La Duchesse de Langeais est une nouvelle qui fait partie de « L’histoire des treize », où figurent aussi « Ferragus » et « La fille aux yeux d’or ». Le texte commence alors que le général de Montriveau, en mission en Espagne, s’introduit dans un couvent de Carmélites aux Baléares. Il y reconnaît avec certitude la femme qu’il recherche depuis cinq longues années et intrigue pour la rencontrer au parloir en présence de la mère supérieure, mais, au dernier moment, elle se dérobe. Après cette introduction, le récit fait un bond de cinq ans en arrière, au moment où ce même général a fait l’objet d’une opération de séduction menée par « la reine du faubourg Saint-Germain », une femme froide, orgueilleuse, prude, experte en coquetterie et qui vit à travers Montriveau l’occasion d’ajouter un prestigieux soldat de Napoléon à sa collection déjà fournie d’admirateurs. La Duchesse de Langeais, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, joua comme à l’accoutumée avec son soupirant, alternant atermoiements et savantes reculades sans jamais lui laisser le moindre espoir de pouvoir consommer une relation devant rester en tout point platonique. D’abord fou amoureux, le général finit par prendre la mouche. Frustré et humilié, il organisa l’enlèvement de la duchesse au cours d’une réception mondaine et menaça de la marquer au fer rouge. Les rôles s’inversèrent alors et la duchesse, devenue amoureuse transie, s’épuisa à tenter de reconquérir son amant. Celui-ci lui montra le dédain le plus profond et, de guerre lasse, Mme de Langeais décida de disparaître à jamais de la vie parisienne pour rentrer dans les ordres…
Grâce à la LCA (Lecture Commune Approximative) d’un ou plusieurs textes de l’Histoire des treize proposée par Marie en février dernier, j’ai pu me replonger dans Balzac, plus de 20 ans après. Est-ce que mon point de vue a changé ? Je serai bien incapable de le dire car je ne gardais aucun souvenir de la Duchesse, pourtant lu en 1994 lors de ma première année de DEUG. Tout ce que je sais c’est qu’en refermant le livre, une question m’a taraudé. Une question toute simple mais qui est à mon sens le point central du récit : Mme de Langeais et Mr de Montriveau se sont-ils vraiment aimés ?
Je m’explique. Même si tout concorde pour ne laisser planer aucun doute sur leurs sentiments réciproques (des mois de fréquentation assidue, l’acharnement dont ils font preuve tour à tour pour rester proches, les cinq année de recherches entreprises par Montriveau, les lettres enflammées envoyées par la duchesse après l’enlèvement, son renoncement et le risque de perdre sa réputation…), je reste persuadé qu’au-delà des apparences, ces deux-là n’ont fait que jouer l’un avec l’autre. Un jeu cruel et vaniteux dans lequel la duchesse ne s’intéresse au général qu’en raison de l’amour qu’el le porte à sa propre personne. Quant à l’acharnement qu’elle met à le reconquérir, je l’attribue à une volonté farouche de ne pas perdre la face. Pour Montriveau, cette femme d’abord aimée devient au final un ennemi à briser coute que coute. Il n’y a là à mes yeux que calcul, vengeance, amour-propre blessé et coups-bas. Il suffit de voir la dernière scène où tout le soufflé retombe dans un plouf final qui ne semble pas perturber plus que cela Montriveau, ce dernier tirant un trait définitif sur cette soi-disant idylle avec une facilité déconcertante.
Sans doute mon point de vue est discutable, mais s’ils s’étaient vraiment aimés, il me semble qu’ils se seraient jetés dans les bras l’un e l’autre, point barre. Finalement, ils n’ont été amoureux que d’une obsession et écrasés l’un comme l’autre par leur vanité. C’est là que réside le tragique de leur histoire, dans cette partie d’échecs où se sont succédés calcul et ressentiment.
Reste la beauté de l’écriture de Balzac, la préciosité de ces dialogues un brin désuet et ce décor de boudoirs et d’hôtels particuliers parisiens qui symbolisent toute une époque. A signaler aussi la misogynie de l’auteur qui dresse un tableau peut reluisant des femmes du grand monde, les peignant en sylphides superficielles et intrigantes, « allumeuses » au cœur de glace. Une vision caricaturale à l’évidence aussi assumée que revendiquée (d’après ce que j’ai lu dans la préface, il a rédigé la nouvelle alors qu'il sortait d’une déception amoureuse avec Mme de Castrie, une coquette de Saint-Germain qui l’avait traité avec le plus grand mépris). Et si finalement La duchesse de Langeais n’était qu’un texte plein de rancœur rédigé par un homme blessé ?
