mardi 7 septembre 2010

King Kong Théorie

Il aura fallu un partenariat entre Blog-o-book et le livre de poche pour que je découvre le monde de Virginie Despentes. Certes, King Kong théorie est un ouvrage particulier dans la bibliographie de l’auteur. Ce « manifeste pour un nouveau féminisme » (dixit la 4ème de couverture) n’est peut-être pas l’œuvre la plus représentative de sa courte bibliographie. Il n’empêche, les différents articles de ce court recueil permettent de cerner assez précisément le mode de fonctionnement et de pensée de cet(te) écrivain(e) atypique.

Après une brève introduction, Virginie Despentes entre dans le vif du sujet pour présenter en cinq chapitres et une conclusion sa vision des relations hommes/femmes ou plutôt pour dénoncer l’attitude de la gent masculine à l’égard des femmes. Le premier article au titre fleuri (Je t’encule ou tu m’encules ?) est un état des lieux général sans grand intérêt. C’est dans les trois suivants que le propos devient vraiment intéressant. Abordant successivement les questions du viol, de la prostitution et de la pornographie, Virginie Despentes ne mâche pas ses mots, mais son point de vue, bien que décalé par rapport au discours bien pensant, est d’une grande lucidité et sonne fort juste. Il faut dire aussi que la jeune femme a eu le malheur d’être la victime d’un viol collectif. Elle s’est également prostituée et a côtoyé de très près le monde du cinéma X. Elle sait de quoi elle parle et ça se sent. On est donc très loin des doctrines défendues par des pseudo-spécialistes qui théorisent de loin sans jamais avoir vécu ce dont il parle. Le propos est sincère et réfléchi, parfois très dur sans jamais devenir haineux, bref très structuré et fort instructif.

Finalement, seuls les deux derniers textes me posent problème. Par exemple, l’attaque en règle contre la féminité y est aussi stupide qu’éloignée de la réalité : « Après plusieurs années de bonne, loyale et sincère investigation, j’en ai quand même déduit que la féminité c’est la putasserie. L’art de la servilité. On peut appeler ça séduction et en faire un machin glamour. Ca n’est un sport de haut niveau que dans très peu de cas. Massivement, c’est juste prendre l’habitude de se comporter en inférieure ». Dans le même ordre d’idée, la sentence définitive qui fait de tous les hommes des homos refoulés est trop lapidaire pour être crédible. Pour le coup, l’argumentation est un peu légère et tient plus du café du commerce que de la réflexion profonde.

Conclusion définitive de l’auteur : la vie n’a de raison d’être que si elle est punk rock. Certes, pourquoi pas. Mais on a quand même le droit de penser différemment.

Au niveau du style, il faut reconnaître que la prose est très « relâchée ». Le niveau de langue est sur certains passages très peu soutenu et les grossièretés s’enchaînent sans temps mort, ce qui ne m’a pas du tout perturbé. D’ailleurs l’ensemble reste fluide et coule tout seul, il faut juste ne pas s’attendre à lire l’essai d’un universitaire au vocabulaire abscons.

Bref, il y a à prendre et à laisser dans ces textes volontairement (et parfois gratuitement) provocateurs. Mais il n’empêche, la démarche est courageuse. Et je ne regrette pas du tout d’avoir découvert l’avis de Virginie Despenstes sur ce que doit être le nouveau féminisme, même si je ne partage pas toujours son point de vue.

King Kong Théorie, de Virginie Despentes, Le livre de poche, 2010. 150 pages. 5 euros.

L’info en plus : Virginie Despentes achève en ce moment le tournage de son second film, tiré du roman Bye Bye Blondie. Il regroupera à l’affiche, entre autres, Emmanuelle Béart et Béatrice Dalle. Son premier long métrage, Baise-Moi, avait subit en 2000 les foudres de la censure et suscité de nombreuses polémiques, tant dans la presse que chez les spectateurs. Espérons que ce deuxième essai dans le 7ème art fera moins de vagues, même si, après tout, la polémique est bonne pour le buz, comme disent les d'jeunes.


