mercredi 22 janvier 2020

Payer la terre : Joe Sacco

Joe Sacco est parti en 2015 à la rencontre des Déné, un groupe culturel et linguistique auquel appartiennent des communautés peuplant les territoires du nord-ouest canadien depuis la nuit des temps. 45 000 personnes réparties sur une zone géographique aussi vaste que la France et l’Espagne réunies. Son but était de retracer l’histoire de ces territoires depuis l’arrivée des premiers colons et de dresser le portrait d’une communauté nomade vivant au cœur de la forêt qui a été peu à peu « civilisée » et a perdu son « indigénéïté » en subissant une politique de colonisation d’une redoutable efficacité. Sous couvert d’éducation et de modernisme, l’homme blanc s’est accaparé des territoires dont les sols regorgent de ressources naturelles en spoliant  des populations locales historiquement propriétaires de ces terres. L’extraction du pétrole, la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste et les mines d’or et de diamants rejetant des poussières toxiques ont des effets dramatiques sur l’environnement, sans compter le désastre du réchauffement climatique.

Le long chapitre consacré aux « pensionnats autochtones » est le point central du reportage. Ces pensionnats, dans lesquels ont été amenés des enfants enlevés de force à leur parents pendant 150 ans jusqu’au milieu des années 90, sont un exemple effroyable de l’acculturation de masse de tout un peuple. Au final, le gouvernement fédéral n’aura cessé d’effacer pendant des décennies chez près de 150 000 enfants les fondements de leur identité. Six mille sont morts à cause des mauvais traitements et le traumatisme subi par les autres a bouleversé en profondeur les racines sociales, culturelles et patrimoniales des premières nations des territoires du nord-ouest canadien. 

L’auteur de Palestine souligne également les divisions politiques entre clans, la perte de la solidarité qui était jusqu’alors le moteur de la communauté, les ravages de l’alcool, les violences familiales, le taux de suicide bien plus élevé que n’importe où ailleurs au Canada ou encore la misère « entretenue » par une aide sociale qui enferme les peuples autochtones dans une dépendance vis-à-vis de l’administration et leur retire toute aspiration à l’autonomie.

Un album au propos complexe, exigeant, éclairant et surtout passionnant. Sacco est le maître du reportage en BD. Sa façon de prendre à bras le corps un sujet et de l’exploiter dans toutes ses dimensions est absolument unique. Sa rigueur associée à sa capacité à confronter les points de vue ainsi que sa volonté de mettre en avant un matériau brut mêlant faits et témoignages sans émettre le moindre jugement aboutit à un résultat d’une profondeur de réflexion inégalée, en tout cas dans un média tel que la bande dessinée.

Payer la terre de Joe Sacco. Futuropolis, 2020. 270 pages. 26,00 euros.












50 commentaires:

  1. Aussitôt lu, aussitôt commandé. Efficace, non? Pour moi que la question autochtone passionne, pas question que je passe à côté.

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  2. Les pensionnats autochtones, ceux dont parlait Fontenaille dans Kill the indian in the child ? C'est effroyable et ça m'intéresse tu penses... cet album reportage a l'air incontournable sur le sujet !

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    1. Ce sont les mêmes que ceux dont parle Fontenaille, oui.

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  3. Comment veux-tu que je résiste à un tel post ?

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  4. Tout comme Noukette, ce sujet me 'passionne" depuis mes lectures de Wagamese, Fontenaille et récemment "Anima".. je note et renote... à la limite de le commander dans l'immédiat...

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  5. Ça doit être très intéressant !

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  6. On commence à lire des romans traitant de ce sujet et même dans une série un peu gentillette on évoque le début des pensionnats pour les indiens . (Anne avec un e)

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  7. En effet, quel post et quel album... Je note, évidemment.

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  8. J'ai découvert l'existence de ces pensionnats en visitant le canada. Très intéressée. Merci pour la découverte

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  9. Je suis justement en train de le lire !

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  10. je ne pense pas en apprendre beaucoup vu que la question me passionne mais comme Marie-Claude, je veux le lire (sinon même si l'alphabet est différent, je connais un peuple autochtone du sud des USA qui porte le même nom) et les fameux pensionnats, je te conseille la lecture d'Emmanuelle Walter (au centre de la terre)

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    1. Je pense que tu pourrais apprendre pas mal de choses malgré tout ce que tu sais déjà.

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  11. Je vais encore faire une suggestion à la bibliothèque.

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  12. Une BD et un post qui attisent ma curiosité. Je ne connais pas du tout le sujet. A feuilleter et à découvrir. :)

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  13. J'ai lu il y a peu un truc sur les enfants autochtones du Canada, et cette BD m'attire !

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  14. Un auteur que je n'ai pas encore pris le temps de découvrir.

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  15. Les reportages en BD, ça m'intéresse toujours. Je vais y regarder de plus près !

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    1. Il faudrait que tu le déniches à la médiathèque.

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  16. J'hésitais à me tourner vers cet album. Pourtant, j'apprécie beaucoup Sacco. Le pitch de l'éditeur m'avait fait faire le parallèle avec "Jour de destruction - Jour de révolte" que j'avais trouvé un peu trop didactique, trop chirurgical comparé à ce qu'il sait faire.
    Te lire sur ce titre me fait donc changer mon fusil d'épaule ;)

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    1. Pour Jour de destruction il n'avait fait que quelques illustrations, il n'était pas l'auteur des textes. Là il est le seul maître à bord et ça change tout.

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  17. le sujet m'intéresse beaucoup également ! mais en voyant le titre et le nom de Sacco (je ne connaissais pas cet auteur), j'ai cru que c'était une BD sur Sacco et Vanzetti :D

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  18. Un dessin plein de détails, également. J'espère que ma BM l'aura.

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  19. Je ne connaissais pas le genre "BD Reportage", mais ça a l'air passionnant, d'autant plus que la thématique m'intéresse grandement aussi !

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    1. La BD reportage devient un genre de plus en plus répandu. Personnellement, j'adore.

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  20. J'aime beaucoup le genre BD reportage alors pourquoi pas.

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  21. je note, à voir si je me lance un jour dedans ou pas :)

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  22. Oh I need that. Je connais quand même bien cette histoire, notamment les pensionnats, mais je veux toujours plus de regards différents.

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    1. C'est clairement une lecture indispensable pour toi.

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  23. BD qui semble valoir le coup d'oeil. J'avoue que le grosseur me freine un peu

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  24. Rhaaa Sacco, forcément ! Hâte de le lire. Sur les peuples du Grand Nord canadien, je te recommande le roman noir Grise Fiord de Gilles Stassard.

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