mardi 12 janvier 2010

Étoile du chagrin T1 et T2

Il y a un an, leur monde fut détruit. La comète nommée Étoile d’Eden qui traverse normalement les cieux tous les vingt-deux ans est entrée dans l’atmosphère. Et maintenant que les nuages se dissipent, les rares survivants se battent pour refaire leur vie après l’impact.

L’Ordre, une structure dirigée d’une main de fer par Maître Grène, essaie de prendre le pouvoir par la violence. Elle affronte les hommes du Régent qui régnait avant la catastrophe. La Mine Noire est quant à elle une organisation clandestine qui lutte contre l’Ordre. Face à toutes ces considérations politiques, nombreux sont ceux qui essaient juste de redonner un sens à leur vie. Klavir et Wilm sont de ceux-là. Ils parcourent ensemble le monde à la recherche de Lucia, l’amie de Klavir. Ils sont accompagnés par un Mange Rêve nommé Flutch, une sorte de fantôme qui se nourrit en s’installant dans la bouche des gens endormis. Dans une étendue erre un homme étrange, terrible combattant que ses ennemis appellent le tueur-coupeur. Il a perdu la mémoire et n’a aucune idée de sa véritable identité. L’auteur propose également de suivre les mésaventures de certains membres de l’ordre et de la Mine Noire. Toutes ces situations décrites séparément semblent indépendantes les unes des autres, comme si on braquait successivement la caméra dans différents endroit du monde au même moment.

Récit choral où se croisent de très (trop ?) nombreux personnages, ce roman graphique à tiroir qui s’étale pour l’instant sur plus de 400 pages n’a encore révélé aucun de ses secrets. C’est là sans doute la limite d’un tel procédé. Il va falloir à un moment ou un autre assembler les pièces du puzzle pour donner à tout cela un mouvement cohérent. Il est plaisant de passer d’un lieu et d’un protagoniste à un autre pour suivre les différentes trames de l’histoire, mais il faut aussi être très attentif pour ne pas s’y perdre. Le dessin en noir et blanc au trait particulièrement naïf et parfois mal maîtrisé n’aide pas à améliorer la clarté de l’ensemble. Il est quelquefois difficile de distinguer les différents visages et heureusement qu’il y a un trombinoscope à la fin de l’ouvrage pour retrouver facilement l’identité de chacun. Il faut aussi accepter le décalage entre le trait « enfantin » et la dureté des situations parfois assez violentes. Pour conclure, cette Étoile du chagrin est une œuvre expérimentale à la construction complexe qui sera peut-être au final une excellente surprise. Mais il est encore trop tôt pour le dire.


Étoile du chagrin T1, de Kazimir Strzepek, Éditions çà et là, 2008. 216 pages. 12,50 euros.
Étoile du chagrin T2, de Kazimir Strzepek, Éditions çà et là, 2009. 256 pages. 13,00 euros.

L’info en plus : Les éditions ça et là sont un tout petit label qui a connu un succès d’estime début 2008 en publiant Château l’attente, un roman graphique de près de 500 pages récompensé aux Eisner Awards et sélectionné dans la catégorie des Essentiels à Angoulême en 2008.


dimanche 10 janvier 2010

Louisiana Breakdown


Jack Mustaine, musicien en mal d’inspiration, n’aurait jamais dû tomber en panne aux abords de Graal, un trou paumé dans le fin fond des marais de Louisiane. Le bon samaritain qui lui vient en aide fait remorquer sa voiture et l’emmène dans le seul bistrot du coin, le Bon Chance.

Rarement un établissement aura si mal porté son nom. Mustain y découvre la « faune » locale, des rednecks imbibés et peu avenants. Il y a fait aussi connaissance de Vida, sculpturale jeune femme dont il tombe éperdument amoureux. Après une nuit torride, Vida raconte au musicien l’histoire de sa ville : les habitants ont conclu il y plus de deux cents ans un pacte avec le Bonhomme Gris, une entité vivant dans les marais. Ce dernier protège Graal tant que la cité lui offre une reine en échange. Vida est l’actuelle reine du solstice mais la nouvelle élue doit être choisie au cours de la fête de la Saint Jean qui va se dérouler le lendemain. Elle sait que les reines déchues subissent de terribles tourments et finissent à moitié folles, abandonnées de tous. La jeune femme est persuadée que Mustaine est une sorte d’ange gardien qui va pouvoir la libérer de la malédiction qui la frappe en l’emmenant loin de sa ville natale. Le musicien quant à lui ne croit pas un instant à toutes ces balivernes. Il veut simplement récupérer sa voiture et partir avec Vida en Floride, sa destination initiale.

