mercredi 20 juillet 2022

L’Odyssée de Pénélope - Margaret Atwood

« Parvenue à ce stade de mon récit, je me sens l’obligation de faire le point sur les calomnies dont je fais l’objet depuis quelque deux ou trois mille ans. Toutes ces histoires sont totalement fausses. »

On l’a prise pour une cruche, Pénélope. Un modèle de probité doublée d’un exemple de fidélité. La sagesse incarnée, une oie blanche attendant patiemment le retour de son homme en brodant un linceul pour repousser les nombreux prétendants voulant la culbuter. Mère et femme dévouée, elle n’a pas reconnu son époux quand il est revenu à Ithaque sous les traits d’un mendiant. Il a dû lui prouver que c’était bien lui grâce à une anecdote qu’il était le seul à connaître. Une vraie cruche on vous dit.

Mais si cette femme n’était finalement pas aussi naïve qu’Homère et bien d’autres ont toujours voulu nous le faire croire ? Margaret Atwood en brosse un tout autre portrait et réécrit son histoire. Elle fait d’elle un fantôme, une victime de féminicide : Ulysse l’aurait pendue avec ses douze servantes, l’accusant de l’avoir trahi. C’est donc de l’au-delà qu’elle nous raconte sa version des faits. Elle n’a jamais été dupe. Elle a vite compris le danger que pouvait représenter pour elle son fils Télémaque, comme elle a tout de suite compris que sa belle-mère ne lui ferait aucun cadeau. Et le retour d’Ulysse ? Bien sûr qu’elle l’avait reconnu au premier coup d’œil, c’est uniquement par ruse qu’elle a joué le jeu. « Dans les chants, on raconte que je n’avais rien remarqué : la déesse Athéna m’aurait distraite. Si vous croyez pareille chimère, on peut vous faire avaler n’importe quoi. »

Sa parole résonne avec force, montre que sa naïveté n’était que de façade, pour mieux tromper les hommes qui n’ont cessé de lui tourner autour, « un groupe d’usurpateurs barbares, adorateurs des dieux masculins, aux visées patriarcales ». Elle est mordante Pénélope, parfois ironique, toujours lucide : « il est toujours imprudent de s’interposer entre un homme et l’idée qu’il se fait de sa propre intelligence. »

Un récit féministe qui offre une relecture culottée, moderne, et qui joue son parfait rôle de contrepoids face à une Odyssée « par trop commode, par trop flatteuse pour l’orgueil masculin », comme l’écrit Christophe Ono-dit-Biot dans la préface. 

L’Odyssée de Pénélope de Margaret Atwood. Robert Laffont, 2022. 190 pages. 8,50 euros.





dimanche 17 juillet 2022

Lucien - Stéphane Sénégas et Guillaume Carayol

Lucien est un simple. Un simple d’esprit diront certains, à la parole rare et pas toujours compréhensible. Un homme qui agit sans calcul, qui prend les choses comme elles viennent, un homme au quotidien réglé comme du papier à musique. Un solitaire un peu poète, balayeur de son état, artiste du ramassage de feuilles mortes. Un colosse aux pieds d’argile dont on se moque facilement. Lucien est pour beaucoup l’idiot du village. Mais derrière son côté bon enfant s’exprime parfois une certaine noirceur, une pointe de violence, de réactions impulsives et difficilement maîtrisables. Pas si facile à cerner le Lucien finalement. Mais facile à accuser quand les circonstances font de lui le coupable idéal…

Il est beau cet album. Visuellement d’abord. Son noir et blanc intense, le trait magique de Stéphane Sénégas, sa maîtrise du rythme, des silences, des petits riens qui en disent bien plus que les démonstrations techniques. Il est beau par son propos aussi. Par tous ces sentiments qu’il fait naître chez le lecteur. La tristesse, la colère, l’indignation, l’espoir. Et pour finir, quelle galerie de personnages secondaires : Paul, M’sieur Raymond l’épicier, Maria la fleuriste, sa sœur Carmen et Kadeg le « promoteur. Tous attachants, même les plus méprisables de prime abord. 

Un album navigant sans cesse entre ombre et lumière, entre douceur et fureur, entre petits moments de bonheur et gros coups durs. Ça ressemble à une vie, c’est plein d’amitié, d’amour, de trahison, de douleur et d’injustice. C’est tout simplement humain et ça fait un bien fou !

