samedi 26 décembre 2009

Mon petit coeur imbécile

Sisanda a 9 ans et elle vit dans un petit village d’Afrique avec sa mère Maswala, sa grand-mère Thabang et son oncle Bénia. Son père travaille à des milliers de kilomètres sur des chantiers et il ne rentre que très rarement. Sisanda souffre d’une malformation cardiaque depuis sa naissance. Elle ne peut pas courir, crier ou jouer avec ses camarades. La moindre activité la fatigue. Elle passe des heures allongée sur son lit à écouter les battements de ce petit cœur imbécile qui l’empêche de vivre normalement. Quand elle se sent bien, elle peut aller à l’école. C’est son oncle qui la porte sur son dos pour faire le trajet entre la maison et la salle de classe.


Le docteur qu’elle voit une fois par an est formel : seule une opération dans un hôpital spécialisé à l’étranger pourra la sauver. Mais une telle opération coûte beaucoup trop cher. Sisanda semble donc condamnée à vivre avec son cœur malade jusqu’au jour où sa mère apprend qu’un marathon se court chaque année dans la grande ville de Kamjuni et que le vainqueur remporte une somme colossale. Or, Maswalla est surnommée « l’antilope » par tous les villageois car chaque matin elle part courir pieds nus dans les collines. La famille de Sisanda décide de vendre une chèvre pour payer les frais d’inscription au marathon et Maswalla s’entraîne comme jamais auparavant pour avoir la chance de remporter le premier prix. Mais à moins de trois semaines de la course, la jeune femme est piquée par un scorpion et sa participation semble totalement compromise…

Xavier-Laurent Petit a choisi de faire de la petite fille la narratrice de son récit. Cette énonciation à la première personne renforce le caractère intime du texte. Les chapitres très courts (trois pages en moyenne) donnent au roman un rythme saccadé proche des battements de cœur de Sisanda. La description du village et de la vie quotidienne des habitants est par ailleurs extrêmement réaliste. Une oeuvre pleine d’humanité et d’optimisme ou la solidarité et l’entraide ne sont pas de vains mots. Touchant.

Mon petit cœur imbécile de Xavier-Laurent Petit, L’école des loisirs, 2009. 134 pages. 8,50 euros. Dès 9 ans.

L’info en plus : Xavier-Laurent Petit publie un second roman en cette fin d’année 2009. S’adressant aux plus grands (à partir de 13 ans), L’attrape-rêves raconte l’histoire de Louise qui vit dans une vallée loin de tout. Un nouvel élève arrive en classe, Chems. Il est différent des autres en plusieurs points, ce qui attire Louise, mais personne d'autre. Pour les autres, un étranger n'a rien à faire dans la vallée. Chems va prouver qu'il aime cet endroit.

mardi 22 décembre 2009

O'boys T2 : deux chats gais sur un train brûlant

Huck, le gamin blanc, et Charley, l’ouvrier noir, ont quitté ensemble le Mississipi. Le premier refuse d’être placé en famille d’accueil alors que le second, accusé à tort de meurtre, est activement recherché par le shérif Bisner.
Dans cette Amérique des années 30 dévastée par la crise économique, les deux amis « brulent le dur » avec les hobos dans des trains de marchandise en route vers l’ouest. Ils cherchent à rejoindre la Californie, cet eldorado où il semble encore possible de trouver du travail.

En chemin, Huck apprend que son frère Tom est peut-être toujours en vie. Et Charley, qui a vendu son âme au ténébreux Lucius, devient un incroyable bluesman. Le but de leur voyage change donc peu à peu. Irrésistiblement attiré par les appels de Lucius, Charley veut trouver le crossroad, ce carrefour légendaire où il pourra accomplir son destin. Et Huck suit la trace de son frère devenu un leader politique pour nombre de vagabonds.

