jeudi 22 avril 2021

Une falaise au bout du monde - Carl Nixon

4 avril 1978, Nouvelle Zélande. Arrivés depuis peu d’Angleterre, les Chambertain visitent la partie la plus méridionale et la plus isolée des montagnes néo-zélandaises. En pleine nuit, sous une pluie battante, la voiture conduite par le père effectue une sortie de route et tombe dans un ravin. Sa femme est sur le siège passager avec leur nourrisson, les trois grands dorment à l’arrière. 

14 novembre 2010, Londres. Suzanne, la tante des enfants, reçoit un coup de fil du bout du monde lui annonçant que l’on a retrouvé les ossements de l’un de ses neveux, identifié grâce à ses empreintes dentaires. Depuis plus de trente ans, jamais personne n’avait retrouvé la moindre trace de la famille de sa sœur. Suzanne s’était elle-même rendue sur place à de nombreuses reprises, en vain. D’après le rapport du légiste, le garçon était âgé de 17 ou 18 ans au moment de sa mort. Or, il n’en avait que 13 à l'époque de l’accident. Pour Suzanne le choc est immense. Sa sœur, son beau-frère, ses neveux et nièces auraient donc survécu ? Dans quelles conditions ? Et pourquoi n’ont-ils jamais donné le moindre signe de vie ?

Il suffit de quelques chapitres pour que Carl Nixon vous attrape dans ses filets et ne vous lâche plus. Partant du jour de l’accident et de ceux qui ont suivi, multipliant les va et vient entre hier et aujourd’hui, il déploie son histoire sans la moindre fausse note. Très vite le lecteur sait comment les choses se sont déroulées. Du moins en partie. Le puzzle manque de nombreuses pièces mais au fil des chapitres tout s’imbrique. Difficile d’en dire plus sans en dire trop. On n’est pas dans un suspense insoutenable, plutôt dans une forme de logique implacable. Et totalement crédible. Rien de révolutionnaire cela dit en termes de narration mais quelle efficacité ! 

Première découverte de la littérature néo-zélandaise en ce qui me concerne et première belle surprise. Un page turner idéal pour égayer ma semaine de vacances confinée.

Une falaise au bout du monde de Carl Nixon (traduit de l’anglais par Benoîte Dauvergne). Editions de l’Aube, 2021. 330 pages. 22,00 euros.





mardi 13 avril 2021

Nouvelles vagues - Arnaud Cathrine

Vince se remet difficilement de sa rupture avec Octave. Aidant sa mère libraire en plein mois de juillet, il tombe sous le charme de Micha, l’employé de cette dernière. A quelques centaines de kilomètres de là, sur une plage normande, Marilyn fait la connaissance de l’ex de Vince. Il sera sa première fois, son premier amour, son premier séisme émotionnel. Entre Vince et Marilyn, aucune raison de se rencontrer, aucune possibilité de faire ensemble un bout de chemin. Sauf si…

Quel plaisir de retrouver le protagoniste de l’excellent Romance ! Vince et sa passion pour les garçons, son besoin d’amour et de tendresse, son manque de confiance en lui et son cœur en lambeaux. L’intrusion de Marilyn, semblant dans un premier temps suivre une trajectoire parallèle à la sienne mais qui finira par croiser son chemin, ravivera une blessure qu’il pensait en voie de cicatrisation et réveillera des souvenirs qu’il aurait préférés laisser enfouis dans un douloureux passé.  

Situations familiales complexes, relations amoureuses sinueuses, rapport aux autres et à soi laborieux, volonté de s’abandonner par amour, quitte à se consumer, les similitudes entre Vince et Marilyn sont nombreuses. Surtout, ils ont un même garçon en commun et le même sentiment de vertige, de chute et de perdition engendré par cette liaison incandescente.

Un roman tout en pudeur et en sensibilité qui met à nu les sentiments et trouve les mots justes pour dire à la fois la difficulté d’être soi et la quête d’amour d’une génération à la recherche du grand frisson.

