mardi 15 juin 2021

Quelques secondes encore - Thomas Scotto

Alban est tombé d’un toit. Mort cérébral. Sa mère et sa sœur Anouk sont à l’hôpital, son père en déplacement professionnel. Alban avait assuré qu’il souhaitait faire don de ses organes s’il lui arrivait malheur un jour. Mais pour sa mère, la décision est trop difficile à prendre. Trop tôt. Trop vite. 

Nous sommes auprès d’Alban, dans les minutes qui suivent l’annonce du verdict des médecins. Anouk est l’unique narratrice de ce monologue bouleversant. Ses pensées naviguent entre l’insoutenable présent et les souvenirs heureux. Alban et sa passion pour la construction de meubles en palettes. Une sortie mémorable au parc d’attraction. Une tanière construite dans les bois pour jouer les fugueurs le temps de quelques heures. Des petits moments. Des trucs du quotidien. Anouk cherche les arguments pour convaincre sa mère, pour respecter la volonté de son frère. Sans la heurter, sans la brusquer. Mais du haut de ses 16 ans, elle se sent démunie à la fois face au drame et à l’urgence.  

Encaisser le choc. Être en pleine sidération. Sans déni accepter la réalité. Et au-delà ne pas pouvoir se projeter vers cette décision que le corps médical attend avec impatience. C’est là que le titre prend tout son sens. Quelques secondes encore. Du temps gagné sur la réponse impossible à donner. 

Il y a évidemment quelque chose de déchirant dans ce texte. De l’ordre de la douleur la plus violente, la plus intime, la plus insupportable. Mais on ne sombre pas pour autant dans des abysses de noirceur, on ne tire pas avec excès sur la corde lacrymale. Douceur, dignité et humanité servent de cadre au récit. Tout en retenu, les mots d’Anouk ne se laissent pas submerger par la colère ou la tristesse. Pas encore. Pas avant la fin du compte à rebours. 

Un roman à la beauté fulgurante, d’une infinie délicatesse.  

Et comme toujours avec cette collection, l'achat du livre papier offre accès à la version audio et à la version numérique via une application dédiée.

Quelques secondes encore de Thomas Scotto. Nathan, 2021. 56 pages. 8,00 euros. A partir de 15 ans.



Une sublime pépite jeunesse partagée avec Noukette





mardi 8 juin 2021

T’as vrillé - Joanne Richoux

Il pèse pas lourd, il est pas bien grand. Pompes niquées, jean large et sweat. Cheveux longs, pointes teintées en blond sur 15 centimètres. Il s’appelle Danaël parce que sa mère voulait Raphaël et son père Daniel. Il vit dans une cambrousse où l’hiver semble s’installer dix mois sur douze et sa seule passion dans la vie s’appelle Florine. Une gothique qu’il fréquente depuis quelques mois. C’est avec elle qu’il a perdu sa virginité, il l’a dans la peau sa Florine. Ce soir il file la rejoindre, masque sur le visage à cause de cette fichue pandémie. Direction leur endroit à eux. Caché. Florine l’attend, évidemment. Des jours qu’elle n’a pas bougé de là. Elle est son secret, un secret qu’il veut garder rien que pour lui.

Encore un texte coup de poing dans cette collection où chaque histoire doit se lire d’une traite, dans un souffle. Encore un monologue, voyage dans la psyché d’un ado fou amoureux. Un ado qui se livre sans filtre. Un ado qui a pour seul obsession son premier coup de foudre, celui dont on se persuade qu’il va durer toute la vie. 

Joanne Richoux joue des ambiguïtés de Danaël, elle lève le voile centimètre par centimètre pour révéler les desseins du jeune homme, pour souligner la porosité de la frontière entre l’amour et la folie. L’écriture concise et nerveuse entretient la tension, le discours passionné prend peu à peu un tournant malsain, la confession met mal à l’aise, l’angoisse monte. Un tout petit texte bluffant de maîtrise.   

