime billet, merci merci
    suis KO par la lecture de vos petits mots ....

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    1. La lecture de l'album te laissera encore plus KO !

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  7. Et dire que cette époque est si proche et que ces problématiques restent d'actualité ..

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  8. Vous y mettez à trois, c'est pas sympa! Du coup ben moi je succombe!

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  9. Voilà. Tu as tout dit. Comme Moka je te remercie de m'avoir confié cette pépite, vraiment. A lire et à faire lire au plus grand nombre, je vais m'y atteler, crois moi...

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    1. Je ne doute pas une seconde que tu vas tout faire pour le défendre, cet album.

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  10. Aïe, ça a l'air dur…J'aime le sujet, ça me parle, je le mets donc immédiatement sur ma liste, mais j'ai peur de ne pas pouvoir aller au bout de cette lecture si elle est trop rageante...

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    1. Il faut aller au bout de la lecture, quoi qu'il arrive ;)

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  11. Oh, je note ! Un sujet brûlant et trop vrai encore ...

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  12. Le plus terrible c'est que c'est toujours d'actualité. Je pense à Trayvon Martin, à Michael Brown...

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  13. Ah, ça m'intéresse forcément ! Je pourrais même en faire une urgence 2015 !

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    1. Il te reste 8 mois, il ne va pas falloir traîner ;)

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    2. Quasi dans ma PAL (d'ici la fin de la semaine^^). Il y a des urgences qui n'attendent vraiment pas.^^

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    3. J'aime ta façon de gérer les urgences ;)

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  14. Je la lirai. Aucun doute là-dessus

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    1. Et tu vas être aussi secouée que nous, aucun doute là-dessus.

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  15. Je n'ai pas encore eu le temps de la lire mais graphiquement elle me tentait bien, ton article me dit qu'entre demain et lundi cette BD sera lue !

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  16. Je viens justement de noter le titre d'un roman de Bernice McFadden où elle évoque l'histoire de Money à travers notamment l'assassinat d'Emmett Till. Oui, une "innommable barbarie".

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    1. Et dire que je ne connaissais absolument pas cette histoire...

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    2. C'est sûr, ce n'était ni en cours de civilisation américaine, ni en cours d'histoire. J'avais lu un article dans Ebony ou dans Jet à l'occasion du 30e anniversaire de la mort d'Emmett Till.

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    3. Me again. Ma sœur vient de me rappeler le titre d'un roman qui reprend cette histoire : Your Blues Ain't Like Mine de Bebe Moore Campbelle. (Je l'avais acheté à cause du titre et c'est à la lecture que je me suis rendu compte de quoi il s'agissait.)

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    4. C'est un fait divers qui continue sans doute à mettre beaucoup de monde mal à l'aise. En même temps, il y a de quoi.

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  17. Merci. Du fond du coeur. Je ne peux que l'aimer cette BD.

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    1. J'ai pensé à toi en la lisant, je me disais qu'elle serait entre de bonnes mains si elle arrivait chez toi ;)

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    2. Je l'ai lue lundi (en charmante compagnie, tu verras). Tu liras mon avis dans une dizaine de jours. J'ai bien sûr aimé.

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    3. Tu m'intrigues avec cette charmante compagnie. Mais je saurais me montrer patient pour découvrir le fin mot de l'histoire. Et puis tu as aimé, c'est le principal (même si je n'étais pas spécialement inquiet).

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  18. Je découvre celui-ci en même temps que l'autre "Mojo hand" et les deux me tentent beaucoup !

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