lundi 30 août 2010

Rentrée littéraire 2010 (épisode 2) : Bifteck de Martin Provost

Les Plomeur, installés à Quimper, sont bouchers de père en fils. André, le petit dernier, n’échappe pas à la règle. Mais au-delà de ses compétences pour la découpe de la viande froide, le jeune homme se découvre une autre qualité rare : il fait chanter la chair des femmes. Alors que la première guerre mondiale a envoyé au front la majorité des hommes, André, devenu maître es orgasmes, voit le nombre des ses adoratrices augmenter de façon exponentielle. Lorsque le conflit prend fin, les maris reviennent et les ennuis commencent pour la famille Plomeur. Fernande, sa mère, trouve un matin sur le pas de la porte un bébé dans un couffin. Six autres suivront. Décidé à s’occuper de ses enfants avant tout, André délaisse le commerce familial. La clientèle féminine ayant subitement déserté leur boucherie, les parents voient poindre le spectre de la faillite. Devant le désastre annoncé, la mère meurt d’une crise cardiaque, suivie peu après par son époux. Et quand un mari jaloux menace de tuer un des nouveaux nés, André s’empresse de quitter Quimper avec sa progéniture sur un bateau de fortune à destination de l’Amérique…

Ce court roman est un joyeux fourre tout. Commençant comme une comédie lorgnant sur le vaudeville, le récit emprunte à l’aventure maritime façon Hemigway (Le vieil homme et la mer) avant d’accoster sur une île que n’aurait pas reniée Robinson Crusoé. Survient alors une légère dose de fantastique avant une apothéose finale qui tend allègrement vers un genre bien particulier, l’absurde.

Conte ? Fable ? Récit d’initiation ? Difficile de faire rentrer ce Bifteck dans une catégorie précise. C’est à la fois original et déstabilisant pour le lecteur. A l’évidence, le coté décousu de l’intrigue dessert le texte. C’est dommage, car Martin Provost possède un joli brin de plume.

Les meilleurs passages sont ceux qui abordent la question de la paternité. André est un papa poule prêt à tout pour protéger ses enfants. Mais le jour où il comprend que ses sept petits ont grandi et n’ont plus forcément besoin de lui, sa souffrance est touchante : « On lui signifiait son congé, comme à l’ancêtre qu’on autorise à finir ses jours paisiblement au coin de l’âtre, nourri d’eau sucrée et de croûtes de pain. Se mêler aux existences des jeunes hommes et femmes en devenir, il n’en était plus question. […] Jusqu’alors, il avait été pour eux leur seul prolongement, leur seul territoire possible. »

Pour le reste, les événements sont aussi vite lus qu’oubliés. A part peut-être la conclusion de l’histoire où, après s’être demandé où tout cela allait nous mener, on se dit : tout ça pour ça ?

Voila donc un texte original dans sa construction et joliment écrit qui ne semble malheureusement pas tout à fait abouti. Agréable mais dispensable.

Bifteck, de Martin Provost, édition Phébus, 2010. 125 pages. 11 euros.

L’info en plus : Romancier, Martin Provost est aussi et surtout cinéaste. Il est notamment le réalisateur du long métrage Séraphine, récompensé en 2009 par sept César.

jeudi 26 août 2010

Rentrée littéraire 2010 (épisode 1) : Ouragan de Laurent Gaudé

A La Nouvelle-Orléans, en 2005, alors que la terrible tempête Katrina arrive, des vies vont être bouleversées. Il y a Joséphine Linc. Stelson, la négresse centenaire, fière et têtue comme une mûle, qui refuse d’évacuer. Il y a aussi le révérend dont on ne connaîtra jamais le nom, Buckeley, un prisonnier qui s’échappe du pénitencier pour ne pas finir noyé dans sa cellule, et puis Keanu Burns. Ce dernier, manutentionnaire sur une plateforme pétrolière du Golfe du Mexique, décide de revenir en ville pour retrouver Rose Peckerbye, la femme qu’il a quittée six ans plus tôt. Autant de vies qui vont se croiser à un moment ou un autre, déambulant dans une ville touchée par l’apocalypse.

La narration alterne la première et la troisième personne avec très peu de dialogues. Le point de vue se focalise sur les différents personnages au fil de courts paragraphe. Un récit choral qui peut paraître déstructuré de prime abord mais qui au final relève d’une construction précise et implacable.

Le texte est peut-être trop court, mais quel plaisir de lecture ! Laurent Gaudé distille sa petite musique avec un talent rare. Phrases courtes, syntaxe sobre et classique, recherche de l’épure. Le lexique n’est pas d’une incroyable richesse mais il est parfaitement adapté. L’ensemble est d’une telle musicalité que je me suis surpris à lire les différents paragraphes à voix haute. Il y a notamment chez cet auteur une maîtrise de l’usage de la virgule qui donne un rythme parfait à la lecture. Pour vous en convaincre, lisez le dernier paragraphe du roman. Près de cent lignes sans aucun point et pourtant la lecture coule toute seule grâce aux virgules. Un régal !

