lundi 1 février 2010

L’ombre de ce que nous avons été


Santiago du Chili. Un tourne-disque jeté par la fenêtre au cours d’une dispute conjugale fracasse le crâne d’un passant quelques mètres plus bas. Ce passant n’est pas n’importe qui. Il s’appelle Pedro Nolasco Gonzalez. A 70 ans, cet anarchiste est une légende vivante, plus connu sous le sobriquet du Spécialiste.


Dans un hangar, trois sexagénaires se retrouvent, de retour d’exil 35 ans après le coup d’état de Pinochet. Ces anciens militants d’extrême gauche attendent le Spécialiste. Il doit leur proposer de participer à une action révolutionnaire. Evidemment, le Spécialiste ne viendra jamais. Celui qui se présente à sa place n’est pas un inconnu, mais c’est loin d’être une flèche…

Roman de l’exil, du déracinement et du temps qui passe (le titre résume merveilleusement l’ensemble !), ce texte se distingue par sa truculence et ses fulgurances littéraires. Ces papys tiennent plus des Pieds Nickelés que des grands héros révolutionnaires. Il ne leur reste que des souvenirs, et c’est déjà beaucoup. Sepulveda porte un regard plein de tendresse sur ces compatriotes qui lui ressemblent tant (proche des jeunesses communistes, il fit deux ans de prison sous Pinochet avant de s’exiler en Allemagne puis en Espagne).

Il dresse une galerie de personnages secondaires plus touchant les uns que les autres : un vieil inspecteur humaniste au grand cœur, sa jeune collègue pleine de bonne volonté ou encore cette femme qui regrette amèrement son exil berlinois et ne vit que grâce aux doux souvenirs laissés en Europe. Et puis il y a la ville. Santiago est un personnage à part entière Noyée sous les trombes d’eau pendant tout le roman, elle vit, elle aussi, avec la mémoire de sa grandeur passée. Aujourd’hui terne, sale, s’étant développée en dehors de tout contrôle, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Sepulveda aurait pu faire de son texte une mélopée d’une insondable tristesse. Il a choisi au contraire de traiter son sujet avec humour et de dérouler cette prose jubilatoire qu’il maîtrise si bien. A consommer sans modération.

L’ombre de ce que nous avons été, de Luis Sepulveda, Métailié, 2010. 150 pages. 17 euros.

L’info en plus : les éditions Points profitent de la sortie de ce nouveau roman pour publier en poche deux titres du grand auteur chilien. Le monde du bout du monde est paru pour la première fois en France en 1993. Réédité en poche dès 1995, il n’était plus disponible dans ce format depuis quelques années. La lampe d'Aladino et autres histoires pour vaincre l'oubli est l’avant dernier roman de Luis Sepulveda. Il paraitra pour la première fois en poche au mois de mars. Une belle occasion de compléter la bibliographie de ce magnifique romancier à moindre coût.

mardi 26 janvier 2010

Un bol plein de bonheur

Osaka, dans les années soixante. Ne supportant plus un mari alcoolique et joueur invétéré, Kazuo quitte le domicile familial avec Iroshi, son fils d’à peine 10 ans. Commence alors pour cette mère célibataire une existence rude faite d’efforts et de sacrifices pour donner à son enfant la meilleure éducation possible. « Je ne cède devant rien ni personne ». C’est avec cette maxime chevillée au corps qu’Iroshi et sa mère vont redoubler d’efforts et affronter avec une volonté de fer un quotidien parfois difficile. Le manga couvre en un volume plusieurs décennies de vie commune et se termine alors qu’Iroshi, devenu adulte et père de famille, enterre cette mère admirable qui lui aura tout donné sans jamais se plaindre.


L’entreprise de départ est noble. Montrer l’abnégation d’une mère célibataire prête à tout pour transmettre à son fils les valeurs morales nécessaires à faire de lui un homme bon, respectueux de soi et des autres est une idée remarquable et relativement originale. Cependant, la mise en scène de ce louable combat maternel sombre vite dans un pathos excessif. C’est essentiellement au niveau du dessin que le bât blesse. Les traits manquent de finesse, surtout pour les visages. Il y a énormément de gros plans où les expressions semblent forcées, très peu naturelles. On voit aussi couler beaucoup de larmes, des torrents entiers qui s’écoulent le long des joues et sous le nez. Là encore, la représentation des pleurs se veut grandiloquente, sans doute pour renforcer le caractère dramatique de la scène. Malheureusement, cela confine parfois au ridicule.

Vous l’aurez compris, le reproche majeur que je fais à ce manga est son manque de finesse. Le mélo atteint un paroxysme qui, en devenant outrancier, ne me touche plus.

Tsuru Moriyama a voulu réaliser un hymne aux mères courage qui n’hésitent pas à assumer seule l’éducation de leurs enfants. C’est une magnifique intention, mais je n’ai personnellement pas été embarqué dans ce drame trop larmoyant à mon goût.

PS : j’aimerais beaucoup avoir l’avis d’autres personnes sur ce manga car je pense que mon manque de sensibilité congénital (je n’ai jamais pleuré devant Bambi !) m’empêche sans doute de saisir toute l’intensité de ce drame. Ne vous fiez donc pas trop à mon opinion tranchée, il se pourrait bien qu’elle ne soit pas représentative de l’avis général.

Un bol plein de bonheur, de Tsuru Moriyama, Éditions Delcourt, 2010. 7,50 euros.

L’info en plus : La collection Gingko-Akata dans laquelle est publié ce manga est une collection qui s’adresse aux jeunes adultes en proposant des mangas de qualité très éloignés des blockbusters que l’on trouvent chez les grands éditeurs français de manga. C’est une collection qui est devenue prestigieuse grâce à son catalogue éclectique et souvent exigeant. On y trouve beaucoup de One Shot (Je ne suis pas mort, Le dernier été de mon enfance, Un bol plein de bonheur…), ce qui comble les lecteurs occasionnels de manga qui, comme moi, ne veulent pas s’embarquer dans des séries interminables. Bref, une collection qui vaut vraiment le coup d’œil.



dimanche 24 janvier 2010

Demain les fleurs

Le narrateur est un jeune garçon qui vit avec son grand-père. Ils passent leur premier hiver ensemble. Le temps est glacial. Chaque jour, le grand-père touche le pommier du jardin et lui murmure ces quelques mots : « demain les fleurs ». Malgré le froid et la neige, malgré le ciel gris et bas, le vieil homme reste serein car il sait que le printemps va finir par arriver. Pourtant, le 21 mars, rien n’a changé. Aucun bourgeon, aucune fleur. L’enfant et son grand-père partent voir les maisons voisines et constatent que toutes sont vides. Ne supportant plus la situation, le grand-père décide de créer ses propres fleurs pour appeler le printemps…

Un constat s’impose lorsque l’on referme ce court album : ce texte relève pour l’essentiel de l’onirisme et du rêve. Il y flotte une atmosphère éthérée, pleine de poésie. Les illustrations d’Anne Brouillard (ça ne s’invente pas !) donnent une impression de flou artistique qui renforce le caractère onirique de l’ensemble. Les enfants habitués à lire des textes réalistes auront peut-être quelques soucis de compréhension et pourront passer à coté des aspects poétiques et fantastiques. D’où l’importance de les accompagner dans leur lecture pour qu’ils puissent également saisir les thèmes sous-jacents abordés par cet album : la perte d’un être cher, la vieillesse ou encore les problèmes environnementaux (et si les saisons disparaissaient, si la Terre faisait payer aux hommes leur comportement irresponsable).

