dimanche 21 juin 2020

La femme qui rit - Brigitte Pilote

On ne sait pas précisément où on est dans ce roman, si ce n’est dans un coin de cambrousse bien paumé. On ne sait pas non plus à quelle époque les événements se déroulent, même si on parle du 20ème siècle, à un moment où la mécanisation se développe dans les campagnes. L’entre-deux guerres peut-être. Ce que l’on sait en revanche, c’est que les protagonistes sont un père et son fils vivant dans une ferme isolée. La mère est morte depuis longtemps, le père règne en maître sur le domaine et le fils, frappé par la polio dans sa jeunesse, traîne la patte dans une chaussure orthopédique.

L’histoire s’ouvre sur l’arrivée d’une jeune femme à la ferme. Le père l’a engagée comme domestique mais il a une autre idée en tête. Obsédé par la transmission de l’exploitation familiale, il imagine qu’elle serait parfaite pour devenir l’épouse de son fils et lui donner une descendance. Au fil du temps, les relations entre le trio, d’abord extrêmement froides, vont évoluer et la nouvelle venue va finir par apprivoiser ces hommes et cette terre âpre. Discrète, mystérieuse, elle évoque au père sa femme disparue et le trouble bien plus qu’il n’aurait pu l’imaginer alors que le fils ne semble prêter aucune attention à cette étrangère « presque muette. »

Peu à peu les secrets se révèlent et pour les deux hommes, la présence féminine finit par « crever leur solitude comme un abcès ». Brigitte Pilote met en scène un huis-clos à ciel ouvert où la dureté des saisons et des tâches à accomplir imprègne le caractère des hommes. Beaucoup de silences et de non-dit chez ces taiseux adeptes de l’introspection. Chacun garde secrètement ses ambitions. Le père de voir naître une nouvelle génération capable d’entretenir son héritage, le fils de développer l’exploitation vers davantage de modernité et la jeune femme de faire partie intégrante de la famille. Mais lorsque l’enfant tant attendu paraît, personne ne se doute que le destin de chacun va bientôt basculer.

Un court roman qui dresse le portrait du monde paysan dans toute sa rudesse. Il y a à la fois du Steinbeck et du Franck Bouysse (la violence en moins) chez Brigitte Pilote, québécoise à la prose très travaillée ne cédant jamais à la facilité. Seul bémol, la fin bien trop rapide et radicale qui contraste avec la jolie lenteur installée depuis la première page. Pourquoi donc tant de précipitation ? J’avoue que ça a quelque peu gâché mon plaisir alors que jusque-là on frôlait le sans faute. Pour autant je suis ravi d’avoir découvert une autrice dont l’écriture m’a vraiment charmé. Et étant donné mes dernières lectures décevantes, c’est déjà une belle satisfaction.

La femme qui rit de Brigitte Pilote. Seuil, 2020. 160 pages. 16,00 euros.     






13 commentaires:

  1. je ne ne connais pas du tout mais je vois bien pourquoi ce roman ne pouvait que te plaire ! intéressant - cela me fait bizarrement penser à certains récits islandais - le poids de l'isolement. En tout cas, tant mieux si ce roman te permet de remonter en selle !

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  2. Cela arrive parfois que la fin gâche le plaisir de lecture, dommage pour ce début si prometteur.

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  3. Dommage pour la fin mais en même temps, je n'ai pas l'impression que j'aurais vraiment trouvé mon compte dans ce court roman.

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  4. L'impression d'avoir déjà lu ce genre d'histoire...

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  5. Oh du québécois par ici, je suis fan de ce genre de littérature. Je le note pour un emprunt.

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  6. Meric pour ce partage qui donne envie malgré tes réticences sur la fin

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  7. Tant pis pour la fin, ce roman à l'air magnifique. Pour qui aime la campagne...

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  8. oui : pourquoi une fin tant précipitée alors? Il faudrait demander à l'autrice. Me voilà tentée tout de même !

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  9. Ça m'est arrivé récemment avec un roman prenant et diablement bien ficelé, la fin m'a quelque peu dépitée. Reste que ce roman que tu présentes a quand même l'air pas mal du tout...

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  10. Une impression de déjà lu .... Mais j'aime bien quand même le noir rural. A voir ...

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  11. Hou que je suis tentée... noté !!!

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  12. La dureté de la vie paysanne, malgré ou à cause de la mécanisation et de l'exploitation à outrance existe encore. Le monde agricole est rude et dur et beaucoup de suicide en ponctuent la vie

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