Que dire d’autre ? Avec un tel sujet, le danger aurait été de se lancer dans des élans plein de lyrisme. Mais cette tentation, qui pointe parfois le bout de son nez, est contenue avec maestria. On a ici affaire à un écrivain, tout simplement. C’est devenu tellement rare à l’heure où la surproduction littéraire actuelle encourage la médiocrité que l’on en serait presque surpris. Mais qu’est-ce que ça fait du bien !

NB : A ceux qui ont lu le livre et qui ont été frappé d’une empathie particulière pour le personnage de Joséphine Linc. Stelson, je ne saurais que conseiller la lecture du roman Autobiographie de Miss Jane Pittman de l’écrivain américain Ernest J. Gaines (paru en poche chez 10/18). Il y raconte la vie (fictive) d’une femme noire de Louisiane qui, ayant vécu cent dix ans, aurait connu à la fois l’esclavage et l’émergence de l’émancipation du peuple noir. Un petit bijou !

Ouragan, de Laurent Gaudé, Éditions Actes Sud, 2010. 190 pages. 18 euros.

L’info en plus : Laurent Gaudé est un auteur multicarte. A la fois romancier et dramaturge, il s’est aventuré il y a deux ans dans les méandres de la littérature jeunesse avec l’album La tribu des Malgoumi. Une vraie réussite que ce magnifique album très poétique qui plaît beaucoup aux enfants. Et puis ça permet aux parents de dire que la petite dernière de 5 ans a déjà lu un auteur qui a gagné le Goncourt. La classe !

mardi 24 août 2010

Les chroniques de Thomas Covenant T1 : la malédiction du Rogue

Thomas Covenant est un écrivain à succès dont la vie va être bouleversée par la maladie. Lorsque les médecins lui apprennent qu’il est atteint par la lèpre, son monde s’écroule : sa femme le quitte, emmenant avec elle leur fils. Vivant en reclus, n’osant plus se montrer à personne, il devient une sorte d’ermite, un paria rejeté par ses voisins et ses proches. Le jour où il décide d’aller payer sa facture d’électricité à pied, prêt pour une fois à affronter le regard des autres, il est renversé par une voiture et bascule dans une sorte de monde parallèle, le Fief. Attiré dans cet étrange univers par le maléfique Turpide le Rogue, il est chargé de délivrer une prophétie aux Seigneurs du Fief : dans 49 ans, Turpide anéantira leur royaume et Thomas Covenant sera l’instrument majeur de cette destruction. Considéré comme un demi-Dieu tombé du ciel par les habitants du Fief, le lépreux va découvrir un monde étrange peuplé de créatures surprenantes où règne la magie.

Créé à la fin des années 70, les Chroniques de Thomas Covenant sont devenues depuis un grand classique de la Fantasy. Le ressort essentiel repose sur la psychologie des personnages. Thomas Covenant est lépreux. Il considère être un impur et vit sa maladie comme un insupportable supplice. C’est un point de départ vraiment original de faire d’un tel personnage un héros. D’ailleurs, à aucun moment il ne s’imagine comme tel. Persuadé de vivre un rêve, il cherche juste le moyen de sortir du Fief pour retourner dans le monde réel. Il est très loin de l’archétype du guerrier invincible chargé de sauver le monde. Au contraire, c’est un misanthrope d’un égoïsme sans borne qui ne cherche qu’à sauver sa peau. Finalement (au moins dans ce premier tome), il se contrefiche de l’avenir du Fief. Toutes ses interrogations le ramènent à sa propre condition et à la façon dont il va pouvoir se sortir des différentes situations qu’il va devoir affronter. Difficile pour le lecteur d’avoir une quelconque empathie pour Covenant, c’est à mon avis un des points forts du roman. Comment peut-on trouver des circonstances atténuantes à un personnage constamment de mauvaise humeur, qui ne sourit jamais, dont l’altruisme est bien le dernier des soucis et qui ira même jusqu’à violer une gamine de 16 ans dès son arrivée dans le Fief ! Faire d’un homme si détestable le héros d’une quête est un pari risqué pour l’auteur, mais la psychologie du personnage est tellement fouillée que l’on comprend parfaitement son attitude et ses réactions. D’ailleurs, les cinquante premières pages où l’on découvre Covenant dans sa vie de tous les jours (dans notre monde) en tant que lépreux sont d’un réalisme et d’une justesse bouleversants.

L’univers du Fief est lui aussi bien pensé. Covenant débarque dans un monde dont il ne connaît absolument rien. Le lecteur découvre les traditions et les étranges habitants de ce monde si particulier en même temps que lui. Là aussi, le procédé est assez original, plutôt déstabilisant au départ (il faut parfois s’accrocher pour comprendre les us et coutumes ou visualiser certains lieux), mais il fonctionne.