La Duchesse de Langeais de Balzac. Le livre de poche, 2008. 252 pages. 4,10 €.
L'avis de Marie
lundi 30 juillet 2012
samedi 28 juillet 2012
Du sang dans les plumes de Joel Williams
« Je m’appelle Joel Williams. J’ai 46 ans, je suis un amérindien de la tribu shoshone-païaute. Je suis incarcéré depuis vingt-cinq ans, suite à une condamnation à perpétuité assortie d’une peine plancher de vingt-sept ans. Je suis également écrivain. »
Né en 1964, Joel Williams a tué son père, alcoolique et violent, alors qu’il n’avait que 21 ans. Actuellement incarcéré à la prison de haute sécurité de Mule Creek State, en Californie, il a commencé à écrire en 2002. Découvrant une de ses nouvelles dans une revue canadienne, Éric Vieljeux, responsable des éditions 13e Note, le contacte afin d’envisager la publication d’un recueil. Sur les vingt textes envoyés par le détenu, treize sont réunis ici. L’ouvrage se compose de trois parties bien distinctes. D’abord une longue introduction au cours de laquelle Joel Williams revient sur les événements tragiques qui l’ont mené en prison. Ensuite, cinq nouvelles « urbaines » mettant en scène Jake Wallace, le double fictionnel de l’auteur, dans les rues de Los Angeles. Drogue, alcool, bagarre… une plongée au cœur de l’Amérique des laissés pour compte. Enfin, la dernière partie regroupe des histoires se déroulant derrière les barreaux, toujours avec le même Jake Wallace. C’est cette partie que j’ai le plus appréciée. On y sent malheureusement tout le vécu de l’auteur. Mais l’intérêt premier réside dans le fait que, balayant toute tentation de pathos et de larmoiement, il préfère donner dans l’autodérision. A la fois meurtri, maussade, optimiste ou abattu, le narrateur porte un regard lucide et plein de bon sens sur sa situation. Du réfectoire à la visite chez le dentiste, du codétenu excentrique aux prémices d’histoires d’amour avec des visiteuses de prison affriolantes, chaque texte porte un éclairage nouveau sur sa condition d’homme reclus.
Si vous vous attendez à lire de la grande littérature, vous risquez d’être déçu. Mais il ne faut jamais oublier que tout ce que Joel Williams connaît de l’écriture, il a dû l’apprendre par lui-même dans la solitude d’un quartier de haute sécurité. Et puis dites-vous bien qu’en puisant son inspiration chez des auteurs comme Carver Fante, Bukowski ou Knut Hamsun, le bonhomme est allé à bonne école. Alors oui, la qualité est inégale d’un texte à l’autre. Mais, et c’est l’avantage avec les nouvelles, on est jamais à l’abri d’une vraie bonne surprise. Ici, elle survient page 192 avec « Un vrai mec, absolument », petit bijou d’humour noir bien cradingue comme je les aime.
Devenue son principal moyen de survie, l’écriture est aussi pour l’auteur, comme précisé dans la postface, « un acte de défi existentiel, un cri de résistance personnel… et l’affirmation d’une liberté de l’imaginaire si exceptionnelle que nous autres, vivant hors les murs, ne pouvons l’appréhender qu’en lisant ses récits. »
Une dernière petite info pas vraiment réjouissante : pour la troisième fois depuis son incarcération, la mise en liberté conditionnelle de Joel William lui a été refusée en 2011 par les autorités pénitentiaires.
Du sang dans les plumes, de Joel Williams. 13e note, 2012. 234 pages. 8 euros.
