vendredi 19 mai 2023

Paris-Berry - Frédéric Berthet

Le regretté Philippe Sollers disait de lui qu’il était « 
le plus doué de sa génération ». Frédéric Berthet aura finalement publié bien peu de textes avant de quitter définitivement la scène à 49 ans, en 2003, rongé par l’alcool et le désespoir. Son roman Daimler s’en va (Prix Roger Nimier 1989) restera son seul véritable succès. Il voulait écrire un livre, « un grand livre », puis s’en aller, comme Salinger. 

Dans Paris-Berry, Berthet raconte son installation dans une maison prêtée par une amie au cœur du Berry. C’est là qu’il doit écrire son prochain roman. Mais chaque fois qu’il est devant la machine à écrire, sa pensée s’égare. Il ne fait que raconter de petits événements du quotidien (l’arrivée du facteur, les facéties du chat, une fuite d’eau qui inonde la maison, la visite d’une jeune héritière…), des souvenirs anciens de ses rencontres avec Blondin et Roland Barthes ou encore ses années américaines. Des bribes, des fragments, au mieux de courtes nouvelles. Une sorte de procrastination littéraire qui donne au final un tout que j’ai personnellement dégusté avec grand plaisir. Il faut bien sûr aimer l’épure, l’écriture minuscule des petits riens à la Delerm. Même si contrairement à ce dernier il ne tombe pas dans la célébration systématique de ces petits riens. Le style est vif, pétillant, souvent drôle, parfois grave. Succulent.          

De jolies chroniques, donc, où Berthet montre, entre autres, un talent rare dans l’utilisation de la virgule : « Dans ce livre, j’aime les virgules. Les brins d’herbe de Walt Whitman. Virgules couchées sous le vent. Minuscules attentes de ce qui va venir. Choses, corps souples. Mes virgules sont mes catins. Qui a jamais prétendu que l’on devait écrire, lire, en apnée ? Pourquoi aucune halte ? Même courte, la randonnée est longue. Comment dit-on : prendre son temps ? »

A découvrir si vous aimez la forme courte et les écrits minimalistes. Pour moi ce fut une bien belle découverte.      

Paris-Berry de Frédéric Berthet. La table ronde, 2023. 110 pages. 6,60 €.










mercredi 17 mai 2023

Gone With the Wind T1 - Pierre Alary

Je n’ai pas lu le roman. Je n’ai pas vu le film. A vrai dire je ne connaissais de l’intrigue que le contexte historique (la guerre de sécession) et géographique (le sud des États-Unis). Sans oublier les « iconiques » personnages principaux (Scarlett O’Harra et Rhett Butler). Je m’imaginais entre eux un coup de foudre comme on en voit tant, mielleux à souhait et dégoulinant de guimauve. Grave erreur.

Grande fut ma surprise de découvrir que l’amour de Scarlett, au départ du moins, n’était pas ce brave Rhett mais un certain Ashley Wilkes. Et que malheureusement pour elle, Ashley était sur le point de se marier avec une autre. Le cœur brisé et après avoir épousé par dépit un homme dont elle ne fait aucun cas, Scarlett voit son quotidien bouleversé par le début la guerre. Le conflit fera d’elle une jeune veuve et la poussera à s’exiler loin de la plantation familiale, direction Atlanta. Et Rehtt dans tout ça me direz-vous ? Eh bien le moins que l’on puisse dire c’est que le gaillard est loin d’attirer la sympathie. Pour Scarlett il n’a même rien pour la séduire. En tout cas jusqu’au moment où il lui sauvera la vie dans des conditions dramatiques.

Alary © Rue de Sèvres 2023
Premier tome d’un diptyque, ce Gone with the wind est une totale réussite. Un album magnifique, du travail d’artiste, d’artisan même, tant graphiquement qu’au niveau de la narration. L’ambiance chaude et lumineuse du sud profond est parfaitement restituée, les événements s’enchaînent de façon limpide, la lecture est fluide, bref aucune fausse note.

