mercredi 13 décembre 2023

Inoubliables - Fabien Toulmé

Une quadra qui a passé toute son enfance parmi les témoins de Jéhovah. Un prêtre qui a abandonné sa vocation par amour. Une jeune femme abusée sexuellement par son petit ami. Un enfant français évacué du Rwanda en plein génocide. Un amour de jeunesse qui dure toute la vie. Un délinquant sauvé grâce à la confiance accordée par une juge humaniste. Six histoires vraies. Six témoignages marquants. Six récits de vie émouvants, dramatiques ou inspirants.

Fabien Toulmé fait du Fabien Toulmé et c’est tant mieux. Ne jamais prendre les gens de haut, rester à hauteur de ses interlocuteurs, leur offrir l’oreille la plus attentive possible, traduire leurs propos en images sans rien déformer, sans jamais émettre le moindre jugement. Humilité, pudeur, curiosité, volonté permanente de s’effacer pour bien signifier que la place du témoin est, de loin, plus importante que celle de l’auteur, la démarche est la même que dans son album précédent et le résultat toujours aussi convaincant.

Graphiquement l’usage répété du gaufrier en six cases identiques, de par sa simplicité, souligne la prédominance du fond sur la forme. L’intérêt premier de l’album n’est pas son esthétisme mais bien le propos qu’il porte. Tout ce qui compte ici est la lisibilité et pour le coup, elle ne souffre d’aucune lourdeur.

Encore une réussite pour Fabien Toulmé. A priori ces Inoubliables vont avoir droit à une suite, je peux que m’en réjouir. Seul bémol, un prix de vente vraiment excessif pour un album petit format au nombre de pages plutôt raisonnable.

Inoubliables de Fabien Toulmé. Dupuis, 2023. 126 pages. 23,00 euros.








mardi 5 décembre 2023

Les routes oubliées - S.A. Cosby

Beauregard Montage ne s’en sort plus. Entre les factures de son garage qui s’accumulent, la maison de retraite de sa mère à payer, ses deux jeunes fils à élever et sa grande fille qui va rentrer à l’université, ses maigres revenus ne suffisent plus à maintenir ses finances à flot. Alors quand ce crétin de Ronnie lui propose un plan facile et ultra rentable, Beau accepte à contre cœur. Il avait pourtant juré à sa femme que sa carrière de malfrat était derrière lui, et qu’après sa sortie de prison jamais il ne replongerait, mais la pression financière devenue infernale ne lui laisse guère le choix. Et puis jouer le chauffeur pour un braquage de bijouterie, c’est un rôle qu’il peut endosser sans problème. Sauf que rien ne va se passer comme prévu et que le braquage va devenir le point de départ d’une descente aux enfers épouvantablement douloureuse.

Amis de la cambrousse, bienvenus en Virginie, état où les rednecks sont rois ! Pour Beauregard l’afro-américain, il n’est pas aisé de vivre parmi les bouseux racistes qui règnent en maître sur ces terres rurales. Difficile de rester dans le droit chemin quand on ne cesse de vous mettre des bâtons dans les roues, difficile de développer une activité professionnelle honnête quand votre couleur de peau vous marginalise. Difficile également d’échapper à son destin et de ne pas suivre les traces d’un père délinquant que l’on érige en modèle.

S.A. Cosby n’y va pas par quatre chemins. Son roman se déroule pied au plancher, entre bagarre, coups de feu et scènes de poursuite en voiture. Ces dernières sont spectaculaires, dignes d’un film d’action hollywoodien. Son écriture nerveuse laisse parfois place à des moments plus calmes, où la psychologie de son héros gagne en épaisseur et où les retours sur son passé permettent de mieux comprendre son comportement présent. Après, entendons-nous, on n’est pas non plus chez Bourdieu et ce polar est loin d’être un essai sur le déterminisme social. L’action reste le moteur principal du récit et rythme un scénario où les temps morts n’apparaissent souvent que comme des rampes de lancement vers de nouvelles séquences pétaradantes. 

Un polar rondement mené qui ne renouvèle pas le genre mais se révèle, au final, d’une grande efficacité.

