samedi 14 septembre 2013

Les vrais, les durs, les tatoués : le tatouage à Biribi

Biribi, ça me rappelle le roman éponyme de Georges Darien. Le roman le plus antimilitariste que j’ai eu l’occasion de lire, un roman qui m'a convaincu de ne jamais mettre les pieds dans une caserne. Ça me rappelle aussi le formidable reportage d’Albert Londres publié en 1925 sous le titre « Dante n’avait rien vu ». Ça me rappelle ma folle jeunesse, l’époque du service militaire, quand j’écrivais ma lettre au ministre de la défense : « pour des raisons de conscience, je refuse de porter les armes et l’uniforme ». Ça me rappelle les trois jours passé à Cambrai, au centre des armées. En tant que futur objecteur de conscience, chevelu en plus, j’en ai pris plein la gamelle : «  Tu vas voir, on va t’envoyer désherber le maquis pendant 20 mois » (ben oui en tant qu’objecteur on faisait le double des trouffions, c’était la punition). Tu parles, je me suis retrouvé dans une bibliothèque, heureux comme un pape. Le début de ma vocation...

Bref, revenons à ses gros durs de Biribi et leurs tatouages. Biribi n’est pas un lieu à proprement parler. C’est un terme générique désignant l’instrument répressif de l’armée française en Afrique du nord (Tunisie, Maroc, Algérie), en vigueur de 1830 à 1962. Les fameux Bat d’Af (bataillons d’infanterie légère d’Afrique). Au départ des pénitenciers militaires où on mate les fortes têtes. Par la suite on y enverra aussi les engagés ayant subi des condamnations civiles : cambrioleurs, souteneurs, assassins, etc. Des soldats devenus bagnards…

Dans l’enfer de Biribi, où l’on casse des cailloux sous un soleil insupportable, l’armée torture ses propres enfants en toute impunité. Le tatouage est la seule véritable distraction. Une bouffé d’oxygène aussi, servant à la fois de carte d’identité et de moyen d’expression. Les mots gravés sur la peau sont une façon de montrer son état d’esprit. Ainsi, les fatalistes n’hésitent à écrire sur leur corps « Pas de chance », « né sous une mauvaise étoile », « enfant du malheur », « né pour souffrir ». Les révoltés y vont aussi de leur couplet : « vaincu mais non dompté », « arrivé en mouton, sorti en lion », tout comme les antimilitaristes purs et durs : « inquisition militaire », « l’armée fait pleurer les mères ». Les motifs aussi sont riches de sens : papillons, oiseaux, fauves, fleurs et surtout des femmes, beaucoup de femmes.

Le récit de Jérôme Pierrat et Éric Guillon est passionnant. Il permet notamment de découvrir les techniques
rudimentaires utilisées par les tatoueurs et la vie quotidienne dans ces pénitenciers où règnent la violence et l’injustice et où l’homosexualité est partout présente.

Mais Au-delà du texte, le point fort de ce petit livre réside évidemment dans les photos. Non mais regardez-moi ces gueules ! Le naturalisme de Zola en chair et en os, les loulous parisiens mis en scène par Charles-Louis Philippe dans le célèbre Bubu de Montparnasse qui se matérialisent sur la page ! Les portraits de tatoués publiés ici ont été réalisés entre 1900 et 1930 par les services de l’identité judiciaire. Ces clichés des anciens de Biribi ont été pris « à la faveur » d’une arrestation ou d’un séjour en prison.  Des vrais, des durs, pas des tatoués d’aujourd’hui qui s’essaient au symbole maori pour se la jouer « cool » alors qu’ils
n’ont jamais foutu les pieds en Polynésie. Bon je vais m’arrêter là parce que je commence à m’égarer…

Les vrais, les durs, les tatoués : le tatouage à Biribi de Jérôme Pierrat et Éric Guillon. Édition Larivière, 2005. 112 pages. 20,50 euros.

Ce billet signe ma première participation au projet « non-fiction » de Marilyne.

30 commentaires:

  1. Je regarde et ça me fait mal ! Surtout les points où la peau est fine. Durs et tatoués, je n'en doute pas !

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    1. Et encore je ne parle pas de la façon dont les tatouages étaient effectués, notamment en terme d'hygiène. Tu imagines qu'il y avait parfois des conséquences terribles et irréparables en cas d'infection.