J’ai aimé aussi les caractères marqués des personnages, Scarlett en femme forte capable de prendre les rennes quand tout s’écroule et Rhett en salopard à la fois cupide, cynique, lucide et amoral. Bien sûr, la vision idéalisée du mode de vie des états du Sud qui tourne au final à la défense de propriétaires terriens en lutte pour préserver leurs privilèges d'esclavagistes reste dérangeante, mais il ne faut pas oublier de la remettre dans le contexte et l'époque de la rédaction du roman.

Un dernier mot sur l’ouvrage en lui-même, magnifique objet-livre grand format au dos toilé. Vraiment aucune fausse note, espérons que la suite sera à la hauteur mais franchement, j'ai peu de doutes.

Gone With the Wind T1 de Pierre Alary (d'après l'œuvre de Margaret Mitchell). Rue de Sèvres, 2023. 150 pages. 25,00 euros.



Les BD de la semaine sont à découvrir chez Fanny





vendredi 12 mai 2023

Pyongyang 1071 - Jacky Schwartzmann

Quand Jacky Schwartzmann a annoncé à son entourage sa volonté de faire le marathon de Pyongyang, tout le monde a réagi avec un élégant « t’es con ou quoi ? ». Il faut dire qu’en plus de ne pas pratiquer la course à pied assidument, l’auteur de l’excellent Mauvais coûts se lançait dans un voyage des plus risqués.

Dès le départ, l’idée n’était pas de faire une performance mais plutôt de profiter de cet événement sportif pour découvrir un des pays les plus fermés du monde. Bien sûr, pas question de prendre la préparation physique à la légère. Une demande de disponibilité auprès de son employeur et quelques mois d’entraînement intensif lui permirent d’acquérir un niveau suffisant pour finir les 42 kilomètres et quelques dans un temps acceptable, du moins pour un coureur amateur bientôt quinca. Mais au-delà du marathon, son intérêt pour le long périple à venir tenait surtout d’une volonté de découvrir la Corée du Nord de l’intérieur, de s’immerger dans cette dictature semblant à première vue impénétrable. 

Le résultat ? Du Schwartzmann dans le texte, ironique, mordant, lucide, sans langue de bois, toujours autant adepte de l’autodérision. Respectueux d’un peuple difficile à cerner qu’il se refuse de juger, il « subit » un voyage organisé encadré de bout en bout par le régime et constate à quel point la population locale, assommée par la propagande, reste enfermée depuis des décennies dans une vision du monde qui n’a pas évolué depuis les pires moments de la guerre froide.

Gagné par l’ennui au fil de visites toutes moins passionnantes les unes que les autres, trimballé parmi les coréens avec l’impression de les regarder de loin sans vraiment les rencontrer, le marathonien du dimanche en arrive à ce triste constat : « Ce pays accepte de nous recevoir, mais il ne nous accueille pas. Ils veulent qu’on les voie, mais pas qu’on les regarde ». Au final, l’expérience restera marquante, même si Schwartzmann avoue dans une dernière confidence : « Je suis venu en Corée du Nord pour rencontrer un peuple, j’ai fait un safari. »

Pyongyang 1071 de Jacky Schwartzmann. Éditions Paulsen, 2023. 165 pages. 8,50 euros.





mardi 9 mai 2023

Bride Stories T14 - Kaoru Mori

Un tome un peu à part dans la série, où l’explorateur Smith brille par son  absence et où Karluk et Amir sont très peu présents. L’histoire se focalise sur les pourparlers entre les différents clans pour organiser la résistance face à la future invasion russe. Dans le cadre des alliances à venir, Azher, le frère d’Amir, va devoir prouver sa vaillance en remportant une course de chevaux face à celle qui, en cas de victoire, pourrait devenir sa future épouse.

Résultat, un tome regorgeant d’action où les chevaux occupent une place centrale. Kaoru Mori l’avoue d’ailleurs dans la postface, c’est son envie de dessiner « plein de fiers destriers » qui l’a poussée à développer longuement cet épisode de course équestre dans la steppe. Un événement lui permettant également d’introduire de nouveaux personnages féminins marquants qui devraient occuper une place importante dans les chapitres à venir.