Nouvelles vagues d’Arnaud Cathrine. Robert Laffont, 2021. 315 pages. 16,50 euros. A partir de 15 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette




mardi 6 avril 2021

Ragnagna et moi - Ken Koyama

On sonne à la porte. C’est le jour, c’est l’heure, Ragnagna débarque. Un mois déjà depuis sa dernière visite. Comme d’habitude, elle cogne dur, souvent sous la ceinture. Pas sa faute, c’est son job. Après avoir maltraité sa cliente du jour, elle sort sa seringue et lui prélève une bonne dose de sang, la laissant sur le flanc. Le mari rentre, salue l’intruse mensuelle et lui propose de rester pour le dîner. Quand il se plaint de voir dans son assiette la même chose que la veille, Ragnagna lui file une torgnole pour bien lui faire comprendre que les règles ça épuise et qu’il ferait bien de laisser madame tranquille s’il veut éviter les ennuis.  

© Ki-oon 2021 Koryama

Elle est comme ça Ragnagna. Pénible, douloureuse, déterminée à mener à bien sa mission malgré les désagréments que cela implique. Appliquée mais compréhensive, prête à soutenir celles qu’elle fait souffrir. A les défendre aussi, contre les hommes et leur saleté de libido qui vient les embêter quand c’est pas le moment. Chaque chapitre est une histoire indépendante. Les premières règles, les dernières règles et l’adieu à Ragnagna après des années passées ensemble, la fatigue, le manque de peps, la baisse de productivité au boulot, les femmes d’autrefois traitées comme des pestiférées chaque mois à la première goutte de sang, l’arrivée des serviettes hygiéniques au Japon, sans oublier Miss SPM (syndromes prémenstruels, la petite sœur de Ragnagna), tout ou presque y passe.

Je vois déjà venir les rageux qui vont reprocher à l’auteur d’être un homme. Les spécialistes de l’indignation surjouée toujours prêt à s’offusquer. De quoi se mêle-t-il ? Quelle est sa légitimité ? Comment peut-il parler d’un sujet qui ne le concerne pas directement ? Un peu comme un auteur jeunesse que l’on clouerait au pilori parce qu’il n’a pas d’enfant. Ou un traducteur blanc à qui on confierait les poèmes d’une autrice noire. Condamner à priori. En jugeant un statut avant des compétences. Bêtement. Bref, je m’égare, les bas du front qui refuseront de découvrir ce manga sur les règles parce que son auteur est un homme, grand bien leur fasse. Pour les esprits un peu plus ouverts (un peu plus éclairés oserais-je dire), l’expérience vaut le détour, promis. 

Je reconnais que graphiquement ça fleure bon l’amateurisme du gars ayant séché l’école des beaux-arts mais ça ne nuit en rien au plaisir de la lecture. Il y a même un petit tuto en fin d’ouvrage pour apprendre à dessiner Ragnagna. Au-delà de l’aspect esthétique, le sujet est traité à la fois avec sérieux et légèreté. Surtout, avec beaucoup de respect et de tendresse pour les femmes qui ont affaire à Ragnagna tous les mois. C’est hyper didactique, parfois très drôle, toujours plein d’empathie. Un petit manga qui ne paie pas de mine mais qui se révèle au aussi instructif que décomplexé. A mettre entre toutes les mains (filles et garçons bien sûr), dès le collège. 

Ragnagna et moi de Ken Koyama. Ki-oon, 2021. 220 pages. 15,00 euros.




Aujourd'hui chez Stephie c'est permis !






mardi 30 mars 2021

Lancelot Dulac - Victor Pouchet

Sa mère a beau lui jurer que le choix de son prénom est dû à celui de son grand-père, Lancelot a du mal à la croire. Se prénommer Lancelot alors que votre nom de famille est Dulac, avouez que ce n’est pas facile à gérer. Pas étonnant que le jeune Lancelot finisse par se prendre pour un chevalier. Au collège où il vient d’entrer, un certain Atrhur règne sur la cour de récré. Et dans sa classe, la belle Jennifer l’ensorcèle. Fou amoureux, Lancelot se désespère lorsque Jennifer disparaît. N’écoutant que son courage, l’apprenti chevalier part à sa recherche, bravant mille dangers. 