Lucien de Stéphane Sénégas et Guillaume Carayol. Delcourt, 2022. 264 pages. 24,95 euros.






mercredi 13 juillet 2022

Le silence des vaincues - Pat Barker

Le monde de Briséis s’écroule le jour où les Grecs franchissent les portes de sa cité. Reine de Lyrnessos, cette noble troyenne voit mourir sous ses yeux son mari et ses frères pendant le saccage de la ville. Amenée de force dans le camp ennemi, elle devient l’esclave du grand Achille et va devenir malgré elle un élément central du basculement de la guerre.

Le chant d’Achille m’avait permis de découvrir le personnage de Briséis, femme adorée et protégée par Patrocle, le compagnon d’Achille. Ici l’histoire est racontée de son point de vue. A travers elle, c’est la voix des vaincues qui s’exprime, la voix des invisibles juste bonnes à laver, cuisiner, servir le vin et ouvrir les cuisses pour leurs maîtres. Elle dit la terreur de vivre au milieu de ces hommes d’une violence sans limite, l’absence de considération dont ils font preuve pour des prises de guerre remplaçables et corvéables à merci, le tiraillement permanent entre l’envie d’en finir et la volonté de vivre pour pouvoir raconter son histoire et celle de ses sœurs de douleur et de chagrin.

L’idée est bonne et son traitement intéressant, notamment le portrait d’Achille, bien moins positif et reluisant que dans le roman à sa gloire de Madeline Miller. Malheureusement, en plus de quelques longueurs inutiles, le gros problème se situe au niveau de l’écriture. En se voulant moderne, cette dernière tombe dans une forme de caricature et d’anachronisme malvenus. Les dialogues tournent trop souvent au ridicule à coup de « bien fait pour sa gueule », de « pourquoi risquer ma vie […] pour ce tas de merde » ou encore de « qu’il aille se faire foutre ». Quelques exemples parmi tant d’autres qui gâchent le plaisir de lecture d’un texte d’inspiration au demeurant fort classique qui aurait mérité un ton à l’évidence plus soutenu.

Le propos n’en reste pas moins original sur le fond, notamment cette vision de la condition féminine rarement mise avant dans les récits sur la Guerre de Troie, mais sur la forme, rien à faire, je n’y ai pas trouvé mon compte et ce Silence des vaincues souffre de la comparaison face au souffle épique et bien plus littéraire du Chant d’Achille.

Le silence des vaincues de Pat Barker (traduit de l’anglais par Laurent Bury). J’ai Lu, 2022. 445 pages. 8,30 euros.





samedi 9 juillet 2022

Le chant d’Achille - Madeline Miller

Lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois, ils ne sont que des enfants que tout oppose. Patrocle, prince exilé par son père suite à un crime commis « malgré lui », est un garçon chétif et sans confiance en lui. Achille, fils du roi de Phthie et d’une nymphe marine, est beau, fort, valeureux et promis à la gloire. Inséparables, irrésistiblement attirés l’un par l’autre, ils vont transformer leur indéfectible amitié en un amour absolu. Et lorsqu’en répondant à l’appel d’Agamemnon Achille se joint à l’armée grecque en route pour le siège de Troie, son compagnon le suit de mauvais cœur, persuadé que cette guerre leur sera fatale à tous les deux. 

Les oracles ont prédit que Troie ne pourra tomber sans la participation d’Achille, mais ils ont également révélé que le héros grec ne survivra pas à la mort d'Hector, fils du le roi troyen Priam. Conscients que cette prophétie se réalisera à un moment ou à un autre, Achille et Patrocle vivent leur amour sans savoir comment les événements vont s’enchaîner jusqu’à la funeste et inéluctable conclusion.     

Tout cela est évidemment hyper romancé mais ça fonctionne. Même si la relation fusionnelle des deux amants domine tout le reste, même si on connait d’avance la fin de l’histoire, l’impatience de savoir comment les faits vont être racontés prend le pas sur le manque de suspens. Madeline Miller restitue à merveille l’intensité dramatique des derniers combats, tout autant que l’implacable volonté de vengeance qui conduira Achille à sa perte.  

Entre l’orgueil du héros, l’interventionnisme de sa mère surprotectrice, les ruses d’Ulysse, la cruauté d’Agamemnon et l’humanité de Patrocle, chaque personnage est incarné et participe au souffle d’épopée qui traverse en permanence le récit. 

Franchement, difficile de ne pas avoir envie de replonger dans l’œuvre d’Homère après une telle lecture !