Kaoru Mori © Ki-oon 2023
Ce quatorzième tome se lit à la vitesse d’un cheval au galop, ce qui pourrait être frustrant si on ne prenait pas la peine de s’attarder sur la beauté de chaque case où, comme de coutume, aucun détail n’est laissé au hasard. C’est sans doute en grande partie à cause de cette recherche de perfection graphique que l’attente entre chaque nouveau volume est aussi longue (presque deux ans depuis la publication du précédent !). La patience est une vertu, parait-il. Il va malheureusement falloir en faire preuve pour découvrir la suite de cette épatante série !

Bride Stories T14 de Kaoru Mori. Ki-oon, 2023. 210 pages. 7,95 euros.





vendredi 5 mai 2023

En famille à Tokyo : le guide de voyage - Julie Blanchin Fujita

Quand une Française installée à Tokyo depuis près de quinze ans, mariée à un Japonais et maman de deux bouts de chou décide de faire un guide pour découvrir la capitale nippone en famille, on se dit qu’on va être entre de bonnes mains. Diplômée des arts déco de Strasbourg, Julie Blanchin Fujita illustre elle-même chaque chapitre et multiplie les conseils sur un ton chaleureux, léger et souvent drôle. 

L’organisation de l’ouvrage est classique, avec une longue introduction détaillant les possibilités de logement, les types de restaurants, les déplacements, les erreurs à éviter et, de manière générale, tout ce qui est bon à savoir pour profiter au maximum de son séjour. Les chapitres suivants passent en revue les différents quartiers et listent leurs centres d’intérêt respectifs, avec autant de précision que de concision, et surtout sans jamais perdre de vue la dimension familiale promise dans le titre. 

Franchement, cette attention portée à un séjour « en famille » est le gros point fort de ce guide. Il y a dans la démarche de Julie Blanchin Fujita une volonté permanente de rassurer face au gigantisme de cette mégalopole et de tranquilliser des parents inquiets d’affronter un tel espace urbain avec leur progéniture (même les enfants en bas-âge sont pris en compte avec des infos sur où acheter du lait, où changer bébé et comment, au moment de la réservation de l’hébergement, tout prévoir pour que le séjour se passe au mieux). 

Du pratique, de l’anecdotique, du culturel, des petits bonus bienvenus, un mini-dico, un lexique des expressions indispensables à connaître, une carte détachable des transports du grand Tokyo, rien ne manque dans ce guide dont la lecture s’avère aussi instructive que plaisante. Au final, entre la qualité des infos partagées et l’enthousiasme sincère que Julie Blanchin Fujita diffuse au fil des pages, on referme l’ouvrage avec une furieuse envie de sauter dans un avion avec sa tribu pour rallier au plus vite la capitale du pays du soleil levant ! 



En famille à Tokyo : le guide de voyage de Julie Blanchin Fujita. Kana, 2023. 240 pages. 14,90 euros.






mercredi 3 mai 2023

L’adoption cycle 2, tome 2 : Les repentirs - Zidrou et Arno Monin

La tournure dramatique prise par les événements à la fin du premier tome annonçait un virage à 180 degrés, ça n’a pas manqué. Le retournement de situation a donc bien eu lieu, la famille adoptive pas franchement accueillante est devenue d’un coup de baguette magique prête à tout pour retrouver Wajdi après sa fugue. Une prise de conscience salutaire qu’on voyait venir de loin tant le scénario semblait dès le départ cousu de fil blanc. Mais peu importe si le couple expiant ses fautes reste toujours aussi caricatural, si la morale est sauve et si tout est bien qui finit bien, comme disait Shakespeare. 

Et puis pour ce qui est de la forme, on n’est pas loin de la masterclass. Vivacité des dialogues, pertinence du découpage et de l’enchaînement des différentes scènes, tout le savoir-faire de Zidrou se déploie et montre une fois de plus à quel point, techniquement, il maîtrise l’art de raconter une histoire. Au niveau graphique Arno Monin est au diapason. Le cheminement du récit vers le happy-end final lui permet d’affirmer une fois de plus son trait lumineux, son sens du rythme et sa science du cadrage en permanence au service du récit. 

Au final ce second cycle dégouline de bons sentiments mais, malgré ses gros sabots, il s’en dégage des ondes positives qui réchauffent les cœurs. Toujours bon à prendre par les temps qui courent !

L’adoption cycle 2, tome 2 : Les repentirs de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2023. 72 pages. 16,90 euros.



