dimanche 23 décembre 2012

Du côté de Canaan de Sebastian Barry

Barry © Joëlle Losfeld 2012
« Quel bruit fait le cœur d’une femme de quatre-vingt-neuf ans quand il se brise ? Sans doute guère plus qu’un silence. » En voila une jolie première phrase pour débuter un roman. Lilly Bere vient de perdre Bill, son petit fils adoré. Une douleur insupportable la submerge. La vieille femme a décidé d’en finir. Mais avant de tirer sa révérence, elle veut coucher sur le papier le récit d’une vie où les drames se sont succédé, pour expliquer son geste et pour faire un dernier point avec elle-même avant le grand saut vers l’inconnu.  
       
Lilly est née en Irlande. Sa mère est morte en lui donnant le jour. Elle a grandi entourée d’un père policier, de deux sœurs et d’un frère qui perdra la vie en Picardie au cours de la première guerre mondiale. Au début des années 20 son fiancé, Tadg, menacé par l’IRA, doit quitter le pays. Elle le suit, direction l’Amérique. D’abord New York, puis Chicago où Tadg sera finalement assassiné. Seule, désespérément seule, Lilly entre au service d’une riche famille irlandaise. C’est durant cette période qu’elle rencontre Joe Kinderman, un homme qui disparaitra dans la nature alors qu’elle est enceinte. Elle mettra Ed au monde à 40 ans et l’élèvera seule. Il s’engagera plus tard pour le Vietnam dont il reviendra totalement brisé. Devenue septuagénaire, Lilly recueillera Bill, le garçon d’Ed, à peine âgé de 2 ans. Un petit fils qu’elle adorera plus que tout, jusqu’au jour où il partira faire la guerre en Irak. Un destin funeste de plus dans une vie où chaque homme qu’elle a connu semblait voué à disparaître dans des circonstances tragiques. 
      
Du coté de Canaan est le troisième roman que Sebatian Barry consacre aux Dunne, une famille irlandaise perpétuellement touchée par la disgrâce. Derrière ce roman d’adieu, Barry dresse un magnifique portrait de femme. Lilly l’irlandaise qui traverse les turpitudes de ce 20ème siècle si meurtrier avec bonne humeur et résignation. Lilly l’optimiste qui aura la chance, malgré ses déboires, de rencontrer des personnes d’une incroyable bonté qui n’auront de cesse de la soutenir dans les moments difficiles.          
         
Lilly raconte les bonheurs simples, elle se remémore aussi les événements les plus dramatiques sans jamais se plaindre. Elle se repasse en esprit de vieilles bobines, « des films simples, sans intérêt pour les autres. Le cinéma privé de chacun. » Point de mélo ici, rassurez-vous. La confession est parfois traversée d’une grande tristesse mais elle sait aussi s’illuminer de rires, de tendresse et de joie de vivre. Surtout, le témoignage reste empreint d’une belle dose d’humanité. On pourra certes trouver qu’à certains moments la barque de Lilly semble bien trop chargée. Vivre autant de drames en une seule existence peut paraître irréaliste. Mais pour créer une telle généalogie romanesque, il ne faut parfois pas hésiter à forcer le trait, surtout quand cela est fait avec autant de talent.

Du côté de Canaan de Sebastian Barry. Joëlle Losfeld, 2012. 275 pages. 19,50 euros. 



18 commentaires:

  1. Il faudrait donc plutôt que je commence par le premier tome.

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    1. Pour info, le 1er tome de la trilogie s'intitule "Annie Dunne".

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  2. Si forcer le trait est fait avec talent, alors....

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    1. Je trouve en tout cas que c'est fait avec talent. Un tel sujet était plutôt casse-gueule et l'auteur s'en est vraiment bien sorti.

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  3. J'aime beaucoup la littérature irlandaise, mais pas encore Sebastian Barry... Il faudra que j'y remédie !

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    1. J'ai découvert cette littérature avec Claire Keegan et j'aimerais vraiment lire beaucoup d'autres auteurs irlandais.

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  4. Tu me donnes très envie de découvrir cet auteur ! Les tribulations d'Enneas McNulty traînent dans ma PAL depuis trop longtemps, arg !

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    1. C'est un de ses 1ers romans (peut-être même son 1er). Je pense que j'y viendrais aussi un jour.

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  5. je ne connais pas cette saga mais ton billet donne envie. En le lisant je me disais toutefois que cela paraissait peut-être un peu too much et je n'aime pas les mélo mais si cela est bien amené, juste et que la plume s'y prêt, pourquoi pas ...

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    1. Il faudrait peut-être commencer par le 1er pour mieux appréhender l'ensemble de la saga mais déjà avec celui-là le ton est donné. En tout cas j'ai beaucoup aimé.

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  6. triste mais tellement irlandais je note ce livre , et j'espère que tu as retrouvé le sourire
    malgré la pluie qui revient... nous avait-elle quitté?
    Luocine

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    1. Tellement irlandais, c'est exactement ça ! J'ai vraiment envie de découvrir davantage encore cette littérature qui a tout pour me plaire.

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  7. Je vais le recevoir pour le prix des lectrices de Elle, je verrai, masi tout cela me semble bien triste non ?

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    1. Sûr que c'est pas joyeux-joyeux mais j'ai trouvé le ton plutôt enjoué et agréable malgré le contexte "plombant".

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  8. Je l'ai lu ce week-end, et je l'ai trouvé remarquable (pas encore eu le temps d'écrire mon billet) ! C'était mon premier Sebastian Barry... Je ne compte évidemment pas en rester là.

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    1. Je pense que je me laisserai aussi tenter par un autre de ses romans à l'avenir.

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  9. Je pense que c'est un roman queje vais très vite oublier ! Agréable à lire mais sans plus !

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    1. Disons que le dujet n'est pas original : une vieille dame qui se retourne sur sa vie, c'est du grand classique. Mais en tout cas j'ai trouvé m'ensemble plutôt bien réalisé. Pas un coup de coeur mais une lecture agréable.

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