Finalement, on ouvre ce livre comme on entre dans un rêve : la réalité s’estompe peu à peu et tout peut arriver. Thierry Lenain a l’intelligence de ne pas tomber dans la facilité en ne terminant pas son récit avec la mort du grand-père. Au contraire, sa fin optimiste, qui semble refermer une parenthèse, offre au jeune lecteur un nouvel espoir : tous les hivers se terminent un jour, et le printemps si doux et si régénérant reviendra toujours apaiser les blessures.

Demain les fleurs, de Thierry Lenain et Anne Brouillard, Nathan, 2008. 6,50 euros. Dès 8 ans.

L’info en plus : La première édition de Demain les fleurs est parue en 2000 dans un grand format cartonné au prix de 12 euros. Suite à la sélection de ce titre dans la liste officielle du Ministère de L’Éducation Nationale en 2007, Nathan a choisi de le rééditer dans un format souple plus petit et surtout deux fois moins cher (6,50 euros). Une décision intelligente pour permettre aux écoles souhaitant le faire lire à leurs élèves de l’acquérir à moindre prix.

Un lien vers l'exploitation pédagogique de l'album proposée par l'éditeur : http://thierrylenain.hautetfort.com/media/00/00/2020597478.pdf



jeudi 21 janvier 2010

Les Pozzis T1 : Abel

Qui sont les pozzis ?


Les pozzis mesurent vingt centimètres. Ils ont une corne au milieu du front. Ils portent tous des robes dont ils peuvent changer la couleur et les motifs selon leur volonté. Ils vivent dans des grottes et se nourrissent uniquement de potage. Le chef des pozzis a une robe noire qui ne peut pas changer de couleur. Un pozzi vit en général plus de 200 ans. Leur pays est formé d’un immense tapis de mousse verte sur lequel se trouvent des lacs. A la lisière du pays des pozzis, il y a le Lailleurs où ne nul ne s’aventure parce que le Lailleurs fait trop peur.

Voila pour les présentations.

Abel est un pozzi différent des autres. Il ne sait pas changer de couleur de robe quand bon lui semble et il n’est pas doué pour construire des ponts, l’activité principale de ses congénères. Abel est un peu la risée de tous. Pourtant, un soir, son comportement étrange va attirer l’attention du chef. Et si Abel avait le Don ? S’il était un extralucideur, celui qui voit au-delà de Lailleurs et peut prévoir l’avenir ?

Ce petit monde ne vous rappelle rien ? On ne peut s’empêcher, à la lecture de ce premier tome, de faire un parallèle avec les schtroumpfs :

1) ce sont de petits êtres identiques qui vivent en communauté.
2) leur société est très hiérarchisée et chacun rempli un rôle précis : il y a les fabricateurs et assembleurs de briques, les réparateurs de ponts, les préparateurs de poudre à potage, les tisseurs de tapis, les constructeurs d’outils, de meubles ou d’instruments de musique…
3) ils ont un chef à l’habillement particulier qui représente une figure tutélaire que chacun respecte et écoute.

Ces points communs entre schtroumpfs et pozzis ne desservent pas le texte de Brigitte Smadja. Il n’y a ici aucun plagiat. L’univers reste original et inventif. Et force est de reconnaître que « ce livre pour les enfants qui aiment déjà lire tout seul », comme le précise l’éditeur, est adapté au lecteur : personnages attachants et rigolos, vocabulaire simple, déroulement linéaire de l’action qui s’étale sur deux jours sans rupture temporelle… Un souci toutefois avec l’absence de chapitres qui ne permet pas à l’enfant de « découper » sa lecture de manière cohérente (car il est évident qu’un enfant de 7 ou 8 ans ne lira pas cet ouvrage de 80 pages en une seule fois).

Livre traitant de la différence et du manque de confiance en soi, ce texte positif est également une belle invitation à découvrir le monde si particulier de ces drôles de créatures que sont les pozzis.

Les Pozzis T1, de Brigitte Smadja, L'école des loisirs, 2010. 8,50 euros. A partir de 7 ans.

L’info en plus : Le deuxième volume des Pozzis, intitulé Capone (le nom du chef) est sorti en même temps que le premier. Une belle occasion de faire coup double en achetant les deux à la fois pour que le lecteur (petit ou grand) qui a apprécié la première histoire puisse se lancer sans attendre dans la seconde. C’est une initiative intelligente de la part de l’éditeur et c’est assez rare pour être signalé.

dimanche 17 janvier 2010

Trop top Linotte ! T1

Linotte est une petite fille espiègle, positive et qui cherche toujours à avoir le dernier mot. Elle a son propre poney, le grassouillet Pimpon qui est son meilleur ami et qui apparaît dans chaque gag de l’album. Il y aussi les copines Anne-Sophie et Chloé, sans oublier Kevin, le garçon qui fait chavirer le cœur de toutes les filles de la classe. Un univers moderne et plein de tendresse pour une série s’adressant essentiellement aux petites filles qui savent déjà lire et aiment les poneys (ça fait beaucoup de lectrices potentielles !). A noter que les aventures de Linotte sont publiées chaque mois dans la revue Les P’tites sorcières


Que dire de cette petite Linotte ? Commençons par les points négatifs. J’avoue que j’ai beaucoup de mal avec le dessin. A mon époque (début des années 80), on découvrait la BD avec Roba, Morris, Peyo ou Franquin. Pour le coup, les séries d’aujourd’hui destinées aux plus jeunes ne peuvent pas soutenir la comparaison au niveau du dessin : Ludo, Karma, Oscar ou encore Sac à puces ne sont pas des réussites au niveau graphique. Seuls Geerts avec Jojo ou Laudec avec Cédric proposent un dessin classique proche des grands anciens. Dans le cas de Linotte, je trouve le dessin très moyen. Le lettrage aussi d’ailleurs. Pour des enfants qui lisent depuis peu, ce lettrage assez irrégulier et manquant de rondeur peut poser de gros problèmes de déchiffrage.

Deux autres choses m’ont moyennement plu. D’une part, je n’ai pas trouvé les gags très drôles. Mais après tout, rien de plus normal : ils ne sont pas destinés à un vieux schnock de 35 ans mais à des enfants de 8 ans. C’est une différence majeure à ne pas oublier. D’autre part, dans les dialogues, il y a parfois des expressions qui veulent « faire jeune » mais qui semblent un peu artificielles. Quelques exemples de ces tics de langage que je trouve assez désagréables : "trop nul", "trop cool", "trop bien", "trop top"  "hyper stylé"…

Heureusement, tout n’est pas négatif, loin de là. Première constatation positive : le format (26x20 cm), plus petit qu’une BD normale sans être un format poche, convient bien aux mains des enfants. De plus, le système consistant à proposer une histoire complète par double page est intelligemment pensé. Un enfant de 8 ans ne lira pas les 46 pages d’un seul coup, mais il pourra très facilement découper sa lecture en sachant que l’histoire se termine toujours au bas de la page de droite. Autre satisfaction, les parents vont enfin trouver une BD dont l’héroïne est une petite fille qui ne partage pas la vedette avec un garçon. Ca change de Sylvain et Sylvette ou Tom Tom et Nana !

Encore un point positif : l’environnement dans lequel évolue Linotte est moderne, bien ancré dans l’air du temps et tout à fait réaliste. La vie à la maison, à l’école, les relations avec les copines et les garçons… Les enfants peuvent facilement s’identifier à Linotte et ses camarades. Et puis il faut reconnaître que Linotte ne peut que faire rêver les petites filles. Vous vous rendez compte : avoir un poney qui vous emmène à l’école et que vous pouvez monter quand vous le souhaitez, c’est le bonheur total !

Un dernier conseil. Quand votre fille sera devenue trop grande pour apprécier l’univers très enfantin de Linotte, vous pourrez lui faire découvrir Lou, qui est à mon avis la meilleure série jeunesse actuelle pour les 10-13 ans, rien que ça !

