« Parfois la vie se brise d’une manière qu’on ne peut jamais réparer. Nous observons, nous attendons, nous prenons dans nos mains celle de nos mourants, nous essayons de les réconforter lorsqu’il n’y a plus rien à dire, puis nous les mettons en terre, nous pleurons pendant un moment pour eux et pour nous-mêmes. Et quand le temps a passé - parce que nous n’avons pas le choix -, nous cherchons parmi les fragments de ce qui nous reste une raison de continuer »
Trois époques, trois personnages, trois témoignages, une seule famille et un seul pays : l’Irlande. C’est Jer qui ouvre le bal. Nous sommes à Cork, en 1920, la veille de l’enterrement de sa sœur. Les gendarmes viennent le chercher au pub, ils veulent qu’il passe la nuit en cellule pour éviter qu’il s’en prenne à son beau-frère, ce salopard qui a fait vivre un enfer à la défunte. Vient ensuite le récit de Nancy, en 1911. La mère de Jer raconte sa rencontre avec le père de ses enfants, un homme marié qui l’a vite abandonnée à l’annonce de sa première grossesse. Obligée de se prostituer après la naissance de sa fille, elle le recroisera brièvement, se retrouvant à nouveau enceinte. Sans la moindre ressource, elle devra se résoudre à fréquenter l’asile des pauvres, où on lui retirera la garde de sa fille, en attendant la naissance de son garçon. Un bond dans le temps nous propulse enfin en 1982 avec Nellie, la fille de Jer (et donc petite fille de Nancy), au moment où la maladie va bientôt l’emporter. L’occasion pour elle de se remémorer des souvenirs douloureux, notamment ce moment, des décennies auparavant, où une sage-femme posa entre ses bras l’enfant mort-né dont elle venait d’accoucher.
Une famille, beaucoup de misère, de souffrance, de douleur. Billy O’Callaghan dresse le portrait des gens de peu, des gens de rien, des invisibles. Loin d’un misérabilisme à la Dickens, il les drape d’une dignité qui force l’admiration. Traversant l’Irlande du 20ème siècle, Jer, Nancy et Nellie subissent sans se plaindre, se relèvent après chaque chute, aussi dure soit elle. Ils pleurent leurs morts et continuent d’avancer pour les vivants, de rester soudés face aux éléments contraires et aux drames qui les touchent. Tout ce qu’ils souhaitent, c’est avoir un être bien-aimé à leurs côtés au moment de rendre leur dernier souffle, histoire de se dire que, malgré tout, leur vie a compté un peu.
C’est magnifiquement écrit (ou plutôt traduit), même si le choix de la première personne rend peu crédible une si belle langue pour des personnes ayant bien peu d’instruction (Nancy avoue qu’elle ne sait ni lire ni écrire et s’exprime pourtant de façon extrêmement littéraire). Un maigre bémol que cette incohérence par rapport au plaisir procuré par cette lecture poignante d’une dramatique beauté.
Parfois le silence est une prière de Billy O’Callaghan. Bourgois, 2023. 285 pages. 21,00 euros.