Né en 1964, Joel Williams a tué son père, alcoolique et violent, alors qu’il n’avait que 21 ans. Actuellement incarcéré à la prison de haute sécurité de Mule Creek State, en Californie, il a commencé à écrire en 2002. Découvrant une de ses nouvelles dans une revue canadienne, Éric Vieljeux, responsable des éditions 13e Note, le contacte afin d’envisager la publication d’un recueil. Sur les vingt textes envoyés par le détenu, treize sont réunis ici. L’ouvrage se compose de trois parties bien distinctes. D’abord une longue introduction au cours de laquelle Joel Williams revient sur les événements tragiques qui l’ont mené en prison. Ensuite, cinq nouvelles « urbaines » mettant en scène Jake Wallace, le double fictionnel de l’auteur, dans les rues de Los Angeles. Drogue, alcool, bagarre… une plongée au cœur de l’Amérique des laissés pour compte. Enfin, la dernière partie regroupe des histoires se déroulant derrière les barreaux, toujours avec le même Jake Wallace. C’est cette partie que j’ai le plus appréciée. On y sent malheureusement tout le vécu de l’auteur. Mais l’intérêt premier réside dans le fait que, balayant toute tentation de pathos et de larmoiement, il préfère donner dans l’autodérision. A la fois meurtri, maussade, optimiste ou abattu, le narrateur porte un regard lucide et plein de bon sens sur sa situation. Du réfectoire à la visite chez le dentiste, du codétenu excentrique aux prémices d’histoires d’amour avec des visiteuses de prison affriolantes, chaque texte porte un éclairage nouveau sur sa condition d’homme reclus.
Si vous vous attendez à lire de la grande littérature, vous risquez d’être déçu. Mais il ne faut jamais oublier que tout ce que Joel Williams connaît de l’écriture, il a dû l’apprendre par lui-même dans la solitude d’un quartier de haute sécurité. Et puis dites-vous bien qu’en puisant son inspiration chez des auteurs comme Carver Fante, Bukowski ou Knut Hamsun, le bonhomme est allé à bonne école. Alors oui, la qualité est inégale d’un texte à l’autre. Mais, et c’est l’avantage avec les nouvelles, on est jamais à l’abri d’une vraie bonne surprise. Ici, elle survient page 192 avec « Un vrai mec, absolument », petit bijou d’humour noir bien cradingue comme je les aime.
Devenue son principal moyen de survie, l’écriture est aussi pour l’auteur, comme précisé dans la postface, « un acte de défi existentiel, un cri de résistance personnel… et l’affirmation d’une liberté de l’imaginaire si exceptionnelle que nous autres, vivant hors les murs, ne pouvons l’appréhender qu’en lisant ses récits. »
Une dernière petite info pas vraiment réjouissante : pour la troisième fois depuis son incarcération, la mise en liberté conditionnelle de Joel William lui a été refusée en 2011 par les autorités pénitentiaires.
Du sang dans les plumes, de Joel Williams. 13e note, 2012. 234 pages. 8 euros.
jeudi 26 juillet 2012
Aslak 1 : L’œil du monde
Hub, Weytens et Michalak © Delcourt 2011 |
Aslak relate la quête de ses deux frères, vite séparés par les événements, qui vont s’affronter sans scrupule pour rejoindre l’île de l’œil où réside un vieux conteur possédant un livre rempli de fabuleuses histoires.
En découvrant cette couverture chez Natiora hier, j’ai tiqué, persuadé d’avoir déjà vu cette BD quelque part. Après quelques recherches, je l’ai retrouvée sur une étagère de ma bibliothèque. Je l’avais achetée dans une brocante à l’automne dernier et depuis, elle prenait la poussière (c’est dire à quel point la gestion de ma PAL est pour le moins aléatoire). Bref, comme Natiora a fait de cet album un coup de cœur, je me suis empressé de m’y plonger, aussi enthousiaste que sceptique. Oui, car pour tout dire, j’ai du mal à croire qu’un récit de fantasy comme il en pullule chez Delcourt et Soleil puisse à ce point sortir du lot. Pour moi, ils sont tous fabriqués dans le même moule et servent uniquement à alimenter la soif de nouveautés des fans du genre (quel esprit étriqué, je fais, quand même !).
Au final, c’est une agréable surprise. Pas un coup de cœur, certes, mais un vrai bon moment de lecture. J’ai apprécié cette course poursuite trépidante entre les deux frères. J’ai apprécié aussi le fait que ces deux là ne brillent pas par leur intelligence, c’est le moins que l’on puisse dire. D’ailleurs, la galerie de personnages tous plus barrés les uns que les autres est un régal. De Brynhild, la pulpeuse capitaine d’un drakkar déglingué à l’équipage moribond au terrible Roald le Borgne en passant par Waldemar ou un émérite conteur plus miteux que flamboyant, les auteurs se sont fait plaisir en mettant en scène une tripotée d’antihéros plus truculents les uns que les autres. Mention spéciale néanmoins pour le courageux guerrier Alamrik, sorte de Conan le barbare qui s’évanouit à la vue du sang. Ajoutez-y des dialogues pêchus, un running gag bien trouvé et de l’action à gogo et vous obtenez une recette qui fonctionne.