Les routes oubliées de S.A. Cosby (traduit de l’anglais par Pierre Szczeciner). Pocket, 2023. 365 pages. 8,60 euros.




jeudi 30 novembre 2023

Les infortunes de la vertu - Sade

Les infortunes de la vertu est un conte philosophique écrit par Sade en 1787, pendant son emprisonnement à la bastille. Il y aura deux variations postérieures à cette première mouture. La seconde date de 1791 et s’intitule Justine ou Les malheurs de la vertu. La dernière est publiée en 1797 sous le titre La nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu. Chaque nouvelle version gagne en épaisseur et en détails sordides. Il faut dire que la pauvre Justine en subit des outrages. Contrairement à sa sœur Juliette, libertine et immorale, elle souhaite par-dessus tout rester vertueuse. Dénuée de toutes ressources suite au décès de ses parents, elle va successivement tomber entre les mains d’un marchand cruel, d’une mère maquerelle, d’un adepte de la luxure parricide, d’un chirurgien sadique, de prêtres libidineux amateurs d’orgies et d’un faux-monnayeur esclavagiste. Rien que ça !

A chaque rencontre, la jeune femme creuse un peu plus le sillon de l’infortune, à chaque rencontre elle veut mettre en application une forme de vertu (pudeur, pitié, honnêteté, bienfaisance) et s’en trouve punie. Le texte se répète de façon mécanique et le lecteur sait d’avance qu’en sortant d’une terrible épreuve Justine va plonger la tête la première dans une nouvelle séquence encore plus traumatisante. Le message est clair, la vertu est une soumission à Dieu et aux hommes qui n’apporte dans son sillage que le malheur. 

Cette redondance dans les situations rend la lecture monotone et sans surprise, à tel point que l'on finit par ne plus éprouver la moindre compassion à l'égard de cette cruche de Justine dont l'obstination à vouloir le bien exprime une candeur godiche. Devant tant de naïveté et de manque de lucidité face aux réalités d'un monde sans pitié pour les vertueux, le lecteur n'a qu'une seule envie, lancer avec force et conviction un tonitruant : Voyons Justine, un peu de vice, que diable !

Les infortunes de la vertu de Sade. 10-18, 1993. 186 pages. 7,00 euros.



le rendez-vous des Classiques c'est fantastique s'invite ce mois-ci au 18e siècle.
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mercredi 22 novembre 2023

The Big Wall - Yoji Kamata et Kunihiko Yokomizo

Un homme souhaite déposer les cendres de sa femme au pied des cascades de glace du Mont Fuji. Une mère veut à tout prix accéder à l’endroit où un torrent déchaîné a emporté son fils. Un photographe spécialiste des prises de vue en haute altitude s’apprête à changer de vie pour voir son enfant grandir. Le seul survivant d’une tempête subie sur les contreforts de l’Himalaya retourne sur les lieux de la tragédie. Un secouriste doit quitter sa famille la veille du nouvel an pour franchir le Mont Yari, à plus de 3000 mètres d’altitude, afin de répondre à un appel de détresse.

Toutes ces histoires ont pour point commun la présence de Yasushi Senju, alpiniste de renom. Les clients font appel à ses services pour profiter de ses exceptionnelles compétences en haut altitude. Dans chacune des ses missions, la vie et la mort se côtoient. Et au-delà des conditions extrêmes dans lesquelles les personnages se retrouvent, le recueil donne à voir les motivations qui poussent chacun à mettre son existence en danger, pourquoi la haute-montagne fascine, enivre et pousse les hommes dans leurs retranchements les plus profonds, tant physiques que psychologiques. 

Chaque nouveau chapitre met en scène des personnages différents mais Yasushi donne à l’ensemble une ligne directrice cohérente. Surtout que la dernière histoire permet de comprendre les raisons qui poussent cet alpiniste de l’extrême à multiplier les contrats tous plus dangereux les uns que les autres. Ses motivations, comme d’ailleurs celles de ses « clients » relèvent de l’intime et puisent leurs sources dans une histoire personnelle souvent chaotique.

Le dessin est parfait pour ce genre de récit, épuré, hyper lisible, sans la moindre surcharge graphique. Les visages rappellent parfois le trait du grand maître Naoki Urasawa période Monster, autant dire une sacrée référence !

Pour leurs premiers pas dans le monde du manga les éditions Paulsen, spécialisées en littérature de voyage et d'exploration, signent avec ce one shot un coup de maître. Je me suis régalé du début à la fin, charmé à la fois par le traitement graphique du sujet et par la profondeur de réflexion philosophique. Une totale réussite.