Mais Graal n’est pas une ville comme les autres, et même les plus sceptiques vont devoir reconnaître qu’une étrange réalité se cache au fond du bayou.

Lucius Shepard créé avec Graal une ville improbable qu’il rend parfaitement crédible grâce à la précision de ses descriptions. Ce qui frappe le plus à la lecture, c’est l’ambiance : humide, moite, étouffante…La description des marais et des ses cabanes décrépies, des arbres aux ombres inquiétantes et du brouillard épais qui surgit s’en prévenir instaure une atmosphère pesante et surnaturelle.

La galerie de personnages proposée est également un must : Mustaine et Vida évidemment, mais aussi Sedele la patronne du Bon Chance, Joe Dill le bon samaritain et sa femme Tuyet, Nedra la voyante ou encore Madeleine Le Cleuse, l’ancienne reine du solstice, tous savent qu’ils font parti d’un Grand Tout qui les dépasse. La tragédie se construit sous leurs yeux et ils ne peuvent que subir les événements. Toutes les tentatives pour essayer de changer le cours des choses sont vouées à l’échec. D’ailleurs le nom de la ville n’a pas été choisi par hasard. En rencontrant Vida, Mustaine a cru avoir décroché son graal et trouvé enfin l’amour. Mais l’Histoire a montré que tous ceux qui se sont lancés à la quête du Graal se sont brulés les ailes. Et le musicien ne fera pas exception à la règle.

Un seul mot pour conclure au sujet de ce court roman : envoûtant. Si le lecteur accepte de se laisser embarquer dans cet étrange bayou à l’atmosphère irréelle, il passera à coup sûr un très bon moment.

Louisiana Breakdown, de Lucius Shepard, Éditions J’ai Lu, 20099. 190 pages. 5,60 euros.

PS : un petit coup de gueule contre la personne qui a rédigé la 4ème de couverture. A l’évidence, cette personne n’a pas lu le roman : dès la première ligne, il est indiqué que jack Mustaine est un bluesman, or cela n’est jamais dit dans le texte. Ensuite, il est écrit qu’il tombe en panne « peu avant d’arriver à la Nouvelle Orléans, où il était censé se produire ». Cette affirmation est totalement fausse puisque le but de son voyage est la Floride et plus précisément une maison en bord de mer prêtée par un ami dans laquelle il devait s’atteler à l’écriture d’un album. Mais il vrai que pour connaître cette information, il fallait lire les 100 premières pages ! Je sais, cela relève du détail, mais c’est assez symptomatique de la façon avec laquelle quelques éditeurs de livres de poche bâclent leurs éditions et ne prennent pas la peine de lire tous les livres qu’ils publient. Je trouve ce manque de sérieux tout à fait regrettable.

L’info en plus : Lucius Shepard n’est pas un inconnu en France. Il a notamment remporté le Grand Prix de l’Imaginaire en 2007 dans la catégorie Nouvelles Étrangères avec son recueil Aztechs. Il a également remporté le prix Locus en 1994 pour son roman L’aube écarlate, une histoire de vampires. Un thème qui aujourd’hui fait fureur mais qui à l’époque était loin de passionner les foules !



jeudi 7 janvier 2010

Billy Brouillard : les comptines malfaisantes

Ce coffret contient trois livres regroupant quatre comptines. Dans la première, Allison est très méchante avec les insectes. Elle leur fait vivre les pires horreurs. Mais quand les insectes se vengent, c’est Allison qui voit sa vie devenir un cauchemar. Dans la seconde, lorsque Barbara découvre une larve visqueuse dans son assiette d’épinards, elle ne se doute pas que cette petite bestiole va la mener à sa perte. Dans la troisième, en constatant que son poisson rouge offert par le Père Noël est décèdé, Philomène part pour le bord de mer afin d’en trouver un nouveau. Mais les abysses vont transformer sa recherche en une longue complainte. Quant à la petite princesse qui faisait du mal aux gens, elle va subir une punition qu’elle n’est pas prête d’oublier.