Le chant d’Achille de Madeline Miller (traduit de l'anglais par Christine Auché). Pocket, 2015. 470 pages. 8,10 euros.





mardi 5 juillet 2022

Je ne dirai pas le mot - Madeleine Assas

Jamais elle ne dira le mot. Jamais elle ne lui écrira. Elle le connaît depuis l’enfance, ils habitent le même immeuble et ont grandi ensemble. Une proximité qui n’aide pas à se livrer en toute sincérité. Des mois qu’elle voudrait lui rédiger une lettre pour tout lui avouer. Une lettre oui, pas un SMS, pas un mail ou un message vocal. Une vraie lettre avec des phrases à coucher sur le papier. Une lettre qu’elle ne cesse de réécrire. Une lettre dans laquelle elle voudrait aller à l’essentiel, sans vraiment savoir comment s’y prendre. « Aller à l’essentiel ? Mais c’est quoi l’essentiel ? Il me faudrait cent pages, mille pages pour le dire. Ou deux mots ».

Un texte à part dans cette collection d’habitude encline à proposer des monologues pesants à la rage rarement contenue. Ici ni drame ni colère sourde, juste une ado amoureuse qui cherche le courage d’avouer ses sentiments. C’est à la fois frais et naïf, sans tomber dans le cucul la praline. Les doutes, le manque de confiance en soi, la peur de se faire rejeter et de tout gâcher sont exprimés avec une touchante simplicité. En quatre mots : ça fait du bien !

Je ne dirai pas le mot de Madeleine Assas. Actes Sud Junior, 2022. 60 pages. 10,50 euros. A partir de 12 ans.


Un dernier billet en solitaire pour conclure cette saison de pépites jeunesse d’une grande irrégularité
mais on vous promet un retour à davantage de régularité pour la rentrée !






samedi 2 juillet 2022

Comme une chaleur de feu de camp - Amélie Panneton

Emmanuelle n’a pas confiance en elle. A part en natation où elle excelle, cette ado timide et discrète passe inaperçue. Elle ne se sent pas à l’aise parmi les filles de sa classe, elle préfère le silence aux papotages dont elle se sent exclue. Et avec les garçons, c’est la cata ! Elle rougit dès qu’on lui adresse la parole et est trop mal dans sa peau pour s’imaginer être digne d’intérêt. Du moins jusqu’au jour où Thomas, son nouveau voisin, vient frapper à la porte de la maison familiale pour lui demander les horaires du ramassage scolaire. Avec Thomas les choses vont être différentes, le rapprochement sonne comme une évidence. Mais quand Emmanuelle surprend l’assistant de l’entraîneur de natation tentant d’abuser d’une jeune fille dans les vestiaires et qu’elle intervient pour le repousser, son monde bascule. L’incident va bouleverser son quotidien. Et pas uniquement parce que l’agresseur est le frère de Thomas.

Un petit lexique franco-québécois ne serait parfois pas de trop pour saisir certains dialogues mais au-delà de ses spécificités linguistiques, ce roman pour grands ados brosse le portrait réaliste d’une lycéenne basculant du monde de l’enfance vers celui des adultes, tant au niveau amoureux qu’à travers l’événement traumatisant auquel elle a assisté et pris part malgré elle.

L’histoire d’amour prend le pas sur tous les autres thèmes abordés, créant un déséquilibre qui ne permet pas de creuser en profondeur des sujets qui auraient gagné à être davantage développés comme les relations amicales toxiques ou encore l’agression sexuelle et ses conséquences. L’ensemble se révèle donc au final un peu bancal mais la lecture reste agréable de bout en bout, c’est l’essentiel.

Comme une chaleur de feu de camp d’Amélie Panneton. Alice éditions, 2020. 250 pages. 13,00 euros. A partir de 14 ans







mercredi 29 juin 2022

Pablo : l’intégrale - Julie Birmant et Clément Oubrerie

Le petit Pablo d’avant le grand Picasso, c’est un jeune andalou court sur pattes qui découvre la France à 19 ans au moment de l’exposition universelle de 1900. Avec sa bande de copains et quelques muses rencontrées sur les bords de Seine, Pablo tire le diable par la queue dans des chambres de bonnes crasseuses. Indéfectible optimiste, il connaît un premier succès en 1901 lorsque ses œuvres sont exposées dans une galerie prestigieuse. Mais sous l’influence du poète Max Jacob, Picasso radicalise son œuvre et s’écarte volontairement des standards commerciaux, quitte à se retrouver sans le sou. Artiste maudit, il est hébergé quelques temps chez Jacob avant de retourner à Barcelone. Entre Paris et l’Espagne, on découvre à travers Picasso toute la fièvre créatrice de l’époque, dans un Montmartre où se côtoient Cézanne, Apollinaire, Matisse, le Douanier Rousseau et tant d’autres « célébrités ».


