samedi 21 octobre 2023

Je ne suis pas la fille mexicaine dont vous rêviez - Erika L. Sanchez

Ça commence par un enterrement. Celui d’Olga, 22 ans, renversée par un bus. Julia, sa sœur cadette, est encore au lycée. Les parents, mexicains émigrés à Chicago dans les années 90, ont perdu une fille exemplaire et doivent dorénavant composer avec celle qui est considérée comme le mouton noir de la famille. La mère sombre dans la déprime et le père dans le silence. Julia, de son côté, rêve d’ailleurs. Elle imagine son futur loin de l’appartement et du quartier miteux où elle a grandi. Mais difficile de s’extraire d’un environnement où chaque fait et geste est surveillé et critiqué et où l’on ne cesse de vous comparer à la figure parfaite de celle qui n’est plus.  

Le titre est un parfait résumé de ce roman où l’emprise familiale musèle les désirs d’indépendance. Julia veut aller à l’université et quitter le nid étouffant où sa mère ne cesse de lui rappeler la place et le rôle de la femme dans la culture « traditionnelle » mexicaine. Un rôle effacé où l’entretien du foyer et la famille occupent le quotidien, où il faut rester « digne » et ne jamais faire de vague. Peu à peu, l’adolescente perd pied. Et personne ne semble s’en rendre compte, personne ne cherche à comprendre la situation invivable dans laquelle elle sombre chaque jour davantage.

Un roman d’émancipation féminine touchant. La critique de la communauté mexicaine repliée sur elle-même est aussi violente qu’argumentée et la souffrance de Julia parfaitement exprimée. Il est juste dommage que la traduction ne soit pas aussi littéraire que l’on aurait pu l’espérer (un « malgré que » m’a notamment fait saigner les yeux !). 

Je ne suis pas la fille mexicaine dont vous rêviez d’Erika L. Sanchez (traduit de l’anglais par Axelle Demoulin et Nicolas Ancion). Ellipsis, 2023. 330 pages. 18,90 euros.






mardi 3 octobre 2023

Big Girl - Mecca Jamilah Sullivan

Huit ans, soixante-seize kilos. Malaya se fiche de son apparence mais sa mère ne l’entend pas de cette oreille. Chaque semaine elle l’emmène à des réunions Weight Watchers qui ne servent à rien. Parce que Malaya a l’impression d’avoir toujours faim. Tout ce qui lui tombe sous la main finit dans son estomac. Les femmes de sa famille lui mettent sans cesse la pression, et si elle semble parfois faire quelques efforts, ils sont vite réduits à néant. Dans le Harlem des années 90, la fillette devenue adolescente ne passe pas inaperçue. On la montre du doigt, on lui fait comprendre que la perte de poids est une obligation. Question de santé mais aussi (et surtout) de féminité. Une forme de pression sociale avec laquelle il lui est de plus en plus difficile de composer.

Pour son premier roman, Mecca Jamilah Sullivan imagine un parcours de vie hors normes. Elle décrit une jeune afro-américaine en proie aux discriminations, tant de la part des blancs qu’elle fréquente à l’école que de sa propre communauté. Et si tout semble couler sur elle sans l’affecter, si elle refuse de s’apitoyer sur son sort, la souffrance est bien réelle. Il n’est pas simple pour Malaya de se défendre face aux injonctions d’une féminité que l’on cherche à lui imposer, ni de faire face au mépris et aux moqueries dont elle est l’objet.

Au-delà du rapport au corps, de la difficulté à trouver sa place, du regard posé sur les femmes, l’auteure interroge la façon d’occuper l’espace d’un point de vue à la fois politique, social et intime. Elle dessine également un tableau saisissant de Harlem, à une époque où la gentrification galopante s’apprête à définitivement modifier l’âme d’un quartier historiquement populaire.

Une belle entrée en littérature, sensible et engagée.