Ces quatre comptines ont deux points communs : elles mettent en scène des petites filles et elles traitent du thème de la métamorphose. Elles présentent également des enfants loin d’être sages, de sales gamines égoïstes ou méchantes qui doivent à un moment payer pour leur comportement. Il n’y a cependant pas véritablement de morale, aucune sorte de jugement. C’est ce qui peut rendre le lecteur mal à l’aise. J’avoue que je ne laisserais pas lire ces comptines malfaisantes à ma fille de 8 ans. Peut-être parce que je suis un vieux con réac, diront les médisants. Mais surtout parce que je n’y vois aucun intérêt. Ces histoires ne sont pas divertissantes, encore moins dépaysantes ou enrichissantes. L’illustration en noir et blanc et le texte sont minimalistes, ce que je peux tout à fait concevoir. Quand Guillaume Bianco affirme dans une interview sur le site Actua Bd qu’il a eu « envie de faire des livres courts et très simples à lire », je ne peux qu’être d’accord avec lui. Seulement je vois plus cela comme un défaut que comme une qualité. La lecture des trois livres prend vingt minutes maximum. C’est idéal sans doute pour les petits lecteurs, mais pour les parents acheteurs, il faudra débourser 29,90 euros pour offrir ces chères Comptines à leur progéniture. Il faut reconnaître que le travail éditorial est magnifique : les livres sont très beaux et se rangent dans un superbe coffret, le papier est de qualité et les pages de garde plutôt jolies. Mais tout cela ne suffit pas à justifier ce prix exorbitant !

Pour conclure, que dire ? Je lis Guillaume Bianco depuis ses débuts. J’ai adoré sa série Will, j’ai trouvé le premier tome de Billy Brouillard formidable et j’ai beaucoup aimé l’album Eco qu’il a scénarisé, mais là, j’avoue que je n’ai pas du tout accroché. J’ai même la douloureuse impression d’avoir dépenser bêtement près de 30 euros dans une publication qui cherche à surfer sur la vague de Billy Brouillard dans un but purement mercantile. J’espère sincèrement me tromper.

Billy brouillard : les comptines malfaisantes, de Guillaume Bianco, Éditions Soleil, 2009. 29,90 euros. Dès 9 ans.

L’info en plus : Les comptines malfaisantes sont publiées dans la collection Métamorphoses des éditions Soleil. C’est dans cette collection dirigée par Barbara Canepa qu’est paru l’année dernière Billy Brouillard. Plusieurs titres devraient paraître cette année et pour voir les publications à venir, je ne peux que vous conseiller la visite du blog de Barbara Canepa à cette adresse : http://canepabarbara.blogspot.com/









mardi 5 janvier 2010

Vinci T1 et T2, de Convard et Chaillet

Milan, le 15 décembre 1494. On découvre le cadavre du notaire Christoforo di Rodrigo au bord du canal Martesana. Lardé de coups de couteau, l’homme a été atrocement mutilé : on lui a volé son visage. Une lame très fine lui a décollé le derme comme on arrache un oignon. Un témoin a vu un géant s’enfuir sous les eaux du canal. Le prévôt Vittore, qui dirige les services de police, fait appel à Léonard de Vinci pour qu’il l’aide à comprendre le mode opérateur du tueur.


L’enquête ne donne rien jusqu’en mai 1495, lorsque le voleur de visage frappe à nouveau. Cosimo Vollone, le plus riche négociant de la ville, est tué par une énorme créature volante sous les yeux de son fils. Une fois encore, son visage a été méticuleusement découpé. Deux autres meurtres suivront en mars 1500 et l’été de la même année à Venise et à Florence. A chaque fois, Léonard de Vinci est présent dans la ville au moment où les crimes ont lieu. Le prévôt Vittore, persuadé de la culpabilité de son ami, est bien décidé à trouver des preuves indiscutables…

On était en droit d’attendre beaucoup du duo Convard / chaillet. Concernant ce dernier, le résultat est à la hauteur des espérances. Chaillet est passé maître dans l’art de restituer l’architecture des villes italiennes de la Renaissance. Milan, Venise, Florence, ces trois cités sont dessinées avec une précision redoutable. Les vues extérieures des villes comme les intérieurs des palais ou des maisons bourgeoises fourmillent de détails et sont d’un incroyable réalisme. Un léger bémol pour le dessin des personnages, notamment des visages, qui sont parfois un peu trop statiques et manquent d’expressivité.