La BD de la semaine, c'est aujourd'hui chez Noukette !





mercredi 26 avril 2023

The Witcher Le Sorceleur T5 : Le baptême du feu - Andrzej Sapkowski

Beaucoup de parlote et bien peu d’action dans ce tome 5 des aventures du Sorceleur. L’équilibre entre les temps « calmes » et « mouvementés » du récit n’étant pas trouvé, le rythme en souffre et l’ennui prend trop souvent le pas sur le plaisir de lecture. Il y a vraiment des passages interminables que j’ai survolés en diagonale, notamment ceux où les magiciennes déroulent la généalogie des têtes couronnées. Pour le reste, l’intrigue n’avance pas des masses. On traverse des forêts, on rencontre une difficulté, on y fait face et on continue son chemin. Le groupe du Sorceleur est un classique de la fantasy avec son archer, son chevalier, ses nains et son guérisseur. Seul le barde Jaskier apporte une petite touche d’originalité bienvenue.

En dehors du cheminement de la troupe de Geralt et des manigances des magiciennes, les (rares) incursions dans la bande de Ciri ne font pas davantage progresser les choses et on en vient à se demander à quel moment les événements vont s’accélérer, pour elle et ses comparses. Bref, l’ensemble donne une impression de surplace loin d’être emballante. L’univers dans lequel évolue ce beau monde continue d’être déployé avec précision et gagne en épaisseur mais tout se fait avec bien trop de lenteur. Ce Baptême du feu n’est certes pas un tome pour rien dans la saga du Sorceleur mais c’est à l’évidence un tome qui n’apporte pas grand-chose et qui aurait gagné à jouer davantage la carte de la concision. Dommage.    

Le Sorceleur T5 : Le baptême du feu d’Andrzej Sapkowski. Bragelonne, 2012. 480 pages. 7,60 euros.





jeudi 20 avril 2023

L’adoption cycle 2, tome 1 : Wajdi - Zidrou et Arno Monin

Wajdi, dix ans, a grandi sous les bombes, au Yémen. La guerre a brisé son enfance et fait de lui un orphelin. Le jour où il débarque en France chez Gaëlle et Romain, un nouveau monde s’offre à lui. Un monde dont il ne possède pas les codes. La barrière de la langue n’arrangeant pas les choses, ses parents adoptifs ont bien du mal à cerner le jeune garçon et à appréhender ses réactions, parfois inquiétantes.

J’ai beaucoup aimé la façon dont Wajdi est représenté. Son introspection, ses silences, ses réactions inattendues et déconcertantes, tout tend à le rendre aussi attachant que crédible. Le portrait de la famille d’accueil est à l’inverse trop caricatural. Des bourgeois qui ont envie de se rendre « utiles », qui semblent surtout vouloir renvoyer l’image d’humanistes philanthropes, ravis de recueillir des compliments sur leur démarche mais finalement bien peu ravis d’accueillir un nouvel arrivant dans leur foyer. Tout ça parce que Wajdi n’est pas un enfant « comme les autres », un enfant sans problème, un enfant qui va forcément être conscient et reconnaissant de leur bonté. Aucune volonté de le comprendre, aucune volonté de lui venir en aide, la condamnation de ses actes au fil de l’album ne cesse d’aller crescendo, jusqu’au point de rupture.

C’est dommage parce ça manque de finesse. Le trait est forcé, il ne laisse pas de place à un regard plus mesuré, plus compréhensif, alors que n’importe quel adulte serait à même de se rendre compte que l’adaptation du petit garçon va être longue, difficile et douloureuse. Sans doute est-ce là un ressort scénaristique qui servira dans le second tome pour remettre les sentiments de chacun « dans le bon sens ». Mais la ficelle est grosse et gâche quelque peu le plaisir de suivre l’intrigue. 

Niveau dessin c’est toujours un bonheur de retrouver la patte tout en douceur d’Arno Monin, son jeu sur les couleurs et la lumière, l’expressivité de ses personnages. Son trait se reconnaît du premier coup d’œil et c’est une qualité devenue trop rare pour ne pas être soulignée. 