Big Girl de Mecca Jamilah Sullivan (traduit de l’anglais - États-Unis – par Valentine Leÿs). Plon, 2023. 490 pages. 22,50 euros.






lundi 25 septembre 2023

Les aventures de Tom Sawyer - Mark Twain

Les quadra comme moi connaissent Tom Sawyer essentiellement grâce au dessin animé diffusé au dans les années 80. Mais combien ont lu le texte intégral du roman (et non une version abrégée proposée par la plupart des éditeurs jeunesse) après avoir vu l’adaptation ? Une infime partie sans doute, et c’est bien dommage car ils auraient eu le plaisir de découvrir un livre « pour enfant » qui s’adresse en fait à tous les publics, un livre bien plus mature et complexe qu’il ne semble au premier regard.

Mark Twain a écrit Les aventures de Tom Sawyer en 1876. Le récit se base en grande partie sur des événements vécus par certains de ses camarades de classe lorsqu’il était enfant. Il a synthétisé dans le personnage de Tom plusieurs d’entre eux. A travers lui, c’est toute une vision de l’Amérique des pionniers qui s’exprime :  courage, grandeur d’âme, aventure, champs des possibles où les rêves les plus fous sont permis. Tom s’imagine en Robin des bois, en pirate, en chasseur de trésor, en redresseur de tort. Allergique à l’école, supportant difficilement les longues heures passées sur le banc de l’église, il ne s'épanouit qu'au grand air, faisant les quatre cents coups avec son copain Huck.

Condensé d'événements cocasses ou tragiques, hymne à la débrouillardise, Les aventures de Tom Sawyer dressent le portrait d’un gamin facétieux et farceur dont les aspirations à la justice semblent inébranlables. Et au-delà de son personnage, Mark Twain peint avec une précision quasi sociologique l’Amérique de la première moitié du 19ème siècle : violence, justice sommaire, religion omniprésente, esclavage, etc. La vision est à hauteur d'enfant mais cette naïveté de façade permet de révéler un tableau très vivant de la vie à la frontière de l'Ouest sauvage et indompté.

Une porte d'entrée idéale dans l'œuvre de l'un des pères fondateurs de la littérature américaine. Le parfait tremplin avant d'attaquer les Aventures d'Huckleberry Finn, que tout le monde s'accorde à considérer comme son chef d'œuvre et qu'Hemingway avait placé au-dessus de son panthéon littéraire : " Toute la littérature moderne américaine est issue d'un livre de Mark Twain : Huckleberry Finn. Avant, il n'y avait rien. Depuis, on n'a rien fait d'aussi bien".

Les aventures de Tom Sawyer de Mark Twain (traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner). Tristram, 2008. 300 pages. 21,00 euros.



Rentrée des classes oblige, le rendez-vous des Classiques c'est fantastique
orchestré par Fanny et Moka célèbre ce mois-ci
les incontournables de la littérature jeunesse.




samedi 2 septembre 2023

La porte du non retour - Kwame Alexander

Septembre 1860, Ghana. Kofi vit paisiblement avec sa famille. Il va à l’école, joue avec ses amis et est amoureux de la jolie Ama. Nageur hors pair, il a fait de la rivière son lieu de prédilection. Seule obligation à respecter, ne jamais s’attarder près de l’eau une fois la nuit tombée pour ne pas tomber dans les griffes des « bêtes » qui rodent et enlèvent les enfants. Un soir, alors qu’il traîne un peu trop longtemps après le coucher du soleil, son monde bascule. Famille, liberté, innocence, tout va lui être arraché avec une violence inouïe. Commence alors pour lui un long voyage au bout de l’enfer…

Un roman bouleversant, je ne vois pas d’autre mot pour le qualifier avec davantage de justesse. Pourtant Kwame Alexander ne cherche pas à en rajouter dans le registre de l’émotion, il ne force pas le trait. Après tout, les faits se suffisent à eux-mêmes, il n’est pas nécessaire d’en rajouter. Le choix d’un texte en vers libre aurait pu offrir l’occasion d’un glissement vers une forme de lyrisme grandiloquent mais ce n’est heureusement pas le cas. Au contraire, les phrases courtes vont à l’essentiel, elles donnent au monologue de Kofi le rythme d’un chant où la douceur des premières pages prend au fil du récit des accents déchirants.

