jeudi 8 mai 2014

Tyrannicide - Giulio Minghini

Tyrannicide est pour son auteur Gérard Joyau le livre d’une vie. Pensez donc, une éducation sentimentale de 934 pages dans une prose d’un « classicisme baroque » qui raconte « les déboires d’un provincial aux prises avec une mère mutique et autoritaire (qui le maltraite depuis son enfance), et amouraché d’une charcutière nymphomane (sa maîtresse) », ce n’est pas rien. Sauf que la sixième mouture du manuscrit vient d’être à nouveau refusée par les éditions Gallimard. Un refus accompagné pour la première fois d’un petit mot de Philippe Sollers himself. Pour Gérard c’en est trop, la coupe est pleine et la réponse va être cinglante. Dans une longue lettre à l’attention du « mandarin égocentrique des lettres françaises », il va défendre son texte avec un aplomb à toute épreuve. Avec véhémence, conviction, et sans peur du ridicule…

Gérard Joyau est persuadé d’être un écrivain, un vrai, « contraint de mendier auprès de l’éducation nationale un poste, non pas déshonorant, mais très au-dessous de [sa] juste valeur » à cause de la « malveillance des éditions Gallimard » qui refusent de reconnaître son talent. C'est également un lecteur passionné du magazine Détective, de Mauriac, de Montherlant et de bien d’autres, qui n’hésite pas à retirer à coups de ciseaux les pages superflues ou ratées des livres qu’il dévore : « Ma pléiade Céline ne compte que trente-huit pages, celle de Gide un peu moins de deux cents ». Surtout, c’est un vieux garçon à l’œdipe mal géré, s’accrochant désespérément à un seul et unique rêve : être publié dans « La blanche ».

C'est une évidence, elle est pathétique sa lettre. Plus il avance dans l’analyse minutieuse de son « œuvre » et plus il s’enfonce. C'est bien connu, les écrivaillons persuadés d'être des génies sont légions. Et ils sont prêts, coûte que coûte, à défendre leur prose, même si on leur démontre par A + B qu'elle ne vaut pas tripette. Tout cela aurait pu être plombant et grossier mais au final l’exercice proposé par Giulio Minghini se révèle éminemment littéraire. Pas de moquerie vacharde, tout est présenté avec beaucoup de finesse et d'humour, même si le pauvre Gérard n'en ressort pas grandi, loin s'en faut. Et puis certaines piques attaquent bille en tête, et avec justesse, le monde de l’édition : « Gallimard, cette maison d’édition qui, par ses jeux diplomatiques grossiers et mafieux arrive un an sur deux à obtenir avec l’un de ses auteurs le prix Goncourt. Comme c’est bizarre, n’est-ce pas ? », tandis que d’autres sont d’une lucidité touchante : « Juste une curiosité, au passage ; combien avez-vous tué d’écrivains dans l’œuf littéraire […] mis à mort par la hache de votre indifférence… Combien ? Savez-vous combien vous en avez broyés, effacés, rayés de leur propre vie ? »

Voila donc un petit texte brillant à l’écriture très travaillée. Et cette lettre n’épargnant au final ni l’expéditeur ni le destinataire m'a fait passer un moment de lecture délicieusement jubilatoire.

 Tyrannicide de Giulio Minghini. Nil, 2013. 78 pages. 8,50 euros.


Une découverte que je dois à  Stephie. Elle a eu la gentillesse de m’offrir ce livre et je la remercie sincèrement, c’est une très belle découverte.




46 commentaires:

  1. Au départ je croyais que tu avais lu un roman de plus de 900 pages, et en plus tu me donnais envie de le lire.. ^_^

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    1. Pas demain la veille que je lirai un roman de 900 pages.

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  2. Je ne connais pas du tout mais je suis souvent convaincue par tes conseils lectures.

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    1. C'est gentil ça ;)
      De toute façon je ne suis pas le seul à en dire du bien.

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  3. Keisha, j'ai pensé la même chose que toi, et je me suis même dit, une autre vision de "Belle de seigneur" ! Ca me fait très envie :-)

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    1. Moi, ça ne me ferait pas du tout envie un roman pareil.

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  4. Jubilatoire, exactement le terme oui ! :D

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  5. Je dirais même jouissif, mais j'aime bien les métaphores sexuelles !

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  6. m"oui".... n"oui".... m"non"... n"non"....

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  7. Comme keisha, j'ai sursauté à la lecture des premières lignes, un éducation sentimentale de plus de 900 pages, mazette ... Du coup après, j'ai vu 78 pages, et je me suis dit, il ne sait pas compter le Jérôme, ce qui fait que j'ai relu ta note avec interrogation et j'en ressors avec l'envie de lire ce qui me semble être une fine curiosité ...

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    1. Une fine curiosité, c'est une belle façon de qualifier ce texte.

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  8. Comme Keisha !!! Très attirant ce titre...

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  9. C'est lui qui a écrit "Fake" ? J'avais eu beaucoup de mal avec ce roman mais peut-être que grâce à ton billet, je me laisserai à nouveau tenter.

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    1. Apparemment oui, c'est lui. Mais c'est un auteur que je n'avais jamais lu avant.

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  10. Oui c'est l'auteur de Fake (que je n'ai pas lu d'ailleurs) pour répondre à dautresviesquelamienne !^^
    J'avais adoré ce petit pamphlet où comme tu le mets bien avant, tout le monde en prend pour son grade... Le début m'avait même déstabilisée car ces lettres NIL, en principe, sont "vraies" ! :)

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    1. J'ai vu en lisant ton billet que tu avais adoré ce texte et ça ne m'étonne pas.

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  11. 934 pages et tu en parles comme si c'était un livre de 78 pages !
    je le note

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    1. En fait c'est plutôt l'inverse mais peu importe ;)

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  12. Ouuh tout me plaît là-dedans. Et que 78 pages... il devrait pouvoir trouver une place dans ma PAL celui-là !

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  13. Qu'est-ce que je me suis régalée avec ce roman ! Corrosif comme j'aime ! Vraiment casse gueule pourtant au départ et l'auteur s'en tire avec brio et intelligence !

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    1. C'était très casse-gueule en effet mais il s'en tire brillamment.

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  14. 78 pages, je trouverai bien un moment pour le lire :)
    et savoir que vous vous êtes tous régalés, je ne vais pas traîner.

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  15. c'est un sujet très difficile , qui peut savoir ce qu'il restera des nombreux auteurs que nous lisons, et est-ce une bonne question?
    j avoue ne pas trop m'intéresser à ce problème
    Luocine

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    1. Là ce n'est pas tout à fait la question puisque l'auteur en question n'a été (et ne sera sans jamais) lu par personne.

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  16. ah ah ça donne bien envie....et découvrir les bassesses et tréfonds du monde de l'édition (comme il y a dans tous les secteurs d'ailleurs) doit être somme toute intéressant.

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    1. Là on découvre plutôt les états d'âme d'un auteur refoulé mais c'est tout aussi intéressant.

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  17. J'avais absolument adoré le billet d'Asphodèle, je veux lire ce livre depuis hyper longtemps, je sais qu'il me plaira terriblement, et je suis très jalouse 1: que tu l'aies lu avant moi, 2: de ton super billet.

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    1. 1) c'est parce qu'on a eu la gentillesse de me l'offrir
      2) merci du compliment !

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  18. voilà qui est très très tentant !

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  19. Ah oui, j'ai eu peur des 900 pages aussi! Mais j'ai aimé ce que j'ai lu de cette collection. Je note, je note!

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