Niveau dessin, Emmanuel Michalak assure. Son trait, tout à fait dans l’esprit du scénario, se rapproche par moments de celui de Tarquin (Lanfeust) tandis que certains passages rappellent le très grand Uderzo. Vous direz, rien de plus normal pour une histoire à la fois mouvementée et malicieuse que n’auraient pas renié Goscinny et Arleston.
Sans doute pas l’album du siècle, mais voila à l’évidence une nouvelle série de Fantasy prometteuse et fort bien ficelée. Seul problème, le 1er cycle est prévu en quatre tomes et la suite se fait toujours attendre depuis un an et demi. Pas bon signe, ça...
Aslak T1 : L’œil du monde de Hub, Weytens et Michalak. Delcourt, 2011. 56 pages. 14,30 euros.
Hub, Weytens et Michalak © Delcourt 2011 |
mercredi 25 juillet 2012
Portugal de Cyril Pedrosa
Pedrosa © Dupuis 2012 |
Avec ce récit en partie autobiographique, Cyril Pedrosa a voulu mettre en images un choc émotionnel (la découverte du pays dont il est originaire) et les conséquences qui en ont découlées. L’exercice n’est pas aisé tant cet album traitent de sentiments difficiles à retranscrire en dessins. Comment en effet décrire le cheminement d’un homme en quête de sens, en rupture, qui n’arrive pas à entretenir des relations stables avec les gens qui l’entourent ? Comment illustrer les silences, les non-dits et la solitude ? Tout simplement en ne se posant pas trop de questions, en laissant aller son imagination et son pinceau. Le résultat est assez bluffant, ressemblant à bien des égards à un morceau de jazz qui laisse libre court à l’improvisation tout en s’appuyant sur une ligne mélodique des plus solides. Mais Portugal n’est pas qu’un album introspectif. C’est aussi une réflexion sur les liens familiaux, le rapport au père et le rapport à ses racines, la vie de couple, la carrière. Il y est aussi question d’immigration, du fait que derrière les chiffres du ministère se cachent des destins d’hommes ou de femmes. Une histoire finalement universelle dont de nombreux aspects m’ont rappelés l’excellentissime Daytripper découvert il y quelques semaines.
Quelques mots sur le dessin. Les planches ont été réalisée sur deux A3 superposées l’une au dessus de l’autre, ce qui a permis à Cyril Pedrosa de se sentir à l’aise dans chaque case. Le trait est relâché, souvent proche du crayonné. L’auteur reconnaît et assume, selon ses propres mots, des « proportions foireuses » et des « perspectives merdiques ». Au final, on retient une certaine élégance graphique, une réelle liberté de création et le besoin de s’affranchir de la tendance actuelle obligeant à faire en sorte qu’il se passe toujours quelque chose sur chaque planche. Dernière petite précision, alors que les couleurs ne sont pas ma tasse de thé, je dois reconnaître qu’elles tiennent ici un vrai rôle dans la narration.
Portugal est donc un roman graphique dense, très construit malgré son apparente nonchalance. Il installe définitivement Cyril Pedrosa dans mon panthéon personnel des auteurs contemporains incontournables auprès de Chabouté, Rabaté, Tardi, Davodeau, Lax ou encore Michel Plessix.
Un dernier mot pour féliciter l’éditeur qui a choisi de publier ce récit en un seul tome plutôt que de le découper en tranches afin, par exemple, d’en faire une trilogie. C’est une initiative devenue tellement rare qu’elle mérite d’être soulignée.
Portugal de Cyril Pedrosa. Dupuis, 2011. 260 pages. 35 euros.