Steve Cuzor sait rendre à merveille l’ambiance de cette Amérique en crise. Sa description de la vie des laissés pour compte de l’oncle Sam est d’une redoutable précision. Le trait du dessinateur est proche de celui de Giraud dans Blueberry. La qualité du scénario est également à souligner. Les deux héros, ballotés par une existence incertaine, avancent sans réellement savoir où leurs pas vont les guider. Persuadés d’avoir chacun une quête à mener ils doivent, sans doute temporairement, séparer leurs chemins pour accomplir leur destinée.

Une grande et belle BD d’aventure qui devrait s’achever dans le troisième volume à paraître en 2010. Les amoureux des classiques franco-belges peuvent foncer les yeux fermés.

O’boys T2 : deux chats gais sur un train brûlant, de Steve Cuzor et Philippe Thirault, Éditions Dargaud, 2009. 13,50 euros. 56 pages. Dès 10 ans.

L’info en plus : le premier volume de la série paru en janvier 2009 a été réédité dans une version de luxe grand format en noir et blanc avec un dos toilé. Une très belle occasion de mieux apprécier la qualité du dessin de Steve Cuzor.
 





dimanche 20 décembre 2009

Le vagabond de Tokyo : résidence Dokudami

Oubliez tous les losers que vous avez connus jusqu’alors. Si vous lisez le vagabond de Tokyo, Yoshio va devenir votre référence en la matière. Ce jeune homme indolent vit dans un immeuble délabré du quartier Asagaya, à Tokyo. Vivant au jour le jour, selon les petits boulots qu’il trouve sur des chantiers, il passe la plupart de son temps à boire, fumer et dormir.

Ayant très peu de ressources, il se nourrit presque exclusivement de sachets de nouilles instantanées. Son hygiène corporelle plus que douteuse et la crasse indicible qui règne dans son appartement complètent un tableau peu ragoûtant !

Toutes les histoires dans lesquelles Yoshio s’embarque finissent lamentablement. Dépourvu d’ambition, il espère juste pouvoir trouver une fille de temps en temps et quelques copains pour lui payer des tournées de saké.

Inspirée de la vie de l’auteur, cette série publiée entre 1979 et 1993 est vraiment atypique : apologie de l’oisiveté dans un pays où le travail est force de loi ; galerie de personnages incroyables (prostituée obèse, pervers obsédé par les petites culottes des lycéennes, travesti…) ; épisodes où se mêlent humour décalé, vulgarité, mauvais goût et scatologie…

Plus qu’un antihéros, Yoshio est devenu un personnage mythique pour de nombreux lecteurs. Censuré, attaqué par des associations bien pensantes pour atteintes aux bonnes mœurs, ce manga a aussi souffert du dilettantisme de son auteur dont le rythme de production était parfois très aléatoire.

Lorsque Takashi Fukutani décède à 48 ans le 9 septembre 2000 après quarante jours de soins intensifs, il a dessiné 663 épisodes de la série. Souvent autobiographique, crue et réaliste, Résidence Dokudami (le titre original) a connu un incroyable succès au Japon, étant notamment adaptée deux fois au cinéma. Yoshio, le Bukowski de la BD nippone, restera à jamais un personnage à part dans l’univers des mangas.

Merci aux éditions du Lézard Noir de nous proposer cette anthologie qui regroupe quelques uns des meilleurs épisodes de la série. A découvrir d’urgence pour les lecteurs français un peu curieux qui aiment les productions underground.