Un texte de plus sur l’esclavage à faire lire aux ados, un parmi tant d’autres ? Sûrement pas. Car la démarche de Kwame Alexander, américain d’origine ghanéenne, est de revenir sur le chapitre africain de l’histoire de l’esclavage et la responsabilité de certains chefs de tribu dans le développement de « la traite négrière transatlantique ». Un retour aux racines sur les terres de ses ancêtres qu’il a effectué à plusieurs reprises afin de documenter avec un maximum de véracité l’histoire fictive de Koffi. Premier tome d’une trilogie cette « Porte du non retour » est une plongée aussi touchante qu’édifiante au cœur d’une des plus grande tragédies de l’histoire de l’humanité.

La porte du non retour de Kwame Alexander (traduit de l'anglais par Alice Delarbre). Albin Michel jeunesse 2023. 460 pages. 19,90 euros. A partir de 13 ans.








lundi 28 août 2023

Oliver Twist - Charles Dickens

Tout le monde connait Oliver Twist, au moins de nom. C’est sans doute le plus célèbre roman de Dickens. Il s’ouvre sur l’enfance malheureuse d’Oliver, orphelin maltraité dans l’hospice où il fut recueilli bébé, qui finira par s’enfuir pour rejoindre Londres et être enrôlé malgré lui dans une bande de voleurs à la tire menée par l’impitoyable et répugnant Fagin. Accusé d’un larcin qu’il n’a pas commis, sauvé par une bonne âme avant d’être enlevé par ses anciens camarades pickpockets afin de commettre un cambriolage qui tournera mal, il sera blessé par balle et laissé pour mort dans un fossé. La suite ? Je vous laisse la découvrir si vous ne la connaissez pas.

Clairement, Dickens ne ménage pas son petit héros. Clairement il aime dramatiser, jouer sur le côté tire-larme, insister sur la situation misérable du pauvre enfant. Mais ce dernier s’avère trop lisse, trop angélique, trop naïf. Aucune once de méchanceté en lui, aucune véritable révolte, il ne parvient pas à haïr ses bourreaux et déborde d’amour pour ceux qui lui viennent en aide. Pour tout dire, il manque  d’aspérité et de complexité, bref il se révèle plutôt insipide. D’ailleurs il est souvent absent des événements qui se déroulent autour ou à cause de lui, j’irai même jusqu’à dire qu’il est loin d’être le personnage principal du roman.

Au-delà du parcours tourmenté d’Oliver, le but premier de Dickens étais sans doute de démystifier l’image romantique des criminels. Tous sont d’affreux salauds sans états d’âme, des concentrés de méchanceté à l’état pur qui finiront par payer pour leurs actes répréhensibles. Le manichéisme tourne à la caricature, les protagonistes sont classés dans le camp du bien ou dans celui du mal, il n’y a pas d’entre-deux possible.

L’intérêt du texte réside selon moi dans la description des bas-fonds de Londres, l’atmosphère insalubre est parfaitement rendue et le portrait des indigents sonne avec réalisme. Pour conclure je dirais que j’ai l’impression d’avoir lu un mélo social, malheureusement bien plus mélo que social, dont le côté moralisateur et manichéen a grandement gâché mon plaisir de lecture. Dommage.

Oliver Twist de Charles Dickens (traduit de l'anglais par Alfred Gérardin). Archipoche, 2020. 620 pages. 8,95 euros.