T’as vrillé de Joanne Richoux. Actes sud jeunesse, 2021. 46 pages. 9,80 euros. A partir de 15 ans.



Une pépite jeunesse une nouvelle fois partagée avec Noukette






samedi 5 juin 2021

Un dernier ballon pour la route - Benjamin Dierstein

« Vous allez me goutez ça, les gars, a dit Gwenolé en remplissant nos verres, et à la couleur tourbée de son alcool j’ai eu l’espoir vain que ça pouvait être une sorte de whisky ou de rhum ambré.
J’ai avalé mon verre cul sec et j’ai aussitôt compris que ce n’était rien de tout ça, mais vraiment rien du tout. J’ai plutôt eu l’impression qu’on venait de me chier dans la bouche en m’arrosant d’essence. »

Rien de mieux que ce petit extrait pour saisir la substantifique moelle de ce roman. On y boit beaucoup, pour ne pas dire en permanence. Tout le monde lève le coude, tout le monde s’y assomme à coup de tord-boyaux. Dans le troquet de Mado on pose ses fesses sur des tabourets poussiéreux, on trempe ses lèvres dans des verres crasseux que l’on repose sur un comptoir graisseux. On y croise une faune de soiffards venus dépenser le maigre salaire péniblement gagné en se cassant le dos à l’usine. L’alcool éteint ou excite, c’est selon. Il délie les langues, désinhibe les plus timides. Quand l’ambiance s’échauffe, on finit par se foutre sur la gueule. On casse le mobilier, on crie, on jure, on s’insulte. Jusqu’à l’arrivée des gendarmes, qui sont souvent aussi bourrés que les ouvriers qu’ils viennent tabasser à coups de matraque pour ramener le calme.  

Ce roman ne dresse pas le portrait de la France d’en bas, il creuse jusqu’à la France d’en-dessous. Celle des paumés, des camés, des solitaires, des clochards célestes. Une France ou un pseudo médecin tient cabinet dans les chiottes d’un supermarché, une France où les loups rodent, où des fantômes de vaches éviscérées trainent au fond des bois, où des femmes bâties comme des armoires à glace croquent les verres à pleine dent après les avoir vidés et où les bergers peuvent se marier avec leurs chèvres. Une France de la cambrousse la plus profonde, pleine de mobile homes défraichis, « de magasins abandonnés ornés de pancartes à vendre, et de jardins remplis de ferraille rouillées et de vélos cassés. » 

Bien sûr il y a une intrigue. Fine comme du papier à cigarette, qui nous raconte les mésaventures de Freddie revenant dans son village d’enfance avec son copain Didier pour se faire embaucher par une maman désespérée, persuadée que son gamin a été enlevé par des hippies. 

Mais l’intrigue, on s’en fiche. Ce qui compte, c’est l’excès. Partout, tout le temps. Excès d’alcool, de personnages incroyables, de scènes improbables, de dialogues lunaires, de mélancolie, d’humour noir, de violence pure et d’odeurs immondes. Ce qui compte, c’est de se régaler d’un western rural délirant et sans temps mort. Ce qui compte, c’est d’être dans le brut de décoffrage, plus cinglant qu’un coup de trique sur les fesses blanches et crémeuses d’une fille de joie, plus abrasif qu’une ponceuse industrielle décapant le vernis d’un parquet en chêne. Ce qui compte, c’est d’avoir l’impression d’assister à un plan à trois entre Bukowski, Harry Crews et Jim Thompson. Ce qui compte, c’est d’avoir trouvé tout ce que j’aime en somme.

Un dernier ballon pour la route de Benjamin Dierstein. Les Arènes, 2021. 408 pages. 20,00 euros.