Finalement, c’est le scénario de Convard qui est le plus décevant. La révélation avant même la fin du premier volume de la culpabilité de Vinci enlève tout suspens à l’intrigue. En préférant faire des motivations qui ont poussé le génial inventeur à agir de la sorte le ressort de son histoire, il a délibérément choisi de ne pas offrir aux lecteurs un suspens haletant, mais plutôt le récit classique de l’accomplissement d’une vengeance. Ce parti pris est tout à fait défendable, mais il ne m’a pas convaincu. On imagine en effet assez facilement dès le début du second volume la façon dont les choses vont se passer et j’avoue que j’ai trouvé la fin de ce diptyque assez ennuyeuse car trop prévisible.

Il n’empêche que je ne peux que recommander cette courte série à ceux qui aiment le dessin très fouillé de Chaillet et sa somptueuse représentation de l’Italie de la Renaissance. Sans compter que beaucoup de lecteurs pourront trouver de nombreuses qualités au scénario de Convard qui ne m’a personnellement pas convaincu. Après tout, chacun ses goûts !


Vinci T1 : l’ange brisé, de Didier Convard et Gilles Chaillet, édition Glénat, 2008. 56 pages. 13 euros.
Vinci T2 : ombre et lumière, de Didier Convard et Gilles Chaillet, édition Glénat, 2009. 56 pages. 13 euros.

L’info en plus : Les éditions du Lombard ont entamé depuis un an la publication sous forme d’intégrale des aventures de Vasco, jeune garçon issu d’une riche famille de banquiers italiens dont les histoires se déroulent pendant la Renaissance. Cette série dessinée et scénarisée par Gilles Chaillet qui a vu le jour en 1983 dans l’hebdomadaire Tintin ravira tous ceux qui ont découvert et apprécié dans Vinci le très beau travail de ce fabuleux dessinateur.



dimanche 3 janvier 2010

Meurtres sur le Palatin


Rome, sous le règne de l’empereur Tibère (14 à 37 après J-C). Le cadavre d’un gladiateur est retrouvé sur les marches d’une maison cossue du Mont Palatin, un quartier où vivent de nombreux patriciens (citoyens romains appartenant à l’aristocratie). Kaeso, centurion de la garde prétorienne, est chargé de l’enquête. Ses investigations le mèneront dans les bas-fonds de Rome où, entre corruption, vengeance, combat de gladiateurs et paris truqués, le jeune homme aura fort à faire pour éviter les nombreux pièges tendus par des femmes bafouées ou d’anciens compagnons d’armes.


Avis aux futurs lecteurs de ce roman : Rome antique ne rime pas avec romantisme. Oubliez les images d’Épinal. La vie à Rome à cette époque était extrêmement violente : le sang coulait à flot, la sexualité était totalement débridée, la condition des esclaves souvent insoutenable et les intrigues politiques foisonnantes. L’auteur ne force pas le trait Les mœurs décrites ici sont simplement réalistes.

Il est évident que Cristina Rodriguez connaît parfaitement son sujet d’un point de vue historique, mais elle ne cherche pas pour autant à épater la galerie. Les informations concernant l’organisation de la société, les rapports humains, la nourriture, l’architecture ou les vêtements ne sont pas amenées artificiellement, elles s’insèrent dans le récit et participent à la crédibilité de l’ensemble.