Linotte est au fond une série très agréable qui peut tout à fait satisfaire le public auquel elle est destinée. Je vais d’ailleurs de ce pas l’offrir à ma fille de 8 ans, je suis sûr de faire une heureuse et d’obtenir en retour un avis beaucoup plus pertinent et objectif que le mien.


Linotte T1 : Trop top Linotte, de Catel, Claire Bouilhac et Judith Peignen, édition Dupuis, 2010. 48 pages. 9,50 euros. A partir de 7 ans.

L’info en plus : Catel n’est pas seulement une dessinatrice pour la jeunesse. Elle vient de publier, toujours aux éditions Dupuis mais pour les adultes, un ouvrage intitulé Rose Valland : capitaine beaux arts, qui retrace la vie de cette attachée de conservation au Jeu de Paume qui a recensé dans le plus grand secret les oeuvres volées aux Juifs par les nazis et qui, en 1945, avant même la signature de l'armistice, est partie à leur recherche pour les restituer à leur propriétaires.




vendredi 15 janvier 2010

Canardo : intégrale, cycle 1

Canardo est un palmipède alcoolique au regard triste créé par Benoît Sokal en 1979. La clope au bec et portant en toutes circonstances un imper cradingue façon Columbo, il a le chic pour s’embarquer dans des histoires glauques qui ne font qu’accentuer sa perpétuelle mélancolie.


Cette intégrale regroupe ses trois premières « aventures ». Dans Le chien debout, Canardo ne tient pas le rôle principal. C’est Fernand, un chien exilé depuis plusieurs années qui rentre au bercail pour retrouver un amour de jeunesse. Une sombre histoire de savant fou et de vivisection viendra ruiner ses espoirs. La marque de Raspoutine se déroule en Sibérie. Canardo accepte d’accompagner la belle Alexandra dans les plaines de Russie pour qu’elle retrouve son père, le cruel Raspoutine, un chat obèse à la tête d’une troupe sanguinaire. Enfin, dans La mort douce, le brave canard apprendra que la musique n’adoucit pas les mœurs, loin de là.

Bien avant le Blacksad de Canales et Guarnido, Sokal a créé un détective privé ayant les traits d’un animal et qui évolue parmi ses congénères anthropomorphes. Vous l’aurez compris, Canardo n’est pas Donald Duck. Et son monde n’est pas celui de Walt Disney, loin de là. Tous les personnages présents dans cette intégrale traînent un insondable vague à l’âme. Les décors non plus n’inspirent pas la joie : les cieux sont bas, gris, pluvieux. Le troquet « Chez Fredo », qui apparaît dans les trois tomes, est sale et enfumé.

Les protagonistes masculins sont des ordures ou des losers. Dans chaque histoire, c’est une figure féminine qui provoque le drame. Mais la femme est finalement la seule à garder un semblant d’humanité. Le regard que porte Sokal sur ses semblables à travers ces animaux doués de raison (si l’on peut dire !) peut sembler désespérant. J’ai l’impression qu’il est surtout très pessimiste. On nage en pleine tragédie. Le destin de chacun est tout tracé et la chute impossible à éviter. Canardo est juste un spectateur désabusé et mélancolique qui s’accroche à la bouteille comme on s’accroche à un dernier espoir.

Ces trois premiers tomes sont parmi les meilleurs de la série qui va énormément perdre en qualité par la suite (le 19ème volume doit sortir au mois d’avril). A dévorer d’urgence.

Canardo : intégrale premier cycle, de Benoit Sokal, éditions Castermane, 2010. 16 euros.

L’info en plus : Les éditions Casterman publient dans leur collection Haute densité l’intégrale d’une autre série de Benoit Sokal. Il s’agit de Paradise, dont voici un résumé succinct : « En Mauranie, le roi Rodon attend le retour de sa fille. Mais l'avion de cette dernière est abattu par des rebelles. Rescapée mais amnésique, elle est recueillie dans le palais du prince de la ville de Madargane... ». Cette série contient en tout 4 albums qui sont regroupés dans cette intégrale. A noter que Sokal n’œuvre pas au dessin (c’est Brice Bingono qui s’y colle), il scénarise cette histoire dépaysante et torturée comme il les aime.

mardi 12 janvier 2010

Étoile du chagrin T1 et T2

Il y a un an, leur monde fut détruit. La comète nommée Étoile d’Eden qui traverse normalement les cieux tous les vingt-deux ans est entrée dans l’atmosphère. Et maintenant que les nuages se dissipent, les rares survivants se battent pour refaire leur vie après l’impact.

L’Ordre, une structure dirigée d’une main de fer par Maître Grène, essaie de prendre le pouvoir par la violence. Elle affronte les hommes du Régent qui régnait avant la catastrophe. La Mine Noire est quant à elle une organisation clandestine qui lutte contre l’Ordre. Face à toutes ces considérations politiques, nombreux sont ceux qui essaient juste de redonner un sens à leur vie. Klavir et Wilm sont de ceux-là. Ils parcourent ensemble le monde à la recherche de Lucia, l’amie de Klavir. Ils sont accompagnés par un Mange Rêve nommé Flutch, une sorte de fantôme qui se nourrit en s’installant dans la bouche des gens endormis. Dans une étendue erre un homme étrange, terrible combattant que ses ennemis appellent le tueur-coupeur. Il a perdu la mémoire et n’a aucune idée de sa véritable identité. L’auteur propose également de suivre les mésaventures de certains membres de l’ordre et de la Mine Noire. Toutes ces situations décrites séparément semblent indépendantes les unes des autres, comme si on braquait successivement la caméra dans différents endroit du monde au même moment.

Récit choral où se croisent de très (trop ?) nombreux personnages, ce roman graphique à tiroir qui s’étale pour l’instant sur plus de 400 pages n’a encore révélé aucun de ses secrets. C’est là sans doute la limite d’un tel procédé. Il va falloir à un moment ou un autre assembler les pièces du puzzle pour donner à tout cela un mouvement cohérent. Il est plaisant de passer d’un lieu et d’un protagoniste à un autre pour suivre les différentes trames de l’histoire, mais il faut aussi être très attentif pour ne pas s’y perdre. Le dessin en noir et blanc au trait particulièrement naïf et parfois mal maîtrisé n’aide pas à améliorer la clarté de l’ensemble. Il est quelquefois difficile de distinguer les différents visages et heureusement qu’il y a un trombinoscope à la fin de l’ouvrage pour retrouver facilement l’identité de chacun. Il faut aussi accepter le décalage entre le trait « enfantin » et la dureté des situations parfois assez violentes. Pour conclure, cette Étoile du chagrin est une œuvre expérimentale à la construction complexe qui sera peut-être au final une excellente surprise. Mais il est encore trop tôt pour le dire.


Étoile du chagrin T1, de Kazimir Strzepek, Éditions çà et là, 2008. 216 pages. 12,50 euros.
Étoile du chagrin T2, de Kazimir Strzepek, Éditions çà et là, 2009. 256 pages. 13,00 euros.

L’info en plus : Les éditions ça et là sont un tout petit label qui a connu un succès d’estime début 2008 en publiant Château l’attente, un roman graphique de près de 500 pages récompensé aux Eisner Awards et sélectionné dans la catégorie des Essentiels à Angoulême en 2008.


dimanche 10 janvier 2010

Louisiana Breakdown


Jack Mustaine, musicien en mal d’inspiration, n’aurait jamais dû tomber en panne aux abords de Graal, un trou paumé dans le fin fond des marais de Louisiane. Le bon samaritain qui lui vient en aide fait remorquer sa voiture et l’emmène dans le seul bistrot du coin, le Bon Chance.