PS : âmes sensibles et vertueuses s’abstenir. Plutôt deux fois qu’une.    





mardi 1 juin 2021

Si tu avances - Cathy Ytak

Avant son entrée en première, Katja profite des vacances d’été pour se rapprocher du beau Quentin, dont elle est folle amoureuse. Avec l’autorisation de ses parents, elle va rejoindre le jeune homme en Provence, sur un chantier où des bénévoles participent à la préservation du patrimoine local en reconstruisant des murs de pierres sèches. Las, une fois sur place, les désillusions s’accumulent. La chaleur est infernale, le travail harassant, la promiscuité difficile à supporter et surtout Quentin la rejettent violemment. Désespérée, Katja s’enfuit seule, en pleine nuit, au bord d’un ravin…

Encore une belle surprise de la collection Court Toujours dont les textes concis et percutants ne cessent de me séduire. Il faut dire qu’avec Cathy Ytak à la manœuvre, je partais confiant. J’ai retrouvé avec plaisir son infinie tendresse pour chacun de ses personnages, sa façon bien à elle de les bousculer, de leur faire toucher le fond avant de les ramener vers la surface. Katja souffre du rejet de Quentin mais après avoir compris que l’on « ne peut pas obliger quelqu’un à vous aimer », elle se décide à aller de l’avant, aidée par de nouveaux amis dont elle découvre la prévenance et la gentillesse.

Un petit roman pétri de bienveillance et d’humanité, positif et lumineux.

Et comme toujours avec cette collection, l'achat du livre papier offre accès à la version audio et à la version numérique via une application dédiée.

Si tu avances de Cathy Ytak. Nathan, 2021. 64 pages. 8,00 euros. A partir de 15 ans.



Encore une pépite jeunesse partagée avec Noukette






dimanche 30 mai 2021

La rivière en hiver - Rick Bass

Chez Rick Bass on est chasseur d’élan, plongeur sous la glace d’une rivière en hiver ou bucheron alcoolique et sans emploi filant tout droit vers la banqueroute. On peut aussi racheter des terres pétrolifères à des familles sans le sou, s’offrir un road trip à travers le Montana de Missoula à Yellowstone, coacher avec passion l’équipe féminine de basket d’un trou paumé ou s’en aller couper un sapin en pleine forêt la veille de Noël. Chez Rick Bass on vit au grand air, dans des régions isolées. On a des rapports compliqués avec ses semblables et on est du genre solitaire. Surtout, on a un lien à la nature aussi rude que respectueux. Cette dernière n’est d’ailleurs jamais douce et bienveillante, elle n’est pas là pour jouer la muse des poètes fleur bleue et c’est tant mieux. 

Rien de romantique ni de bucolique à attendre de ces nouvelles débordant de nature writting mais rien de gratuitement démonstratif non plus. Ici la violence est sourde, la douleur rentrée, le danger latent ne se transforme pas automatiquement en drame. Tout en subtilité, parfois contemplative, la narration presque dépourvue de dialogues joue de l’alternance du calme et de la tension pour décrire un environnement âpre qui peut se révéler tour à tour cruel ou généreux. 

Un recueil de nouvelles ciselé, sans emphase ni lyrisme malvenu, qui va à l’essentiel, droit au but, et qui touche en plein cœur. Décidément, Rick Bass est un merveilleux styliste.

La rivière en hiver de Rick Bass (traduit de l’anglais par Brice Matthieussent). Christian Bourgois éditeur, 2020. 220 pages. 20,50 euros.



Un billet qui signe ma seconde participation au challenge
Mai en nouvelles d'Electra et Marie-Claude











mardi 18 mai 2021

Le journal de Gurty T9 : La revanche de Tête de Fesses - Bertrand Santini

Un joli mois de mai s’annonce pour Gurty lorsqu’elle descend du train en gare d’Aix-en-Provence. Le soleil, la maison de vacances de son maître, les retrouvailles avec sa copine Fleur, avant le coup tout semble parfait. Impossible de se douter que le séjour va virer au cauchemar. La première mauvaise surprise est violente. Trouver son pire ennemi le chat Tête de Fesses confortablement installé dans son panier est un énorme choc pour la petite chienne. Entendre ensuite celui-ci annoncer qu’il vient d’être papa et que ses rejetons vont débarquer avec leur mère est une seconde mauvaise surprise encore bien pire que la première. Surtout que Tête de Fesses a l’intention de faire de sa progéniture une horde de guerriers sanguinaires. Autant dire que pour Gurty et Fleur, l’overdose de chats va être difficile à supporter !