Aussi à l’aise dans la description d’une taverne que dans celle d’une riche maison du Mont Palatin, l’auteur n’a pas rédigé pour autant un essai historique. Son texte est une fiction qui utilise certains personnages ayant réellement existé, mais il ne faut pas perdre de vue que son dessein premier est de proposer une œuvre romanesque. Et force est de reconnaître que la mécanique fonctionne. Il y a certes beaucoup de protagonistes, mais chacun joue un rôle important. Les évènements s’enchaînent avec fluidité jusqu’au dénouement. L’écriture est simple, la lecture facile et agréable. Ne cherchez pas ici un roman historique au souffle épique, vous seriez déçu. Mais si vous voulez partager quelques moments de la vie quotidienne des différentes couches de la société romaine, de l’esclave au soldat en passant par les gladiateurs ou les hommes politiques, cet ouvrage devrait vous satisfaire.

Personnellement, j’ai passé un très bon moment de lecture avec un roman à la fois didactique et divertissant. Ces deux qualités sont tellement difficile à associer que je ne peux que féliciter Cristina Rodriguez pour avoir réussi à relever un tel pari.

Merci à Livraddict et aux éditions du Masque de m’avoir permis de découvrir un titre que je ne serais jamais allé cherché par moi-même.

L’info en plus : la lecture de ce roman fait indéniablement écho à la diffusion il y a quelques années de la série Rome sur Canal Plus. On retrouve le même souci de montrer avec réalisme la vie quotidienne des patriciens et de la plèbe, même si l’époque n’est pas tout à fait la même puisque la série télé se passe sous le règne de Jules César. Si vous avez aimé le roman de Cristina Rodriguez et que vous ne connaissez pas la série, foncez sans hésiter sur cette dernière, vous ne serez vraiment pas déçus.

Meurtres sur la Palatin, de Cristina Rodriguez, Éditions du Masque, 2009. 16 euros.








mardi 29 décembre 2009

Le festin d'Ohmelle T1 : bière et champignons


Ohmelle est une naine qui vit en Haute-Flandrie, une région du nord de la Fatrace. Mariée et mère de trois enfants, elle tient un restaurant dans son village. Si les nains de Haute-Flandrie sont d’ordinaire casaniers, Ohmelle a pour sa part des envies de voyages depuis sa jeunesse. Mais en Fatrace, chaque contrée est séparée des autres par les confins, d’épais brouillards infranchissables. Pour aller d’une contrée à l’autre, il faut emprunter les Traverses, des chemins ténébreux où vivent d’étranges créatures. Ohmelle décide de parcourir la Fatrace afin de trouver de nouvelles recettes de cuisine. Pour l’aider dans sa quête, elle fait appel à un vieil ami à elle qui est devenu un rôdeur. Les rôdeurs sont les seuls à pouvoir guider les étrangers sur les Traverses. C’est ainsi qu’Ohmelle, accompagnée par le rôdeur Maresme et les gnomes Segby et Nanny Tie, part à l’aventure sur les chemins de Fatrace. Dans ce premier volume, la compagnie va visiter la Somoyse, région qui se trouve au sud de la Haute-Flandrie et dont la capitale se nomme Manise, une ville possédant une magnifique cathédrale (j’espère que les picards auront reconnu leur région et la bonne ville d’Amiens).


L’idée de départ est vraiment intéressante. Faire visiter une France imaginaire pour mieux présenter les légendes et traditions de ses régions est un parti pris très original. La psychologie des personnages est également très poussée. Chaque membre de la compagnie possède quelques secrets plus ou moins troubles et on se doute que la quête collective cache des aspirations individuelles propres à chacun. On sent que la mise en place de cet univers de fantasy a dû germer pendant de nombreuses années dans l’esprit de l’auteur avant d’être couché sur le papier.

Pourtant, si cette présentation peut sembler à bien des égards alléchante, je dois avouer que ce roman m’a déçu. La randonnée de la compagnie m’a paru très très lente. Je me suis pas mal ennuyé en lisant les longs (très longs) états d’âmes des différents membres de la petite troupe menée par Maresme. Les changements incessants de narrateur alourdissent la fluidité du récit. En 300 pages, on n’a droit qu’à quelques rencontres avec des créatures fantastiques somme toute assez peu intéressantes et Ohmelle, dont le but est de trouver de nouvelles recettes, n’a en fin de volume qu’une seule recette de notée dans son carnet. L’intrigue avance tellement peu ! Je me suis surpris plusieurs fois au cours de la lecture à regarder combien de pages il me restait avant la fin et c’est souvent un très mauvais signe par rapport à l’intérêt que je porte au texte que je suis en train de lire. A raison de deux régions visitées par volume et sachant que la Fatrace compte dix-neuf contrées en tout, j’espère qu’il ne faudra pas dix tomes pour boucler la quête de la Compagnie !

