Cet été-là, elle goûte pour la première fois à la liberté, loin de l’épicerie familiale d’Yvetot qu’elle n’avait jamais quittée. Première expérience professionnelle, première nuit avec un homme, première découverte de la sexualité, première désillusion amoureuse. Cataloguée « fille facile » par les autres moniteurs, elle devient l’objet de mépris et de dérision. L’année suivante, elle obtient le bac avec mention, entre à l’école normale, devient institutrice, se rend compte qu’elle n’est pas faite pour ce métier et en démissionne rapidement. Suivront un séjour au pair de six mois à Londres et une entrée à la fac…
Annie Ernaux est le seul auteur d’autofiction que j’apprécie. Sans doute parce qu’elle revendique le fait de ne pas écrire de la fiction : « Je ne construis pas un personnage de fiction, je déconstruis la fille que j’ai été ». Depuis toujours elle lie autobiographie, sociologie et regard historique sur la France de l’après guerre avec au cœur de sa réflexion le fameux « transfuge de classe », ce passage d’un milieu social à un autre. Un milieu d’origine auquel, quoi que l’on fasse, on n’échappe jamais tout à fait.
Ici, elle alterne le « je » d’aujourd’hui et le « elle » d’hier. Elle observe cette « fille de 58 » avec distance, sans jugement, sans explication, s’appliquant à restituer le plus fidèlement possible les sensations physiques et les questionnements d’une jeune fille de l’époque. Une jeune fille en construction, un peu perdue, dont elle va commencer à faire « un être littéraire, quelqu’un qui vit les choses comme si elle devaient être écrites un jour ».
L’écriture est sèche, dépouillée de métaphores ou de toute autre figure de style. La sincérité de la démarche se suffit à elle-même pour créer l’émotion et rendre fascinante cette introspection où se mélangent le temps, la vie, le chemin parcouru. Au final, Annie Ernaux parvient à « explorer le gouffre entre l’effarante réalité de ce qui arrive, au moment où ça arrive et l’étrange irréalité que revêt, des années après, ce qui est arrivé ». Pour comprendre comment celle qu’elle a été peut encore et toujours faire irruption dans celle qu’elle est aujourd'hui.
Mémoire de fille d’Annie Ernaux. Gallimard, 2016. 150 pages. 15,00 euros.
Vous l'avez tous lu à la vitesse de l'éclair ! Je l'ai commencé et je peux reprendre ton expression "fascinante", elle est unique dans sa manière de décortiquer jusqu'à l'os les faits et leurs conséquences. En partant de son expérience personnelle, elle arrive à faire que l'on se sente tous concernés.
RépondreSupprimerOui, il y a une vraie universalité dans son propos.
SupprimerSon regard, son écriture ici encore plus me fascine. Comme toi, cette phrase : "Je ne construis pas un personnage de fiction, je déconstruis la fille que j’ai été " m'a marquée car elle explique si bien la démarche d'Annie Ernaux ( billet à venir).
RépondreSupprimerJ'ai vu que tu étais aussi sous le charme, forcément.
SupprimerJe le lirai très certainement mais plus tard car je crois que je vais le croiser sur tous les blogs dans les semaines qui suivent.
RépondreSupprimerIl y clairement un risque d'overdose ;)
SupprimerVous êtes nombreux à être enthousiastes, je dois avouer que le sujet ne m'attire pas, je pense avoir d'autres titres de cette auteure phare à découvrir avant...
RépondreSupprimerTu as un vaste choix !
SupprimerC'est fou toutes ces lectures communes aujourd'hui !
RépondreSupprimerComme Hélène, pas d'urgence pour moi mais d'autres titres à lire d'elle avant celui-ci.
Rabat-joie ! :p
SupprimerJ'ai aussi bien des titres de l'auteur à découvrir, ça va être la déferlante je le sens, mais je m'intéressais à un avis 'masculin', le tien!
RépondreSupprimerMerci de ta confiance ;)
Supprimerje le lirai c'est sûr je lis tout de cette auteure avec toujours le même bonheur. Ce que je déteste dans l'autofiction ce sont les règlements de compte, ce qu'elle ne fait jamais....