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  2. Impressionnant ! Je me demandais à quoi correspondait ce titre. Je m'intéresse aux tatouages depuis longtemps et là, je découvre un aspect inconnu pour moi, extrêmement porteur de sens, ce qui marque la peau, ce qui reste marqué. Vraiment impressionnée.
    Merci de ta participation à ce projet ( on ne peut pas dire que tu commences avec des bébés ;-))

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    1. C'est plus Biribi que les tatouages qui m'intéressaient au départ mais j'ai appris beaucoup de choses, notamment que "l'école française" du tatouage venait vraiment de là-bas et non comme on pourrait le penser et comme c'est le cas dans la majorité des autres pays, des marins.

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  3. Leur visage attire plus mon attention que leur tatouage !

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  4. Un livre que je ne lirai jamais, mais merci pour ce billet à la fois personnel et précis.

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    1. ça m'a bien plu d'en parler pour le rendez-vous de Marilyne. C'était l'occasion rêvée.

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  5. Un livre d'homme c'est sûr !!! De vraies gueules cassées et fracassées ! J'aurais du mal à lire ça quand même...

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  6. De fort belles gueules en effet, mais le contexte historique doit être passionnant!
    Sais-tu que george V d'angleterre avait un tatouage? Pas réservé aux durs et tout ça, tu vois.

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  7. J'aime bien quand tu commences à t'égarer!

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  8. Nooon Jérôme !!! je ne veux pas imaginer !!!

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    1. Il vaut mieux pas, ton âme sensible ne s'en remettrais pas.

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  9. Je ne pense pas le lire, mais le sujet et ton billet sont intéressants.

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    1. Merci, c'est quand même un sujet très particulier, m'étonnerait que j'arrive à convaincre beaucoup de monde de se lancer dans cette lecture.

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  10. Tu as raison, plus que les tatouages, ce sont les visages qui sont impressionnants.

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    1. Oui, ces visages, ces regards... et encore je n'ai mis que trois photos, il y en a bien plus dans l'ouvrage.

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  11. Ben dis donc ! Si tu commences à parler tatoués avec Marilyne, c'est du tout cuit ! ;)
    Ceci dit, je m'intéresse aussi fortement aux tatouages donc ça me parle aussi. ^^
    C'est marrant, je note une connexion avec la BD Paco les mains rouges qui te tente. Je ne sais pas si tu l'a déjà lu mais tu retrouveras les grands principes que tu évoques dans ton billet.

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    1. Paco les mains rouges me tente carrément et je pense que cet album ne va pas tarder à arriver à la maison. Et même si l'action se passe à Cayenne et non à Biribi, le résultat est le même...

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  12. Je n'aurais jamais pensé être intéressé par un billet parlant des tatouages... Mais tu serais capable de me "vendre" n'importe quoi je dois dire... Et ton expérience d'objecteur de conscience dans une bibliothèque, j'avoue que ça m'a fait rire, le destin est parfois facétieux ! ;-)

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    1. Le lieu où j'ai fait mon objection, tu penses bien que je me suis bagarré pour le choisir moi-même^^

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  13. Moi aussi, j'aime le sujet des tatouages. Ahah et j'aime quand tu t'égares. On était pas loin du coup de gueule !

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    1. Coup de gueule je sais pas mais disons qu'à l'époque de Biribi le tatouage avait un sens profond. Alors qu'aujourd'hui, comment dire... ce n'est plus vraiment le cas.

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  14. Bon, j'étais persuadée d'avoir commenté après avoir lu le billet de récap' chez Maryline mais visiblement je perds la tête (enfin, ce n'est pas nouveau mais l'espoir fait vivre).
    Cela dit, je ne vais pas vraiment faire dans l'original : ton billet est intéressant ne serait-ce que parce qu'il me fait découvrir un univers ; en revanche, je vais passer mon tour, ton billet me suffisant sur le sujet.

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    1. Tu ne seras pas la première que je convaincrais de lire ce titre !

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  15. Les gros durs...hmmm j'avoue que ce n'est pas vraiment mon genre, mais à bien lire ça m'a l'air pas mal du tout.

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