Deux derniers points négatifs à signaler (après j’arrête, c’est promis !) : 1) la couverture est vraiment moche et fait plus penser à un roman de fantasy pour la jeunesse que pour adultes ; 2) les habitants de Manise (Amiens pour ceux qui n’auraient pas suivi) sont présentés comme des soiffards bourrés du matin au soir, certes très gentils et accueillants mais aussi franchement lourdauds. Et ça, pour le picard de naissance que je suis, c’est forcément difficile à avaler.

Que dire en conclusion ? Une évidence : le Festin d’Ohmelle m’a laissé sur ma faim. Mais j’ai néanmoins acheté le second tome (dont la couverture réalisée par le même illustrateur est beaucoup plus jolie !) et je compte bien le lire car je veux donner une seconde chance aux personnages d’Audrey Françaix. Qu’on se le dise !

Le festin d’Ohmelle T1 : Bière et champignons, d’Audrey Françaix, Éditions Octobre, 2007. 320 pages. 18,50 euros.

L’info en plus : les éditions Octobre sont une petite maison d’édition crée et dirigée par Audrey Françaix et son mari Pierre Grimbert. Un titre de leur catalogue connaît un franc succès en librairie. Il s’agit du Donjon de Naheulbeuk, une saga MP3 diffusée à l’origine gratuitement sur le net puis adaptée en BD (éditions Claire de Lune) et en roman (éditions Octobre).

samedi 26 décembre 2009

Mon petit coeur imbécile

Sisanda a 9 ans et elle vit dans un petit village d’Afrique avec sa mère Maswala, sa grand-mère Thabang et son oncle Bénia. Son père travaille à des milliers de kilomètres sur des chantiers et il ne rentre que très rarement. Sisanda souffre d’une malformation cardiaque depuis sa naissance. Elle ne peut pas courir, crier ou jouer avec ses camarades. La moindre activité la fatigue. Elle passe des heures allongée sur son lit à écouter les battements de ce petit cœur imbécile qui l’empêche de vivre normalement. Quand elle se sent bien, elle peut aller à l’école. C’est son oncle qui la porte sur son dos pour faire le trajet entre la maison et la salle de classe.


Le docteur qu’elle voit une fois par an est formel : seule une opération dans un hôpital spécialisé à l’étranger pourra la sauver. Mais une telle opération coûte beaucoup trop cher. Sisanda semble donc condamnée à vivre avec son cœur malade jusqu’au jour où sa mère apprend qu’un marathon se court chaque année dans la grande ville de Kamjuni et que le vainqueur remporte une somme colossale. Or, Maswalla est surnommée « l’antilope » par tous les villageois car chaque matin elle part courir pieds nus dans les collines. La famille de Sisanda décide de vendre une chèvre pour payer les frais d’inscription au marathon et Maswalla s’entraîne comme jamais auparavant pour avoir la chance de remporter le premier prix. Mais à moins de trois semaines de la course, la jeune femme est piquée par un scorpion et sa participation semble totalement compromise…

Xavier-Laurent Petit a choisi de faire de la petite fille la narratrice de son récit. Cette énonciation à la première personne renforce le caractère intime du texte. Les chapitres très courts (trois pages en moyenne) donnent au roman un rythme saccadé proche des battements de cœur de Sisanda. La description du village et de la vie quotidienne des habitants est par ailleurs extrêmement réaliste. Une oeuvre pleine d’humanité et d’optimisme ou la solidarité et l’entraide ne sont pas de vains mots. Touchant.

Mon petit cœur imbécile de Xavier-Laurent Petit, L’école des loisirs, 2009. 134 pages. 8,50 euros. Dès 9 ans.

