On l’a prise pour une cruche, Pénélope. Un modèle de probité doublée d’un exemple de fidélité. La sagesse incarnée, une oie blanche attendant patiemment le retour de son homme en brodant un linceul pour repousser les nombreux prétendants voulant la culbuter. Mère et femme dévouée, elle n’a pas reconnu son époux quand il est revenu à Ithaque sous les traits d’un mendiant. Il a dû lui prouver que c’était bien lui grâce à une anecdote qu’il était le seul à connaître. Une vraie cruche on vous dit.
Mais si cette femme n’était finalement pas aussi naïve qu’Homère et bien d’autres ont toujours voulu nous le faire croire ? Margaret Atwood en brosse un tout autre portrait et réécrit son histoire. Elle fait d’elle un fantôme, une victime de féminicide : Ulysse l’aurait pendue avec ses douze servantes, l’accusant de l’avoir trahi. C’est donc de l’au-delà qu’elle nous raconte sa version des faits. Elle n’a jamais été dupe. Elle a vite compris le danger que pouvait représenter pour elle son fils Télémaque, comme elle a tout de suite compris que sa belle-mère ne lui ferait aucun cadeau. Et le retour d’Ulysse ? Bien sûr qu’elle l’avait reconnu au premier coup d’œil, c’est uniquement par ruse qu’elle a joué le jeu. « Dans les chants, on raconte que je n’avais rien remarqué : la déesse Athéna m’aurait distraite. Si vous croyez pareille chimère, on peut vous faire avaler n’importe quoi. »
Sa parole résonne avec force, montre que sa naïveté n’était que de façade, pour mieux tromper les hommes qui n’ont cessé de lui tourner autour, « un groupe d’usurpateurs barbares, adorateurs des dieux masculins, aux visées patriarcales ». Elle est mordante Pénélope, parfois ironique, toujours lucide : « il est toujours imprudent de s’interposer entre un homme et l’idée qu’il se fait de sa propre intelligence. »
Un récit féministe qui offre une relecture culottée, moderne, et qui joue son parfait rôle de contrepoids face à une Odyssée « par trop commode, par trop flatteuse pour l’orgueil masculin », comme l’écrit Christophe Ono-dit-Biot dans la préface.
L’Odyssée de Pénélope de Margaret Atwood. Robert Laffont, 2022. 190 pages. 8,50 euros.
Un bon souvenir de lecture, avec cette Pénélope étonnante!
RépondreSupprimerQuel personnage !
SupprimerJ'adore cette phrase : il est toujours imprudent de s'interposer entre un homme et l'idée qu'il se fait de son intelligence.
RépondreSupprimerC'est une vérité indiscutable, non ?
SupprimerQuelle belle idée ! Très tentant en tous cas.
RépondreSupprimerJe ne te le fais pas dire.
SupprimerJ'adore les réécritures, et en plus sur ce personnage "modèle" que l'Antiquité nous a laissé en symbole de la passivité ... J'ai été très déçue par un titre qui semblait proposer un point de vue plus dynamique de Pénélope, Sans plus attendre de Sophie Durastanti ! Mais contrairement au titre que tu présentes, on retrouvait l'éternelle "cruche" ! Alors une réécriture culottée, je note.
RépondreSupprimerIci Pénélope n'a rien d'une cruche !
SupprimerDéjà repérée chez Keisha, cette réécriture pourrait me permettre de relire Margaret Atwood, dont je n'ai lu que la dystopie très connue La servante écarlate.
RépondreSupprimerC'est très différent de la servante écarlate mais on reconnait bien sa "patte".
SupprimerJe ne savais pas que Atwood s'était penchée sur le personnage de Pénélope. Je vais de ce pas me le procurer.
RépondreSupprimerC'est une très bonne idée^^
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