mardi 29 juillet 2014

Eleanor et Park - Rainbow Rowell

« Pas pour moi je crois. Pas du tout même. » Voila le commentaire que j’avais laissé chez Cajou après avoir découvert son billet enthousiaste à propos de ce livre. De la littérature Young adult pleine d’amour et de bons sentiments entre deux ados, sérieux, faudrait me payer pour lire un truc pareil ! Sauf qu’entre temps Noukette l’a lu et l’a adoré elle aussi. Et qu’on en a parlé ensemble. Erreur fatale ! Parce que la force de persuasion de Noukette, ce n’est pas rien. Et la promesse d’une nouvelle lecture commune avec elle, ce n’est pas rien non plus. Bref, je suis faible. Trop faible. Et je me suis une fois de plus laisser embarquer. Bon, faut dire aussi que j’aime bien de temps en temps explorer des territoires très, très éloignés de ma zone de confort. Par pure curiosité. Et aussi parce que je suis rarement déçu en suivant les yeux fermés des prescriptrices convaincantes…

Park a croisé pour la première fois Elelanor dans le bus scolaire. Il l’a trouvée « grosse et gauche. Avec des cheveux hallucinants, rouges et bouclés. Et elle était habillée comme… comme si elle voulait qu’on la remarque ». Elle lui a fait penser à un épouvantail. Quand elle s’est assise à coté de lui, il l’a ignorée, ni plus ni moins. Peu à peu pourtant il a fini par se rapprocher d’elle, il a partagé avec elle sa passion de la musique et des comics et il est tombé follement amoureux. Il a également découvert qu’Eleanor n’avait pas une existence facile, avec sa mère sans travail, son beau-père alcoolique et violent et ses quatre frères et sœurs. Harcelée par des camarades de lycée, tentant de surnager dans un quotidien infernal, c’est une jeune fille en souffrance. Park va devenir le phare qui illumine son quotidien, celui grâce auquel  la vie vaut la peine d’être vécue.

J’étais sceptique, j’avoue. Et pas qu’un peu. Peur que tout cela dégouline de guimauve fondante, peur d’un récit pour midinettes sentant l’eau de rose à plein nez. Peur d’avoir à m’enfoncer deux doigts dans la gorge pour faire passer la nausée qui ne manquerait pas de m’envahir. Et finalement mes préjugés ont volé en éclat au fur et à mesure de la lecture. Parce que tout cela n’est pas du tout cucul. Bon, je trouve la barque d’Eleanor chargée, l’accumulation de ses malheurs m’a semblé un peu trop tire-larmes pour être honnête. Mais c’est un détail. Parce que l’amour naissant entre ces deux lycéens atypiques est rudement bien amené, tout en finesse.  Et puis j’ai adoré Park, un garçon intelligent, sensible, sentimental en diable, assumant sans honte son amour fou et tellement, tellement touchant. Pour lui, Eleanor n’est pas charmante. Elle n’est pas jolie non plus : « Elle ressemblait à une œuvre d’art. L’art n’a rien à voir avec le beau, il existait pour faire ressentir les choses. » Lucide, entier et sincère, c’est ce que j’aime.

Cette histoire n’est pas un conte de fée, c’est l’amour vrai, douloureux, tout sauf un long fleuve tranquille. Bon, évidemment, j’ai pas pleuré, faut pas pousser. Je ne ferai pas non plus de ce roman un coup de cœur mais je serais d’une totale mauvaise foi si je ne reconnaissais pas avoir pris énormément de plaisir à passer quelques heures avec ces deux gamins attachants. Quand je dévore 400 pages en trois jours alors que j’ai bien d’autres choses à faire, quand je suis impatient de retrouver des personnages dont l’histoire me touche et que je me rends compte en refermant le livre qu’ils vont me manquer, c’est un signe qui ne trompe pas. Comme quoi :
1) il est drôlement bon, de temps en temps, de sortir de sa zone de confort
2) il faut toujours écouter les conseils avisés de ceux et celles qui vous veulent du bien

Eleanor et Park de Rainbow Rowell. Pocket Jeunesse, 2014. 378 pages. 16,90 euros. A partir de 13-14 ans.