Le risque de lassitude est grand quand une série de romans arrive au 9ème tome. Surtout quand l’action se passe toujours au même endroit et toujours avec les mêmes protagonistes. Pourquoi n’est-ce pas le cas avec Gurty ? Parce que Bertrand Santini renouvelle sans cesse le comique de situation et que ses dialogues à l’humour souvent absurde font mouche à chaque fois. Sans parler de ses trouvailles graphiques si expressives ou de sa capacité à aborder entre les lignes des sujets bien plus sérieux que son intrigue ne le laisser supposer de prime abord (ici, entre autres, le machisme et l’assurance fort malvenue du mâle bien trop sûr de sa supériorité sur la gente féminine).

Au final le plaisir de suivre les aventures de Gurty et de ses acolytes ne faiblit pas le moins du monde. Comme une bande de copains que l’on apprécie de retrouver et avec laquelle on sait que l’on va passer des moments de franche de rigolade sans se prendre la tête. Et comme d’habitude on tourne la dernière page en pensant vivement la suite !

Le journal de Gurty T9 : La revanche de Tête de Fesses de Bertrand Santini. 240 pages. 10,90 euros. A partir de 8 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette







jeudi 13 mai 2021

Sortie parc, gare d’Ueno - Miri Yu

A la mort de sa femme, sa petite fille est venue à la maison pour s’occuper de lui. Mais il n’a pas supporté d’être un fardeau, un poids inutile pourrissant la vie de ses proches. Alors un jour il a quitté Fukushima en prenant le train pour Tokyo sans prévenir personne, avec un maigre bagage et quelques sous en poche. Et après avoir dormi pour la première fois de sa vie à la belle étoile, il est devenu un SDF sexagénaire, sous une tente de fortune, dans le parc d’Ueno.

Il raconte les jours mornes, les magazines ramassés ici où là et revendus pour quelques pièces à des soldeurs. Il raconte le froid mordant de l’hiver, la pluie incessante du printemps et la chaleur étouffante de l’été. Il raconte les jours particuliers où un membre de la famille impériale doit venir dans le parc. Ces jours-là les SDF ont l’obligation de démonter leurs abris, de faire place nette et d’attendre la fin de la visite pour s’installer à nouveau. Il raconte ses années de labeur sur les chantiers à travers le Japon. Des années loin des siens avant une retraite bien méritée dont il aura peu profité. Il raconte le décès de son fils dans son sommeil alors qu’il n’avait que 21 ans et un brillant avenir devant lui. Sans jamais s’apitoyer, il raconte une vie qui ne l’aura pas épargné. Au-delà de son propre cas, il parle aussi de ses compagnons d’infortune. De la violence, de la misère, du regard méprisant d’une société qui voudrait faire d’eux des invisibles. 

Le désespoir ne prend pas ici la couleur de la colère, il s’exprime plutôt dans une forme de résignation tout en retenue. La douleur se drape dans les habits de la dignité, le narrateur semble murmurer son histoire, comme pour ne pas déranger. C’est beau, c’est triste, c’est cruel, ça ressemble à la vie dans ce qu’elle a de plus dur à offrir. Un court roman poignant et pétri d’humanité. 