The Big Wall de Yoji Kamata et  Kunihiko Yokomizo. Paulsen, 2023. 250 pages. 20,00 euros.



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lundi 13 novembre 2023

Niré - Aki Shimazaki

Niré est le quatrième tome de la dernière pentalogie d’Aki Shimazaki, qui a pour titre général « Une clochette sans battant ». L’avantage avec les pentalogies de Shimazaki c’est que, même si chaque nouvelle histoire fait partie d’un grand tout, elle peut se lire indépendamment des autres.

Après les deux sœurs et le père, le narrateur est cette fois-ci Nobuki, le petit dernier et unique fils de la famille Niré. Marié, Papa de deux fillettes, il se désole de voir Fujiko, sa mère frappée d’Alzheimer, ne pas le reconnaître lorsqu’il lui rend visite à la maison de retraite. Quand les premiers symptômes de la maladie son apparus, Fujiko avait commencé à tenir un journal intime qu’elle avait pris soin de cacher dans le double fond d’un bureau. En trouvant par hasard ce journal, Nobuki découvre sa mère comme il ne l’a jamais connue, révélant des secrets qui vont éclairer d’une manière inattendue sa propre histoire. 

Aki Shimazaki respecte toujours le même schéma : un texte court, un narrateur forcément en lien avec ceux des tomes précédents, des secrets de famille qui refont surface, un questionnement sur la mémoire et la place de la femme dans une société japonaise où le patriarcat ne cesse de l’étouffer. Le style reste minimaliste, épuré, tout en retenu. Et quand la quiétude se trouble, les vagues de ressentiment ne débordent jamais dans l’outrance, la pudeur et l’introspection restant les maîtres mots. 

J’aime retrouver l’univers de cette auteure à chaque nouvelle publication. Il y a quelque chose de rassurant dans ses ouvrages, l’impression de se sentir en terrain connu, d’avoir ses repères, d’être un peu comme à la maison. Seul bémol récurrent, ces coïncidences un peu trop grossières qui font avancer l’intrigue de manière pas franchement subtile.

Mais peu importe, c’est un détail qui ne m’empêchera pas de savourer comme il se doit la conclusion de cette pentalogie. Vivement le printemps prochain !

Niré d’Aki Shimazaki. Actes Sud, 2023. 135 pages. 16,00 euros. 






mercredi 8 novembre 2023

Maltempo - Alfred

Mimmo traîne son ennui dans une petite bourgade du sud de l'Italie. Entre la Méditerranée et la garigue, entre les journée passées à arpenter les rues poussiéreuses et à fuir les ados de son âge délinquants en devenir, ses perspectives d'avenir sont bien maigres. A 15 ans, Mimmo rêve de musique et gloire. Sa guitare ne le quitte jamais, elle est selon lui son passeport pour un ailleurs meilleur. Il faudra juste ne pas rater l'occasion quand elle se présentera... 

Je me réjouissais de revenir sous le soleil brûlant de l’Italie avec Alfred tant j’avais adoré Come Prima et Senso. La déception est malheureusement à la hauteur de mes attentes. La veine est moins poétique, moins philosophique, plus réaliste que dans les deux albums précédents de sa trilogie italienne. Les thèmes abordés sont d’actualité mais la touche sociale ne sonne que comme une partie du décor, rien de plus. Et puis cette histoire « adolescente » m’a moins touché que les récits mettant en scène les adultes. On a l’impression de rester à la surface, de ne pas creuser la psychologie des personnages, d’en être maintenu à distance. Ici il n’y a pas de surprise, tout est convenu, même la fin.

Heureusement il reste la patte d’Alfred, sa capacité à faire ressortir avec un minimalisme bluffant la chaleur étouffante, cette espèce de langueur qui emprisonne des village paumés et isolés du reste du monde. Les cases muettes sont paradoxalement les plus parlantes et le « lâcher-prise graphique » choisi pour montrer les musiciens en pleine répétition est aussi surprenant que réjouissant.

Malgré le charme des dessins, je sors de cette lecture déçu. Essentiellement à cause du manque de profondeur du propos et du manque d’épaisseur des personnages. Mais aussi et surtout parce qu’Alfred est un de mes auteurs préférés et que chacun de ses albums doit forcément être pour moi une grande claque et un immense plaisir. Ce n’est pas le cas cette fois, vivement la prochaine !

