Avec Carver la messe est dite d’emblée, on crie au génie ou on fuit : des nouvelles, une écriture minimaliste, des petites gens, des petites vies à la dérive, des petits rien du tout. Pas de chute, pas de grandiloquence, pas d’effet de manche, pas d’esbroufe, pas de larmes. Juste des micro-événements, des douleurs qui affleurent, des moments où l’on est sur le point de basculer. Ici un couple qui jalouse ses voisins, ici un homme qui met sa femme au régime, ici un autre homme qui va voir ailleurs si l’herbe est plus verte, ici un vendeur d’aspirateurs en pleine démonstration, ici de vieux souvenirs amers, ici une partie de pêche continuée malgré ce cadavre dans la rivière, ici l’enfant est mort, ici il faut se débarrasser du chien…
Carver déroule sa partition sur un rythme bien lui, sans accélération ni gros coup de frein. C’est fluide, ça coule tout seul, c’est la mise en scène d’un quotidien sans lumière, de vies à deux qui s’effritent, d’une misère affective sans misérabilisme. C’est fluide et petit à petit l’émotion surgit, on ne sait jamais vraiment pourquoi. Mais c’est là, au creux du ventre, ça vrille, ça monte, et ça s’arrête toujours avant d’en faire trop.
Neuf histoires et un poème qui ont inspiré le film Short Cuts de Robert Altman. Neuf histoires et un poème pour un bal des médiocres loin de toute flamboyance dont l’inclassable beauté vous touche sans que vous sachiez vraiment pourquoi. « C’est pas grand-chose, mais ça fait du bien ». C’est le titre d’une des nouvelles de ce recueil et c’est l’effet que me fait Carver depuis que l’on m’a mis un jour un de ses livres entre les mains.
Neuf histoires et un poème de Raymond Carver. L’Olivier, 2018. 175 pages. 12,90 euros.