Que dire d’autre ? La violence physique n’est pas omniprésente (quatre ou cinq scènes de combat tout au plus), c’est surtout une violence psychologique qui prédomine. Les personnages sont tiraillés par des sentiments contradictoires (Suilécume, Atiaran) ou des choix impossibles à assumer (Covenant). L’histoire est sombre, très sombre. Il n’y a ici aucune légèreté, pas la moindre trace d’humour. Les situations vécues sont terribles, le désespoir semble envelopper tous les protagonistes. Et puis tout se déroule lentement, très lentement. Après les cinquante excellentes premières pages, les 250 suivantes semblent interminables. Heureusement, il y a quelques coups d’accélération et des moments d’action qui viennent briser la monotonie, mais je reste persuadé que le texte pourrait être réduit d’un bon tiers sans que cela ne nuise à l’ensemble.

Au final, heureusement que j’ai emmené ce bouquin en vacances et que je n’avais rien d’autre à lire car sinon je crois que je ne serais jamais allé jusqu’au bout. Un manque certain de légèreté et un rythme beaucoup trop lent sont souvent pour moi des défauts rédhibitoires. J’en resterai donc là avec les Chroniques de Thomas Covenant, même si je reste satisfait d’avoir découvert cette saga qui dure depuis maintenant plus de trente ans.

Les chroniques de Thomas Covenant T1 : la malédiction du Rogue, de Stephen R. Donaldson, Éditions Pocket, 2008. 666 pages. 8,10 euros.

L’info en plus : Les Chroniques de Thomas Covenant se décomposent en deux trilogies et une tétralogie, soit dix romans en tout. Huit des dix volumes sont pour l’instant parus en anglais. En France, le 6ème tome a été publié par les éditions Le Pré aux Clercs en octobre 2009. Les cinq premiers volumes sont disponibles en poche. Il y a donc déjà de quoi faire dans une édition à prix réduit (plus de 10 euros d’écart entre le grand format et le poche) sauf si l’on est vraiment trop impatient pour attendre de lire le dernier titre dans sa version Pocket.

mardi 17 août 2010

Le chant des Stryges, intégrale de la saison 1

Kevin Nivek est le responsable de la sécurité du président américain. Lors de la visite d’une base secrète de l’armée, un attentat est commis et le président s’en sort de justesse. Congédié après l’incident, Nivek découvre qu’une étrange créature non humaine était présente sur les lieux au moment de l’explosion. Son corps a été rapatrié à Washington pour subir une autopsie. Le cadavre est examiné par le docteur Mélinda Chapman, ex-petite amie de Nivek. Mais la créature n’est pas vraiment morte et elle parvient à s’échapper après avoir mordu le docteur Chapman, plongeant cette dernière dans un état proche de la folie.

De son coté, Nivek mène l’enquête pour tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé dans la base. Aidé par un professeur de philosophie à la retraite et une mystérieuse tueuse, il va découvrir que des entités non humaines vivent sur terre depuis des millénaires et influent sur la marche de notre monde.

Théorie du complot, firmes internationales surpuissantes, visite des arcanes du Pentagone et de la CIA, créatures fantastiques ayant pénétré les plus hautes sphères de l’état… tous les ingrédients sont réunis pour créer une série à succès. Une sacrée dose de mystère et une double dose d’action finissent de placer Le chant des stryges parmi les très bonnes séries politico-fantastiques de la BD franco-belge actuelle.

Il importe de lire les six de tomes de la première saison à la suite pour ne pas perdre le fil de l’intrigue. Mais finalement, l’ensemble est assez linéaire (l’histoire se déroule entre le 28 avril et le 20 juin 1997) et reste très facile à suivre.

Le dessin hyper réaliste est nécessaire pour ce genre de série, mais il est ici beaucoup trop froid à mon goût. Le trait est souvent raide, notamment dans les scènes d’action. De plus, les couleurs faites par ordinateur sont très fades. Par contre, les visages des nombreux protagonistes sont très bien différenciés et permettent de les reconnaître au premier coup d’œil.

Un pur divertissement, rien de plus. Mais c’est déjà beaucoup et j’ai passé un très bon moment à découvrir cet univers plutôt original et bien pensé que j’ai trouvé par exemple largement supérieur à la série Rapaces de Dufaux et Marini.