RépondreSupprimerElle a une façon unique de faire de l'autofiction.
SupprimerJe garde un excellent souvenir de "La femme gelée". Comme tu dis, elle sait rendre l'autofiction fascinante :-) Je lirai celui-ci, c'est certain !
RépondreSupprimerEt tu ne seras pas la seule ;)
SupprimerJ'avoue sans honte ne toujours pas avoir lu Ernaux... Il faudra bien que je la découvre un jour, mais pas avec ce titre là... A voir...
RépondreSupprimerTu peux commencer par La place, je pense que ça te plairait.
Supprimerrhooooooo tous ces billets autour de ce livre ! Annie Ernaux, je l'aime bcp, découverte il y a seulement 3 ans, mais je crois bien avoir tout lu héhé sauf celui-là qui me tend les bras ;-)
RépondreSupprimerdu baiser jeune homme et j'en profite pour te souhaiter des divines vacances ...;
Les vacances, suis en plein dedans et c'est bon ;)
SupprimerUne auteure exigeante que je lis à petites doses.
RépondreSupprimerExigeante je ne sais pas. Mais elle a un style bien à elle qui se reconnait au premier coup d’œil.
SupprimerC'est une LC ? elle est partout. je l'ai vue en itw et pourtant je ne sais pas, j'ai du mal avec l'autofiction, je pense à l'autre, Angot - je sais pas le même style mais toujours écrire sur soi .. bref, pas envie en ce moment besoin de dépaysement !
RépondreSupprimerPas de LC non, mais c'est un peu le livre événement du printemps.
Supprimeret crois-moi, la plongée dans la France de la fin des années 50 est dépaysante ;)
Je suis très intéressée par ce livre pour faire "vraiment" connaissance avec cette auteure ^^
RépondreSupprimerCe serait l'occasion en effet.
SupprimerFranchement, l'autofiction avec Annie Ernaux ne m'a jamais dérangée non plus, car il y a forcément une autre dimension.
RépondreSupprimerC'est ça, elle est bien au-delà de l'autofiction.
SupprimerToujours pas lu Annie Ernaux, parce qu'auteur d'autofiction. Mais j'ai l'impression que je dois réviser mon jugement et essayer d'en lire un, mais lequel ?
RépondreSupprimerTu peux commencer pas La place, c'est le meilleur moyen de savoir si tu vas ou pas apprécier son oeuvre ;)
SupprimerAnnie Ernaux est désormais une grande dame de la littérature. Je l'ai découverte pour la première fois à la fac. Depuis, ses écrits m'accompagnent régulièrement et me font réfléchir. Je connais bien la région d'où elle est originaire, ce qui n,est pas pour me déplaire.
RépondreSupprimerC'est génial je trouve d'avoir une telle relation avec un auteur.
SupprimerTrès touchant ce parallèle que tu fais entre le "Je" et le "elle" c'est ce qui me donne l'envie de découvrir l'auteur, d'autant plus que j'ai un livre d'Annie ERNAUX "La place".
RépondreSupprimerBonne semaine Jérôme :)
La Place c'est parfait pour la découvrir ;)
SupprimerJe l'écoutais ce matin sur France Culture. Je pense le lire celui-ci.
RépondreSupprimerElle est dans tous les médias en ce moment.
SupprimerFigure-toi que je ne connaissais pas Annie Ernaux jusqu'à avant l'année dernière (sisi, c'est possible de vivre sans), même pas de nom (on se demande vraiment d'où je sors, c'est vrai). C'est quand une amie m'en a parlé que j'ai réalisé que visiblement j'avais dû faire un black out dans ma vie. J'ai failli me précipiter sur un de ses livres, et en feuilletant, en lisant des résumés, des avis, j'ai quand même l'impression qu'elle n'est pas trop pour moi. Mais je me trompe peut-être...
RépondreSupprimerConnaissant tes goût de lectrice, je pense que tu ne te trompes pas.