Pedrosa © Dupuis 2012 |
Prix des libraires 2012 - Fauve Prix de la BD Fnac 2012 |
lundi 23 juillet 2012
Oumpah-Pah
Goscinny et Uderzo © Éd. Albert René |
Dès 1959, Oumpah-Pah semble connaître un certain succès. Deux disques relatant les premières histoires sont réalisés et l’un deux remporte le prestigieux « grand prix de l’académie du disque français », une importante distinction pour les livres-audio de l’époque. Dans la foulée, un court métrage animé est produit par les studios Belvision. Bref, Oumpah-Pah semble lancé sur les sentiers de la gloire. Hélas, tout s’écroule suite au fameux référendum annuel du journal de Tintin, un classement permettant aux lecteurs de plébisciter leurs séries préférées. L’annonce des résultats a l’allure d’une douche froide pour Uderzo et Goscinny puisque leur peau rouge se retrouve au 11ème rang, quasiment au niveau du courrier des lecteurs ! Piqués au vif, les deux auteurs proposent au directeur du journal d’abandonner la série. Il faut dire qu’entre temps, les deux gaillards se sont lancés à corps perdu dans l’aventure Pilote dont le premier numéro a vu le jour en octobre 1959. Devant réaliser cinq planches par semaine (une de Tanguy et Laverdure, deux d’Astérix et deux d’Oumpah-Pah), Uderzo parvient difficilement à tenir ce rythme infernal et il se dit que la fin prématurée d’Oumpah-Pah lui enlèverait une belle épine du pied. Comme de toute façon le contrat avec Le Lombard interdisait de reprendre les aventures du peau rouge dans un autre journal que Tintin, les auteurs préférèrent arrêter les frais. L’aventure Oumpah-Paph prend fin en 1962 après seulement cinq histoires et 150 planches. Un vrai gâchis !
Pourquoi j’aime autant cette série ? Parce qu’elle porte en elle les prémices d’Astérix et Obélix. Un village qui résiste aux envahisseurs, un héros à la force herculéenne, des personnages aux noms aussi drôles qu’improbables, des calembours et de l’humour beaucoup plus fin qu’il n’y paraît, ça vous dit quelque chose ? Oumpah-Pah a été en quelque sorte un laboratoire pour Astérix. Le résultat est bluffant et mérite vraiment d’être redécouvert car cette série avait tout d’une grande.
Plus grandes forces de cette série :
• Le dessin d’Uderzo. Formidable de dynamisme et de souplesse, avec certaines séquences dont le découpage frôle la perfection. Quelques planches originales en noir et blanc ont été exposé l’an dernier au salon européen de la BD de Nîmes. La maîtrise du noir et blanc d’Uderzo y est tout simplement incroyable, surtout pendant les scènes se déroulant en mer. Du très grand art !
• L’humour de Goscinny. Visionnaire, refusant de se plier aux conventions de son époque où tout devait rester très premier degré, il puise son inspiration chez les auteurs américains de la revue Mad et laisse libre-court à son imagination débordante. Résultat, entre les jeux de mots, les clins d’œil à l’actualité, le comique de répétition et les gags purement visuels, Oumpah-Pah est pour moi plus drôle que nombre d’Astérix.
• Les noms des personnages. Passe encore pour le chef de tribu Gros Bison, mais vous avouerez que le sorcier Y-Pleuh, le chasseur Y-a-plus-saison et le vieux guerrier N’a-qu’une-dent qui, après une bataille, est rebaptisé N’a-qu’une-dent-mais-elle-tombée-alors-maintenant-n’en-a-plus, il fallait les trouver !
• L’intégrale publiée en fin d’année dernière par Hachette qui regroupe l’ensemble des planches et un dossier critique dans une belle édition cartonnée pour à peine 20 euros. Une heureuse initiative qui permettra à ceux qui le souhaitent de découvrir la série à moindre frais.
Ce qui m’a le plus agacé :
• Le manque de succès d’Oumpah-Pah et la bêtise des lecteurs du journal de Tintin de la fin des années cinquante qui ont précipités sa perte. Messieurs, je ne vous félicite pas !
• Le fait que l’intégrale citée ci-dessus ne soit pas en noir et blanc. Ceux qui passent régulièrement par ici savent à quel point je préfère le noir et blanc à la couleur. Ici encore, les couleurs n’apportent rien. Au contraire, leur absence renforce la perfection du trait d’Uderzo. Mais on m’a déjà tellement répondu que d’un point de vue commercial, il n’y a que la couleur qui compte...