Le vagabond de Tokyo : résidence Dokudami, de Takashi Fukutani, Éditions du Lézard Noir, 2009. 360 pages. 23 euros.



jeudi 17 décembre 2009

Echo T1 : incident

"L’explosion au dessus- de Moon Lake s’est produite le 18 juin à 18h18.
Il s’avère que j’y étais, en train de prendre des photos du désert pour mon book. Je suis à court de fric, depuis que Rick est parti et qu’il ne paye plus les factures.
J’avais besoin de bosser.
Les 24 heures qui ont suivi, ça a été le délire total. L’explosion a recouvert la zone d’une drôle de pluie de millions de billes de métal mou qui se sont collés à moi et qui ne voulaient plus s’en aller. De retour chez moi, j’ai retrouvé un bon morceau de ce truc à l’arrière de mon pick-up. Pendant que je l’examinais, le bidule s’est collé sur ma peau.
Ça m’a fichu les jetons.
Et puis toutes les petites billes se sont mises à migrer sur moi vers la plaque principale comme des fourmis. Là, j’ai pété un plomb.
Dégueu.
Quand je suis retournée à mon pick-up pour aller aux urgences, les billes qui restaient dedans se sont aussi collées à moi. En s’agrégeant, elles ont formé un plastron qui ressemble à un soutien-gorge chromé. Quand le médecin l’a touché, il a reçu une décharge telle qu’il a perdu un ongle. Ils ont pris ça pour un canular et ils m’on fichu dehors.
Le plus bizarre, c’est que ça ne me fait pas mal. C’est même assez agréable. Tantôt rafraîchissant, tantôt tiède avec des picotements. Je sais…c’est bizarre."
Julie Martin a été contaminée par une explosion atomique au dessus du désert californien. Devenue sans le savoir une bombe atomique ambulante, elle est pourchassée par l’armée américaine qui veut la retrouver avant que le monde entier découvre l’atroce vérité et les dangereuses expériences nucléaires que mène le pentagone malgré les traités internationaux. Commence alors une fuite désespérée pour la jeune femme…
La trame de départ est assez classique : une femme innocente est contaminée par une expérience qui tourne mal et elle acquiert à ses dépends quelques super pouvoirs. Mais loin de se focaliser sur sa transformation en « super héros », Terry Moore préfère montrer cette jeune femme empêtrée dans sa vie de tous les jours : son mari a décidé de lui couper les vivres tant qu’elle ne signera pas les papiers du divorce ; elle tente de vivoter dans une vieille bicoque isolée avec pour seul compagnon son chien ; elle rend visite à sa sœur internée à l’hôpital psychiatrique depuis plusieurs années… Cette femme fragile et en perdition subit les événements plus qu’elles ne les provoquent. Ne cherchez pas non plus ici de super-vilains : l’ennemi, c’est le gouvernement américain et ses super agents. Un comics tout en finesse et en subtilité qui joue davantage sur les problèmes personnels des personnages que sur les scènes d’action spectaculaires. Le dessin très réaliste en noir et blanc est d’une grande limpidité.
Les cinq chapitres qui composent ce premier volume constituent une introduction plus qu’alléchante à une intrigue simple mais solidement menée dont on attend la suite avec impatience. Publié juste avant l’été, ce titre est injustement passé inaperçu dans le flot de publications du premier semestre 2009. Il mérite pourtant largement que l’on s’y attarde.

Echo T1 : incident, de Terry Moore, Éditions Delcourt, 2009. 12,90 euros.


L’info en plus : Terry Moore n’est pas un auteur inconnu. Il a remporté un Eisner Award (l’équivalent des Oscars en bande dessinée) pour sa série Strangers in Paradise, publiée en France par les éditions Kymera.



mardi 15 décembre 2009

Le Roi Corbeau T1 : Robin


Pays de Galles, XIème siècle. Bran Ap Brychan, prince de l’Elfael, découvre que son père et tous ses chevaliers ont été assassinés par les envahisseurs normands venus annexer sa province au nom du roi William. Il part alors pour Londres afin de demander réparation. Comprenant rapidement qu’il lui sera impossible de récupérer la terre de ses ancêtres, il décide d’abandonner les siens et de se réfugier dans sa famille au Nord. Mais le comte De Braose, à la tête de l’armée qui a envahi l’Elfael, réclame la tête de Bran. Traqué par les soldats normands, le prince héritier est très grièvement blessé et laissé pour mort par ses poursuivants. Recueilli par Angharad, la dernière barde bretonne encore en vie, il passe plusieurs mois de convalescence dans une grotte au cœur de la forêt des Marches, une forêt primitive galloise où il est très facile de se cacher.


