lundi 11 novembre 2024

Le gars qui allait quelque part - Michel Bezbakh

« Ça fait six mois que j’essaie de regarder la vérité en face et je crois bien y être parvenu, sinon je ne serais pas dans cette voiture ».

Difficile de trouver un titre plus explicite. Tout le long du texte, nous sommes dans la tête d’un gars qui va quelque part. Où ? On n’en sait rien. Pour quoi faire ? On n’en sait rien non plus. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il est sur la route. Au volant, il pense à ce qui va se passer lorsqu’il sera arrivé à destination et il ressasse les événements qui l’ont poussé à être dans cette situation. Petit à petit, un portrait du bonhomme prend forme, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’est pas reluisant. 

On comprend qu’il vit à Paris, qu’il est supporter du PSG, qu’il a eu un enfant avec Clara. On comprend que pour lui l’existence était simple : le PMU, les copains, le parc des princes, les parties de jambes en l’air sur le parking du cinéma. Et que les problèmes sont venus avec l’arrivée de son fils. Un gamin qui préférait Cendrillon à Mowgli. Un gamin qui ne s’intéressait pas au foot. Qui a chialé comme une gonzesse dans le tunnel des fauves à Thoiry quand une lionne a sauté sur la vitre. Bref, un gamin qui ne ressemblait pas à ce qu’il s’imaginait, un gamin qu’il ne pourrait jamais reconnaître comme son « héritier ».

L’esprit vagabonde, les pensées s’enchaînent, entre anecdotes et réflexions quasi philosophiques (toutes proportions gardées). C’est décousu et en même temps on sent qu’un fil ténu offre une colonne vertébrale à ce monologue. Dès le départ, on découvre que le gars qui va quelque part est sans filtre. Punchline, vulgarité crasse, coup de gueule, mauvaise foi évidente et quelques éclairs de lucidité en de (trop) rares moments… le narrateur est en roue libre, incapable de remettre en cause ses convictions d’un autre âge. 

Un portrait de beauf bien plus subtil qu’il en a l’air. Pour son premier roman Michel Bezbakh démontre une grande maîtrise de la langue orale. Son personnage réussit le tour de force d’être à la fois attachant et à vomir. Finalement, on n’a pas envie de le juger. Juste de l’écouter nous raconter sa vie, partager ses pensées intimes, aussi drôles que dérangeantes. 

Le gars qui allait quelque part de Michel Bezbakh. Buchet Chastel 2024. 140 pages. 17,50 euros.









mercredi 6 novembre 2024

Il était une fois l'Amérique : une histoire de la littérature américaine T2 : Le XXe siècle de Catherine Mory et Jean-Baptiste Hostache

Dashiell Hammett, le père du roman noir. Henry Miller, pionnier de l’érotisme chez les puritains. Francis Scott Fitzgerald, fêtard des années folles. Faulkner, maître du Southern Gothic. Hemingway, grande gueule et gueule de bois. Steinbeck, défenseur du peuple opprimé. Tennessee Williams ou le théâtre de la folie. Kerouac, routard de la Beat Generation. Truman Capote, maître du True Crime. Flannery O’Connor, mécanique de la haine et humour noir.

Dix monuments de la littérature du 20ème siècle, dix auteurs incontournables de l’Amérique. Le panorama est forcément incomplet, le choix forcément réducteur, mais ces dix-là montrent bien les thématiques qui ont traversé les lettres américaines entre la première guerre mondiale et les années 60. Les conflits armés ayant marqué le siècle, les questions sociétales, les différences régionales… quel que soit l’angle d’attaque choisi, chaque écrivain exprime à sa façon la violence omniprésente, l’ancien monde qui s’écroule et le nouveau qui se construit dans la douleur. Tous sont à leur façon des parias, rongés par leurs obsessions. L’alcool, le sexe, la maladie et la mort pour la plupart, les drogues pour beaucoup, Paris et l'Europe pour au moins la moitié d'entre eux. 

Les biographies sont à la fois succinctes et précises, agrémentées du résumé de certaines œuvres. L’arbre généalogique à la fin de chaque portrait est une excellente idée pour synthétiser l’influence de l’écrivain sur certains de ses contemporains. Le dessin est simple et direct, sans fioriture. Il y a beaucoup de texte mais quoi de plus logique quand on parle de littérature ! 

Des bémols ? Bien sûr il y en a quelques-uns, qui tiennent surtout au choix des auteurs. Pourquoi Tennessee Williams et pas Dos Passos ? Pourquoi une seule femme pour neuf hommes ? (et Edith Wharton alors ? Et Anaïs Nin ?) Pourquoi aucun écrivain afro-américain ? (et Richard Wright alors?). Bref, se limiter à dix, c’est s’exposer à la critique. Peut-être faudra-t-il un troisième tome pour balayer la période allant des années 70 à nos jours (avec Philip Roth, Joyce Carol Oates et Jim Harrison en tête de gondole par exemple, sans oublier Paul Auster, Louise Erdrich, Toni Morrison et Cormack McCarthy). En tout cas j’ai tellement aimé cet album que j’ai mis le 1er tome, consacré au 19ème siècle, sur ma liste de Noël. J’espère avoir été assez sage pour que mon vœu soit exaucé !

Il était une fois l'Amérique : une histoire de la littérature américaine T2 : Le XXe siècle de Catherine Mory et Jean-Baptiste Hostache. Les Arènes, 2024. 256 pages. 29,90 euros.


Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Fanny !