Goscinny et Uderzo © Éd. Albert René |
Carte d’identité de la série : Auteurs : René Goscinny et Albert Uderzo Date de création : 1958 Nombre d'albums : 3 (série terminée) Éditeur : Éd. Albert René |
samedi 21 juillet 2012
La montagne de Jean Noël Pancrazi
Pancrazi © Gallimard 2012 |
Douloureux retour en enfance pour Jean-Noël Pancrazi. Sans doute le besoin d’exorciser une fois pour toutes cet abominable événement qui a marqué ses jeunes années. Seul rescapé du massacre, il en vient à culpabiliser. Dans les jours qui ont suivi, la répression militaire fut terrible dans la région. Puis, après la signature des accords d’Evian, il fallu se résigner à quitter cette terre qui l’avait vu naître. L’auteur n’élude pas les exactions et les violences. Le pied noir, à jamais déraciné ne sombre à aucun moment dans la haine. Condamné à l’exil, il décrit l’arrivée en France, le rejet auquel il est confronté dans un lycée de Perpignan. Il revient également sur le destin brisé de ses parents qui ne se remettront jamais vraiment de leur départ forcé.
Un livre court, terrible et profondément humain. Chaque phrase est d’une incroyable longueur. Les mots, uniquement séparés par des virgules ou des points virgules, semblent collés les uns autres, comme si les séparer reviendrait à les isoler et les mettre en danger. La prose reste malgré tout fluide, riche d’images et de sensations. Plus remarquable encore, le fait que Jean-Noël Pancrazi ait réussi le tour de force de laisser son texte à l’écart de toute rancœur. Tout simplement magnifique.
La montagne de Jean-Noël Pancrazi. Gallimard, 2012. 90 pages. 10,00 €.
vendredi 20 juillet 2012
Kingdom Hearts ou quand Disney se lance dans le manga
Shiro © Pika 2012 |
Adapté du jeu vidéo éponyme, Kingdom Hearts est une série qui s’adresse clairement aux jeunes lecteurs. Personnellement, je dois avouer que je n’ai pas accroché du tout (en même temps, je n’ai plus grand-chose à voir avec un jeune lecteur, ceci explique peut-être cela). L’intrigue m’a parue confuse en diable et le dessin très fouillis n’aide pas à suivre l’enchaînement des événements. Il faut dire aussi que je ne connais pas du tout le jeu vidéo d’origine, ce qui n’est pas fait pour aider. Quelques points positifs tout de même, notamment le sens de lecture occidental (choisi dès la 1ère publication au Japon), les chapitres très courts qui donnent beaucoup de rythme et l’action omniprésente qui ravira les amateurs de combats épiques, sans oublier le fait que la série ne comptera en tout que 4 tomes et que les deux premiers sont sortis le même jour (idéal pour les impatients).
Pour moi cependant, rien à faire, ce Kingdom Hearts m’a laissé de marbre. Voir Donald et Dingo dans un manga, j’avoue que c’est un petit choc, surtout qu’en ce moment je suis en train de lire les intégrales de Carl Barks (La dynastie Donald Duck) et Floyd Gottfredson (L’âge d’or de Mickey Mouse). Forcément, face à ses deux grands maîtres, le trait d’Amano Shiro fait pâle figure.
Tout cela pour dire que je préfère laisser ce manga au public auquel il s’adresse. Une question de génération sans doute…
Kingdom Hearts T1 d’Amano Shiro. Pika, 2012. 134 pages. 7,05 euros.
Shiro © Pika 2012 |
mercredi 18 juillet 2012
Le jour où… France info, 25 ans d’actualités
© Futuropolis 2012 |
Pour fêter les 25 ans de la station, Futuropolis réédite l’album paru en 2007, enrichi d’une cinquantaine de pages. Vingt-sept événements majeurs du dernier quart de siècle sont racontés et illustrés par les plus grands auteurs actuels : David B., Guy Delisle, Kris, Blutch, J-C Denis, Joe Sacco, Baru, Davodeau, Rabaté, j’en passe et des meilleurs. De la fatwa contre Salman Rushdie à l’élection de François Hollande en passant par la chute du mur de Berlin, le massacre de la place Tienanmen, le 11 septembre 2001 ou encore l’élection de Barack Obama, c’est une plongée au cœur de l’histoire la plus récente qui est proposée ici.