Un billet qui signe ma troisième participation au rendez-vous




lundi 31 juillet 2023

Corregidora - Gayl Jones

« Je suis Ursa Corregidora. J’ai des larmes à la place des yeux. Toute petite, on m’a obligée à palper mon passé. Je l’ai tété à la mamelle de ma mère ».

Sa grand-mère ne cessait de lui répéter que le plus important était d’assurer la descendance, pour entretenir la mémoire. Pour que la lignée familiale issue de l’esclavage ne s’éteigne jamais et que son histoire tragique puisse continuer à être racontée. Malheureusement Ursa va briser le cycle. Parce que suite aux coups de son mari, elle a dû subir une ablation de l’utérus. Il ne supportait pas que sa femme, chanteuse de Blues dans un cabaret du Kentucky, attire les regards d’autres hommes. Après l’opération, Ursa se reconstruit. La convalescence est longue, le patron du cabaret se veut protecteur, attentif à tous ses besoins. Elle finira par l’épouser et s’en mordra les doigts, forcément. Ici les hommes ne peuvent qu’être mauvais. Rien à en tirer, rien à en espérer. Depuis que ce salaud de Corregidora, le maître de la plantation, a violé ses ancêtres, le schéma se répète et les femmes de la famille ne semblent bonnes qu’à subir la violence masculine. Une forme de fatalité qu’Ursa constate autant qu’elle accepte. Avec lucidité et la rage au cœur.

Ce roman est un monument de la littérature afro-américaine, considéré depuis longtemps comme un classique contemporain. Un livre cru, tant sur la forme que sur le fond. Un livre brutal, sans concession. Publié en 1975 par Toni Morrison, écrit par une inconnue de 25 ans qui va estomaquer la future prix Nobel de littérature et éblouir quelques grands noms des lettres américaines tels que James Baldwin ou Richard Ford, il est étudié depuis des décennies à l’université. C’est à se demander pourquoi il aura fallu attendre presque cinquante ans pour qu’il soit enfin traduit en français.

Le monologue d’Ursa résonne comme un blues lancinant. C’est à la fois un cri et un chuchotement, un déferlement qui emporte tout sur son passage. La traduction rend parfaitement compte du rythme, de la trivialité et de la poésie d’une prose qui oscille entre réalisme et onirisme. L’oralité de la langue souligne une formidable modernité de ton, une totale liberté de parole.

Une histoire qui prend ses racines dans l’esclavage et qui cherche à perpétuer l’héritage de ce traumatisme. Pour ne jamais oublié que les femmes ont tant souffert de cet asservissement inhumain, marquées dans leur chair par une toute puissance masculine qui s’autorisait les pires excès. Et qui se les autorise encore, malheureusement.

Corregidora de Gayl Jones. Éditions Dalva, 2022. 255 pages. 21,00 euros.



Un billet qui signe ma seconde participation au rendez-vous
Les classiques c'est fantastique de Fanny et Moka











lundi 10 juillet 2023

La guerre des Gaules de Tarek et Vincent Pompetti.

Entre -58 et -50 avant J.C., César déploie son emprise sur la Gaule. Enfin, sur les Gaules plus exactement, puisqu'à l'époque le monde celtique était divisé en plusieurs nations, plus souvent rivales qu’alliées. C’est d’ailleurs en grande partie grâce à ces divisions que le futur empereur romain a pu étendre ses conquêtes territoriales. Pendant les premières années de la guerre, Vercingétorix sera un allié de Rome, avant de prendre la tête des tribus se révoltant contre l’occupant et d’être vaincu à Alésia en -52. Le point de vue de César exprimé dans cette Guerre des Gaules montre à quel point la motivation de ce dernier, d’abord politique, s’est rapidement doublée d’un intérêt économique. On comprend également que si la victoire finale doit à la force brute, à l’équipement moderne et à la discipline de ses légions, elle n’aurait pu être possible sans une exceptionnelle intelligence tactique associée à une véritable vision géopolitique du conflit.