Sortie parc, gare d’Ueno de Miri Yu (traduit du japonais par Sophie Refle). Actes Sud, 2015. 170 pages. 16,80 euros.





mardi 11 mai 2021

Mon grand frère - Thierry Radière

Maturin adore son grand frère Victor. Ils ont beau avoir sept ans d’écart, ils sont très proches l’un de l’autre. Victor va bientôt fêter ses 18 ans. Et alors que le bac s’annonce, l’atmosphère à la maison ne cesse de se dégrader entre le fils aîné et son père. Passionné de musique, Victor passe ses week-ends à jouer du rock avec ses copains. Pensionnaire la semaine, il sèche les cours et cumule les mauvaises notes. Sa mère lui trouve toujours des excuses mais son père est impitoyable avec lui. Et Maturin regarde la situation empirer sans pouvoir intervenir. Il voudrait pourtant vivre dans une famille où règne l’harmonie et la joie de vivre mais que peut-il faire du haut de ses onze ans pour résoudre un conflit semblant sans issue ? 

Il est tellement touchant Maturin ! A la fois sensible et impuissant devant le naufrage de la relation entre son père et son frère. Lucide aussi, se doutant bien que rien n’y fera tant que leurs préoccupations respectives resteront aussi éloignées, tant qu’aucun des deux ne souhaitera faire un pas vers l’autre pour apaiser la situation.

Thierry Radière dresse le portrait d’une famille assise sur une poudrière. Jamais il ne force le trait pour mettre en musique sa partition entre un grand ado bientôt adulte un poil branleur, un père psychorigide, une mère qui ne veut jamais prendre parti et un petit frère déboussolé devant le désastre en cours. On voir venir de loin la conclusion de l’histoire : bien sûr qu’il va l’avoir son bac, bien sûr qu’au final tout va rentrer dans l’ordre, bien sûr qu’une happy end est la seule issue possible. Sauf que. Ce n’est pas si simple. Pas si simpliste. C’est même beaucoup plus complexe. Et tellement plus réaliste. J’avoue, je ne m’y attendais pas. Et en ce qui me concerne cette fin surprenante m’a beaucoup plu.

Mon grand frère de Thierry Radière. Magnard jeunesse, 2020. 140 pages. 13,50 euros. A partir de 13 ans.


Une pépite jeunesse comme toujours partagée avec Noukette






samedi 8 mai 2021

Sois sage, bordel ! - Stina Stoor

Il y Asa qui s’est enfoncée dans la vase jusqu’à la poitrine et qui attend que sa sœur vienne la sortir de là.

Il y a ce père absent qui est venu offrir un lingot d’or à sa fille.

Il y a Eleonora qui se transforme en ours.

Il y a cette fête d’anniversaire où Sandra va offrir à son petit camarade de classe un crapaud vivant. 

Il y a celui qui devient l’amant de celle qui a 20 ans de moins que lui.

Il y a le papa et la maman de sa copine Fresia qui vont bientôt déménager et qu’elle aimerait tant avoir comme parents.

Il y a celui qui descend au fond du puits pour grignoter la terre à pleines dents. 

Il y a ce jour d’enterrement, dans l’église. C’est papi que l’on vient saluer une dernière fois. Pour l’occasion la grand-mère a été sortie de l’hospice, la tante de l’asile, le gendre et le petit fils ont enfilé des vêtements trop grands et des chaussures trop petites. Au fond sur un banc se trouve la « dulcinée », la maîtresse de papi. C’est dans son lit qu’on a trouvé le corps. Mort d’épuisement. Ou d’excitation.

Il y a celle qui n’est pas d’ici, « pièce rapportée » qu’un homme a choisi par défaut après le décès de l’amour de sa vie.

Il y a dans ces neuf nouvelles des maisons isolées, des vieilles bagnoles rouillées, des enfants paumés, des pères dépassés, des familles dysfonctionnelles, de l’alcool, de la crasse et de la misère. Il y a un environnement rude, une nature belle et dangereuse, des rapports humains distants, un monde sans pitié.   

Il y a finalement dans ces neuf nouvelles des thématiques proches du quotidien de Stina Stoor, un météore qui a traversé le ciel littéraire suédois en 2015. Née en 1982 dans un minuscule village du nord du pays situé dans une immense réserve naturelle, elle a grandi dans une ambiance familiale déplorable. Après une scolarité calamiteuse, des fugues à répétition et l’apparition de troubles psychiatriques, elle s’est retrouvée à 25 ans avec une pension d’invalidité comme seule source de revenus. 