Une lecture commune qe je partage évidemment avec Noukette

Les avis de Cajou et Cécile




vendredi 25 juillet 2014

Le messager - Charles Stevenson Wright

Je n’avais jamais entendu parler de ce livre. Encore moins de cet auteur. C’est Noukette qui me l’a fait découvrir. Pas parce qu’elle l’a lu (et je doute d’ailleurs qu’elle le lise un jour) mais parce que sa libraire lui en a parlé et qu’elle a tout de suite pensé que ça allait me plaire. Elle a bien fait.

Charles Stevenson Wright (1932-2008) est l’auteur d’une trilogie dédiée à New York dont « Le messager », publié en 1963, constitue le premier volume. Un recueil de textes courts, à l’évidence très autobiographiques, où l’on navigue avec le narrateur dans les rues de Big Apple. Un narrateur dont le boulot de coursier lui rapporte moins de dix dollars par jour et qui habite, seul, dans un immeuble décati du nord de Manhattan. Un narrateur vivant parmi les arnaqueurs, les prostitués, les drogués et les travelos. Un narrateur métis au corps splendide et au cul superbe qui n’hésite pas à tapiner dans les bars pour améliorer l’ordinaire, se vendant au plus offrant, homme ou femme, blanc ou noir.

Ça parait glauque dit comme ça mais ça ne l’est pas du tout. Il y a au contraire beaucoup de lumière, une analyse lucide des rapports humains et une savoureuse galerie de personnages à la marge. Attention, ce n’est pas drôle pour autant, loin de là. Mais si je devais comparer « Le messager » avec d’autres romans ayant décrit l’underground New Yorkais, je dirais qu’il se dégage de celui-ci davantage de mesure que chez Selby par exemple (exemple extrême, je vous le concède, tant la vision de Selby est apocalyptique). Ce que je veux dire, c’est que l’écriture est ici plus léchée, tout en retenue. J’ai lu des dizaines de bouquins de ce genre à l'époque où je m'injectait chaque jour de la littérature américaine en intraveineuse (c'était bien avant le blog...) et j’ai retrouvé chez Wright la gouaille d’un Icerberg Slim, l’argot et la vulgarité en moins. J’ai retrouvé aussi la fougue et l’insouciance du cultissime « Basket Ball Diaries » de Jim Carroll. Je pourrais aussi citer Bruce Benderson, Jerome Charyn, Chester Himes ou Richard Price. Bref, je suis en terrain connu et j’adore ça.

C’est un régal si on aime le genre. Des découvertes comme celle-là, je veux bien en faire tous les jours. Pour conclure et vous donner le ton de l’ensemble, je vous offre deux extraits abordant des thématiques centrales du recueil, la solitude et la condition de métis dans l’Amérique des années 60 :

« Au petit matin, accablé d’un morne désespoir, concentré sur moi-même, je parcours les rues. Les bars sont en train de fermer et une magie terrible, indéfinissable, se mêle à l’air frais. A New York, l’aube du dimanche possède cette qualité calme et subtile. Les solitaires, partout dans le monde, connaissent ce moment particulier de la matinée. Pas lents et mal assurés, votre image déformée dans les devantures qui ne sont plus éclairées. Regards en coulisse, coups d’œil envieux, honteux, lancés aux couples que l’on croise. Vous reconnaissez les solitaires, vos frères. Ils prennent une direction et vous une autre. […]
Vous vous avouez vaincu, petit Waterloo personnel, vous montez les marches d’un pas lourd. Vous tournez la clé dans la serrure. Vous allumez l’électricité. Vous vous déshabillez. Vous arpentez le plancher et, finalement, vous essayez de dormir, sans que rien ne vienne vous réconforter, sinon la promesse d’un autre lever de soleil. »

« Etre né noir. Pas de ce noir absolu qu’on qualifie d’absence de couleur, pas brillant, pas monstrueux. Mais noir. Ou plutôt d’un élégant café au lait. Moitié moitié. Noir. Ma famille est à peu près également divisée entre les nuances claires et les nuances foncées. Je suis bronzé, d’un brun jaune, comme si on m’avait exposé au soleil au moment où je sortais du ventre de ma mère. Beige. Je suis un homme de couleur. La Ronde a commencé dès que mes ancêtres ont débarqué d’Afrique. Je maudis le jour de leur luxure. Je leur souhaite de nombreuses saisons dans un enfer syphilitique. […]
Ils ont fait de moi un marginal. Une minorité à l’intérieur d’une minorité. »


Le messager de Charles Stevenson Wright. Tripode, 2014. 200 pages. 17,00 euros.








jeudi 24 juillet 2014

Il est temps de prendre le large...