PS : le volume que je présente dans cette chronique est paru en 2006. C’est un tirage limité publié à l’occasion du 20ème anniversaire des éditions Delcourt. Il est aujourd’hui totalement introuvable en librairie et est vendu beaucoup trop cher sur certains sites marchands. Il est donc préférable de découvrir la série en achetant les différents volumes à l’unité, à moins d’avoir un gros coup de chance et de dénicher cette intégrale à un prix raisonnable chez un bouquiniste (c’est ce qui m’est arrivé, je l’ai payé 6 euros chez un soldeur, c’était le seul exemplaire disponible !).

Le chant des Stryges, intégrale de la saison 1, de Corbeyran et Richard Guérineau, éditions Delcourt, 2006. 288 pages. 25 euros.

L’info en plus : La série Le chant des Stryges compte actuellement 12 albums représentant deux saisons complètes. Un treizième tome, qui sera le premier de la 3ème saison, paraîtra en septembre 2010.

mercredi 11 août 2010

Le fond de la jarre

Fès, début des années 50. Le narrateur raconte la jeunesse d’un garçon de sept ou huit ans, cadet d’une famille de onze enfants. Le père, membre de la confrérie des selliers, parvient à faire vivre chichement mais dignement les siens. Surnommé Namouss (le moustique), le petit dernier découvre le monde qui l’entoure avec l’insouciance de l’enfance.

Du mariage de son frère à l’activisme indépendantiste qui va précéder la fin du protectorat français, Namouss traverse une époque charnière de l’histoire de son pays. Sa vie quotidienne est rythmée par l’école, les jeux dans le quartier avec les copains, les matchs de foot, la découverte du cinéma et l’importance primordiale de la famille.

Abdellatif Laâbi porte un regard plein de tendresse sur sa jeunesse sans jamais tomber dans l’idéalisation. Bien sûr, il y a les charmes sans fin de la médina. Bien sûr, il y a l’image de la mère, Ghita, femme au caractère bien trempé qui l’a profondément marqué. Bien sûr, le trait est peut-être parfois forcé lorsqu’est présentée une galerie de personnages plus extravagants les uns que les autres. Mais l’auteur ne cherche pas à écrire une carte postale pour lecteurs en mal de romantisme « made in Maroc ». Son ton sait se faire critique, notamment lorsque sont abordés le ramadan (un mois d’ennui où la vie s’arrête) ou l’école coranique, qu’il a d’ailleurs très peu fréquenté. Le petit garçon se languit souvent, il s’interroge aussi sur ses premiers émois sexuels et se passionne pour les leçons de choses de son maître venu de France, Monsieur Cousin.

Le fond de la jarre porte un regard lucide sur une enfance pas forcément plus difficile qu’une autre, mais que l’auteur se refuse de sacraliser.

La prose est fluide, elle coule sans accroc, embarquant le lecteur avec réalisme dans le Maroc de l’après-guerre. Point de lyrisme pour enjoliver la vie au Maghreb à cette époque. Le ton est juste, oscillant entre humour et gravité.

Au final, un très beau texte, pétrit d’intelligence et de sensibilité.

Le fond de la jarre, d’Abdellatif Laâbi, éditions Folio, 2010. 276 pages. 5.60 euros.

L’info en plus : Abdellatif Laâbi n’est pas seulement romancier, c’est aussi (et surtout) un très grand poète. Le second volume de son œuvre poétique publié aux éditions de La Différence a notamment été récompensé par le prix Goncourt de la poésie 2009.

Ouvrage lu dans le cadre d’un partenariat entre Livraddict et les éditions Folio.
Merci à eux !

vendredi 6 août 2010

Winter

Été 1987. Rick Bass et son amie Elisabeth partent sur les routes dans une vieille guimbarde. Leur but : trouver un endroit calme et isolé, loin de tout, pour pouvoir travailler au calme. Respectivement écrivain et peintre, ces artistes à l’âme bohème se lancent dans une quête quasiment perdue d’avance. Sans un sou et cherchant plus que tout l’isolement, ils ne parviennent pas à dénicher le lieu magique qui les comblera. Visitant successivement le Nouveau Mexique, l’Arizona, le Colorado, l’Utah, le Wyoming et l’Idaho, c’est finalement au Montana qu’ils trouveront leur bonheur, en faisant le gardiennage hivernal d’une maison dont le riche propriétaire vit en Floride. Dans une vallée perdue, au fin fond d’une région montagneuse, l’écrivain originaire du sud profond (Mississipi) va vivre un hiver des plus rigoureux. Du 13 septembre au 7 mars, il relate dans son journal intime les événements qui vont jalonner sa découverte d’un univers lui étant totalement inconnu.