Une fois guéri, le jeune homme est toujours décidé à partir pour le Nord. La vieille femme le persuade que sa place est auprès de son peuple. Elle l’emmène au cœur de la forêt, dans un campement de fortune où vivent les quelques gallois qui ont fui l’envahisseur. Prenant la tête de cette troupe hétéroclite de moins de cinquante âmes, Bran va devenir le Roi Corbeau et mener des attaques ciblées contre les intérêts normands, aidé notamment par Petit Jean et le frère Tuck.

Robin des Bois au Pays de Galles ? L’idée n’est pas si saugrenue lorsque l’on sait que de nombreux indices permettent de situer la source originelle de la légende dans une partie de la Bretagne aujourd’hui appelée Pays de Galles dans la génération ayant suivi l’invasion normande de 1066. C’est d’ailleurs là l’un des intérêts majeurs de ce roman : la trame historique est parfaitement respectée. Le seigneur de Neufmarché et le comte De Braose ont réellement vécu au pays de Galles au XIe siècle. Tous les lieux cités ont existé. De même, la vie quotidienne des seigneurs et des paysans est parfaitement retranscrite. Les descriptions du climat et de la nature sont également criantes de vérité (l’auteur a passé quelques temps en Pologne dans la dernière forêt primitive d’Europe). Bien sûr, en plus des précisions historiques, le récit est un vrai roman d’aventure avec un héros que n’aurait pas renié Alexandre Dumas. Voila donc un texte qui allie avec brio érudition historique et invention fictionnelle. Espérons que le second tome de cette trilogie sera rapidement traduit en français.

Le Roi Corbeau T1 : Robin, de Stephen R. Lawhead, Éditions Orbit, 2009. 400 pages. 19,90 euros.

L’info en plus : les trois tomes de cette trilogie sont parus en anglais. Pour ceux que la lecture en VO ne rebute pas, sachez que le second volume, Scarlet, est paru en septembre 2007 et le dernier, Tuck, en février 2009.

samedi 12 décembre 2009

Dr Slump T1 : ultimate edition

Cette chronique s’adresse à ceux qui sont nés à la fin des années 70 et au début des années 80. Rappelez-vous : Le Club Dorothée, 1988. Cette émission devenue culte proposait cette année-là à la rentrée de septembre le premier épisode d’une série inédite en France : Dr Slump. Adaptée du premier manga d’Akira Toriyama, le créateur de Dragon Ball, la série sera rapidement censurée par les sages du CSA et seuls 55 des 243 épisodes seront traduits et diffusés. Il faudra attendre 1995 pour voir Glénat éditer l’intégralité des 18 volumes du manga. Aujourd’hui, le même éditeur réédite l’ensemble dans une version Ultimate dont le premier tome vient de sortir.
L’action de Dr Slump, se situe dans le Village Pingouin. Senbei Norimaki est un inventeur de génie qui a créé un robot et lui a donné les traits d’une jeune fille d’une douzaine d’années. Il décide de la nommer Aralé et l’inscrit à l’école en la faisant passer pour sa sœur. Possédant une force herculéenne et une naïveté à toute épreuve, l’androïde deviendra la source de nombreux quiproquos plus farfelus les uns que les autres.

La qualité première de ce manga tient dans l’incroyable galerie de personnages qu’il propose : de Senbei l’obsédé sexuel à l’extraterrestre Nikochan et son acolyte en passant par Akané et Târo les ados rebelles, ou encore Suppaman une caricature de Superman sans aucun pouvoir, tous semblent plus stupides les uns que les autres. Aralé incarne pour sa part la pureté et la naïveté. C’est le décalage entre cette naïveté et les basses intentions des autres personnages qui constitue le plus souvent le ressort comique de la série. Un exemple parmi tant d’autres : lorsqu’Aralé explique à Senbei qu’elle est toute lisse et qu’il lui manque quelque chose au bas du ventre, l’inventeur pense aux organes sexuels alors que le robot parle du nombril !