Rarement un établissement aura si mal porté son nom. Mustain y découvre la « faune » locale, des rednecks imbibés et peu avenants. Il y a fait aussi connaissance de Vida, sculpturale jeune femme dont il tombe éperdument amoureux. Après une nuit torride, Vida raconte au musicien l’histoire de sa ville : les habitants ont conclu il y plus de deux cents ans un pacte avec le Bonhomme Gris, une entité vivant dans les marais. Ce dernier protège Graal tant que la cité lui offre une reine en échange. Vida est l’actuelle reine du solstice mais la nouvelle élue doit être choisie au cours de la fête de la Saint Jean qui va se dérouler le lendemain. Elle sait que les reines déchues subissent de terribles tourments et finissent à moitié folles, abandonnées de tous. La jeune femme est persuadée que Mustaine est une sorte d’ange gardien qui va pouvoir la libérer de la malédiction qui la frappe en l’emmenant loin de sa ville natale. Le musicien quant à lui ne croit pas un instant à toutes ces balivernes. Il veut simplement récupérer sa voiture et partir avec Vida en Floride, sa destination initiale.

Mais Graal n’est pas une ville comme les autres, et même les plus sceptiques vont devoir reconnaître qu’une étrange réalité se cache au fond du bayou.

Lucius Shepard créé avec Graal une ville improbable qu’il rend parfaitement crédible grâce à la précision de ses descriptions. Ce qui frappe le plus à la lecture, c’est l’ambiance : humide, moite, étouffante…La description des marais et des ses cabanes décrépies, des arbres aux ombres inquiétantes et du brouillard épais qui surgit s’en prévenir instaure une atmosphère pesante et surnaturelle.

La galerie de personnages proposée est également un must : Mustaine et Vida évidemment, mais aussi Sedele la patronne du Bon Chance, Joe Dill le bon samaritain et sa femme Tuyet, Nedra la voyante ou encore Madeleine Le Cleuse, l’ancienne reine du solstice, tous savent qu’ils font parti d’un Grand Tout qui les dépasse. La tragédie se construit sous leurs yeux et ils ne peuvent que subir les événements. Toutes les tentatives pour essayer de changer le cours des choses sont vouées à l’échec. D’ailleurs le nom de la ville n’a pas été choisi par hasard. En rencontrant Vida, Mustaine a cru avoir décroché son graal et trouvé enfin l’amour. Mais l’Histoire a montré que tous ceux qui se sont lancés à la quête du Graal se sont brulés les ailes. Et le musicien ne fera pas exception à la règle.

Un seul mot pour conclure au sujet de ce court roman : envoûtant. Si le lecteur accepte de se laisser embarquer dans cet étrange bayou à l’atmosphère irréelle, il passera à coup sûr un très bon moment.

Louisiana Breakdown, de Lucius Shepard, Éditions J’ai Lu, 20099. 190 pages. 5,60 euros.

PS : un petit coup de gueule contre la personne qui a rédigé la 4ème de couverture. A l’évidence, cette personne n’a pas lu le roman : dès la première ligne, il est indiqué que jack Mustaine est un bluesman, or cela n’est jamais dit dans le texte. Ensuite, il est écrit qu’il tombe en panne « peu avant d’arriver à la Nouvelle Orléans, où il était censé se produire ». Cette affirmation est totalement fausse puisque le but de son voyage est la Floride et plus précisément une maison en bord de mer prêtée par un ami dans laquelle il devait s’atteler à l’écriture d’un album. Mais il vrai que pour connaître cette information, il fallait lire les 100 premières pages ! Je sais, cela relève du détail, mais c’est assez symptomatique de la façon avec laquelle quelques éditeurs de livres de poche bâclent leurs éditions et ne prennent pas la peine de lire tous les livres qu’ils publient. Je trouve ce manque de sérieux tout à fait regrettable.

L’info en plus : Lucius Shepard n’est pas un inconnu en France. Il a notamment remporté le Grand Prix de l’Imaginaire en 2007 dans la catégorie Nouvelles Étrangères avec son recueil Aztechs. Il a également remporté le prix Locus en 1994 pour son roman L’aube écarlate, une histoire de vampires. Un thème qui aujourd’hui fait fureur mais qui à l’époque était loin de passionner les foules !



jeudi 7 janvier 2010

Billy Brouillard : les comptines malfaisantes

Ce coffret contient trois livres regroupant quatre comptines. Dans la première, Allison est très méchante avec les insectes. Elle leur fait vivre les pires horreurs. Mais quand les insectes se vengent, c’est Allison qui voit sa vie devenir un cauchemar. Dans la seconde, lorsque Barbara découvre une larve visqueuse dans son assiette d’épinards, elle ne se doute pas que cette petite bestiole va la mener à sa perte. Dans la troisième, en constatant que son poisson rouge offert par le Père Noël est décèdé, Philomène part pour le bord de mer afin d’en trouver un nouveau. Mais les abysses vont transformer sa recherche en une longue complainte. Quant à la petite princesse qui faisait du mal aux gens, elle va subir une punition qu’elle n’est pas prête d’oublier.


Ces quatre comptines ont deux points communs : elles mettent en scène des petites filles et elles traitent du thème de la métamorphose. Elles présentent également des enfants loin d’être sages, de sales gamines égoïstes ou méchantes qui doivent à un moment payer pour leur comportement. Il n’y a cependant pas véritablement de morale, aucune sorte de jugement. C’est ce qui peut rendre le lecteur mal à l’aise. J’avoue que je ne laisserais pas lire ces comptines malfaisantes à ma fille de 8 ans. Peut-être parce que je suis un vieux con réac, diront les médisants. Mais surtout parce que je n’y vois aucun intérêt. Ces histoires ne sont pas divertissantes, encore moins dépaysantes ou enrichissantes. L’illustration en noir et blanc et le texte sont minimalistes, ce que je peux tout à fait concevoir. Quand Guillaume Bianco affirme dans une interview sur le site Actua Bd qu’il a eu « envie de faire des livres courts et très simples à lire », je ne peux qu’être d’accord avec lui. Seulement je vois plus cela comme un défaut que comme une qualité. La lecture des trois livres prend vingt minutes maximum. C’est idéal sans doute pour les petits lecteurs, mais pour les parents acheteurs, il faudra débourser 29,90 euros pour offrir ces chères Comptines à leur progéniture. Il faut reconnaître que le travail éditorial est magnifique : les livres sont très beaux et se rangent dans un superbe coffret, le papier est de qualité et les pages de garde plutôt jolies. Mais tout cela ne suffit pas à justifier ce prix exorbitant !

Pour conclure, que dire ? Je lis Guillaume Bianco depuis ses débuts. J’ai adoré sa série Will, j’ai trouvé le premier tome de Billy Brouillard formidable et j’ai beaucoup aimé l’album Eco qu’il a scénarisé, mais là, j’avoue que je n’ai pas du tout accroché. J’ai même la douloureuse impression d’avoir dépenser bêtement près de 30 euros dans une publication qui cherche à surfer sur la vague de Billy Brouillard dans un but purement mercantile. J’espère sincèrement me tromper.

Billy brouillard : les comptines malfaisantes, de Guillaume Bianco, Éditions Soleil, 2009. 29,90 euros. Dès 9 ans.