SupprimerJe vais dissoner !! je n'ai rien lu d'elle et, surtout, je ne suis pas tentée
RépondreSupprimerJe dissone aussi Zazy ....
SupprimerC'est bien de dissoner parfois ;)
SupprimerJ'avais été un peu déçue par Regarde les lumières mon amour. Mais ici, dans l'autofiction, elle va sûrement me toucher.
RépondreSupprimerRegarde les lumières mon amour est un des rares que je n'ai pas lus.
Supprimer... Et bien j'ai beaucoup de mal avec le message que cette auteure véhicule... Je trouve que c'est ... exagéré...
RépondreSupprimerCe qu'elle a vécu correspond sans doute à une époque, je n'en doute pas. Mais je n'adhère pas même si c'est sa réalité. Purée elle doit pas être bien dans sa vie ... Honte de ses parents, honte de ses premières fois ... et après. Bon je n'ai lu que La Place mais ça m'avais choqué ce dégout de ses parents.
Bref je n'arriverais plus à la lire.
J'attends les pierres ou-et les tomates :O)
Bises
Je ne pense pas qu'elle ait honte, de ses parents et du reste. Elle est beaucoup dans l'analyse. De ce qu'elle était, de ce qu'elle est devenue. De où elle est partie et de où elle arrivée...
SupprimerMais tu as tout à fait le droit de ne pas adhérer du tout à sa démarche, tant sur la forme que sur le fond ;)
Coucou
SupprimerCest ce sentiment de honte que j avais ressenti...
C est donc le fond qui ne m attire pas... quant à la forme rien à redire.
Bises
Je le lirai certainement. J'apprécie la démarche d'écriture d'Annie Ernaux.
RépondreSupprimerTu es comme moi alors ;)
SupprimerJ’ai toujours été profondément émue par les romans d’Annie Ernaux. Ses mots sont nobles, ils sont vrais, ressentis, profond et nous amènent à réfléchir. Je n’oublierai jamais « L’événement »...
RépondreSupprimerL’été des grandes premières, entre le « je » et le « elle », un roman qui saurait m’émouvoir, c’est certain.
Qu'est-ce que je donnerais pour la rencontrer un jour!
C'est assurément une grande dame de la littérature française contemporaine.
SupprimerJe n'ai lu d'Annie Ernaux qu'un seul petit livre : Ce qu'ils disent ou rien. Sa plume m'avait fascinée... Ton billet est très beau.
RépondreSupprimerMerci Nadège? Il te reste plein de belles choses de cette grande à découvrir, tu en as de la chance ;)
SupprimerJe suis littéralement fascinée par l'oeuvre d'annie Ernaux. Je n'ai pas tout lu mais je le ferai. Bien entendu celui ci (qui paraît être un des plus marquants) ne fera pas exception.
RépondreSupprimerIl est marquant parce que c'est un livre qu'elle n'était jamais parvenu à écrire avant tant son sujet lui tenait à cœur.
SupprimerPunaise, qu'est-ce que j'ai envie de lire ce roman !!!!!!! Je t'assure, que j'en ai une grande envie... vite, du chocolat pour me calmer.
RépondreSupprimerSuper efficace le chocolat comme calmant ;)
Supprimerayé l'est dans ma PAL !
RépondreSupprimerPlus qu'à le lire maintenant !
SupprimerJe te rejoins sur l'universalité du propos, c'est je crois ce qui m'a le plus marquée à la lecture, malgré le contexte historique et social clairement évoqué.
RépondreSupprimerIl y a toujours une portée universelle chez Annie Ernaux malgré le propos très personnel.
SupprimerJe suis emballée par cette lecture que je viens de terminer ! Tout à fait d'accord avec ce que tu écris sur sa particularité à lier toujours expérience intime et collective, mais autant son écriture a pu me paraître un peu sèche parfois, mais pas là, on sent quand même tout le temps l'émotion derrière, plus que dans d'autres de ses livres.
RépondreSupprimerC'est qu'elle est davantage dans l'émotion avec ce texte, beaucoup plus que d'habitude en tout cas.
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