Les auteurs se sont évidemment basés sur le texte original de César tout en s’autorisant quelques libertés « fictionnelles » afin de rendre le récit moins austère. La caution historique est indiscutable, ce qui rend cet album passionnant, notamment d’un point de vue pédagogique. Revers de la médaille, les récitatifs prennent le pas sur les dialogues et rendent certains passages très bavards. De plus le catalogue de noms de tribus et de villes gauloises (sans traduction de leur appellation « moderne ») ne permet pas de voir avec clarté les lieux où se déroulent les événements, ce qui a tendance à complexifier la lecture. 

Niveau dessin rien à dire, les choix graphiques de Vincent Pompetti permettent une immersion parfaite dans la sauvagerie de l’époque. Et le dossier final incroyablement complet est une lecture des plus enrichissantes pour mieux comprendre, d’une part, les intentions des auteurs, et d’autre part, leur investissement sans faille pour coller au plus près des connaissances actuelles sur cette période pour le moins troublée de l’antiquité. 

La guerre des Gaules de Tarek et Vincent Pompetti. Nouveau Monde éditions, 2023. 180 pages. 24,90 euros.




mercredi 28 juin 2023

Les cahiers d’Esther T8 : Histoires de mes 17 ans - Riad Sattouf

Esther aura bien 17 ans, elle est en première dans lycée parisien de « bourges » et stresse à l’idée de passer le bac de français. Côté cœur, c’est le désert. Le célibat lui pèse mais l’attitude des garçons l’insupporte toujours autant. Elle s’interroge également sur ses convictions politiques, se demandant si elle est de droite ou de gauche, et s’insurge de voir son grand frère succomber aux sirènes de Zemmour. Le soir du premier tour de la présidentielle, son père ne se remet pas de la défaite de Mélenchon tandis que sa mère, macroniste, jubile.

A côté de ça, Esther passe son BAFA et ce n’est pas de tout repos, surtout quand le stage pratique vire au cauchemar. Bref, la vie file et ce n’est pas rassurant. Ses parents vieillissent, le lycée se terminera bientôt, un nouveau cycle s’annonce et tout cela reste très flou. La jeune fille ne sait pas ce qu’elle veut faire plus tard, la jungle de Parcoursup qui s’annonce l’effraie. Heureusement, les copines sont toujours là. Les amitiés et la famille sont des bases solides sur lesquelles elle peut se reposer.

Riad Sattouf possède une capacité à restituer en images les réflexions et réactions d’Esther avec une pertinence de ton et un art du dialogue qui touchent au génie. Ses planchent surchargées de texte restent d’une parfaite lisibilité et on sent à chaque instant l’empathie, le respect et l’attachement qu’il porte à son personnage. Franchement, chapeau bas !

Depuis le premier tome, Les cahiers d’Esther sont une photographie du temps présent, une vision individuelle et intime de l’époque qui touche souvent à l’universel. Au point que les sociologues de demain y verront sans doute matière à comprendre et analyser la jeunesse d’aujourd’hui.


Les cahiers d’Esther T8 : Histoires de mes 17 ans
de Riad Sattouf. Allary éditions, 2023. 54 pages. 17,90 euros.



Les BD de la semaine sont à retrouver chez Fanny





lundi 26 juin 2023

Le blé en herbe - Colette

Phil et Vinca. Il a 16 ans, elle en a 15. Ils se connaissent depuis l’enfance, leurs familles passent tous leurs étés en Bretagne dans la même maison de vacances. Des camarades de jeux fidèles en amitié devenus amoureux par évidence. Malgré une certaine forme de pureté, ils sont à ce moment charnière de bascule vers le monde des adultes. Bientôt la fin des études et un avenir professionnel à construire, loin de la facilité et des futilités de leurs jeunes années. On les voit déjà mariés mais une rencontre fortuite va tout faire basculer. Envouté par une femme mûre, Phil va trahir la confiance de Vinca et remettre en cause leur relation.