L’info en plus : Xavier-Laurent Petit publie un second roman en cette fin d’année 2009. S’adressant aux plus grands (à partir de 13 ans), L’attrape-rêves raconte l’histoire de Louise qui vit dans une vallée loin de tout. Un nouvel élève arrive en classe, Chems. Il est différent des autres en plusieurs points, ce qui attire Louise, mais personne d'autre. Pour les autres, un étranger n'a rien à faire dans la vallée. Chems va prouver qu'il aime cet endroit.

mardi 22 décembre 2009

O'boys T2 : deux chats gais sur un train brûlant

Huck, le gamin blanc, et Charley, l’ouvrier noir, ont quitté ensemble le Mississipi. Le premier refuse d’être placé en famille d’accueil alors que le second, accusé à tort de meurtre, est activement recherché par le shérif Bisner.
Dans cette Amérique des années 30 dévastée par la crise économique, les deux amis « brulent le dur » avec les hobos dans des trains de marchandise en route vers l’ouest. Ils cherchent à rejoindre la Californie, cet eldorado où il semble encore possible de trouver du travail.

En chemin, Huck apprend que son frère Tom est peut-être toujours en vie. Et Charley, qui a vendu son âme au ténébreux Lucius, devient un incroyable bluesman. Le but de leur voyage change donc peu à peu. Irrésistiblement attiré par les appels de Lucius, Charley veut trouver le crossroad, ce carrefour légendaire où il pourra accomplir son destin. Et Huck suit la trace de son frère devenu un leader politique pour nombre de vagabonds.

Steve Cuzor sait rendre à merveille l’ambiance de cette Amérique en crise. Sa description de la vie des laissés pour compte de l’oncle Sam est d’une redoutable précision. Le trait du dessinateur est proche de celui de Giraud dans Blueberry. La qualité du scénario est également à souligner. Les deux héros, ballotés par une existence incertaine, avancent sans réellement savoir où leurs pas vont les guider. Persuadés d’avoir chacun une quête à mener ils doivent, sans doute temporairement, séparer leurs chemins pour accomplir leur destinée.

Une grande et belle BD d’aventure qui devrait s’achever dans le troisième volume à paraître en 2010. Les amoureux des classiques franco-belges peuvent foncer les yeux fermés.

O’boys T2 : deux chats gais sur un train brûlant, de Steve Cuzor et Philippe Thirault, Éditions Dargaud, 2009. 13,50 euros. 56 pages. Dès 10 ans.

L’info en plus : le premier volume de la série paru en janvier 2009 a été réédité dans une version de luxe grand format en noir et blanc avec un dos toilé. Une très belle occasion de mieux apprécier la qualité du dessin de Steve Cuzor.
 





dimanche 20 décembre 2009

Le vagabond de Tokyo : résidence Dokudami

Oubliez tous les losers que vous avez connus jusqu’alors. Si vous lisez le vagabond de Tokyo, Yoshio va devenir votre référence en la matière. Ce jeune homme indolent vit dans un immeuble délabré du quartier Asagaya, à Tokyo. Vivant au jour le jour, selon les petits boulots qu’il trouve sur des chantiers, il passe la plupart de son temps à boire, fumer et dormir.

Ayant très peu de ressources, il se nourrit presque exclusivement de sachets de nouilles instantanées. Son hygiène corporelle plus que douteuse et la crasse indicible qui règne dans son appartement complètent un tableau peu ragoûtant !

Toutes les histoires dans lesquelles Yoshio s’embarque finissent lamentablement. Dépourvu d’ambition, il espère juste pouvoir trouver une fille de temps en temps et quelques copains pour lui payer des tournées de saké.

Inspirée de la vie de l’auteur, cette série publiée entre 1979 et 1993 est vraiment atypique : apologie de l’oisiveté dans un pays où le travail est force de loi ; galerie de personnages incroyables (prostituée obèse, pervers obsédé par les petites culottes des lycéennes, travesti…) ; épisodes où se mêlent humour décalé, vulgarité, mauvais goût et scatologie…

Plus qu’un antihéros, Yoshio est devenu un personnage mythique pour de nombreux lecteurs. Censuré, attaqué par des associations bien pensantes pour atteintes aux bonnes mœurs, ce manga a aussi souffert du dilettantisme de son auteur dont le rythme de production était parfois très aléatoire.