La vallée du Yaak compte une soixantaine d’habitants, tous semblant plus isolés les uns que les autres. Dans ce monde de montagnards taiseux où la nature tient une place prépondérante, le couple d’étrangers va trouver sa place, en douceur. L’émerveillement devant la diversité et la liberté des animaux, les paysages d’une infinie beauté, les préoccupations quotidiennes très terre à terre (couper du bois, faire de longues ballades, vivre au ralenti) et forts éloignées des turpitudes de la société consumériste qu’ils exècrent sont autant d’éléments qui vont transformer ce séjour en véritable coup de foudre pour une vallée qu’ils ne quitteront plus.

Alors que retenir de ce journal de bord ? A vrai dire pas grand-chose. Le problème avec ce genre d’exercice c’est que l’on est dans un registre hyper-intime dont le but premier n’est pas forcément la diffusion auprès d’un large lectorat. Résultat, les événements relatés sont loin d’être passionnants pour un observateur extérieur. Entre les soucis de tronçonneuse et les pannes de voiture, il ne se passe pas grand-chose. Certes la solitude des habitants de la vallée et l’aspect contemplatif qui se dégage de certaines réflexions exercent un certain charme, mais cela reste trop peu. Il n’y a surtout aucun fil conducteur d’une journée à l’autre, les non événements se succèdent sans lien apparent, donnant à l’ensemble un coté déstructuré qui constitue une vraie faiblesse. Bref, l’ennui n’est jamais très loin pour le lecteur. Il apparaît soudain à l’ombre d’un mélèze centenaire et ne vous quitte plus pendant plusieurs pages. Difficile alors d’éprouver beaucoup de plaisir à la lecture de ses mini-chroniques, certes authentiques et très réalistes, mais qui manquent singulièrement d’épaisseur. Finalement, c’est typiquement le genre d’écrit qui trouverait sa place dans un magazine proposant par exemple une chronique par semaine. Réunie en un seul recueil, la recette est trop indigeste.

Quitte à choisir un ouvrage de Nature Writting, je préfère de très loin  Indian Creek  de Pete Fromm, qui a au moins le mérite d’être un récit souvent fort drôle et dont l’histoire est parfaitement structurée.

Malgré tout, en refermant Winter, il reste l’agréable sentiment d’avoir découvert à travers ce texte une des dernières régions sauvages des États-Unis.

Winter, de Rick Bass, éditions Folio, 2010. 260 pages. 6.60 euros.

L’info en plus : En 2007, Rick Bass a publié un autre ouvrage entièrement consacré à sa très chère vallée. Intitulé  Le livre de Yaak, ces nouvelles chroniques du Montana ont été publiées en France par les éditions Gallmeister. Le recueil est dans ma PAL depuis bientôt deux ans, j’avoue qu’après la déception Winter je ne sais pas si j’aurais le courage de m’y plonger un jour.

Ouvrage lu dans le cadre d’un partenariat entre Livraddict et les éditions Folio. Merci à eux !

lundi 26 juillet 2010

Le Chat qui courait sur les toits

Il était une fois un pays où régnait un roi bon et magnanime. Au moment où commence cette histoire, la joie règnait d’autant plus que tout le royaume saluait l’arrivée du prince héritier. Aux fêtes de la naissance succédèrent les réjouissances du baptême. Tout semblait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais soudain, une terrible malédiction frappa le nouveau-né. En effet, chaque fois que son regard croisait celui d’un animal, il en prenait les traits, tout en conservant son corps d’humain. Ses parents, affolés, décidèrent de le cloitrer dans sa chambre afin que personne jamais ne puisse découvrir son terrible secret. Quinze printemps passèrent ainsi, jusqu’au jour où, décidé à découvrir le monde, le prince s’enfuit et partit sur les routes…

En vieux baroudeurs habitués à imaginer des histoires pour les enfants (ils avaient publié ensemble en 2004 La Grande Tambouille, trois livres illustrés consacrés aux fées, aux sorcières et aux lutins) René Hausman et Michel Rodrigue mènent leur barque avec une facilité déconcertante. Respect de la trame propre au conte, humour, poésie, découpage parfaitement maîtrisé, citations de références classiques (des extraits de Cyrano de Bergerac et du Capitaine Fracasse sont insérées dans le texte)… tout y est. Contrairement aux albums où Hausman assure scénario et dessin, la fin est ici positive (lisez le Prince des écureuils, vous comprendrez de quoi je veux parler !). Il manque peut-être à ce Chat qui courait sur les toits le coté âpre et cruel qui laisse un petit arrière goût amer en fin de lecture. Mais les histoires problématiques peuvent aussi parfois s’arranger, tout simplement.