Tel son illustre ainé, Lancelot va devoir affronter bien des épreuves pour mener à bien sa quête. Le tournoi de chevalerie devient un match de foot, la forêt souterraine a des allures de couloirs du métro et Viviane la fée du lac est une SDF habillée de sacs plastique mais au final son comportement valeureux n’a qu’une seule motivation : l’Amour. Et comme son célèbre prédécesseur, notre Lancelot des temps modernes n’écoute que son cœur. Un brin naïf, il fonce tête baissée du haut de son un mètre trente-cinq et de ses trente et un kilos virgule cinq, uniquement guidé par la noblesse de ses actes. 

Victor Pouchet propose une réécriture de la légende arthurienne pleine de tendresse et d’empathie. Le roman initiatique prend des allures de conte un poil foutraque, vif, malicieux et enjoué. Les aventures de notre Lancelot collégien sont rythmées, magnifiquement enluminées par les illustrations du talentueux Killoffer. Un petit plaisir de lecture parfait pour affronter la morosité ambiante.

Lancelot Dulac de Victor Pouchet (Ill. Killoffer). L’école des loisirs, 2020. 110 pages. 11,00 euros. A partir de 9-10 ans.



Une pépite jeunesse partagée avec Noukette





mardi 16 mars 2021

J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle - Jo Witek

« J’ai quatorze ans et ce n’est pas une bonne nouvelle. On va me marier et ce n’est pas une bonne nouvelle. Je suis une fille et ce n’est pas une bonne nouvelle. »

Efi rentre du collège pour les vacances scolaires persuadée que rien n’a changé, que son village, ses copines, ses frères et sœurs et ses parents vont être fiers de ses bons résultats. Seule enfant de sa famille étudiant en ville, elle se voit déjà ingénieure. Malheureusement, à 14 ans, les choses changent pour les filles de sa communauté. Finies les études, finies les bons moments entre amies, finie la liberté, Efi est bonne à marier. Surveillée en permanence, elle découvre que son avenir s’écrira auprès d’un époux que l’on a choisi pour elle. Sa vie tient entre les mains des hommes, elle comprend qu’elle n’aura jamais son mot à dire, qu’elle n’est qu’un objet, une marchandise de valeur à échanger, une esclave juste bonne à enfanter et à devenir une maîtresse de maison. 

« Les filles ne doivent pas penser à leur bonheur personnel, mais d’abord à celui de la famille. » Tout est dit, ce qui compte c’est la famille. Ne pas faire honte, suivre le chemin imposé sans avoir été concertée, se taire, baisser la tête et accepter sans broncher : « Chez nous, il faut montrer aux voisins comment on sait tenir les filles, les éduquer dans la crainte des hommes, contrôler leur intimité et les préparer dès la naissance à la soumission aux pères, aux frères et aux maris. Et tout cela bien sûr comme si nous, les filles, étions d’accord, partantes et heureuses de cette monstrueuse destinée. »

Un texte sans concession qui résonne comme un plaidoyer et offre une voix à celles qui en sont privées par un système patriarcal archaïque. Arrachée à l’enfance, plongée dans un cauchemar, Efi exprime son désespoir avec force et lucidité. Un texte à la première personne forcément engagé qui ne peut qu’indigner et révolter. Tout simplement indispensable.  

J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle de Jo Witek. Actes Sud junior, 2021. 120 pages. 13,50 euros. A partir de 14 ans.















mardi 9 mars 2021

Plein gris - Marion Brunet


Les premières lignes plongent d’emblée le lecteur dans le bain. Un corps apparaît à la surface de l’eau, contre la coque du bateau, un corps d’ado, repêché par ses amis. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi sont-ils seuls en mer avec un cadavre sur les bras et une tempête qui s’annonce ?