Les limites d’un tel exercice sont toujours les mêmes. D’un auteur à l’autre, le traitement du sujet, fort différent, peut séduire ou laisser de marbre. Tout est question de point de vue, chacun s’emparant des événements à sa façon sans forcément donner dans le documentaire. Ce sont d’ailleurs les histoires racontées de manière très personnelles qui m’ont le plus séduit. Ma préférée ? La finale de la coupe du monde 1998 vécue de manière très décalée par J-C Denis. J’ai aussi beaucoup aimé la tempête de décembre 1999 vue par Étienne Davodeau ou encore la canicule de 2003 selon Rabaté.
Graphiquement, c’est un régal. Difficile de faire autrement avec un album regroupant la crème des dessinateurs actuels. Vraiment idéal pour découvrir la grande diversité de la BD d’aujourd’hui.
Au final, Le jour Où… est un recueil dense et varié qui remet sous le feu des projecteurs quelques-uns des plus grands moments d’actualité de ces 25 dernières années. Aussi instructif qu’utile, notamment pour ceux qui ont une mémoire de poisson rouge…
Le jour où… France info, 25 ans d’actualités. Futuropolis, 2012. 265 pages. 25 euros.
Un grand merci à Libfly et aux éditions Futuropolis pour la découverte.
JC Denis © Futuropolis 2012 |
Kris et Thierry Martin © Futuropolis 2012 |
lundi 16 juillet 2012
Modeste et Pompon
Franquin © Le Lombard 2006 |
1955. En conflit avec Dupuis pour une sombre histoire de gros sous, Franquin claque la porte de l’éditeur de Spirou et trouve refuge chez Raymond Leblanc, responsable du journal de Tintin. Pour Leblanc, l’arrivée de Franquin est une aubaine, l’occasion rêvée d’instaurer un peu d’humour dans une publication jusqu’alors exclusivement dédiée aux séries d’aventure. En guise de préambule, le dessinateur ne reçoit que de vagues recommandations : pas de vulgarité et pas de gamins des rues, ce créneau étant déjà occupé par les Quick et Flupke d’Hergé. Après quelques jours de réflexion, Franquin apporte ses premières planches. Elles mettent en scène un couple non marié dont les relations sont uniquement basées sur l’amitié. Une petite révolution pour l’époque, de telles représentations sociales n’ayant jamais été mises en scène dans la bande dessinée européenne. Modeste et Pompon voient donc le jour dans les pages de Tintin le 19 octobre 1955.
Avec cette série, Franquin se lance dans le gag en une planche, une nouveauté pour lui. Pour seconder Modeste et Pompon, il créé Félix, un cousin représentant de commerce aussi volontaire que maladroit et un trio de neveux toujours prompts à faire des blagues. Plus tard, lorsque Goscinny et Greg signeront les scénarios, ils mettront en scène deux insupportables voisins Dubruit et Ducrin. A partir de cette galerie de personnages bien campée, Franquin va jouer sur le registre plutôt classique de l’humour domestique et s’appliquer à installer sa série au cœur des années 50. Visuellement, il s’attache à retranscrire le modernisme propre à l’après-guerre, notamment en matière de design. Tables, chaises, fauteuils et vases sont fortement inspirés des créateurs italiens de l’époque. Ne souhaitant pas trop s’appuyer sur la documentation, il va rapidement laisser libre cours à son imagination et inventer son propre mobilier. Le résultat est tellement bluffant que des responsables du musée d’art moderne de la ville de Paris vont le solliciter pour commercialiser une série de vases ressemblant à ceux présents dans la maison de Modeste. Le projet restera au stade de l’étude mais il montre à quel point Franquin a révélé à travers cette série d’insoupçonnées qualités de designer.
En 1957, le dessinateur enterre la hache de guerre avec Dupuis et créé pour le magazine Spirou le personnage de Gaston Lagaffe. Problème, son contrat avec Tintin s’étalant sur 5 ans, Franquin doit pendant plusieurs mois mener de front les deux séries. A l’issue de longues négociations, il cède les droits de Modeste et Pompon à Maurice Leblanc en échange de sa liberté. La série, d’abord reprise par Attanasio, passa ensuite entre les mains de nombreux autres dessinateurs (Walli, Loup, Mitteï). Franquin, de son coté, aura réalisé 183 planches entre 1955 et 1959.
Œuvre trop méconnue d’un génial créateur, Modeste et Pompon offre la vision synthétique d’une époque. Rien que pour cela, elle mérite que tout amateur de BD digne de ce nom se penche avec attention sur son cas.