L’info en plus : Les comptines malfaisantes sont publiées dans la collection Métamorphoses des éditions Soleil. C’est dans cette collection dirigée par Barbara Canepa qu’est paru l’année dernière Billy Brouillard. Plusieurs titres devraient paraître cette année et pour voir les publications à venir, je ne peux que vous conseiller la visite du blog de Barbara Canepa à cette adresse : http://canepabarbara.blogspot.com/









mardi 5 janvier 2010

Vinci T1 et T2, de Convard et Chaillet

Milan, le 15 décembre 1494. On découvre le cadavre du notaire Christoforo di Rodrigo au bord du canal Martesana. Lardé de coups de couteau, l’homme a été atrocement mutilé : on lui a volé son visage. Une lame très fine lui a décollé le derme comme on arrache un oignon. Un témoin a vu un géant s’enfuir sous les eaux du canal. Le prévôt Vittore, qui dirige les services de police, fait appel à Léonard de Vinci pour qu’il l’aide à comprendre le mode opérateur du tueur.


L’enquête ne donne rien jusqu’en mai 1495, lorsque le voleur de visage frappe à nouveau. Cosimo Vollone, le plus riche négociant de la ville, est tué par une énorme créature volante sous les yeux de son fils. Une fois encore, son visage a été méticuleusement découpé. Deux autres meurtres suivront en mars 1500 et l’été de la même année à Venise et à Florence. A chaque fois, Léonard de Vinci est présent dans la ville au moment où les crimes ont lieu. Le prévôt Vittore, persuadé de la culpabilité de son ami, est bien décidé à trouver des preuves indiscutables…

On était en droit d’attendre beaucoup du duo Convard / chaillet. Concernant ce dernier, le résultat est à la hauteur des espérances. Chaillet est passé maître dans l’art de restituer l’architecture des villes italiennes de la Renaissance. Milan, Venise, Florence, ces trois cités sont dessinées avec une précision redoutable. Les vues extérieures des villes comme les intérieurs des palais ou des maisons bourgeoises fourmillent de détails et sont d’un incroyable réalisme. Un léger bémol pour le dessin des personnages, notamment des visages, qui sont parfois un peu trop statiques et manquent d’expressivité.

Finalement, c’est le scénario de Convard qui est le plus décevant. La révélation avant même la fin du premier volume de la culpabilité de Vinci enlève tout suspens à l’intrigue. En préférant faire des motivations qui ont poussé le génial inventeur à agir de la sorte le ressort de son histoire, il a délibérément choisi de ne pas offrir aux lecteurs un suspens haletant, mais plutôt le récit classique de l’accomplissement d’une vengeance. Ce parti pris est tout à fait défendable, mais il ne m’a pas convaincu. On imagine en effet assez facilement dès le début du second volume la façon dont les choses vont se passer et j’avoue que j’ai trouvé la fin de ce diptyque assez ennuyeuse car trop prévisible.

Il n’empêche que je ne peux que recommander cette courte série à ceux qui aiment le dessin très fouillé de Chaillet et sa somptueuse représentation de l’Italie de la Renaissance. Sans compter que beaucoup de lecteurs pourront trouver de nombreuses qualités au scénario de Convard qui ne m’a personnellement pas convaincu. Après tout, chacun ses goûts !


Vinci T1 : l’ange brisé, de Didier Convard et Gilles Chaillet, édition Glénat, 2008. 56 pages. 13 euros.
Vinci T2 : ombre et lumière, de Didier Convard et Gilles Chaillet, édition Glénat, 2009. 56 pages. 13 euros.

L’info en plus : Les éditions du Lombard ont entamé depuis un an la publication sous forme d’intégrale des aventures de Vasco, jeune garçon issu d’une riche famille de banquiers italiens dont les histoires se déroulent pendant la Renaissance. Cette série dessinée et scénarisée par Gilles Chaillet qui a vu le jour en 1983 dans l’hebdomadaire Tintin ravira tous ceux qui ont découvert et apprécié dans Vinci le très beau travail de ce fabuleux dessinateur.



dimanche 3 janvier 2010

Meurtres sur le Palatin


Rome, sous le règne de l’empereur Tibère (14 à 37 après J-C). Le cadavre d’un gladiateur est retrouvé sur les marches d’une maison cossue du Mont Palatin, un quartier où vivent de nombreux patriciens (citoyens romains appartenant à l’aristocratie). Kaeso, centurion de la garde prétorienne, est chargé de l’enquête. Ses investigations le mèneront dans les bas-fonds de Rome où, entre corruption, vengeance, combat de gladiateurs et paris truqués, le jeune homme aura fort à faire pour éviter les nombreux pièges tendus par des femmes bafouées ou d’anciens compagnons d’armes.


Avis aux futurs lecteurs de ce roman : Rome antique ne rime pas avec romantisme. Oubliez les images d’Épinal. La vie à Rome à cette époque était extrêmement violente : le sang coulait à flot, la sexualité était totalement débridée, la condition des esclaves souvent insoutenable et les intrigues politiques foisonnantes. L’auteur ne force pas le trait Les mœurs décrites ici sont simplement réalistes.

Il est évident que Cristina Rodriguez connaît parfaitement son sujet d’un point de vue historique, mais elle ne cherche pas pour autant à épater la galerie. Les informations concernant l’organisation de la société, les rapports humains, la nourriture, l’architecture ou les vêtements ne sont pas amenées artificiellement, elles s’insèrent dans le récit et participent à la crédibilité de l’ensemble.

Aussi à l’aise dans la description d’une taverne que dans celle d’une riche maison du Mont Palatin, l’auteur n’a pas rédigé pour autant un essai historique. Son texte est une fiction qui utilise certains personnages ayant réellement existé, mais il ne faut pas perdre de vue que son dessein premier est de proposer une œuvre romanesque. Et force est de reconnaître que la mécanique fonctionne. Il y a certes beaucoup de protagonistes, mais chacun joue un rôle important. Les évènements s’enchaînent avec fluidité jusqu’au dénouement. L’écriture est simple, la lecture facile et agréable. Ne cherchez pas ici un roman historique au souffle épique, vous seriez déçu. Mais si vous voulez partager quelques moments de la vie quotidienne des différentes couches de la société romaine, de l’esclave au soldat en passant par les gladiateurs ou les hommes politiques, cet ouvrage devrait vous satisfaire.

Personnellement, j’ai passé un très bon moment de lecture avec un roman à la fois didactique et divertissant. Ces deux qualités sont tellement difficile à associer que je ne peux que féliciter Cristina Rodriguez pour avoir réussi à relever un tel pari.

Merci à Livraddict et aux éditions du Masque de m’avoir permis de découvrir un titre que je ne serais jamais allé cherché par moi-même.

L’info en plus : la lecture de ce roman fait indéniablement écho à la diffusion il y a quelques années de la série Rome sur Canal Plus. On retrouve le même souci de montrer avec réalisme la vie quotidienne des patriciens et de la plèbe, même si l’époque n’est pas tout à fait la même puisque la série télé se passe sous le règne de Jules César. Si vous avez aimé le roman de Cristina Rodriguez et que vous ne connaissez pas la série, foncez sans hésiter sur cette dernière, vous ne serez vraiment pas déçus.

Meurtres sur la Palatin, de Cristina Rodriguez, Éditions du Masque, 2009. 16 euros.








mardi 29 décembre 2009

Le festin d'Ohmelle T1 : bière et champignons


Ohmelle est une naine qui vit en Haute-Flandrie, une région du nord de la Fatrace. Mariée et mère de trois enfants, elle tient un restaurant dans son village. Si les nains de Haute-Flandrie sont d’ordinaire casaniers, Ohmelle a pour sa part des envies de voyages depuis sa jeunesse. Mais en Fatrace, chaque contrée est séparée des autres par les confins, d’épais brouillards infranchissables. Pour aller d’une contrée à l’autre, il faut emprunter les Traverses, des chemins ténébreux où vivent d’étranges créatures. Ohmelle décide de parcourir la Fatrace afin de trouver de nouvelles recettes de cuisine. Pour l’aider dans sa quête, elle fait appel à un vieil ami à elle qui est devenu un rôdeur. Les rôdeurs sont les seuls à pouvoir guider les étrangers sur les Traverses. C’est ainsi qu’Ohmelle, accompagnée par le rôdeur Maresme et les gnomes Segby et Nanny Tie, part à l’aventure sur les chemins de Fatrace. Dans ce premier volume, la compagnie va visiter la Somoyse, région qui se trouve au sud de la Haute-Flandrie et dont la capitale se nomme Manise, une ville possédant une magnifique cathédrale (j’espère que les picards auront reconnu leur région et la bonne ville d’Amiens).