Bien sûr, Dr Slump est un manga de mauvais goût et scatologique (Nikochan porte ses fesses au sommet de son crâne et Aralé parle aux crottes de chiens). C’est à mes yeux plutôt une qualité qu’un défaut. Finalement, je crois que « loufoque » est l’adjectif qui qualifie le mieux cette série publiée pour la première fois au Japon en 1980. Cette édition Ultimate dans un format plus grand que la normale reprend les nombreuses pages couleurs d’origine. Par rapport à l’édition de 1995, le sens de lecture a été respecté et la traduction entièrement refaite. Voilà une très bonne occasion de découvrir (ou redécouvrir en ce qui me concerne) le premier succès du très grand mangaka qu’est Akira Toriyama.

Dr Slump T1 : ultimate edition, d’Akira Toriyama, Éditions Glénat, 2009. 10,55 euros.

L’info en plus : Glénat réédite également en « Ultimate edition », la série incontournable d’Akira Toriyama, Dragon Ball. Le 5ème des 42 tomes vient de paraître. Avec un volume tous les deux mois, la parution devrait s’étaler sur près de 7 ans !




jeudi 10 décembre 2009

Eco T1 : la malédiction des Schakelbott

Eco est la fille unique des Schaklebott, une riche famille de couturiers. Ses parents, trop occupés par leur commerce, ne s’occupent jamais d’elle. Un jour, son père vient la trouver et lui demande de livrer trois petites poupées que Monsieur le Ministre a commandées pour sa fille. Se sentant investi d’une importante mission, la petite part en limousine et demande au chauffeur de passer par le chemin du puits. Arrivée devant un pont de pierre, la voiture doit s’arrêter car une mendiante tenant un enfant dans les bras barre le chemin. Bouleversée par la vision d’une telle pauvreté, Eco décide d’offrir à la bohémienne les poupées destinées à la fille du Ministre. En échange, la vieille femme lui donne 4 amulettes sacrées (un bulbe de cactus, un cocon de verre à soie, un morceau de silex, une petite noix).


Le geste altruiste de la petite fille a des conséquences irréparables pour ses parents. Furieux de ne pas avoir été livré, le Ministre retire toutes ses commandes et les autres clients en font de même. Ruinés, les Schaklebott voient leur empire s’écrouler. Le père sombre dans la folie et la mère accuse sa fille d’avoir provoqué leur chute. Se réfugiant dans la solitude de sa chambre, Eco décide de quitter son foyer et prend la direction de la sombre forêt…

Réécriture très libre de Jack et le haricot magique, Eco est un conte très sombre qui propose un univers à la Tim Burton. Le jeu sur les couleurs et l’absence de luminosité renforce l’ambiance pesante. La citation de Kafka qui précède le premier chapitre résume sans doute le mieux cette fable atypique :
Il n’existe que des contes de fées sanglants. Tout conte de fées est issu des profondeurs du sang et de la peur.
 Après Jack et le Haricot magique, le second volume s’inspirera du Petit Chaperon Rouge. Un troisième tome conclura cet ambitieux projet mené par deux jeunes auteurs qui n’hésitent pas à secouer une production littéraire pour la jeunesse parfois un peu trop ronronnante.


Eco T1 : la malédiction des Schakelbott, de Jérémie Almanza et Guillaume Bianco, Éditions Soleil, 2009. 14,90 euros. Dès 9 ans.