Maltempo d’Alfred. Delcourt, 2023. 185 pages. 23,95 euros.




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lundi 6 novembre 2023

Mississippi - Sophie G. Lucas

De 1839 à 2006. D’Impatient Lansard le vigneron à Odessa la photographe. De la Haute-Saône à La Nouvelle Orléans en passant par Paris et New-york. De la Commune à l’ouragan Katrina en passant par la première Guerre Mondiale et la colonisation. Sophie G. Lucas déploie une destinée familiale sur plus de cent soixante ans. D’une période à l’autre, d’un lieu à l’autre, elle parcourt l’arbre généalogique comme on descend un fleuve au cours tumultueux. 

« La Geste des ordinaires ». Ce sous-titre résume à merveille l’enchevêtrement de ces destins individuels dans la grande Histoire collective du monde, un monde où les aspirations à l’émancipation se heurtent, quelles que soient les époques, à d’insurmontables obstacles. 

Un premier roman culotté. Culotté parce qu’il ne va pas vers la facilité. Les voix qui s’expriment dans chaque chapitre ont toutes un timbre différent, on navigue entre des récits à la première et à la troisième personne, le rythme change sans cesse, déstabilise parfois, l’usage excessif des parenthèses agace souvent mais participe à cette forme d’exigence dans l’écriture qui ne sonne jamais artificiellement. Sophie G. Lucas ne se regarde pas écrire, elle ne donne pas dans l’emphase, dans la démonstration littéraire sans âme. Exigeant mais accessible, son texte est une grande réussite, de celles qui lancent une carrière d’écrivain sur les meilleurs rails possibles.

Mississippi de Sophie G. Lucas. Éditions La Contre Allée, 2023. 180 pages. 18,00 euros.








mercredi 1 novembre 2023

Les royaumes muets - Séverine Gauthier et Jérémie Almanza

Après avoir trouvé des squelettes dans le placard de sa chambre, Perséphone descend malgré elle jusqu’aux Royaumes Muets, là où règne La Mort. Dis comme ça, le pitch peut surprendre. Pour être plus clair, disons que Perséphone est une enfant bien vivante qui se retrouve un soir nez à nez avec Charles et Théophile, des collecteurs de soupirs au service de la Grande Faucheuse. Ils sont venus récupérer le dernier souffle du voisin de la petite fille, récemment décédé, mais ils sont en retard de deux jours, ce qui risque de faire échouer leur mission et de condamner le défunt à une errance éternelle. Bon, je vous l’accorde, ce n’est pas forcément plus clair mais finalement tant mieux, je m’en voudrais de déflorer une intrigue aussi surprenante.

Leur Cœur de pierre m’avait enchanté il y a dix ans, c’est donc avec un plaisir non dissimulé que je retrouve aujourd’hui le duo Séverine Gauthier/Jérémie Almanza. Leur nouvel album aborde les thématiques de l’enfance et de la mort avec une forme de poésie qui n’a rien de macabre. L’univers des Royaumes muets est fascinant et la représentation de l’au-delà déborde d’originalité. Les dialogues fonctionnent à merveille et malgré un sujet pesant, la lecture n’aura jamais rien d’anxiogène ou d’effrayant pour les jeunes lecteurs. 

Graphiquement, le trait de Jérémie Almanza possède toujours ce charme indéfinissable qui fait mouche à chaque page. On pense bien sûr à Tim Burton mais, au-delà de cette évidente référence, son style créé une atmosphère assez unique, entre le gothique victorien et une esthétique qui tire souvent vers le baroque. Les couleurs, les jeux de lumière, tout est pensé pour rendre au mieux les ambiances propres à chaque lieu et à chaque partie de l’histoire.

La fin laisse penser qu’une suite est plus que probable. J’espère vraiment que ce sera le cas, je me réjouis d’avance de retrouver Perséphone et ses drôles d’acolytes !

Les royaumes muets de Séverine Gauthier et Jérémie Almanza. Éditions Oxymore, 2023. 80 pages. 18,95 euros.