L’idée de départ est vraiment intéressante. Faire visiter une France imaginaire pour mieux présenter les légendes et traditions de ses régions est un parti pris très original. La psychologie des personnages est également très poussée. Chaque membre de la compagnie possède quelques secrets plus ou moins troubles et on se doute que la quête collective cache des aspirations individuelles propres à chacun. On sent que la mise en place de cet univers de fantasy a dû germer pendant de nombreuses années dans l’esprit de l’auteur avant d’être couché sur le papier.

Pourtant, si cette présentation peut sembler à bien des égards alléchante, je dois avouer que ce roman m’a déçu. La randonnée de la compagnie m’a paru très très lente. Je me suis pas mal ennuyé en lisant les longs (très longs) états d’âmes des différents membres de la petite troupe menée par Maresme. Les changements incessants de narrateur alourdissent la fluidité du récit. En 300 pages, on n’a droit qu’à quelques rencontres avec des créatures fantastiques somme toute assez peu intéressantes et Ohmelle, dont le but est de trouver de nouvelles recettes, n’a en fin de volume qu’une seule recette de notée dans son carnet. L’intrigue avance tellement peu ! Je me suis surpris plusieurs fois au cours de la lecture à regarder combien de pages il me restait avant la fin et c’est souvent un très mauvais signe par rapport à l’intérêt que je porte au texte que je suis en train de lire. A raison de deux régions visitées par volume et sachant que la Fatrace compte dix-neuf contrées en tout, j’espère qu’il ne faudra pas dix tomes pour boucler la quête de la Compagnie !

Deux derniers points négatifs à signaler (après j’arrête, c’est promis !) : 1) la couverture est vraiment moche et fait plus penser à un roman de fantasy pour la jeunesse que pour adultes ; 2) les habitants de Manise (Amiens pour ceux qui n’auraient pas suivi) sont présentés comme des soiffards bourrés du matin au soir, certes très gentils et accueillants mais aussi franchement lourdauds. Et ça, pour le picard de naissance que je suis, c’est forcément difficile à avaler.

Que dire en conclusion ? Une évidence : le Festin d’Ohmelle m’a laissé sur ma faim. Mais j’ai néanmoins acheté le second tome (dont la couverture réalisée par le même illustrateur est beaucoup plus jolie !) et je compte bien le lire car je veux donner une seconde chance aux personnages d’Audrey Françaix. Qu’on se le dise !

Le festin d’Ohmelle T1 : Bière et champignons, d’Audrey Françaix, Éditions Octobre, 2007. 320 pages. 18,50 euros.

L’info en plus : les éditions Octobre sont une petite maison d’édition crée et dirigée par Audrey Françaix et son mari Pierre Grimbert. Un titre de leur catalogue connaît un franc succès en librairie. Il s’agit du Donjon de Naheulbeuk, une saga MP3 diffusée à l’origine gratuitement sur le net puis adaptée en BD (éditions Claire de Lune) et en roman (éditions Octobre).

samedi 26 décembre 2009

Mon petit coeur imbécile

Sisanda a 9 ans et elle vit dans un petit village d’Afrique avec sa mère Maswala, sa grand-mère Thabang et son oncle Bénia. Son père travaille à des milliers de kilomètres sur des chantiers et il ne rentre que très rarement. Sisanda souffre d’une malformation cardiaque depuis sa naissance. Elle ne peut pas courir, crier ou jouer avec ses camarades. La moindre activité la fatigue. Elle passe des heures allongée sur son lit à écouter les battements de ce petit cœur imbécile qui l’empêche de vivre normalement. Quand elle se sent bien, elle peut aller à l’école. C’est son oncle qui la porte sur son dos pour faire le trajet entre la maison et la salle de classe.


Le docteur qu’elle voit une fois par an est formel : seule une opération dans un hôpital spécialisé à l’étranger pourra la sauver. Mais une telle opération coûte beaucoup trop cher. Sisanda semble donc condamnée à vivre avec son cœur malade jusqu’au jour où sa mère apprend qu’un marathon se court chaque année dans la grande ville de Kamjuni et que le vainqueur remporte une somme colossale. Or, Maswalla est surnommée « l’antilope » par tous les villageois car chaque matin elle part courir pieds nus dans les collines. La famille de Sisanda décide de vendre une chèvre pour payer les frais d’inscription au marathon et Maswalla s’entraîne comme jamais auparavant pour avoir la chance de remporter le premier prix. Mais à moins de trois semaines de la course, la jeune femme est piquée par un scorpion et sa participation semble totalement compromise…

Xavier-Laurent Petit a choisi de faire de la petite fille la narratrice de son récit. Cette énonciation à la première personne renforce le caractère intime du texte. Les chapitres très courts (trois pages en moyenne) donnent au roman un rythme saccadé proche des battements de cœur de Sisanda. La description du village et de la vie quotidienne des habitants est par ailleurs extrêmement réaliste. Une oeuvre pleine d’humanité et d’optimisme ou la solidarité et l’entraide ne sont pas de vains mots. Touchant.

Mon petit cœur imbécile de Xavier-Laurent Petit, L’école des loisirs, 2009. 134 pages. 8,50 euros. Dès 9 ans.

L’info en plus : Xavier-Laurent Petit publie un second roman en cette fin d’année 2009. S’adressant aux plus grands (à partir de 13 ans), L’attrape-rêves raconte l’histoire de Louise qui vit dans une vallée loin de tout. Un nouvel élève arrive en classe, Chems. Il est différent des autres en plusieurs points, ce qui attire Louise, mais personne d'autre. Pour les autres, un étranger n'a rien à faire dans la vallée. Chems va prouver qu'il aime cet endroit.

mardi 22 décembre 2009

O'boys T2 : deux chats gais sur un train brûlant

Huck, le gamin blanc, et Charley, l’ouvrier noir, ont quitté ensemble le Mississipi. Le premier refuse d’être placé en famille d’accueil alors que le second, accusé à tort de meurtre, est activement recherché par le shérif Bisner.
Dans cette Amérique des années 30 dévastée par la crise économique, les deux amis « brulent le dur » avec les hobos dans des trains de marchandise en route vers l’ouest. Ils cherchent à rejoindre la Californie, cet eldorado où il semble encore possible de trouver du travail.

En chemin, Huck apprend que son frère Tom est peut-être toujours en vie. Et Charley, qui a vendu son âme au ténébreux Lucius, devient un incroyable bluesman. Le but de leur voyage change donc peu à peu. Irrésistiblement attiré par les appels de Lucius, Charley veut trouver le crossroad, ce carrefour légendaire où il pourra accomplir son destin. Et Huck suit la trace de son frère devenu un leader politique pour nombre de vagabonds.

Steve Cuzor sait rendre à merveille l’ambiance de cette Amérique en crise. Sa description de la vie des laissés pour compte de l’oncle Sam est d’une redoutable précision. Le trait du dessinateur est proche de celui de Giraud dans Blueberry. La qualité du scénario est également à souligner. Les deux héros, ballotés par une existence incertaine, avancent sans réellement savoir où leurs pas vont les guider. Persuadés d’avoir chacun une quête à mener ils doivent, sans doute temporairement, séparer leurs chemins pour accomplir leur destinée.