C'est parti pour près de trois semaines loin de ma Picardie natale. La Camargue d'abord puis Gap et Lyon pour quelques jours. Pas d'autres ambitions que me reposer, buller, lire, passer du bon temps en famille et revenir bronzé comme un grain de café.

Le blog part en vacances lui aussi. Un billet demain peut-être, une LC avec Noukette pour vous parler d'Eleanor et Park mardi prochain et ce sera tout jusqu'au 15 août.

Dans mes bagages j'emmène six romans. Un pavé pour le challenge de Brize, un roman anglais paru en mai et quatre titres de la rentrée. Je fonde de gros espoirs sur Paul Harding et le nouveau Patrick Deville. Pour le reste, on verra bien.



Bonnes vacances à  celles et ceux qui ont la chance d'en avoir et bon courage au autres. Je vous dis à très bientôt.



mercredi 23 juillet 2014

Bouche d'ombre T1 : Lou , 1985 de Maud Begon et Carole Martinez

Une bande d'ados BCBG dans un lycée parisien au milieu des années 80, une séance de spiritisme qui tourne mal, un drame, un fantôme, de l'hypnose, de permanents allers-retour entre rêves et réalité, il y a tout cela dans « Bouche d'ombre », première BD scénarisée Carole Martinez.

Les événements s'articulent autour de Lou, jeune fille rousse et pétillante qui se découvre le don de communiquer avec les défunts. Hantée par le suicide de son amie Marie-Rose, elle voit cette dernière lui apparaître soudainement, jour et nuit. Pensant être responsable de sa mort, elle tente de comprendre les raisons qui l'ont poussée à commettre l'irréparable...

Carole Martinez aime jouer de la fragilité de ses personnages pour s'interroger sur la communication entre les êtres et les relations entre les vivants et les morts.Elle ajoute à sa trame de départ un lourd secret de famille, une bonne dose de rancœur et une pincée de romance pour pimenter l'ensemble. Il se dégage de cet album une atmosphère mystérieuse et fantastique qui m'a, je dois l'avouer, laissé à quai. Le surnaturel et les questions sur l'au-delà n'étant pas ma tasse de thé, je me suis pas mal ennuyé et je crains qu'il ne me reste pas grand chose de l'histoire d'ici quelques jours. J'ai par contre trouvé le dessin de Maud Begon plein de charme et de subtilité.

Un rendez-vous manqué donc, entre cet album et moi. Je ne suis pas mécontent d'avoir découvert Carole Martinez en scénariste de BD mais je vais plutôt essayer de me pencher sur ses talents de romancières.

Bouche d'ombre T1 : Lou, 1985 de Maud Begon et Carole Martinez. Casterman, 2014. 70 pages. 15,00 euros.    
 


mardi 22 juillet 2014

La boîte aux lettres du cimetière - Serge Pey

« La boîte aux lettres du cimetière » est une chronique d'enfance douce-amère. Trente récits de quelques pages, autant de souvenirs égrainés avec humour, tendresse et nostalgie. Le narrateur est un enfant de la guerre d'Espagne réfugié en France. Un enfant « rouge et noir », « fier d'être le fils d'un homme qui n'a pas peur de Dieu ». Un enfant vivant dans une communauté libertaire, toujours en lutte contre le fascisme, les bondieuseries et l'État.

Dans cette communauté, pour accueillir les camarades autour d'une table trop petite, on n'hésite pas à dégonder la porte de la maison familiale pour la coucher sur deux tréteaux. Parce qu'après tout, c'est bien connu, « les portes nous aiment quand on ne les ferme pas ». Dans cette communauté, on colle les timbres à l'envers, façon symbolique de renverser l'État, le chien de la maisonnée s'appelle Proudhon et il dort par terre sur un drapeau noir, l'école se trouve dans une ancienne porcherie et un clown équilibriste vient apprendre aux enfants à ne pas tomber.

On croise aussi des personnages haut en couleur, de la grand-mère égorgeuse de poulets à Chucho le chasseur de grillons en passant par la tante Hirondelle ou encore Pedro, le guitariste aux ongles impeccables et lisses.

Il y a beaucoup de poésie dans ces petites histoires. Un soupçon de cruauté aussi. L'écriture est belle et sonne comme une musique mélancolique aux accents autant burlesques que poignants. Simple et touchant, tout ce que j'aime.