Lorsque Takashi Fukutani décède à 48 ans le 9 septembre 2000 après quarante jours de soins intensifs, il a dessiné 663 épisodes de la série. Souvent autobiographique, crue et réaliste, Résidence Dokudami (le titre original) a connu un incroyable succès au Japon, étant notamment adaptée deux fois au cinéma. Yoshio, le Bukowski de la BD nippone, restera à jamais un personnage à part dans l’univers des mangas.

Merci aux éditions du Lézard Noir de nous proposer cette anthologie qui regroupe quelques uns des meilleurs épisodes de la série. A découvrir d’urgence pour les lecteurs français un peu curieux qui aiment les productions underground.

Le vagabond de Tokyo : résidence Dokudami, de Takashi Fukutani, Éditions du Lézard Noir, 2009. 360 pages. 23 euros.



jeudi 17 décembre 2009

Echo T1 : incident

"L’explosion au dessus- de Moon Lake s’est produite le 18 juin à 18h18.
Il s’avère que j’y étais, en train de prendre des photos du désert pour mon book. Je suis à court de fric, depuis que Rick est parti et qu’il ne paye plus les factures.
J’avais besoin de bosser.
Les 24 heures qui ont suivi, ça a été le délire total. L’explosion a recouvert la zone d’une drôle de pluie de millions de billes de métal mou qui se sont collés à moi et qui ne voulaient plus s’en aller. De retour chez moi, j’ai retrouvé un bon morceau de ce truc à l’arrière de mon pick-up. Pendant que je l’examinais, le bidule s’est collé sur ma peau.
Ça m’a fichu les jetons.
Et puis toutes les petites billes se sont mises à migrer sur moi vers la plaque principale comme des fourmis. Là, j’ai pété un plomb.
Dégueu.
Quand je suis retournée à mon pick-up pour aller aux urgences, les billes qui restaient dedans se sont aussi collées à moi. En s’agrégeant, elles ont formé un plastron qui ressemble à un soutien-gorge chromé. Quand le médecin l’a touché, il a reçu une décharge telle qu’il a perdu un ongle. Ils ont pris ça pour un canular et ils m’on fichu dehors.
Le plus bizarre, c’est que ça ne me fait pas mal. C’est même assez agréable. Tantôt rafraîchissant, tantôt tiède avec des picotements. Je sais…c’est bizarre."
Julie Martin a été contaminée par une explosion atomique au dessus du désert californien. Devenue sans le savoir une bombe atomique ambulante, elle est pourchassée par l’armée américaine qui veut la retrouver avant que le monde entier découvre l’atroce vérité et les dangereuses expériences nucléaires que mène le pentagone malgré les traités internationaux. Commence alors une fuite désespérée pour la jeune femme…
La trame de départ est assez classique : une femme innocente est contaminée par une expérience qui tourne mal et elle acquiert à ses dépends quelques super pouvoirs. Mais loin de se focaliser sur sa transformation en « super héros », Terry Moore préfère montrer cette jeune femme empêtrée dans sa vie de tous les jours : son mari a décidé de lui couper les vivres tant qu’elle ne signera pas les papiers du divorce ; elle tente de vivoter dans une vieille bicoque isolée avec pour seul compagnon son chien ; elle rend visite à sa sœur internée à l’hôpital psychiatrique depuis plusieurs années… Cette femme fragile et en perdition subit les événements plus qu’elles ne les provoquent. Ne cherchez pas non plus ici de super-vilains : l’ennemi, c’est le gouvernement américain et ses super agents. Un comics tout en finesse et en subtilité qui joue davantage sur les problèmes personnels des personnages que sur les scènes d’action spectaculaires. Le dessin très réaliste en noir et blanc est d’une grande limpidité.
Les cinq chapitres qui composent ce premier volume constituent une introduction plus qu’alléchante à une intrigue simple mais solidement menée dont on attend la suite avec impatience. Publié juste avant l’été, ce titre est injustement passé inaperçu dans le flot de publications du premier semestre 2009. Il mérite pourtant largement que l’on s’y attarde.

Echo T1 : incident, de Terry Moore, Éditions Delcourt, 2009. 12,90 euros.


L’info en plus : Terry Moore n’est pas un auteur inconnu. Il a remporté un Eisner Award (l’équivalent des Oscars en bande dessinée) pour sa série Strangers in Paradise, publiée en France par les éditions Kymera.