Que dire de l’illustration ? Ben, c’est beau, vraiment très beau. Aux pinceaux, l’enchanteur Hausman fait une fois de plus des merveilles. Ses dessins ont la patine et le charme des images d’antan. Un peu comme les chromos que nos parents et nos grands-parents collectionnaient dans les tablettes de chocolat ou les pots de chicorée Leroux. Hausman est sans doute l’un des derniers artisans de l’illustration. Rien n’est jamais bâclé, tout est toujours peaufiné à l’extrême. L’à peu près n’a pas ici sa place. C’est devenu tellement rare que l’on déguste chaque case avec un réel plaisir.

Voila donc un très joli conte, respectant les canons du genre et somptueusement illustré. Pour ne rien gâché, la dernière image, sous forme de clin d’œil, est finement trouvée. Un vrai régal !



Le Chat qui courait sur les toits, de René Hausman et Michel Rodrigue, Éditions Le Lombard, 2010. 60 pages. 14,50 euros.


L’info en plus : les éditions Dupuis vont rééditer en octobre l’intégrale des fables de La Fontaine illustrées par Hausman. Publiée une première fois il y plus de 30 ans, cette intégrale conjugue avec bonheur les mythiques fables et les bestiaires réalistes et fantastiques propres à Hausman. Un superbe cadeau de Noël en perspective !

mercredi 21 juillet 2010

Miss Annie

Miss Annie est une jeune chatte de quatre mois. Lors du premier chapitre, elle fait découvrir au lecteur son univers : ses maîtres d’abord. Il y a Claude, un écrivain tardant à rencontrer le succès, sa femme Laurence et leur fille Sarah. Son environnement ensuite : le bureau, la chambre de Sarah, la cuisine, le canapé sur lequel elle aime faire ses griffes, etc.

Le rêve de Miss Annie est d’aller voir ce qui se passe autour de la maison. Elle n’est jamais sortie et s’imagine le monde extérieur comme un lieu plein de découvertes et d’aventures. Un jour où une fenêtre est restée ouverte, elle décide de faire le grand saut. Dehors, elle rencontrera les chats du quartier et découvrira l’amitié mais aussi le danger…

Le trait de Flore Balthazar paraît au premier abord très simple et peut parfois sembler hésitant (c’est sa première BD publiée). Mais on se rend assez vite compte qu’elle sait rendre avec beaucoup de minutie les différentes attitudes propres aux félins. De plus, le point de vue se focalise à hauteur de Miss Annie (on ne voit par exemple que les jambes des humains, jamais plus). L’exercice est difficile mais le rendu très cohérent. Le découpage en gaufrier est quant à lui classique (8 cases par planches, jamais plus, jamais moins) et bien adapté à la narration. Celle-ci est linéaire, les événements se déroulant en continu. Il sera donc très facile aux plus jeunes lecteurs (dès 8 ans) de comprendre les tenants et les aboutissants de l’histoire.

Mettre en scène un chat dans une BD est tout sauf original. Cependant, Frank Le Gall a su trouver le ton juste. Sa Miss Annie est espiègle, joueuse, très gaffeuse mais aussi pleine de bon sens. Ceux qui ont ou ont eu un chat souriront en retrouvant de nombreuses situations ou réactions qui sentent bon le vécu.

Un album délicieux, tout en simplicité. Son gros point fort : il est vraiment tout public. Les amoureux des chats (et ils sont nombreux !) se régaleront évidemment, mais il peut aussi être lu par les enfants, les grands parents et tout ceux qui veulent passer un bon moment avec une BD bien faite et sans prise de tête. Paru dans l’anonymat des sorties estivales, voila un titre à offrir et à faire découvrir d’urgence.

Miss Annie, de Flore Balthazar et Frank Le Gall, Éditions Dupuis, 2010. 78 pages. 13,50 euros.



L’info en plus : Si Frank Le Gall est ici scénariste, il est aussi (et surtout) un dessinateur confirmé. Je ne saurais que vous conseiller son excellente série Théodore Poussin dont le premier tome de l’intégrale vient de sortir. Une grande série d’aventure mettant en scène un jeune homme qui, dans les années 1920, part en Extrême-Orient à la recherche du capitaine Steene. Un classique indispensable publié dans le journal Spirou à partir de 1984.

vendredi 16 juillet 2010

Entremonde

Mélanie Tamaki est une ado solitaire au physique plutôt ingrat. Élève médiocre, elle vit seule avec sa mère. Cette dernière est dépressive et fortement portée sur la boisson. Un soir, alors que Mélanie rentre chez elle, elle trouve la maison vide. Le téléphone sonne : la personne au bout du fil lui annonce que sa mère a été kidnappée. Pour la retrouver, la jeune fille va devoir se rendre dans l’Entremonde, une sorte de monde parallèle où vivent de bien étranges créatures.