La boîte aux lettres du cimetière de Serge Pey. Zulma, 2014. 200 pages. 17,00 euros.

L'avis d'Hélène, à qui je dois cette découverte.


lundi 21 juillet 2014

La machine à influencer : une histoire des médias - Brook Gladstone et Josh Neufeld

« Nous avons les médias que nous méritons ». Voila comment se conclut ce foisonnant « essai graphique » (ben quoi, on parle bien de « roman graphique », j'ai le droit à mon néologisme, non?) retraçant l'histoire des médias aux États-Unis, de la guerre d'indépendance au conflit afghan en passant par la guerre de sécession, les deux guerres mondiales, le Vietnam et l'Irak. Mais le propos ne se limite pas au traitement médiatique des conflits. Brooke Gladstone décortique les pratiques journalistiques, leur influence, leur asservissement aux politiques et au monde de la finance. Pour autant, elle ne jette pas le bébé avec l'eau du bain, considérant que le problème vient avant tout du consommateur d'information, c'est à dire de nous : « nous avalons de plus en plus souvent l'info comme des fraises Tagada vautrés dans nos cybercanapés. Nous marinons dans un jus de pseudo-experts, assaisonné seulement des faits et opinion qui nous semblent acceptables. […] Et si les médias que nous choisissons nous abrutissaient aussi ? Et s'ils diminuaient notre capacité d'attention, attisaient nos bas instincts, érodaient nos valeurs, brouillaient notre jugement ? ».

A qui la faute si les JT sont aussi creux, anecdotiques ou hystériques ? Est-ce que les organes d'information doivent donner au public ce qu'il veut ou ce dont il a besoin ? Mais que veut le public ? De quoi a-t-il besoin ? Et existe-il un seul et unique public ? Cette question n'est qu'une parmi tant d'autres. L'ouvrage est pointu sans être indigeste. Toute la partie sur l'objectivité est passionnante, comme celle sur la censure ou les sondages, sans parler de la profonde réflexion sur les réseaux sociaux et le fait qu'aujourd'hui chacun de nous, grâce au net, peut être à la fois consommateur et producteur d'information. Et puis qu'on le veuille ou non, les médias nous influencent en permanence, même quand nous les critiquons ou que nous tentons de leur résister, Brooke Gladstone le démontre brillamment.

Graphiquement, Josh Neufeld (American Splendor), illustre avec simplicité et beaucoup de trouvailles visuelles un texte parfois très envahissant. Au final, La machine à influencer n'est pas un plaidoyer pro médias. Ce n'est pas non plus une charge virulente contre eux. L'analyse est beaucoup plus fine, dense, parfois ardue. Exigeante, quoi. Journalistique diront certain. Dans le sens le plus noble du terme.

La machine à influencer de Brook Gladstone et Josh Neufeld. Ça et là, 2014. 185 pages. 22,00 euros.




samedi 19 juillet 2014

Les cavaliers afghans - Louis Meunier

En 2002, Louis Meunier abandonne une carrière de cadre toute tracée pour s'engager dans une ONG et partir en Afghanistan afin d'aider à la reconstruction du pays après la chute des talibans. Désireux de s'immerger dans la vie et les traditions de son pays d'accueil, il apprend la langue et découvre avec fascination le buzkashi, un combat équestre où hommes et montures se disputent avec une violence inouïe la carcasse d'un veau qu'il faut déposer dans un cercle tracé au sol pour marquer un point. Rêvant de devenir un cavalier du buzkashi, un tchopendoz, Louis meunier se met en quête d'un cheval et d'une équipe acceptant de l’accueillir.

Le récit se découpe en trois grandes parties et commence par son arrivée sur place et ses difficiles premiers pas professionnels ainsi que le début très compliqué de sa carrière de tchopendoz. La seconde partie, que j'ai trouvée la plus passionnante, relate la traversée du centre pays effectuée à cheval, en 2005. Un périple de deux milles kilomètres entre les montagnes et les vallées de l'Hindou Koush avec trois chevaux et un compagnon afghan, à la rencontre des populations les plus isolées du pays. Dans la dernière, nous sommes en mars 2006 et Louis Meunier s'est installé à Kaboul, où il a créé sa société de production audiovisuelle, réalisant des reportages et des documentaires tout en continuant à vivre pleinement sa passion pour le buzkashi.