Rembobinage immédiat dès le deuxième chapitre et retour sur le déroulement des faits. Emma, Élise, Sam, Clarence et Victor. Une bande de lycéens passionnés par la navigation. Emma et Clarence en sont les éléments moteur, ils se connaissent depuis l’enfance et ont une relation quasi fusionnelle. Clarence dégage une aura de leader, charismatique et fascinant. Un peu autoritaire aussi, et souvent moqueur, rarement bienveillant. Mais peu importe, l’amitié qui soude le groupe semble inébranlable et tous se réjouissent de pouvoir enfin utiliser le voilier des grands-parents d’Élise sans la présence d’adultes. Une traversée vers l’Irlande qui s’annonce au mieux, mais qui va virer au cauchemar absolu.

Quelle tension, quelle angoisse ! Le huis clos marin est irrespirable, d’un réalisme implacable. La tempête, les éléments déchaînés, les secours ne pouvant se déplacer, la radio qui tombe en rade, le bateau qui prend l’eau… les catastrophes s’enchaînent et la conclusion apparaît de plus en plus inéluctable. Heureusement Marion Brunet à l’intelligence d’offrir des respirations à son récit en alternant le présent du naufrage et l’histoire commune des ados avant le départ en mer. Au-delà de la construction, les flashbacks permettent de mieux comprendre les interactions, les sentiments et les frictions qui tissent le complexe canevas ayant abouti à la situation désespérée dans laquelle les naufragés se trouvent.

C’est trépidant, prenant, effrayant, mais on ne joue pas uniquement à se faire peur, on ne se cantonne pas au registre du survivalisme anxiogène. Loin de l’exercice de style, l’autrice de l’excellent Sans foi ni loi mêle le spectaculaire et l’intime, les déchainements de la nature et les méandres de la nature humaine.

Au final c’est incroyablement réaliste. Les descriptions hyper visuelles, les échanges entre ados, leurs réactions face au danger, tout est précis, criant de vérité, sans la moindre fausse note. Un roman aussi impressionnant que fascinant.

Plein gris de Marion Brunet. PKJ, 2021. 200 pages. 16,90 euros. A partir de 15 ans.



Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette










vendredi 5 mars 2021

La république du bonheur - Ito Ogawa

On a tous nos faiblesses, nos zones d’ombres, nos jardins secrets. On a tous du mal à assumer des lectures qui sortent du cadre que l’on s’est fixé, de l’image que l’on souhaite renvoyer. Moi par exemple je donne en général dans le gros dur tatoué, dans le glauque, dans le viril, dans l’alcool fort et la gueule de bois sévère. J’aime quand ça sent le sexe et la sueur, la pisse et le vomi. Du coup j’ai toujours dit que le feelgood ne serait jamais pour moi, que ce genre mielleux et dégoulinant de bons sentiments enrobé de titres à la mords-moi le nœud me filait des boutons. Ben j’ai menti. Parce que du feelgood, j’en lis. Et j’aime ça. Du moins quand il est signé Ito Ogawa. Avec Aki Shimazaki elle fait partie des rares autrices doudous dont les livres me remontent le moral quand tout vire au gris. Ce fut donc un vrai plaisir de me plonger dans cette République du bonheur (quel titre cucul soit dit en passant), suite directe de La papeterie Tsubaki.

J’ai donc retrouvé Hatoko, écrivaine publique ayant pris la succession de sa grand-mère dans l’échoppe familiale après le décès de cette dernière. Mariée depuis peu à un veuf tenant un petit restaurant, elle apprend le rôle de mère de substitution auprès d’une adorable fillette et continue de recevoir les demandes plus ou moins complexes de ses clients : une femme voulant écrire à son mari défunt pour lui dire à quel point il lui a pourri la vie, un garçon aveugle souhaitant dire à sa mère à quel point il est heureux de l’avoir pour maman, une vieille fille voulant se faire payer une dette par une amie malade sans la froisser, etc. 

Un roman paisible, croquant au fil des saisons les micro-événements du quotidien. On avance sereinement au rythme de la nature dans la ville balnéaire de Kamakura où la douceur de vivre n’est pas qu’un argument pour touristes. Comme toujours chez Ito Ogawa le personnage principal, féminin, est à un tournant de son existence. Comme toujours la nourriture a un rôle majeur, comme toujours la figure de la grand-mère est centrale et celle de la mère problématique. Bref on évolue en terrain connu, on sait que le sucré va se teinter d’un peu d’amertume mais qu’au final il n’y aura que du positif à retenir.   