Phil est un grand dadais naïf et égoïste, déniaisé par une séductrice qui veut juste s’amuser avec lui. Aujourd’hui, on dirait que c’est un Toy Boy manipulé par une MILF 100% cougar. Face à lui Vinca est une jeune fille lucide qui comprend très vite la situation. Sa maturité lui permet de faire face, elle est celle qui prend les choses en main quand le fautif, noyé sous les remords, est sur le point de sombrer. 

L’écriture est riche en images, elle souligne à merveille l’atmosphère étouffante d’un été écrasé de chaleur. Elle possède également une dimension poétique, notamment dans les descriptions de la nature et des sensations que cette dernière fait naître chez les personnages. Une sorte de lyrisme intime un poil daté mais qui garde un certain charme.

Collette célèbre à travers ce court roman la supériorité de la femme sur l’homme, cette capacité à surmonter ses propres souffrances pour apaiser celles d’autrui. Hymne à la sensibilité, à la délicatesse et à la générosité féminine, Le blé en herbe est également une jolie façon de rappeler que la passion n’a pas d’âge et que les relations amoureuses n’ont jamais rien d’un long fleuve tranquille.

Le blé en herbe de Colette. Librio, 2022. 110 pages. 3,00 euros.




Un billet qui signe ma première participation au challenge 
Les classiques c'est fantastique de Moka et Fanny







mercredi 21 juin 2023

Mojo - Rodolphe et G. Van Linthout

Slim Whitemoon, né dans le Mississipi au début du 20ème siècle, est un bluesman qui a d’abord tenté sa chance à Chicago avant que la crise de 29 ne l’oblige à retourner dans le sud. Il y passe quelques années dans un cimetière en tant que fossoyeur. Mais le frisson du blues le renvoie sur la route. Des concerts chaque soir dans des bars, des clubs, des petites salles ou même dans la rue. Une vie d’errance avant de rentrer dans le rang après avoir rencontré Emma, sa future femme. De leur union naîtront deux garçons et deux filles. A la mort d’Emma, les enfants ont grandi et sont partis. De nouveau seul, Slim replonge dans la musique à corps perdu. Et lorsque le revival du blues explose en Europe dans les années 60, il part faire une tournée en Angleterre. Le vieil homme devient une star adulée par les Stones et les Yarbirds de Clapton. De retour au pays, Slim retombe dans l’anonymat pour finir sa vie dans le dénuement le plus complet.

Slim Whitemoon n’a jamais existé. Il représente le parfait archétype du bluesman ayant traversé le 20ème siècle : une naissance dans le sud profond, les premières notes de musique jouées sur une guitare de bric et de broc, un voyage à Chicago, une vie de hobo dans les trains de marchandise pendant la grande dépression, les premiers enregistrements de vinyles, la gloire avant une chute inexorable. Rodolphe et G. Van Linthout dressent un inventaire précis et exhaustif des caractéristiques propres à ces musiciens itinérants qui ont marqué l’histoire des États-Unis : la solitude, la misère, les femmes, l’alcool, les troquets sordides, le racisme ordinaire… Et si Slim est une pure invention, les musiciens qu’il croise sur sa route ont bel et bien existé : Blind Lemon Jefferson, le mythique Robert Johnson, Aleck « Rice » Miller, Sonny Boy Williamson. Ces bluesmen légendaires donnent à ce Mojo de faux airs de docu-fiction.

Graphiquement, le travail de G. Van Linthout colle parfaitement au propos : un lavis aux tons de gris délavés idéal pour illustrer cette vie en clair-obscur.

J’ai passé un excellent moment avec ce roman graphique à la construction simple et efficace, certes  destiné aux amateurs de blues mais qui devrait pouvoir convaincre un plus large public.

Mojo de Rodolphe et G. Van Linthout, Éditions Vents d’Ouest, 2019. 192 pages. 22.00 euros.



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