Tout commença au mois de mai 1284 dans la bonne ville d’Hamelin. C’est à cette époque que des rats envahirent les rues de la cité. Le bourgmestre engagea tous les dératiseurs de la région, mais rien n’y fit. Ce n’est que lorsqu’un pauvre bougre fut dévoré par les rongeurs que l’on se décida à faire appel à un spécialiste de grande renommée. Ce dernier arriva avec sur l’épaule un étrange furet. Il compta 400 000 rats et promis de les faire disparaître contre cent ducas en or. Les notables acceptèrent le marché du bout des lèvres et le dératiseur se mit au travail. Armé d’une simple flûte, il attira tous les nuisibles avec une mélodie quasi inaudible pour l’homme et les fit se précipiter dans le fleuve qui bordait la cité. Le lendemain, lorsqu’il réclama son dû, le bourgmestre ne lui donna que dix ducas et le chassa sans ménagement. Quelques temps plus tard, le musicien réapparut et, à l’aide de sa flûte, il envouta littéralement tous les enfants d’Hamelin. Il les emmena avec lui loin de la ville et personne, jamais, ne les revit.
Tout le monde connait l’histoire du joueur de flûte de Hamelin. Un conte cruel, à la morale douteuse, où l’inconséquence des adultes précipite la chute des pauvres enfants innocents. Ce texte aux innombrables versions a connu de multiples interprétations. La première, fait du joueur de flûte un pervers pédophile qui charme les enfants pour mieux les abuser. Dans la seconde, c’est le manque de considération pour l’artiste, le mépris affiché face à un art mineur (la musique) et à un mode de vie trop anticonformiste (la bohème) qui pousse les notables à traiter le joueur de flûte comme un moins que rien, ce qui entraîne son terrible courroux. Une troisième interprétation associe les rats à la figure du diable. Pour vaincre le malin, il faut un magicien lui-même un peu diabolique. Mais le non respect de la parole donnée et la rupture du contrat « moral » passé entre les édiles et le joueur de flûte entraîne une malédiction qui frappera en premier lieu les enfants. Il y a sans doute des tas d’autres sens à donner à ce conte. L’intérêt de cette adaptation en bande dessinée tient au fait que l’auteur à en quelque sorte synthétiser ces différentes approches.
André Houot a eu l’intelligence « d’épaissir » le propos. Dans son récit, les deux enfants qui échappent à la rafle du musicien ne sont pas un boiteux et un aveugle mais un boiteux et une jolie pucelle. Cette différence à priori anecdotique donne en fait une force nouvelle à l’intrigue. Et puis pour ce qui est du dessin, j’aime autant vous dire que ça ne rigole pas. On est dans le haut de gamme. Évidemment, on pense à Bourgeon et ses Compagnons du crépuscule. Mais en introduction, l’auteur cite également comme influence Albrecht Dürer, le célèbre peintre et graveur allemand. Résultat, l’ensemble fourmille de détails, les plans larges montrant des scènes de foule sont impressionnants, sans parler des décors urbains où l’architecture Moyenâgeuse est somptueusement représentée. Les couleurs de Jocelyne Charrance sont au diapason et plongent littéralement le lecteur au cœur de l’époque.
Un conte revisité de la plus belle des façons, avec talent et application. André Houot se qualifie d’artisan de la BD. Un artisan à l’ancienne qui pourrait en remontrer à nombre de tâcherons se contentant du trait le plus succinct possible et faisant tenir l’ensemble de leur scénario sur un post-it. Tout ça pour dire que j’ai beaucoup aimé et que cet album constitue une belle occasion de redécouvrir un texte traditionnel sous un jour nouveau.
Hamelin d’André Houot, Éditions Glénat, 2011. 48 pages. 13.50 euros.
PS : si vous souhaitez découvrir une autre variation autour de ce conte, je vous conseille la lecture du roman Peter et Max de Bill Willingham qui n’est autre que le scénariste du comics Fables.