Avec un tel passé, deux enfants en bas âge, un mari dépressif et un père frappé de démence, on se demande comment elle est parvenue à produire un recueil aussi solidement charpenté, acclamé dans son pays au point d’être sélectionné pour l’équivalent du Goncourt suédois. Une forme de miracle qu’elle ne souhaite pas renouveler puisqu’elle a annoncé peu après la publication de son livre qu’elle arrêtait d’écrire. Espérons qu’elle change d’avis un jour.

Sois sage, bordel ! de Stina Stoor (traduit du suédois sous la direction d’Elena Balzamo). Marie Barbier éditions, 2021.  150 pages. 12,00 euros.



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Mai en nouvelles d'Electra et Marie-Claude






mercredi 28 avril 2021

Celestia - Manuele Fior

Pas un mot sur la 4ème de couv. Pas le moindre résumé à l’intérieur du bouquin. Aucune pagination, pas de chapitres. Une couverture aussi énigmatique que le reste avec deux personnages marchant sur l’eau au milieu de nulle part. Bienvenue dans l’album le plus étrange que j’ai lu depuis des années. On est à Celestia, une île apparemment. Une île qui ressemble à une Venise à l’abandon, une île presque vide, avec quelques habitants masqués, inquiétants. Et d’autres sans masques, beaucoup plus rares. Parmi eux, Pierrot et Dora. L’homme et la femme de la couverture. Ils ont des pouvoirs de télépathie. Ils cherchent à échapper à on ne sait trop qui. Le père de Pierrot voudrait à tout prix mettre la main sur Dora. Dans quel but ? Aucune idée.

Celestia était reliée au continent par un pont. Ce pont, un groupuscule l’a fait sauter pour se protéger de l’invasion. Quelle invasion ? Aucune idée. A un moment, Pierrot et Dora s’enfuient, en bateau. Ils accostent près d’un château occupé par un gardien, la propriétaire et le fils de cette dernière. Ils vivent reclus, se sentent en sécurité, affirment qu’ils n’ont pas peur. Peur de quoi ? Aucune idée.

Quand Pierrot et Dora ont quitté Celestia, j’ai eu l’impression de tenir un truc. Le début de quelque chose de compréhensible. Mais quand le gamin de la proprio, du haut de ses 3 ans, leur a proposé de monter en voiture et de les conduire vers une destination inconnue, j’ai à nouveau perdu pied. Je ne vais pas aller plus loin dans ce résumé décousu, il dit la difficulté de trouver ses marques dans cette histoire dépourvue du moindre repère pour le lecteur. Un lecteur à qui il ne reste pas trente-six options après avoir entamé l’album. Première option : l’abandon. Deuxième option : s’accrocher et chercher absolument à comprendre. Dernière option : se laisse porter, naviguer à vue, accepter le côté irrationnel et se dire qu’on est face à une proposition intellectuelle et artistique difficilement cernable, dans son intégralité en tout cas.

C’est cette dernière option qui s’est imposée à moi au fil des pages. Ok j’ai pas tout compris. Pour être honnête j’ai peut-être même rien compris. Mais le voyage auprès de Pierrot et Dora n’a pas pour autant été désagréable. L’atmosphère vaporeuse, l’ambiance onirique et souvent contemplative, la luminosité du dessin… il se dégage de l’ensemble un charme presque envoutant et assez inexplicable. Impossible de dire si j’ai aimé ou pas, impossible de le recommander à qui que ce soit mais au final impossible de ne pas reconnaître que j’ai vécu une sacrée expérience de lecture.      

Celestia de Manuele Fior. Atrabile, 2020. 272 pages. 30,00 euros.




Les BD de la semaine sont chez Noukette