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lundi 30 octobre 2023

Rue des Boutiques Obscures - Patrick Modiano

Guy Roland ne sait plus qui il est. Une première rencontre va lui permettre d’avancer sur le sentier de la mémoire. Et à partir d’une photo trouvée au fond d’une boîte, Guy va faire resurgir les moments marquants de son passé. Du moins le croit-il. Car les indices restent fragiles, la succession des personnages croisés va peu à peu former un portrait incomplet et sans réelles certitudes de ce qu’aurait pu être sa vie avant l’amnésie. Au fil de cette enquête intime de douloureux souvenirs vont affleurer et esquisser le tableau imparfait d’une existence constamment nimbée d’un brouillard difficile à dissiper. 

Les rue du Paris de l’après-guerre. Un personnage solitaire. L’impression que plus le mystère s’éclaircit, moins l’on s’approche de la vérité. La mélancolie qui prend le pas sur la nostalgie. Tous les ingrédients du récit modianesque sont ici à leur paroxysme. Comme toujours il est question de souvenirs et d’oubli. Comme toujours les fantômes du passé convoqués pour éclairer le parcours d’une vie ne sont souvent que des mirages. Ici, la schizophrénie guette. Car Guy n’est jamais sûr de rien. Chaque indice semble le glisser dans le costume d’un personnage différent, un personnage qu’il a pu être mais qu’il n’est pas certain d’avoir été. C’est troublant. Agaçant autant que fascinant. 

Un Modiano égal à lui-même. Le style est d’une parfaite simplicité, d’une fluidité proche de la pureté. L’intrigue vaut davantage pour son atmosphère que pour sa quête existentielle. J’ai aimé parcourir les rues d’un Paris froid et humide, grimper les escaliers branlant d’immeubles moribonds, franchir la porte d’appartements minuscules à la décoration surannée. Un roman d’ambiance, un poil vieille France, avec les téléphones à pièce, les bottins épais comme des parpaings, la fumée de cigarette dans les lieux publics et les photos sépia d’une époque où on ne pouvait pas faire de selfie. La vache, je crois que je suis en train de virer réac...  

Rue des Boutiques Obscures de Patrick Modiano. Gallimard, 1978. 215 pages. 20,00 euros.



Puisque la thématique du rendez-vous de Fanny et Moka est ce mois-ci Prix Goncourt vs Prix Nobel, je fais d'une pierre deux coups avec ce roman Goncourt 1978 et son auteur Prix Nobel 2014.




samedi 21 octobre 2023

Je ne suis pas la fille mexicaine dont vous rêviez - Erika L. Sanchez

Ça commence par un enterrement. Celui d’Olga, 22 ans, renversée par un bus. Julia, sa sœur cadette, est encore au lycée. Les parents, mexicains émigrés à Chicago dans les années 90, ont perdu une fille exemplaire et doivent dorénavant composer avec celle qui est considérée comme le mouton noir de la famille. La mère sombre dans la déprime et le père dans le silence. Julia, de son côté, rêve d’ailleurs. Elle imagine son futur loin de l’appartement et du quartier miteux où elle a grandi. Mais difficile de s’extraire d’un environnement où chaque fait et geste est surveillé et critiqué et où l’on ne cesse de vous comparer à la figure parfaite de celle qui n’est plus.  

Le titre est un parfait résumé de ce roman où l’emprise familiale musèle les désirs d’indépendance. Julia veut aller à l’université et quitter le nid étouffant où sa mère ne cesse de lui rappeler la place et le rôle de la femme dans la culture « traditionnelle » mexicaine. Un rôle effacé où l’entretien du foyer et la famille occupent le quotidien, où il faut rester « digne » et ne jamais faire de vague. Peu à peu, l’adolescente perd pied. Et personne ne semble s’en rendre compte, personne ne cherche à comprendre la situation invivable dans laquelle elle sombre chaque jour davantage.

Un roman d’émancipation féminine touchant. La critique de la communauté mexicaine repliée sur elle-même est aussi violente qu’argumentée et la souffrance de Julia parfaitement exprimée. Il est juste dommage que la traduction ne soit pas aussi littéraire que l’on aurait pu l’espérer (un « malgré que » m’a notamment fait saigner les yeux !). 

Je ne suis pas la fille mexicaine dont vous rêviez d’Erika L. Sanchez (traduit de l’anglais par Axelle Demoulin et Nicolas Ancion). Ellipsis, 2023. 330 pages. 18,90 euros.