Une grande et belle BD d’aventure qui devrait s’achever dans le troisième volume à paraître en 2010. Les amoureux des classiques franco-belges peuvent foncer les yeux fermés.

O’boys T2 : deux chats gais sur un train brûlant, de Steve Cuzor et Philippe Thirault, Éditions Dargaud, 2009. 13,50 euros. 56 pages. Dès 10 ans.

L’info en plus : le premier volume de la série paru en janvier 2009 a été réédité dans une version de luxe grand format en noir et blanc avec un dos toilé. Une très belle occasion de mieux apprécier la qualité du dessin de Steve Cuzor.
 





dimanche 20 décembre 2009

Le vagabond de Tokyo : résidence Dokudami

Oubliez tous les losers que vous avez connus jusqu’alors. Si vous lisez le vagabond de Tokyo, Yoshio va devenir votre référence en la matière. Ce jeune homme indolent vit dans un immeuble délabré du quartier Asagaya, à Tokyo. Vivant au jour le jour, selon les petits boulots qu’il trouve sur des chantiers, il passe la plupart de son temps à boire, fumer et dormir.

Ayant très peu de ressources, il se nourrit presque exclusivement de sachets de nouilles instantanées. Son hygiène corporelle plus que douteuse et la crasse indicible qui règne dans son appartement complètent un tableau peu ragoûtant !

Toutes les histoires dans lesquelles Yoshio s’embarque finissent lamentablement. Dépourvu d’ambition, il espère juste pouvoir trouver une fille de temps en temps et quelques copains pour lui payer des tournées de saké.

Inspirée de la vie de l’auteur, cette série publiée entre 1979 et 1993 est vraiment atypique : apologie de l’oisiveté dans un pays où le travail est force de loi ; galerie de personnages incroyables (prostituée obèse, pervers obsédé par les petites culottes des lycéennes, travesti…) ; épisodes où se mêlent humour décalé, vulgarité, mauvais goût et scatologie…

Plus qu’un antihéros, Yoshio est devenu un personnage mythique pour de nombreux lecteurs. Censuré, attaqué par des associations bien pensantes pour atteintes aux bonnes mœurs, ce manga a aussi souffert du dilettantisme de son auteur dont le rythme de production était parfois très aléatoire.

Lorsque Takashi Fukutani décède à 48 ans le 9 septembre 2000 après quarante jours de soins intensifs, il a dessiné 663 épisodes de la série. Souvent autobiographique, crue et réaliste, Résidence Dokudami (le titre original) a connu un incroyable succès au Japon, étant notamment adaptée deux fois au cinéma. Yoshio, le Bukowski de la BD nippone, restera à jamais un personnage à part dans l’univers des mangas.

Merci aux éditions du Lézard Noir de nous proposer cette anthologie qui regroupe quelques uns des meilleurs épisodes de la série. A découvrir d’urgence pour les lecteurs français un peu curieux qui aiment les productions underground.

Le vagabond de Tokyo : résidence Dokudami, de Takashi Fukutani, Éditions du Lézard Noir, 2009. 360 pages. 23 euros.



jeudi 17 décembre 2009

Echo T1 : incident

"L’explosion au dessus- de Moon Lake s’est produite le 18 juin à 18h18.
Il s’avère que j’y étais, en train de prendre des photos du désert pour mon book. Je suis à court de fric, depuis que Rick est parti et qu’il ne paye plus les factures.
J’avais besoin de bosser.
Les 24 heures qui ont suivi, ça a été le délire total. L’explosion a recouvert la zone d’une drôle de pluie de millions de billes de métal mou qui se sont collés à moi et qui ne voulaient plus s’en aller. De retour chez moi, j’ai retrouvé un bon morceau de ce truc à l’arrière de mon pick-up. Pendant que je l’examinais, le bidule s’est collé sur ma peau.
Ça m’a fichu les jetons.
Et puis toutes les petites billes se sont mises à migrer sur moi vers la plaque principale comme des fourmis. Là, j’ai pété un plomb.
Dégueu.
Quand je suis retournée à mon pick-up pour aller aux urgences, les billes qui restaient dedans se sont aussi collées à moi. En s’agrégeant, elles ont formé un plastron qui ressemble à un soutien-gorge chromé. Quand le médecin l’a touché, il a reçu une décharge telle qu’il a perdu un ongle. Ils ont pris ça pour un canular et ils m’on fichu dehors.
Le plus bizarre, c’est que ça ne me fait pas mal. C’est même assez agréable. Tantôt rafraîchissant, tantôt tiède avec des picotements. Je sais…c’est bizarre."
Julie Martin a été contaminée par une explosion atomique au dessus du désert californien. Devenue sans le savoir une bombe atomique ambulante, elle est pourchassée par l’armée américaine qui veut la retrouver avant que le monde entier découvre l’atroce vérité et les dangereuses expériences nucléaires que mène le pentagone malgré les traités internationaux. Commence alors une fuite désespérée pour la jeune femme…
La trame de départ est assez classique : une femme innocente est contaminée par une expérience qui tourne mal et elle acquiert à ses dépends quelques super pouvoirs. Mais loin de se focaliser sur sa transformation en « super héros », Terry Moore préfère montrer cette jeune femme empêtrée dans sa vie de tous les jours : son mari a décidé de lui couper les vivres tant qu’elle ne signera pas les papiers du divorce ; elle tente de vivoter dans une vieille bicoque isolée avec pour seul compagnon son chien ; elle rend visite à sa sœur internée à l’hôpital psychiatrique depuis plusieurs années… Cette femme fragile et en perdition subit les événements plus qu’elles ne les provoquent. Ne cherchez pas non plus ici de super-vilains : l’ennemi, c’est le gouvernement américain et ses super agents. Un comics tout en finesse et en subtilité qui joue davantage sur les problèmes personnels des personnages que sur les scènes d’action spectaculaires. Le dessin très réaliste en noir et blanc est d’une grande limpidité.
Les cinq chapitres qui composent ce premier volume constituent une introduction plus qu’alléchante à une intrigue simple mais solidement menée dont on attend la suite avec impatience. Publié juste avant l’été, ce titre est injustement passé inaperçu dans le flot de publications du premier semestre 2009. Il mérite pourtant largement que l’on s’y attarde.

Echo T1 : incident, de Terry Moore, Éditions Delcourt, 2009. 12,90 euros.


L’info en plus : Terry Moore n’est pas un auteur inconnu. Il a remporté un Eisner Award (l’équivalent des Oscars en bande dessinée) pour sa série Strangers in Paradise, publiée en France par les éditions Kymera.



mardi 15 décembre 2009

Le Roi Corbeau T1 : Robin


Pays de Galles, XIème siècle. Bran Ap Brychan, prince de l’Elfael, découvre que son père et tous ses chevaliers ont été assassinés par les envahisseurs normands venus annexer sa province au nom du roi William. Il part alors pour Londres afin de demander réparation. Comprenant rapidement qu’il lui sera impossible de récupérer la terre de ses ancêtres, il décide d’abandonner les siens et de se réfugier dans sa famille au Nord. Mais le comte De Braose, à la tête de l’armée qui a envahi l’Elfael, réclame la tête de Bran. Traqué par les soldats normands, le prince héritier est très grièvement blessé et laissé pour mort par ses poursuivants. Recueilli par Angharad, la dernière barde bretonne encore en vie, il passe plusieurs mois de convalescence dans une grotte au cœur de la forêt des Marches, une forêt primitive galloise où il est très facile de se cacher.