Une lecture en demi-teinte mais le bilan définitif concernant ce diptyque ne pourra être fait qu’après la découverte du second tome. Ça tombe bien, il m’attend sagement au pied de mon lit !

L’adoption cycle 2, tome 1 : Wajdi de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2021. 72 pages. 16,90 euros.








mardi 31 janvier 2023

Octave - Arnaud Cathrine

 

« Ma jeunesse ne fait pas envie, mais je n’en aurai pas d’autres. »

Vince et Marylin ont eu le cœur brisé par le même garçon. Octave les a quittés sans la moindre explication. Et s’il ne fait plus partie de leur vie, il continue de les obséder. Vince et Marylin voudraient passer à autre chose, oublier ce premier amour qui les a dévastés. Pas simple quand, en ces temps de COVID, les confinements successifs vous offrent l’occasion de ruminer et que l’objet de vos désirs fait une soudaine réapparition dans votre quotidien.

Vince, Marilyn, Octave. Chacun leur tour ils prennent la parole pour dire la complexité des sentiments, des relations aux autres et à eux-mêmes, pour dire le mal-être, l’isolement et la précarité vécus par les étudiants qu’ils sont devenus après leurs années lycée. 

Une fois encore Arnaud Cathrine signe un roman moderne, contemporain, plein de vie et d’énergie, où une sensibilité à fleur de peau s’exprime à chaque page. Le ton est juste, les dialogues percutants, les situations réalistes. 

Ce dernier tome d’une mémorable trilogie (après Romance et Nouvelle vague), poétique et sensuel, débordant à la fois d’espoir et de désenchantement sonne comme le cri de rage d’une jeunesse cherchant « ce qu’il faut faire et ne pas faire pour commencer à exister ».

Octave d’Arnaud Cathrine. Robert Laffont, 2022. 390 pages. 17.90 euros. A partir de 14 ans.


La première pépite jeunesse de l'année partagée avec Noukette







mardi 13 décembre 2022

Émergence 7 - Vincent Mondiot et Enora Saby

Joachim, Nina, Romane, Alex, Elliott, Priscille et Léon. Ils sont sept à attendre comme chaque matin le bateau qui les emmènera sur le continent. Impossible pour eux de suivre leur scolarité sur la petite île bretonne où ils vivent. Ce jour-là est un jour comme les autres, jusqu’au moment où sort de l’océan une créature gigantesque qui va semer la mort et le chaos sur son passage. Vingt ans plus tard Léon, qui avait 14 ans à l’époque, revient pour la première fois sur l’île. Dans sa tête, la journée du drame s’égrène alors heure par heure, et le cauchemar dont il ne s’est jamais remis revient le hanter, faisant affluer les souvenirs avec une impitoyable précision. 

Un texte bouleversant, en parfaite harmonie avec des illustrations qui le complètent à merveille. Vincent Mondiot ne joue à aucun moment avec les ressorts du sensationnalisme, il évite l’écueil du récit de survie plein d’action à l’hollywoodienne, alors qu’il aurait été simple d’orienter le propos dans cette direction avec un tel scénario de départ. Préférant l’intime aux grands effets de manche, il met en scène une confession sans fard et sans concession. Ne cédant à aucune facilité, son récit adolescent est d’une éblouissante maturité.

Le discours de Léon se focalise autour du traumatisme vécu vingt ans plus tôt, un traumatisme impossible à surmonter. L’auteur des derniers des branleurs tord ainsi le bras aux poncifs faisant de la résilience un passage obligé et naturel vers un retour à la sérénité. Pour son narrateur, le temps passé, censé refermer les plaies, n’est qu’une illusion : « le temps empire les choses au lieu de les soigner. » 

Léon souffre toujours autant. La résurgence de souvenirs trop lourds à porter liée au retour sur les lieux du drame n’a pour lui rien de cathartique. « Ce qui ne te tue pas te rend plus fort, peut-être ? Non. […] Ce qui ne te tue pas te rend traumatisé ou handicapé. »

C’est beau et désespéré, d’une infinie mélancolie. Sans conteste ma plus belle lecture jeunesse de l’année.

Émergence 7 de Vincent Mondiot et Enora Saby. Actes Sud junior, 2022. 208 pages. 17,80 euros. Á partir de 13 ans.