La folie et le génie de l’artiste sont racontées par Fernande. Celle qui fut à la fois l’amante, le modèle et la victime du peintre porte sur lui un regard distancié et critique qui ne cède jamais à l’idolâtrie. Adulée, rejetée, séquestrée, malmenée, cette femme amoureuse restera jusqu’au bout le soutien indéfectible d’un homme sombrant peu à peu dans une violence picturale symbole de son esprit torturé.

Graphiquement, Clément Oubrerie a d’abord choisi de travailler au fusain sur de grands formats (chaque case est réalisée individuellement dans un format A4 !) avant d’ajouter l’encrage et l’aquarelle. Le résultat est superbe et surtout le dessinateur a su retranscrire à merveille le Paris du tout début du 20ème siècle.

350 pages pour retracer sept années (1900-1907) d’une fulgurante évolution artistique. Et 350 pages qui, au final, rendent davantage hommage à une femme remarquable qu’à son célébrissime compagnon.

Pablo : l’intégrale de Julie Birmant et Clément Oubrerie. Dargaud, 2022. 350 pages. 9,50 euros.


PS : Un mot sur cette édition que Dargaud propose dans le cadre d’une opération estivale intitulée « Emportez vos BD partout ». Une intégrale petit format (21x15 cm) à tout petit prix (moins de dix euros), en voilà une excellente idée. Une telle version de poche avec couverture brochée est parfaite à glisser dans un sac où une valise. Gros bémol cependant, le papier est un poil trop rigide et ce pavé de 350 pages doit s’ouvrir en grand pour déchiffrer les textes placés au bord de la pliure centrale, ce qui va inévitablement provoquer quelques « cassures » sur le dos de l’ouvrage. Sans compter que la reliure semble bien trop légère en colle, ce qui signifie qu’en l’ouvrant trop grand, on risque de se retrouver avec des pages volantes. Bref, l’idée est excellente mais l’objet-livre est à la fois fragile et peu pratique à manipuler. 




Les BD de la semaine sont à découvrir chez Moka





mercredi 22 juin 2022

Les saisons et les jours - Caroline Miller

Incroyable destin que celui de ce premier roman publié en 1933 et qui remporta le prix Pulitzer 1934. Rédigé par une Géorgienne totalement inconnue, Les saisons et les jours reçut un accueil enthousiaste, tant au niveau régional que national. A tel point que devant un tel succès, l’éditeur Harold Latham rechercha d’autres œuvres « du Sud » afin de surfer sur la vague. C’est ainsi qu’il se décida à publier l’ouvrage de Margaret Mitchell qui allait devenir le prix Pulitzer 1937 : Autant en emporte le vent. Ce dernier éclipsa rapidement Les saisons et les jours, qui restera quand même LE best-seller de l’année 1934 et qui a été réimprimé une quarantaine de fois depuis sa première édition. En France, l’ouvrage a été publié dès 1935 sous le titre « Colons en Géorgie » dans une version abrégée. Belfond propose ici le texte intégral dans une nouvelle traduction.

Contrairement à Autant en emporte le vent, Les saisons et les jours ne s’intéresse pas aux riches planteurs de la côte mais se focalise sur les fermiers du Sud profond d’avant la Guerre de Sécession. Des familles trop pauvres pour posséder un esclave qui tentent juste de survivre dans un environnement difficile. Saga familiale centrée sur le personnage de Cean Smith, jeune fille mariée à l’adolescence que l’on suit pendant des dizaines d’années, le roman dresse le plus fidèlement possible le portrait d’une époque. Cean aura en tout quinze enfants et deux maris. Une femme remarquable, totalement accaparée par la vie domestique, épuisée par les grossesses à répétition et qui ne sera pas épargnée par les drames. Autour de Cean et de son clan, Caroline Miller évoque le plus scrupuleusement possible l’existence de ces pionniers marquée par la succession des saisons, des semailles, des récoltes, des naissances et des deuils. Un travail presque ethnologique transcendé par une écriture proche du naturalisme. Entre le roman régionaliste et le Nature Writing, Les saisons et les jours relate à travers Cean et les siens une vie quotidienne fruste et répétitive, sans véritable horizon.  