Hiromi Goto a imaginé un univers vraiment original où se mêlent le fantastique, les légendes urbaines et les contes folkloriques. Les créatures de l’Entremonde font parfois penser aux personnages peuplant les histoires de fantômes de la tradition chinoise (notamment dans les Contes et chroniques de l’étrange recueillis par le lettré Pou Song-Ling au 17ème siècle). Mais le propos ne se limite pas au folklore. C’est aussi une quête initiatique censée permettre à une adolescente de franchir le difficile passage de l’enfance vers le monde des adultes.

Voila donc un roman jeunesse somme toute très classique qui se distingue néanmoins par la richesse de son univers. Mais c’est aussi là que le bât blesse. L’organisation entre les trois royaumes est fort compliquée à comprendre et finalement assez peu intéressante. La lecture du prologue, censée éclaircir tout cela, pose en fait les bases de cette complexité et tend à refroidir le lecteur. D’ailleurs, le prologue et l’introduction sont-ils bien utiles ? En intégrant les informations de ces deux préambules à l’intérieur du texte et en commençant l’histoire sans donner aucun indice sur le sens des différents événements, le roman aurait gagné en épaisseur. Avec l’intro et le prologue, tout le coté mystérieux disparaît avant la lecture et c’est un peu dommage. En fait, on veut être sûr que l’enfant qui va se lancer dans le livre possède toutes les clés avant d’attaquer. Cette simplification va à mon avis à l’encontre de ce que doit être la littérature, c'est-à-dire quelque chose qui ne vous tombe pas tout cuit dans le bec mais qui demande un minimum d’effort.

Autre souci, le peu d’empathie que l’on ressent pour le personnage principal. Mélanie est très « lisse ». Elle subit les événements, se montre courageuse quand la situation l’exige et se sort des situations les plus périlleuses grâce à l’intervention d’un tiers (la rate de jadeoù les corbeaux notamment). Ce n’est pas un personnage marquant. Elle manque d’ambivalence, de ce coté clair/obscure qui fait que chaque individu n’est jamais tout noir ou tout blanc. Trop pure, trop innocente, trop pétrie de bons sentiments, elle en deviendrait presque ennuyeuse.

De même, le coté spirituel de sa quête m’a gonflé. Clairement, l’épisode du brouillard à la sortie de l’Entremonde est une mise à l’épreuve de sa foi. Tout comme les réflexions de sa mère lorsqu’elle lui dit que les mondes sont en train de pourrir et de se détériorer parce que l’on doute de l’existence des esprits.

Attention cependant, malgré ces quelques défauts et surtout parce que je juge ce livre à travers le prisme de mon regard d’adulte ayant perdu beaucoup de ses illusions, il est évident que l’histoire peut faire mouche auprès du public auquel elle est destinée. Quelle petite fille ne prendrait pas tous les risques pour sauver sa mère ?

Bref, vous l’aurez compris, cette lecture ne m’a pas emballé mais j’insiste, c’est un roman qui peut tout à fait trouver son public et plaire à bon nombre d’ados. Personnellement, je n’y ait pas trouvé mon compte, rien de plus.

Entremonde, de Hiromi Goto, Éditions Baam !, 2010. 316 pages. 14 euros. Dès 13 ans.

L’info en plus : Si Entremonde est le premier ouvrage d’Hiromi Goto traduit en Français, cette auteur canadienne d’origine japonaise a publié deux autres romans très remarqué par la critique dans son pays. Chorus of Mushrooms (1994) a notamment gagné le prix du premier roman des écrivains du Commonwealth en 1994. Le second, The Kappa Child (2001) a remporté le James Tiptree Jr. Memorial Award (prix récompensant un ouvrage de sicence fiction ou de fantasy). Ces deux romans sont destinés aux adultes. C’est également en 2001 qu’est sorti son premier roman jeunesse, The Water of Possibility. Malheureusement, dans l’attente d’une éventuelle publication en français, ces titres ne peuvent pour l’instant être lus que dans la langue de Shakespeare. Avis aux amateurs.


Ouvrage lu grâce à blog-o-book dans le cadre d’un partenariat avec les éditions Baam !. Un grand merci à eux !