L’info en plus : Guillaume Bianco a décidemment une actualité très chargée en cette fin d’année. Quatre ouvrages publiés depuis fin octobre par les éditions Soleil portent sa signature : Eco, Epictète, Chat Siamois, Les comptines malfaisantes. Avec à chaque fois un univers onirique et étrange où les enfants tiennent le premier rôle.

mardi 8 décembre 2009

Faker

Ils sont quatre : Yvonne Latimer, hacker amatrice ; Mark Sale, obsédé sexuel ; Paul Sakmussen, taciturne et fortement déprimé ; Jessica Kidby, maître chanteuse. Etudiants à l’université de Saint Cloud, Minnesota , ils vivent en colocation dans une maison à côté de la fac. Un soir, ils décident de fêter la fin des vacances de Noël et le début du second semestre avec force alcool, cachets et poudres de toute sorte. Tous vont être malades à crever et vont constater dans les jours suivants qu’ils ne se souviennent plus vraiment de ce qui s’est passé.


C’est alors que débarque un cinquième larron qui loue apparemment la maison avec les quatre autres : Nick Philo. Mais Nick a un gros problème. A part ses colocs, personne ne se souvient de lui. Ni le patron chez qui il travaille trois jours par semaine, ni la prof dont il suit les cours depuis six mois et encore moins cette jolie étudiante avec laquelle il a couché juste avant les vacances. Désorienté, il décide de s’enfermer dans sa chambre. Mais il découvre que la maison n’a que quatre chambres et qu’aucune ne lui est destinée.

Cherchant à dénouer les fils de cet incompréhensible mystère, les cinq jeunes gens vont découvrir une réalité qui les dépasse totalement.

Faker est une œuvre sombre, très sombre. Mélangeant allègrement la thèse du complot gouvernementale et le portrait d’une jeunesse américaine en perdition, les auteurs livrent un récit où le désespoir est le seul avenir possible. Jouant beaucoup sur les variations de couleurs, le dessinateur impose une ambiance lourde, glauque, glaciale. Ne cherchez ici aucune échappatoire : ce comics est d’un pessimisme absolu.

Les six épisodes contenus dans le volume constituent l’intégralité de la série. On a de toute façon du mal à imaginer une suite possible.

Faker, de Mike Carey et Jock, Panini Comics, 2009. 13 euros.

L’info en plus : Mike Carey est le scénariste d’une série à succès qui a pour héros John Constantine, un personnage créé à l’origine par Alan Moore dans les pages de Swamp Thing. La série Hellblazer raconte les aventures de ce détective du paranormal chasseur de démons.



dimanche 6 décembre 2009

Flight

« Quand j’ai eu dix ans, tante Z m’a donné vingt dollars et m’a envoyé chercher des hamburgers et des frites. A mon retour, elle avait disparu. Elle n’est jamais revenue.
A onze ans, je me suis enfui de chez ma première famille d’accueil et je me suis soûlé dans la rue en compagnie de trois indiens SDF venant d’Alaska.
A douze ans, je me suis enfui de chez ma septième famille d’accueil.
A treize ans, j’ai fumé du crack pour la première fois.
A quatorze ans, j’ai volé une voiture et je l’ai bousillée en percutant un immeuble sous le viaduc de l’Alaska Way.
A quinze ans, j’ai rencontré un ado du nom de justice qui m’a appris à me servir d’un pistolet.
»

Spots a 15 ans. Mi-Indien Mi-Irlandais, il ne trouve sa place nulle part. Son père est parti le jour de sa naissance et sa mère est morte alors qu’il avait 6 ans. Depuis, il erre entre familles d’accueil, séjours en maison de redressement et vie dans la rue. Sa rencontre avec Justice, un ado à peine plus âgé que lui, va changer le cours de sa vie. Muni d’un pistolet, Spots entre dans un banque et tire sur la foule. Une fusillade s’ensuit et spots récolte un balle dans la tête. Commence alors pour lui un étrange voyage dans le temps.