Malgré quelques longueurs, des références religieuses parfois envahissantes et des passages fleurant bon La petite maison dans la prairie, ce texte fleuve vaut surtout pour son beau portrait de femme, en parfaite symbiose avec son époque et son statut : « Maintenant, elle avait compris : ce monde avait été créé pour que les êtres humains y fassent leur devoir et prouvent qu’ils n’étaient pas des brutes. Il fallait qu’elle fasse son devoir, qu’elle donne la vie continûment, lave, s’occupe du bébé jusqu’à ce qu’il marche, puis en ait un autre. Pourtant, elle ne l’acceptait pas sans rechigner, même si elle se taisait et faisait son devoir. » 

Les saisons et les jours, de Caroline Miller. Belfond, 2022. 438 pages. 14,00 euros.





mercredi 27 avril 2022

L’île aux femmes - Zanzim

1915. Céleste Bompard, un as de la voltige aérienne, est chargé par l'armée d'acheminer le courrier du front. Lorsque son avion s'abîme en mer, ce bellâtre trouve refuge sur une île perdue peuplée d'amazones tout sauf accueillantes, même pour un Don Juan dans son genre. Ramené pieds et poings liés à leur campement, l'aviateur échappe de peu au lynchage et devient un esclave relégué aux corvées de lessives et de repas.

Pour le pauvre Céleste, les conditions de détention sont un supplice et le fantasme typiquement masculin du coq de basse-cour est en permanence mis à mal. Difficile de réfréner ses pulsions et de contrôler une libido soumise aux tentations permanentes. Difficile d’être traité comme un moins que rien par ces dames quand on est un séducteur sûr de son charme.


De cette frustration naissent des situations aussi périlleuses que cocasses. Ici le sexe fort n'est pas celui que l'on croit et c'est tant mieux. Le propos se veut féministe, l’humour est grinçant et les clichés des relations hommes-femmes sont passés à la moulinette avec une franche délectation. Et puis le trait n'est pas forcé, il n'y a rien de vulgaire, c'est vraiment savoureux 

Un récit léger au graphisme élégant et un peu désuet. Céleste le dandy dépité est plus sensible qu’il n’y paraît tandis que les femmes à poigne qui lui mènent la vie dure ne s’en laissent pas conter. La fin réserve quant à elle une surprise inattendue, presque touchante, qui clôt l’album en beauté.

L’île aux femmes de Zanzim. Glénat, 2021. 96 pages. 20,00 euros.




Toutes les BD de la semaine sont chez Noukette



mardi 15 mars 2022

Au poil - Sophie Adriansen

Salomé, quinze ans, est plus préoccupée par ses révisions pour le brevet des collèges que par les poils qui colonisent ses jambes et ses aisselles. Pour sa mère par contre, les problèmes pilaires ne sont pas à prendre à la légère et ils doivent se régler chez l’esthéticienne. Le rendez-vous est pris, et Salomé s’y présente sans imaginer ce qui l’attend. Au final, l’expérience s’avère aussi douloureuse que traumatisante, à tel point point que la jeune fille en ressort avec une certitude : plus jamais ça ! 

Un texte court, plein de fraîcheur et de bonne humeur, qui aborde la question des injonctions « esthétiques » et la difficulté à assumer ses poils dans une société qui prône leur disparition. Le propos est engagé mais respecte les différents points de vue, le cheminement réflexif de Salomé sur la question étant progressif et se révélant frappé du bon sens. Bien sûr Sophie Adriansen n’occulte pas les jugements négatifs et autres moqueries que doit subir la collégienne, bien sûr elle souligne à quel point le fait de passer outre le regard des autres n’est pas une formalité, surtout à l’adolescence. Mais sa narratrice analyse avec pertinence et sans dramatiser à outrance son rapport au corps et aux normes de beauté. Au final, elle défend ses convictions avec une assurance qui force le respect.     

Ne cherchez pas ici de démonstration excessive anti-épilation, le sujet est traité avec une forme de légèreté qui permet de renforcer le propos. Le choix individuel de Salomé n’est pas à prendre comme une invitation militante à suivre ses traces, même si sa prise de position encourage fortement à la réflexion sur une thématique moins anecdotique qu’il n’y paraît.

Au poil de Sophie Adriansen. Magnard jeunesse, 2022. 80 pages. 8,90 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle pépite partagée avec Noukette