Une fois guéri, le jeune homme est toujours décidé à partir pour le Nord. La vieille femme le persuade que sa place est auprès de son peuple. Elle l’emmène au cœur de la forêt, dans un campement de fortune où vivent les quelques gallois qui ont fui l’envahisseur. Prenant la tête de cette troupe hétéroclite de moins de cinquante âmes, Bran va devenir le Roi Corbeau et mener des attaques ciblées contre les intérêts normands, aidé notamment par Petit Jean et le frère Tuck.

Robin des Bois au Pays de Galles ? L’idée n’est pas si saugrenue lorsque l’on sait que de nombreux indices permettent de situer la source originelle de la légende dans une partie de la Bretagne aujourd’hui appelée Pays de Galles dans la génération ayant suivi l’invasion normande de 1066. C’est d’ailleurs là l’un des intérêts majeurs de ce roman : la trame historique est parfaitement respectée. Le seigneur de Neufmarché et le comte De Braose ont réellement vécu au pays de Galles au XIe siècle. Tous les lieux cités ont existé. De même, la vie quotidienne des seigneurs et des paysans est parfaitement retranscrite. Les descriptions du climat et de la nature sont également criantes de vérité (l’auteur a passé quelques temps en Pologne dans la dernière forêt primitive d’Europe). Bien sûr, en plus des précisions historiques, le récit est un vrai roman d’aventure avec un héros que n’aurait pas renié Alexandre Dumas. Voila donc un texte qui allie avec brio érudition historique et invention fictionnelle. Espérons que le second tome de cette trilogie sera rapidement traduit en français.

Le Roi Corbeau T1 : Robin, de Stephen R. Lawhead, Éditions Orbit, 2009. 400 pages. 19,90 euros.

L’info en plus : les trois tomes de cette trilogie sont parus en anglais. Pour ceux que la lecture en VO ne rebute pas, sachez que le second volume, Scarlet, est paru en septembre 2007 et le dernier, Tuck, en février 2009.

samedi 12 décembre 2009

Dr Slump T1 : ultimate edition

Cette chronique s’adresse à ceux qui sont nés à la fin des années 70 et au début des années 80. Rappelez-vous : Le Club Dorothée, 1988. Cette émission devenue culte proposait cette année-là à la rentrée de septembre le premier épisode d’une série inédite en France : Dr Slump. Adaptée du premier manga d’Akira Toriyama, le créateur de Dragon Ball, la série sera rapidement censurée par les sages du CSA et seuls 55 des 243 épisodes seront traduits et diffusés. Il faudra attendre 1995 pour voir Glénat éditer l’intégralité des 18 volumes du manga. Aujourd’hui, le même éditeur réédite l’ensemble dans une version Ultimate dont le premier tome vient de sortir.
L’action de Dr Slump, se situe dans le Village Pingouin. Senbei Norimaki est un inventeur de génie qui a créé un robot et lui a donné les traits d’une jeune fille d’une douzaine d’années. Il décide de la nommer Aralé et l’inscrit à l’école en la faisant passer pour sa sœur. Possédant une force herculéenne et une naïveté à toute épreuve, l’androïde deviendra la source de nombreux quiproquos plus farfelus les uns que les autres.

La qualité première de ce manga tient dans l’incroyable galerie de personnages qu’il propose : de Senbei l’obsédé sexuel à l’extraterrestre Nikochan et son acolyte en passant par Akané et Târo les ados rebelles, ou encore Suppaman une caricature de Superman sans aucun pouvoir, tous semblent plus stupides les uns que les autres. Aralé incarne pour sa part la pureté et la naïveté. C’est le décalage entre cette naïveté et les basses intentions des autres personnages qui constitue le plus souvent le ressort comique de la série. Un exemple parmi tant d’autres : lorsqu’Aralé explique à Senbei qu’elle est toute lisse et qu’il lui manque quelque chose au bas du ventre, l’inventeur pense aux organes sexuels alors que le robot parle du nombril !

Bien sûr, Dr Slump est un manga de mauvais goût et scatologique (Nikochan porte ses fesses au sommet de son crâne et Aralé parle aux crottes de chiens). C’est à mes yeux plutôt une qualité qu’un défaut. Finalement, je crois que « loufoque » est l’adjectif qui qualifie le mieux cette série publiée pour la première fois au Japon en 1980. Cette édition Ultimate dans un format plus grand que la normale reprend les nombreuses pages couleurs d’origine. Par rapport à l’édition de 1995, le sens de lecture a été respecté et la traduction entièrement refaite. Voilà une très bonne occasion de découvrir (ou redécouvrir en ce qui me concerne) le premier succès du très grand mangaka qu’est Akira Toriyama.

Dr Slump T1 : ultimate edition, d’Akira Toriyama, Éditions Glénat, 2009. 10,55 euros.

L’info en plus : Glénat réédite également en « Ultimate edition », la série incontournable d’Akira Toriyama, Dragon Ball. Le 5ème des 42 tomes vient de paraître. Avec un volume tous les deux mois, la parution devrait s’étaler sur près de 7 ans !




jeudi 10 décembre 2009

Eco T1 : la malédiction des Schakelbott

Eco est la fille unique des Schaklebott, une riche famille de couturiers. Ses parents, trop occupés par leur commerce, ne s’occupent jamais d’elle. Un jour, son père vient la trouver et lui demande de livrer trois petites poupées que Monsieur le Ministre a commandées pour sa fille. Se sentant investi d’une importante mission, la petite part en limousine et demande au chauffeur de passer par le chemin du puits. Arrivée devant un pont de pierre, la voiture doit s’arrêter car une mendiante tenant un enfant dans les bras barre le chemin. Bouleversée par la vision d’une telle pauvreté, Eco décide d’offrir à la bohémienne les poupées destinées à la fille du Ministre. En échange, la vieille femme lui donne 4 amulettes sacrées (un bulbe de cactus, un cocon de verre à soie, un morceau de silex, une petite noix).


Le geste altruiste de la petite fille a des conséquences irréparables pour ses parents. Furieux de ne pas avoir été livré, le Ministre retire toutes ses commandes et les autres clients en font de même. Ruinés, les Schaklebott voient leur empire s’écrouler. Le père sombre dans la folie et la mère accuse sa fille d’avoir provoqué leur chute. Se réfugiant dans la solitude de sa chambre, Eco décide de quitter son foyer et prend la direction de la sombre forêt…

Réécriture très libre de Jack et le haricot magique, Eco est un conte très sombre qui propose un univers à la Tim Burton. Le jeu sur les couleurs et l’absence de luminosité renforce l’ambiance pesante. La citation de Kafka qui précède le premier chapitre résume sans doute le mieux cette fable atypique :
Il n’existe que des contes de fées sanglants. Tout conte de fées est issu des profondeurs du sang et de la peur.
 Après Jack et le Haricot magique, le second volume s’inspirera du Petit Chaperon Rouge. Un troisième tome conclura cet ambitieux projet mené par deux jeunes auteurs qui n’hésitent pas à secouer une production littéraire pour la jeunesse parfois un peu trop ronronnante.


Eco T1 : la malédiction des Schakelbott, de Jérémie Almanza et Guillaume Bianco, Éditions Soleil, 2009. 14,90 euros. Dès 9 ans.

L’info en plus : Guillaume Bianco a décidemment une actualité très chargée en cette fin d’année. Quatre ouvrages publiés depuis fin octobre par les éditions Soleil portent sa signature : Eco, Epictète, Chat Siamois, Les comptines malfaisantes. Avec à chaque fois un univers onirique et étrange où les enfants tiennent le premier rôle.