Il se retrouve successivement dans la peau d’un agent du FBI traquant les militants pour le droit des autochtones en 1975, d’un enfant indien qui va assister à la bataille de Little Big Horn en 1876, d’un chasseur de peaux rouges qui va participer à un massacre avec des soldats yankees. Il sera aussi Jimmy, un pilote d’avion amateur qui a trahi sa femme et sera trahi par son meilleur ami, et pour finir, il sera SDF à Seattle, en 2008. Autant d’expériences incroyables qui le mèneront sur le chemin d’une possible rédemption. Un ado délinquant peut-il avoir une seconde chance ? Un pauvre gosse dont personne ne s’est jamais soucié peut-il trouver son chemin dans un monde devenu complètement fou ? Comme d’habitude, il n’y a ni gagnant ni perdant chez Sherman Alexie. Avec en filigrane cette implacable lucidité pour montrer que les bons et les méchants se trouvent toujours des deux côtés.

Drôle, inventif, truculent et grave, ce texte inclassable vous marquera pour longtemps. Le New York Times a salué ce très grand roman : « Un livre qui a de la rage et du cœur. Cru, plein de vie, furieusement drôle et sans un mot de trop. »

Flight, de Sherman Alexie, Albin Michel, 2008. 200 pages. 15 euros.

L’info en plus : l’année 2008 a été une grande année pour les amoureux de Sherman Alexie puisque sont parus successivement Flight, Red Blues (un recueil de poèmes) et Le premier qui pleure a perdu, un roman pour la jeunesse (dès 13 ans) absolument époustouflant que tous les CDI des collèges et lycées français se doivent d’avoir dans leur fonds !



jeudi 3 décembre 2009

Margerin - Lucien T10 : Père et fils

Lucien, le héros fétiche de Frank Margerin, est réapparu l’année dernière dans les librairies après huit ans d’absence. Aujourd’hui paraît le 10ème volume d’une série qui compte de nombreux fidèles depuis la publication du premier album au début des années 80.
Frank Margerin a décidé de faire vieillir son personnage. Il ne voulait plus le confiner dans un environnement rétro, préférant lui faire vivre les problèmes actuels de nombreux parents d’ados. Lucien est donc devenu un quadragénaire bedonnant et grisonnant qui a toutefois gardé la coupe de cheveux qu’il arbore depuis sa première apparition dans la revue Métal Hurlant en 1979. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le pauvre vieux a mal vieilli : ses deux enfants se moquent de son look et de ses goûts musicaux, sa femme passe sa vie devant internet et les flics ne font même plus attention à lui dans le métro lorsqu’il tente de se faire passer pour un resquilleur. Ses relations avec son fils de 14 ans sont catastrophiques : le père l’emmène au square pour jouer au ballon comme lorsqu’il avait 4 ans ou veut lui faire découvrir les joies du monopoly alors que le gamin préfère passer sa vie devant sa « pléstécheune ». Bref, Lucien a pris un vrai coup de vieux et force est de reconnaître qu’il le vit très mal.

Graphiquement, le trait de Margerin se reconnaît entre mille. Le découpage de chaque planche en trois bandes de trois cases est immuable. Le vrai problème c’est que Lucien ne fait plus rire. Le ressort comique ne fonctionne plus, les planches sont envahies par les dialogues et les chutes de chacune des 11 histoires qui composent ce nouvel album sont sans surprise. La lecture ne m’a même pas arraché un sourire. Et pourtant, je suis un grand fan du rocker à la banane, mais il faut bien avouer que la mécanique ne fonctionne plus.

Vraiment une très grosse déception, au moins aussi grande que l’estime que je porte à Frank Margerin. C’est dire.

Lucien T10 : Père et fils, de Frank Margerin, Éditions Fluide Glacial, 2009. 9,95 euros.

L’info en plus : Pour les nostalgiques, les éditions Fluide Glacial publieront au mois de février 2010 les première histoires dessinées par Margerin sous le titre Frank Margerin présente : l'intégrale. L’occasion de retrouver la planète Pluton et les banlieues un brin sordides qui ont permis de lancer la carrière du papa de Lucien.