Une lecture apaisante. J’ai quitté Hatoko et Kamakura à regret, j’espère qu’Ito Ogawa m’y ramènera bientôt. En attendant je vais relire Bukowski. 

La république du bonheur d’Ito Ogawa. Éditions Picquier, 2020. 282 pages. 19,50 euros.






mardi 2 mars 2021

Fantasmes T3 : les jeux interdits - Stefano Mazzotti

Ça ne m’est jamais arrivé d’être attiré à la cave par une voisine pour une partie de jambes en l’air (en même temps j’ai pas de cave).
Ça ne m’est jamais arrivé de profiter de la femme du conducteur après avoir été pris en stop (en même temps j’ai jamais fait de stop).
Ça ne m’est jamais arrivé d’être enfermé dans les chiottes d’un avion avec une épouse voulant faire payer à son mari ses infidélités (en même temps je ne connais pas d’endroit moins sexy que les chiottes d’un avion pour faire des cabrioles).
Ça ne m’est jamais arrivé qu’une jeune et jolie fille lavant le pare-brise de ma voiture à un feu rouge se mette à se masturber sur le capot (en même temps je suis tout le temps à pied et c’est ma femme qui a la voiture).   
Ça ne m’est jamais arrivé, un soir en rentrant du boulot, de tomber sur la jumelle de ma femme qui, se faisant passer pour sa sœur, m’entraine dans la salle de bain pour quelques galipettes (en même temps ma femme n’a pas de sœur jumelle).

© S. Mazzotti -
Delcourt 2021

Bref, toutes les situations décrites ci-dessus relèvent du fantasme, ce qui est parfaitement raccord avec le titre et le contenu de cet album. Des fantasmes donc, déclinés en historiettes de quelques pages au contenu on ne peut plus explicite. Oui, parce qu’autant le dire tout de suite, le gros plan est ici de mise et les anatomies sont visibles sous les moindres coutures. On ne perd donc pas de temps en futilité : quelques cases d’exposition et on rentre dans le vif du sujet (c’est le cas de le dire !). 

Un album résolument porno donc, à ne pas mettre entre toutes les mains. Le dessin est archi classique (pour ce genre du moins), hyper réaliste, presque froid car au bout du compte il ne laisse aucune place à la suggestion et à l’imagination. Au final rien de transcendant. Du déjà-vu, de l’anecdotique, bien réalisé mais visuellement un peu daté et sans originalité. Dernier bémol, la couverture est trompeuse pour les adeptes de sexualité entre filles car les histoires présentées sont 100% hétérosexuelles.

Fantasmes T3 : les jeux interdits de Stefano Mazzotti. Delcourt, 2021. 70 pages. 16,95 euros.



Aujourd'hui chez Stephie c'est permis !






mercredi 24 février 2021

Chroniques de jeunesse - Guy Delisle

 

« J’imagine que le bénéfice de travailler à l’usine quand on a moins de 20 ans, c’est qu’on voit de façon concrète à quoi serviront nos études. »

Cette phrase de Guy Delisle, c’est exactement ce que je me suis dit au même âge que lui quand j’ai été embauché dans une usine de crèmes glacées au début des années 90. Le rythme usant, le bruit, le côté répétitif des tâches, le temps qui n’avance pas, les horaires de nuit difficiles à supporter, la fatigue omniprésente… et la conviction qu’avec un peu de chance les études m’éviteraient de passer ma vie dans un tel environnement professionnel. 