Plus grandes forces de cette série :
• La représentation fidèle et bon enfant d’une époque éprise de légèreté après les années noires de la seconde guerre mondiale.
• La richesse des personnages secondaires qui font tout le sel de la série.
• Les gags signés Goscinny et surtout Greg (on les reconnaît car leur nom apparaît au bas des planches) se révèlent bien meilleurs que ceux imaginés par le seul Franquin. Greg aura réalisé sur cette série près de la moitié des scénarios.
• Le trait de Franquin qui préfigure ce que sera Gaston Lagaffe. A noter par exemple que l’irascible voisin Mr Durcin ressemble trait pour trait à Mr Boulier, le comptable des éditions Dupuis qui n’aura de cesse de réprimander le pauvre Gaston.
Ce qui m’a le plus agacé :
• Le premier album de la série est dans l’ensemble assez moyen. Franquin découvre la mécanique du gag en une planche et le résultat n’est pas toujours à la hauteur. Difficile d’imaginer à la lecture de ces premiers gags qu’il va devenir quelques années plus tard un maître en la matière.
• La reprise de la série par de nombreux autres dessinateurs n’a fait que l’affadir. A tel point qu’aucun des albums « post-Franquin » ne présente à mes yeux un quelconque intérêt.
• Le fait que les albums de Modeste et Pompon signés Franquin ne soient plus commercialisés aujourd’hui. Depuis une intégrale de 120 pages publiée par Le Lombard en 2006 et aujourd’hui épuisée, aucune réédition n’a vu le jour. Scandaleux !
Franquin © Le Lombard 2006 |
Carte d’identité de la série : Auteurs : André Franquin Date de création : 1955 Nombre d'albums : 4 (série terminée) Éditeur : Le Lombard |
dimanche 15 juillet 2012
Le Prince écorché
Lawrence © Bragelonne 2012 |
Une éternité que ne je ne m’étais lancé dans une saga de Fantasy. Pour moi, c’est un genre trop enfermé sur lui-même, totalement incapable de se renouveler. Pire encore, je déteste la propension des éditeurs à présenter chaque nouvelle trilogie comme un pur chef d’œuvre. Ce Prince écorché n’échappe pas à la règle : « Un premier tome qui marque les débuts fracassants d’un nouvel auteur » (l’éditeur), « Le meilleur livre que j’ai lu de toute l’année » (Peter V. Brett), « Un page-turner sombre et implacable » (Robin Hobb). Ben voyons... Toutes ces tirades dithyrambiques censées prouver au lecteur blasé que cette fois-ci, promis juré, il a entre les mains un livre incontournable, me sortent par les yeux. Je veux bien reconnaître que pour un premier roman, Mark Lawrence s’en tire plutôt bien. Son univers tient debout et son héros est bien campé, c’est un fait. Pour autant, il reste quelques maladresses. Les dialogues sonnent parfois creux, il y a quelques longueurs et les scènes d’action, un brin mollassonnes, sont loin d’égaler celles de David Gemmel (Waylander).
En fait, je crois que ce qui m’a séduit au départ, c’est le coup de la bande de hors-la-loi sanguinaires. J’ai fait un rapprochement avec les fameux coquillards de Villon et je me suis laisser tenter. Problème, le prince Jorg n’a rien à voir avec le célèbre poète. C’est un sale gosse bouffi d’orgueil et absolument insupportable. Tellement tête à claque que l’on en viendrait presque à souhaiter sa disparition dans les pires tourments. Pour le coup, il s’agit là d’une certaine originalité. Autre originalité, les références à des auteurs comme Platon et Sénèque ou encore à la Bible. Du coup, on en vient à se demander si le monde de Jorg n’est pas une vision du futur où la Terre serait retombée en plein Moyen-âge après une catastrophe nucléaire. Un peu comme dans la planète des singes, quoi.
Le Prince écorché signe donc le début d’une énième épopée de Fantasy tout ce qu’il y a de plus classique. Ce n’est pas en soi un gros problème, pour peu que le lecteur sache d’emblée qu’il ne va pas tomber sur le chef d’œuvre annoncé. Pour ma part, vous l’aurez compris, j’en resterais à ce premier tome.
Le Prince écorché, de Mark Lawrence, Bragelonne, 2012. 382 pages. 21 euros.
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