J'ai beaucoup aimé cette plongée pleine de tendresse mais aussi d'une grande objectivité dans l’Afghanistan « des seigneurs et des chefs de guerre, une société moyenâgeuse où ne survivent que les plus forts. Dans cette contrée secouée depuis toujours par les combats, les intrigues et les luttes de pouvoir. »  L'auteur conjugue à l'analyse géopolitique parfois assez poussée son ressenti intime, son émerveillement devant la nature sauvage et indomptable qui l'entoure et la richesse de ses rencontres avec la mosaïque d'ethnies (Ouzbeks, Turkmènes, Pashtouns, Tadjiks, Hazaras, arabes, etc) croisées au fil de ses pérégrinations. Admirable aussi sa lucidité devant son statut de « Khareji », d'étranger qui, quoi qu'il fasse et quelles que soient les amitiés qu'il parvient à nouer, ne pourra jamais s'intégrer totalement dans la société afghane (« les alliances et les amitiés des afghans avec les étrangers sont intéressées et temporaires »).

« Les cavaliers afghans » est un récit initiatique autant qu'un témoignage éclairant sur ce qu'est l’Afghanistan d'aujourd'hui, loin du triptyque « taliban-burqua-attentat » servi par les médias occidentaux pour stigmatiser un pays à la réalité bien plus complexe. C'est aussi et surtout une magnifique invitation au voyage qui ravira les lecteurs épris de grands espaces et de liberté.

Les cavaliers afghans de Louis Meunier. Kero, 2014. 330 pages. 20,00 euros.

L'avis enthousiaste d'Aaliz




vendredi 18 juillet 2014

Les mécanos de Vénus - Joe R. Lansdale

A la seconde où il voit Trudy débarquer chez Hap, Léonard sait que les emmerdements s'annoncent. Parce que son meilleur copain n'a jamais su résister à son ex-femme, même si elle lui en a fait baver, et pas qu'un peu. A chaque fois qu'elle se pointe, il fond devant ses longs cheveux blonds et ses jambes à n'en plus finir, « de belles jambes bronzées aux cuisses fermes. Et elle savait s'en servir : elle avait ce genre de démarche qui lui chaloupait les hanches et donnait à ses seins ce charmant petit rebond capable de te foutre un conducteur dans le fossé au premier coup d’œil. »

Manipulatrice en diable, usant de ses charmes pour parvenir à ses fins, elle convainc son ancien mari de s'associer à elle pour faire main basse sur un pactole abandonné dans des valises au fond d'un marécage suite à casse ayant mal tourné des années auparavant. Un coup à un million de dollars pour lequel elle a juste besoin d'un peu d'aide. Mais évidemment, les choses ne sont pas si simples et rien ne va se passer comme prévu...

Vous le savez peut-être, je suis totalement fan de cet auteur et de ses deux anti-héros au grand cœur. Les mécanos de Vénus est le premier titre de la série, celui dans lequel on découvre comment Hap, le blanc hétéro, et Léonard, le noir homo, se sont rencontrés en trimant dans des champs au fin fond du Texas. Honnêtement, ce n'est pas le meilleur roman de Joe R. Lansdale, loin de là. L'intrigue est très linéaire, un peu plate. Les dialogues sont mous du genou, il n'ont pas la gouaille et la saveur que l'on retrouvera par la suite et qui sont la marque de fabrique de l'auteur. On sent un texte écrit au frein à main, un texte dans lequel Lansdale ne lâche pas les chevaux. Mais finalement l'intérêt est là. Découvrir la toute première fois de Léonard et Hap et sentir un auteur qui se cherche, un auteur en construction. De toute façon, il était hors de question que je fasse l'impasse sur le roman fondateur d'une série qui a si souvent fait mon bonheur de lecteur. Et si vous aimez les univers à la Donald Ray Pollock et que vous voulez découvrir Hap et Léonard au meilleur de leur forme, je vous conseille « L'arbre à bouteilles » et « Le mambo des deux ours », de loin leurs deux aventures les plus abouties.