© G. Delisle -
Delcourt 2021
Bref, tout ça pour dire que dans ces Chroniques de jeunesse le dessinateur canadien raconte ses étés successifs passés à partir de 1984 dans une usine de papier de la ville de Québec. Un travail harassant et un univers très particulier qu’il dissèque au fil des pages. Un peu comme dans ses carnets de voyage, il donne l’impression d’arriver dans un territoire inconnu avec l’obligation d’apprendre les mœurs et coutumes locales pour s’intégrer au mieux. A l’usine la population est scindée en deux, avec d’un côté le petit peuple des ouvriers et de l’autre les ingénieurs. Deux mondes qui cohabitent rarement, les premiers devant mettre les mains dans le cambouis pour faire tourner les machines tandis que les autres, dans leurs confortables bureaux, semblent regarder la plèbe de haut.

Au final on n’est presque dans une enquête sociologique. Ça aurait pu être passionnant, drôle ou émouvant mais en ce qui me concerne la mayonnaise n’a pas franchement pris. A l’image de la couverture l’ensemble est un poil terne, gris, tristounet. Ça manque de peps et d’entrain, on est dans l’anecdote en permanence et le seul sujet touchant (la relation au père, qui lui travaille dans l’usine depuis 30 ans) n’est que survolé alors qu’il aurait gagné à être davantage creusé je trouve.

Pas un coup de cœur donc. Attention, ce n’est pas désagréable à lire, loin de là, c’est juste que le récit ronronne trop pour soulever l’enthousiasme. Disons que je ne me suis pas ennuyé mais presque. De toute façon, en matière de BD autobiographique à la québécoise, le Paul de Michel Rabagliati garde à mes yeux plusieurs longueurs d'avance sur la concurrence.

Chroniques de jeunesse de Guy Delisle. Delcourt, 2021. 142 pages. 15,50 euros.



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mardi 23 février 2021

Comment tu m'as fait mourir ? - Gilles Abier

A la veille d’un séjour à Londres, Félix décide d’écrire dans un carnet un texte dans lequel il imagine la mort atroce de tous les tortionnaires qui lui font vivre un cauchemar au lycée. Avec force détails il décrit les décès accidentels de ses camarades, variant les situations avec un plaisir non dissimulé. Le lendemain, les premiers événements de la journée (météo capricieuse, remplacement d’un prof accompagnateur par un autre, trajet en bus plutôt qu’en train vers le ferry) correspondent parfaitement au début de son histoire. A tel point que Félix en vient à se demander avec horreur si la fiction ne va pas rejoindre la réalité…

J’adore l’idée, j’adore le titre si explicite, j’adore la façon dont le récit est mené, j’adore la façon dont le personnage tellement atypique de Félix est incarné, j’adore le réalisme des dialogues et des interactions entre les ados et j’adore le fait que Gilles Abier soit allé au bout de son délire. Je dis bien délire parce qu’il faut quand même être sacrément fou pour décrire des horreurs pareilles avec autant de naturel, au point de convaincre le lecteur que l’enchaînement des situations est aussi logique qu’implacable. 

Bien sûr le bouchon est poussé très loin et l’auteur de La piscine était vide n’y va pas avec le dos de la cuillère. On sent même le narrateur ravi de la tournure prise par les événements, ravi de voir les bourreaux devenir victimes, sans sadisme ni délectation particulière mais sans jamais non plus s’appesantir sur leur cas. Félix prend sa revanche et, plus on découvre à quel point ses harceleurs ont été horribles avec lui, plus on en vient à se dire (presque) sans état d’âme que ce qui leur arrive est bien fait pour eux.

Les amateurs de manga auront sans doute en tête la référence à la cultissime série Death Note, même si l’aspect psychologique et moral n’est pas aussi poussé chez Félix que chez Light Yagami. Au-delà de Death Note, il y a du Guéraud dans ce texte. Ce côté « sans pitié », jusqu’auboutiste, cette forme de cruauté assumée de la première à la dernière ligne, cette volonté de ne pas offrir d’échappatoire ou de subterfuge qui permettrait d’arrondir les angles, c’est cinglant mais tellement efficace. Merci pour ce moment de lecture un poil dérangeant monsieur Abier, je me suis laissé embarquer dans votre cauchemar du début à la fin !

Comment tu m'as fait mourir ? de Gilles Abier. Slalom, 2020. 230 pages. 14,95 euros. A partir de 15 ans.



Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette