Le chant d’Achille m’avait permis de découvrir le personnage de Briséis, femme adorée et protégée par Patrocle, le compagnon d’Achille. Ici l’histoire est racontée de son point de vue. A travers elle, c’est la voix des vaincues qui s’exprime, la voix des invisibles juste bonnes à laver, cuisiner, servir le vin et ouvrir les cuisses pour leurs maîtres. Elle dit la terreur de vivre au milieu de ces hommes d’une violence sans limite, l’absence de considération dont ils font preuve pour des prises de guerre remplaçables et corvéables à merci, le tiraillement permanent entre l’envie d’en finir et la volonté de vivre pour pouvoir raconter son histoire et celle de ses sœurs de douleur et de chagrin.
L’idée est bonne et son traitement intéressant, notamment le portrait d’Achille, bien moins positif et reluisant que dans le roman à sa gloire de Madeline Miller. Malheureusement, en plus de quelques longueurs inutiles, le gros problème se situe au niveau de l’écriture. En se voulant moderne, cette dernière tombe dans une forme de caricature et d’anachronisme malvenus. Les dialogues tournent trop souvent au ridicule à coup de « bien fait pour sa gueule », de « pourquoi risquer ma vie […] pour ce tas de merde » ou encore de « qu’il aille se faire foutre ». Quelques exemples parmi tant d’autres qui gâchent le plaisir de lecture d’un texte d’inspiration au demeurant fort classique qui aurait mérité un ton à l’évidence plus soutenu.
Le propos n’en reste pas moins original sur le fond, notamment cette vision de la condition féminine rarement mise avant dans les récits sur la Guerre de Troie, mais sur la forme, rien à faire, je n’y ai pas trouvé mon compte et ce Silence des vaincues souffre de la comparaison face au souffle épique et bien plus littéraire du Chant d’Achille.
Le silence des vaincues de Pat Barker (traduit de l’anglais par Laurent Bury). J’ai Lu, 2022. 445 pages. 8,30 euros.