Les mécanos de Vénus de Joe R. Lansdale. Denoël, 2014. 240 pages. 19,90 euros.


mercredi 16 juillet 2014

J'ai pas volé Pétain mais presque... - Bruno Heitz

Une tante qui passe l'arme à gauche et Jean-Paul se retrouve à la tête d'un petit héritage et de six garages à Nancy censés lui assurer, dixit le notaire, un excellent rendement locatif. Sauf qu'un des garages est vide et qu'il va falloir lui trouver un nouveau locataire. Coup de bol (quoique), Gérard, un flic croisé par Jean-Paul dans sa mésaventure précédente, lui propose un client idéal : Maître Lamblin, à la recherche d'un box pour y stocker quelques affaires. Des affaires qui ne sont rien moins que le cercueil du maréchal Pétain, dont l'avocat rêve de rapatrier la dépouille à Douaumont, nécropole des poilus de Verdun. Embauché par Gérard pour convoyer le maréchal (ou ce qu'il en reste) de l'île d'Yeu jusqu'en Lorraine, Jean-Paul refuse dans un premier temps avant de céder devant les arguments de la pulpeuse secrétaire de maître Lamblin. Une faiblesse qui, comme d'habitude, lui vaudra les pires ennuis.

Après « J'ai pas tué de Gaulle, mais ça a bien failli » et « C'est pas du Van Gogh mais ça aurait pu », revoilà le naïf et un brin couillon anti-héros de Bruno Heitz embarqué dans un délirant enlèvement post-mortem. Pour le coup, le fait-divers est véridique puisqu'en 1973 une équipe de bras cassés nostalgiques de Vichy enleva la dépouille de Pétain pour la transporter en fourgonnette jusqu'à un garage de la région parisienne. L'occasion pour l'auteur du Privé à la Cambrousse de mêler la petite histoire de Jean-Paul à une grande (et lamentable) histoire qui marqua en son temps la France de Pompidou.

Avec le trait minimaliste et la gouaille qui le caractérisent, Heitz s'amuse à mettre en scène ce personnage poissard sachant mieux que personne se lancer, à son corps défendant, dans des coups pour le moins foireux. Les seconds rôles sont toujours aussi bien croqués (avec une mention spéciale pour la secrétaire pulpeuse et machiavélique) et on ne peut que se régaler devant ce Road Trip digne des Pieds Nickelés. Jubilatoire !

J'ai pas volé Pétain mais presque... de Bruno Heitz. Gallimard, 2014. 90 pages. 17,00 euros.



mardi 15 juillet 2014

Le cachot de la sorcière - Joseph Delaney

Billy Calder, jeune orphelin, s'apprête à débuter une carrière de gardien de nuit dans un château hanté utilisé comme pénitencier. Surveiller des assassins, des criminels et des sorcières en déambulant dans des couloirs infestés de fantômes, le programme ne le réjouit pas le moins du monde. Pris en charge par Adam Colne, geôlier impitoyable à la sulfureuse réputation, Billy découvre que la tâche qui l'attend n'est pas particulièrement compliquée puisqu'elle consiste uniquement à faire des rondes et surveiller les détenus.

Seul endroit à éviter coûte que coûte, le cachot de la sorcière dans lequel est enfermé un prisonnier qu'il est préférable de ne jamais croiser : «  Il est attaché par une longue chaîne à un anneau fixé dans le sol et il dort toute la journée. La nuit venue, il se réveille, et on doit le nourrir à minuit, sinon la situation deviendrait vraiment dangereuse pour tous les employés de la prison. » Théoriquement, Billy n'aura jamais à s'occuper de ce prisonnier. Théoriquement...

Un petit roman jeunesse idéal pour se faire peur. Au début on se dit que c'est léger, que ça casse pas trois pattes à un canard, que les fantômes et autres sorcières dont on nous parle dès le départ ne vont jamais entrer en scène. Et puis Billy se retrouve piégé et nous aussi. La tension monte, on en vient à vider des seaux contenant des litres de sang, des os et de la viande crue, on se retrouve face à un monstre et...

Et j'adore la conclusion, parfaitement trouvée, aussi difficile à voir venir qu'inéluctable finalement. La quatrième de couverture indique « Pour lecteurs avertis ». Âmes sensibles s'abstenir ? Sans doute. Mais ce n'est pas non plus totalement effrayant, et puis les jeunes lecteurs aiment tellement avoir un petit frisson d'angoisse (il n'y a qu'à voir le succès de la série « Chair de poule ») qu'une grande majorité sera conquise par les mésaventures du pauvre Billy.

Le cachot de la sorcière de Joseph Delaney. Bayard jeunesse, 2014. 110 pages. 9,95 euros. A partir de 9-10 ans.